Une tribune pour les luttes

Comme tous les ans, et plus que jamais avec Fukushima, souvenons-nous...

31 juillet 1977 à Malville : Vital Michalon est assassiné par la police dans une manif antinucléaire contre la construction de Superphénix.

"Etat Nucléaire = Etat Totalitaire !"
+ Superphénix, des braises sous la cendre

Article mis en ligne le dimanche 31 juillet 2011

Avec les photos et les liens sur
http://rebellyon.info/31-juillet-1977-a-Malville-Vital.html

Le 31 juillet 1977, parmi 60.000 citoyens qui manifestent contre la construction du surgénérateur Superphénix à Creys-Malville (Isère), Vital Michalon est tué par l’explosion d’une grenade offensive tirée par les forces de police.

En 1977, pour accueillir cette manifestation d’ampleur, préparée depuis plusieurs mois, le préfet René Jannin a déployé des moyens importants : 5000 CRS, gendarmes et gardes mobiles, hélicoptères, véhicules amphibies, ponts mobiles, un régiment de gendarmes parachutistes et des membres des brigades anti-émeutes. 5500 hectares autour du périmètre de la centrale sont interdits à toute circulation.

Vital Michalon, 31 ans, est abattu par un tir tendu de grenade lacrymogène. L’autopsie conclura à une mort causée par des "lésions pulmonaires du type de celles que l’on retrouve lors d’une explosion". Plusieurs dizaines de manifestants sont blessés, dont deux mutilés, Michel Grandjean et Manfred Schultz : l’un perd un pied et l’autre une main. Le CRS Tousot perd aussi une main avec la grenade qu’il voulait lancer.

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Il faut rappeler qu’à l’époque, tous les moyens ont été utilisés pour imposer la construction du Superphénix :
- aucune procédure de consultation de la population,
- de puissantes campagnes de désinformation de la part d’EDF et du CEA,
- de graves violences policières dont celles aboutissant à la mort de Vital Michalon, et à l’amputation de Michel Grandjean et de Manfred Schultz.

Un document récupéré par des antinucléaires a montré que le PDG d’EDF d’alors, M. Boiteux, avait demandé que soit accélérée l’autorisation administrative de construction pour empêcher toute expression démocratique : "La meilleure façon de contrecarrer la contestation (…) est d’engager au plus vite, de manière irréversible, l’opération".

La suite des évènements a donné raison à Vital et à l’ensemble des manifestants puisque Superphénix a été définitivement arrêté en 1998 après une suite invraisemblable d’avaries. En décembre 2006, EDF a annoncé n’avoir démantelé que 38% du réacteur, mais le plus difficile reste à venir avec les 5500 tonnes de sodium liquide (matière qui s’enflamme au contact de l’air et explose au contact de l’eau…).
Depuis son arrêt, 200 personnes sont obligés de travailler en permanence sur le site pour éviter que ça ne s’emballe… alors qu’il n’y a aucune production. Le bilan économique et industriel de ce surgénérateur est catastrophique : 10 milliards d’euros pour 178 jours de fonctionnement effectif. Sans compter ce que cela va coûter en plus pendant des années ; en effet chaque jour on est obligé de fournir à cette centrale à l’arrêt l’énergie comparable à ce que consomme une ville de 15.000 habitants.

Or, malgré l’échec total de Superphénix, l’État français entend renouveler l’expérience : le projet appelé "réacteur de quatrième génération" n’est autre qu’une nouvelle tentative de faire fonctionner un réacteur de type Superphénix. Voir (de PMO) De Superphénix à ITER : 30 ans de défaite
http://www.piecesetmaindoeuvre.com/...


"Etat Nucléaire = Etat Totalitaire !"

C’est ce que criaient les manifestants en 1977. Nous en sommes toujours au même point. En souvenir de Vital Michalon, et pour préserver les générations futures, nous devons continuer à exiger un débat démocratique sur ce projet dont la dangerosité planétaire est établie.

— -


Archive INA de l’époque :

http://www.ina.fr/economie-et-socie...



Superphénix, des braises sous la cendre

Dix ans pour la construction, trente pour la déconstruction. La durée de vie utile de Superphénix n’aura été que de onze ans. Mais l’histoire de l’emblème du nucléaire à la française est loin d’être terminée.

