Une tribune pour les luttes

Textes extraits des numéros 1 & 5 du bulletin « Les mauvais jours finiront... » (avril 1986 et janvier 1988)

ELÉMENTS POUR UNE DEMARCHE POLITIQUE

de Guy FARGETTE

Article mis en ligne le jeudi 15 mars 2007

Eléments pour une démarche Politique

La brochure ci-contre nous est exceptionnellement arrivée prête à être imprimé avec une pagination recto verso de 32 pages au format A 5. Nous nous contentons ici d’en reproduire l’introduction en espérant vous donner envie de l’imprimer pour la lire et la diffuser (ainsi d’ailleurs que tous les autres articles de cette rubrique "Bric à brochures").

MB


Avant-propos

Fruit de l’activité d’une seule personne, le bulletin « Les mauvais jours finiront... » connu 13 numéro. Le premier paru en avril 86, précédant de quelques mois le mouvement lycéen et étudiant de décembre (qui permit à beaucoup de mesurer l’écart construit avec l’élan de Mai 68) et auquel l’auteur consacra une longue analyse [1]. La dernière livraison date de septembre 1993 [2]et clôt une des dernières périodes de sursaut, déjà très affaibli, où s’annoncent une aggravation du reflux et l’entrée dans une ère géopolitique radicalement nouvelle.

Ces quatorze brochures hétérogènes de quelques pages austères diffusées à quelques centaines d’exemplaires il y a vingt ans nous parlent aujourd’hui bien plus que ce qui brillait à l’époque et ce qui se donne pour résolument novateur aujourd’hui. Elles voulaient à la fois mesurer froidement l’ampleur du changement que l’époque opérait dans les comportements ; se donner les moyens minimaux de ne pas céder à la résignation complaisante, aux reniements nihilistes, aux cynismes déferlants ; expliciter « clairement et simplement » toutes les dimensions de la critique de ce monde ; poser les principes - individuels en attendant d’être collectifs - d’une activité obstinée et exigeante visant une auto-transformation de la société ;
viser à développer une praxis qui reprenne ces exigences et rassemble les volontés éclatées ; et rompre, enfin, avec les manies d’une « radicalité » narcissique et stérile
- qui s’agite encore de nos jours.

Quiconque aura parcouru l’ensemble de ces textes aura la confirmation, une fois encore, que la lucidité n’est jamais très éloignée de la détermination, fut-elle payée de solitude.

Rompre avec les stigmates du « milieu radical » ; l’ambition surprendra ceux qui y sont enfermés comme ceux qui, infiniment plus nombreux, y préfèrent encore
la dispersion, qu’ils la rationalisent ou non. L’auteur des « Mauvais jours... » énonce des évidences qui ne le sont qu’exceptionnellement pour les groupes autoqualifiés
« révolutionnaires » : primat de la clarté, de la nuance, de la patience et de l’austérité ; défiance envers les engagements qui ne tiennent qu’à de froids raisonnements
stratégiques et les promesses de mondes meilleurs agrémenté de catastrophisme ; refus d’un carcan idéologique comme d’un éclectisme informe, distance vis-à-vis des mythes qui nourrissent les vénérations et construisent en chaîne des
fascinations déplacées ; volonté d’établir avec ses lecteurs des relations basées sur la modestie, la rigueur et l’exigence réciproque... De fait, l’impression que laisse ces pages tranche évidemment d’avec une littérature devenue conventionnelle, et les numéros suivants montreront que ce ne sont pas des mots.

La collaboration éphémère [3]que cette publication entretiendra avec L’Encyclopédie
des Nuisances, référence absolue de la mouvance « radicale » du tournant des années 90, illustre concrètement ce qui sépare deux tendances, deux approches, deux postures : la première n’en finissant pas de mourir à force de réclusion dans une pureté tranchante et inaccessible, et la seconde toujours à naître, qui ne trouve ni les forces ni la continuité nécessaires à une mise en commun mettant à plat tout l’héritage « révolutionnaire » des trois ou quatre dernières décennies.