Par Christine Bergé

http://www.monde-diplomatique.fr/2011/04/BERGE/20399

En arrivant par la route à Creys-Malville, on aperçoit très vite l’imposant édifice du bâtiment réacteur dont la masse de béton s’élance à quatre-vingts mètres de hauteur. Installé dans une boucle du Rhône, au milieu des champs et des forêts de l’Isère, Superphénix est toujours le théâtre d’une intense activité. Quatre cents intervenants y accomplissent, depuis l’annonce de son démantèlement, il y a plus de dix ans, des opérations délicates, retirant une à une ses fonctions vitales dans le but de le désarmer définitivement. Le chantier est prévu pour durer encore une vingtaine d’années. « Volcan aux portes de Lyon », selon les mots du philosophe Lanza del Vasto, le plus grand surgénérateur du monde, dont l’abandon fut décrété par M. Lionel Jospin le 19 juin 1997, suscite encore toute l’attention des ingénieurs du Commissariat à l’énergie atomique (CEA).

(...)

En arpentant le site, le regard se porte au-delà des barbelés qui délimitent la frontière. Qui se souvient de ce qui s’est passé ici, il y a une trentaine d’années ? Dès 1971, la section française de l’association internationale Les Amis de la Terre demande un moratoire sur la construction des centrales nucléaires. Créé en 1975, le premier comité Malville appelle à un rassemblement le 3 juillet 1976. Vingt mille personnes viennent manifester leur désaccord devant les grilles de la centrale en construction.

Encadré par les forces de l’ordre, le rassemblement est pacifique ; il se disperse dans le calme. En avril 1976, la revue Sciences et Vie publie une tribune de Jean-Pierre Pharabod, ancien ingénieur d’Electricité de France (EDF) : «  Il n’est pas déraisonnable de penser qu’un grave accident survenant à Superphénix pourrait tuer plus d’un million de personnes. » En effet, le cocktail sodium-plutonium présente des risques indéniables.

En 1977, un an après le début de la construction, le décret d’autorisation est accordé. Le 31 juillet, le mouvement écologiste organise un nouveau rassemblement, qui tourne mal et sera sévèrement réprimé. Ce qui prit le nom mythique de « bataille de Malville » se solde par de nombreux blessés, trois mutilés et un mort : Vital Michalon.

La même année, aux Etats-Unis, les contestations antinucléaires incitent M. James Carter à renoncer au RNR de Clinch River, prévu pour une puissance — modeste en comparaison — de 400 MW. Bientôt, l’histoire du nucléaire civil sera inséparable de celle des accidents. En 1979, la centrale de Three Mile Island, en Pennsylvanie, connaît un grave incident entraînant une fusion partielle de son cœur. Les écologistes français signent alors une pétition pour demander l’arrêt du chantier de Superphénix. A leur grand désarroi, après un débat parlementaire en octobre 1981, la gauche qui arrive au pouvoir maintiendra cette politique.

(...)

En 1997, la gauche plurielle, une coalition socialiste, communiste et écologiste, «  met à mort » Superphénix. Le nuage de Tchernobyl avait fini par survoler la France. Loin d’être en bout de course, pourtant, se désolent les ingénieurs, la centrale avait encore un « cœur de jeune homme ». Seule la moitié de son combustible avait été consommée.

(...)

Ici se déroulent des opérations chirurgicales de grandes dimensions. On a déjà enlevé le cœur du réacteur, formé de quelques centaines d’assemblages combustibles désormais coulés par seize mètres de fond, dans la «  piscine » de l’atelier pour l’entreposage du combustible. Sous les nappes de câbles électriques, on distingue d’énormes tubulures sectionnées dont les moignons sont enveloppés de films métalliques opaques. C’étaient les artères des échangeurs de chaleur.

Dans les bâtiments générateurs de vapeur, les opérations sont terminées. Sur les murs, on aperçoit les traces de brûlure au chalumeau dues à la découpe des tuyaux. Des touches fuchsia indiquent ce qu’il faut laisser connecté. Et, peintes en bleu, les servitudes de l’« air alimentaire » rappellent que le site est habité jusqu’à la fin des travaux.

Le grand phénix n’est plus assis sur son bûcher d’immortalité. La plupart de ses anciens organes, découpés en pièces calibrées, sont enclos dans des conteneurs progressivement destinés à rejoindre les sites de stockage de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Tout ce qui n’est pas irradié entre dans des filières appropriées. Le reste doit être décontaminé et traité.