N’y voir que deux filiations concurrentes, celle de G.E. DEBORD et celle de C. CASTORIADIS, celle de l’Internationale Situationniste et celle de Socialisme ou Barbarie [4], serait réduire et stériliser l’enjeu colossal de notre époque - pour peu qu’elle ne soit déjà terminée : construire, à partir du « siècle des révolutions » que fut le monstrueux vingtième siècle et de l’intérieur des ravages de l’insignifiance contemporaine, des pensées, des discours et des actes qui fassent sens, c’est-à-dire porteurs d’une critique illimitée qui n’épargne ni celui qui la tient, ni ce dont il se réclame, ni, surtout, l’idée qu’il se fait de son désir, avec cette évidence qui disparaît à vue d’oeil
qu’il ne s’agit ni d’une table rase ni de la poursuite d’un rêve inconséquent : nous parlons d’un projet humain partiellement incarné dans certaines sociétés et à certaines époques et dont semble dépendre l’avenir de ce que nous appelions jusqu’ici l’humanité.

Il est question ici de la métamorphose profonde de l’occident, devenue ostentatoire depuis les années 80, mais perçue dès les années 50. Même les tenants les plus
bouchés du « creux de la vague » en conviennent : ce « long reflux » est un changement anthropologique qui affecte le type d’êtres humains que l’époque forge [5]. Il faut en prendre acte, même si le vertige, ou la panique, n’est jamais loin pour qui s’y emploie : la question du sens de la vie individuelle elle-même ne semble plus pouvoir
être entendue et l’absence désirée de point fixe dans l’existence laisse le champs libre au modelage à l’infini des comportements et des personnalités, notamment par
le truchement de l’escalade technologique - pourvu que soient conservés les signes du confort moderne.

La réelle dynamique « anti-libérale » née il y a une dizaine d’année laisse évidemment intacte la soumission à l’ordre bureaucratique-capitaliste, la collaboration
à sa fuite en avant et l’adhésion à ses valeurs vides qui caractérisent la masse écrasante de nos contemporains [6] : l’important renouveau des luttes sociales 7 [7]semble
avoir dépassé la culture groupusculaire du gauchisme traditionnel, mais son institutionnalisation à « gauche de la gauche » en une nouvelle sociale-démocratie [8] condamne la nébuleuse « altermondialiste », avec son amnésie et son volontarisme,
à reconduire les mécanismes oligarchiques dans la société comme en son sein même.

Alors les quelques pages qui suivent n’incitent guère à la légèreté : ce n’est pas tellement que du temps soit passé et que ce qui soit advenu reste dérisoire face à ce
que la situation mondiale exigerait. C’est plutôt que les problématiques décrites s’enracinent, plus aiguës encore : les réponses - de taille - à y apporter semblent
s’éloigner à mesure que nos sociétés s’en accommodent, du moins jusqu’au jour où « quelque chose » rendra le quotidien impossible. Ces textes, sans en avoir l’air,
pointent sous une multitude d’aspect des chantiers fondamentaux dans lesquels s’aventurent, qu’ils le sachent ou non, tous ceux qui ont aujourd’hui une activité politique quelconque : l’apathie contemporaine des populations, nourrie autant du souvenir du totalitarisme que de l’absence de crédibilité des courants politiques
contemporains (« l’oubli » du premier par les seconds n’y étant peut-être pas pour rien [9]) ; le rôle de la jeunesse d’aujourd’hui, à la fois révélatrice du néant de la société
et incapable de poser durablement d’autres valeurs, éternel réservoir d’une révolte qui peut n’avoir pas plus de sens que l’objet de sa haine ; les fantasmes autour de la « récupération par le système » qui permettent tantôt de ne répondre de rien, véritablement, tantôt de se résigner à bon compte, et qui, finalement, ne font exister que l’insignifiance ; l’héritage très ambigu, et certainement pas démêlé, qu’a laissé le gauchisme des années 70 dans beaucoup de pays, constituant à la fois une référence politique incontournable pour certains et un repoussoir pour beaucoup d’autres, sans qu’il soit évident de savoir, précisément, de quoi il est question [10] ; la difficulté immense qui existe à articuler dans le temps sa révolte et ses désirs à ceux des autres, à l’heure où les simples rapports entre humains se vivent comme des contraintes encore nécessaires et poussent à l’hypocrisie comme à l’éparpillement...

Nous qui cherchons les pistes d’une politique exigeante et cohérente semblons plus que jamais « tourner en rond au fond d’un cul-de-sac dont l’accès s’est refermé
derrière nos pas » [11] , et les textes de G. Fargette ne disent pas le contraire.

Mais c’est une lecture - et un style - qui ne laisse ni indifférent, ni seul, et l’enthousiasme tranquille qui s’en dégage retentit comme un appel que sauront entendre
ceux à qui il est destiné.

B.L. St Denis, février 2007

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Notes

[1...qui ne pourra qu’interpeller tous ceux pour qui la mobilisation anti-CPE du printemps 2006 constitue
une première (supplément aux « Mauvais jours... », Mai 1987 ; « Décembre 1986 », disponible en brochure).