Dans un atelier intégré au bâtiment réacteur, on découpe avec une torche à plasma les éléments fonctionnels qui étaient immergés dans le sodium radioactif. Plus loin, la salle des machines (dix mille mètres carrés), claire et silencieuse, n’abrite plus les turbines. Elle sert de plaque tournante pour les conteneurs en attente, et accueille l’atelier de traitement du sodium, dont une bonne partie a été irradiée. Il s’agit de transfuser ce fluide en très petites quantités dans une solution de soude aqueuse. Le mélange obtenu est utilisé comme eau de gâchage et mélangé à du ciment, du chlorure de calcium et de la Sodeline, un adjuvant spécifique. L’opération s’accomplit lentement en raison du risque inhérent au sodium, à la fois explosif et inflammable. Le but de l’opération est de réaliser trente-huit mille blocs de béton sodé, qui seront entreposés sur le site jusqu’en 2035, dans les alvéoles d’un bâtiment construit à cet effet, afin de confiner la radioactivité qui décroîtra.

Pour protéger les travailleurs contre les rayonnements ionisants, la règle du taux de dosimétrie «  le plus bas possible » conditionne la gestion des frontières entre les matériaux ou les lieux contaminés et ceux qui ne le sont pas. Vêtements de travail spéciaux, air pressurisé et balises de détection entrent dans les dispositifs permettant d’assurer la circulation dans cet univers instable. Le travail est compliqué car les techniques de déconstruction des centrales n’ont pas été définies lors de leur construction. Très spécifiques, les opérations de démantèlement comportent des risques qui doivent être identifiés en continu. Ainsi l’ingéniosité des intervenants est-elle sollicitée pour résoudre des problèmes rencontrés en cours de route. L’ensemble des connaissances acquises entre dans le circuit familier au monde industriel : le retour d’expérience. Et tout cela est piloté par le Centre d’ingénierie de la déconstruction et de l’environnement.


L’enjeu de la mémoire

Sur le site, l’ensemble des actions ordinaires bénéficie d’une traçabilité importante et quotidienne. En outre, événements et incidents de parcours sont consignés par l’Autorité de sûreté nucléaire, formant un suivi de toute l’histoire de la centrale de sa naissance à la fin de sa déconstruction. Le corps des bâtiments est aussi une mémoire. Comme le souligne Mme Estelle Chapalain, « le démantèlement des installations est un révélateur implacable de l’historique de l’installation et de plus ou moins bonnes pratiques d’exploitation. En termes de radioprotection et de sécurité du travail, une attention particulière doit être portée aux situations imprévues que l’on trouve parfois (4) ».

La mémoire des lieux, des actions, comme celle des savoir-faire, reste un enjeu capital. Dans la mesure où les matières traitées entrent dans un système de circulation, il est essentiel de s’interroger sur leur destination. Par exemple, des incertitudes demeurent quant aux blocs de béton issus du sodium de Superphénix. Que deviendront-ils dans trente ans ? Qu’adviendra-t-il de l’uranium et du plutonium, ces braises de la piscine de Creys-Malville ? EDF se réserve-t-il le choix de considérer ses lingots de combustible comme pouvant servir à un nouveau « rapide » ? Répondre à ces questions suppose de transmettre la mémoire. Celle des sites, des savoirs et des techniques, qu’il importe de sauvegarder avant que tous ceux qui ont pris part à cette construction se soient dispersés dans la nature. Car, demande M.Christophe Béhar, le directeur de l’énergie nucléaire au CEA, « qui prendra en 2025 la relève des ingénieurs partis à la retraite ? ».

Christine Bergé.

(1) Un surgénérateur produit plus de matière fissile qu’il n’en consomme.

(2) Cf. Dominique Finon, L’Echec des surgénérateurs. Autopsie d’un grand programme, Presses universitaires de Grenoble, 1989.

(3) Cf. Chaïm Nissim, L’Amour et le monstre. Des roquettes contre Creys-Malville, Favre, Lausanne-Paris, 2004.

(4) Estelle Chapalain, « Sûreté et radioprotection lors des opérations de démantèlement : les risques principaux », Contrôle, n° 152, ASN, Paris, 2003.

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