[2Mais les textes s’arrêtent à 1992, hormis le bilan du bulletin lui-même, qui s’achève sur ces mots : « ... ce bulletin devra céder la place à une activité plus directement destinée à préparer sur le très long terme la résistance à l’horreur et à la barbarie qui règnent de plus en plus sans gouverner et qui vont inévitablement s’étendre. » G. FARGETTE contribuait alors à l’animation du « Cercle Berneri » puis diffuse depuis 1997 un autre bulletin, « Le crépuscule du XXième siècle », dans une telle perspective (écrire à l’auteur au 5 square Frédéric Vallois, 75015 Paris).

[3De 1986 à 1989. Cf. « Les mauvais jours finiront », janvier 1990, n°12 ; « Correspondances avec l’Encyclopédie des Nuisances »

[4On pourra lire, par exemple, sur l’histoire de ce microcosme BOURSEILLER .C, 2003 ; « Histoire générale
de l’ultra-gauche »
, Denoël, ouvrage aussi sujet à caution que le terme d’ « ultra-gauche ». Voir également GOMBIN.R, 1971 ; « Les origines du gauchisme », Seuil.

[5Pour un regard percutant sur ces considérations : LASCH.C, 1979 ; « La culture du narcissisme » , Climats, 2000

[6AMIECH.M, MATTERN.J, 2004 ; « Le cauchemar de Don Quichotte. Sur l’impuissance de la jeunesse
aujourd’hui », Climats, est une des dernières tentatives d’analyses de ces quelques traits.

[7Dont on trouvera une description intéressante dans SALMON.M, 1998 ; « Le désir de société », La Découverte, qui reste très optimiste quand à leurs capacités à se déprendre de l’imaginaire dominant.

[8Parmi les nombreuses critiques adressées au « mouvement des mouvement », ATTAC occupe évidemment une place de choix. Voir BARILLON. M, 2001 ; « ATTAC : encore un effort pour réguler la mondialisation ! ? », CLimats

[9« Les mauvais jours finiront.... » consacra plusieurs numéro aux « événements de l’Est » qui mirent fin à un empire gigantesque et dont il n’est plus aujourd’hui question nulle part, y compris dans les milieux qui en faisaient le critère principal de positionnement politique.

[10CHÂTELET.G, 1998 ; « Vivre et penser comme des porcs », Folio, est une des tirades les plus intransigeantes sur l’inspiration gauchiste du salmigondis libéral-libertaire qui pénètre comportements et pensées.

[11CASTORIADIS.C ,1978 ; « Les carrefours du labyrinthe », Préface, Seuil.

[12...qui ne pourra qu’interpeller tous ceux pour qui la mobilisation anti-CPE du printemps 2006 constitue
une première (supplément aux « Mauvais jours... », Mai 1987 ; « Décembre 1986 », disponible en brochure).

[13Mais les textes s’arrêtent à 1992, hormis le bilan du bulletin lui-même, qui s’achève sur ces mots : « ... ce bulletin devra céder la place à une activité plus directement destinée à préparer sur le très long terme la résistance à l’horreur et à la barbarie qui règnent de plus en plus sans gouverner et qui vont inévitablement s’étendre. » G. FARGETTE contribuait alors à l’animation du « Cercle Berneri » puis diffuse depuis 1997 un autre bulletin, « Le crépuscule du XXième siècle », dans une telle perspective (écrire à l’auteur au 5 square Frédéric Vallois, 75015 Paris).

[14De 1986 à 1989. Cf. « Les mauvais jours finiront », janvier 1990, n°12 ; « Correspondances avec l’Encyclopédie des Nuisances »

[15On pourra lire, par exemple, sur l’histoire de ce microcosme BOURSEILLER .C, 2003 ; « Histoire générale
de l’ultra-gauche »
, Denoël, ouvrage aussi sujet à caution que le terme d’ « ultra-gauche ». Voir également GOMBIN.R, 1971 ; « Les origines du gauchisme », Seuil.

[16Pour un regard percutant sur ces considérations : LASCH.C, 1979 ; « La culture du narcissisme » , Climats, 2000

[17AMIECH.M, MATTERN.J, 2004 ; « Le cauchemar de Don Quichotte. Sur l’impuissance de la jeunesse
aujourd’hui », Climats, est une des dernières tentatives d’analyses de ces quelques traits.

[18Dont on trouvera une description intéressante dans SALMON.M, 1998 ; « Le désir de société », La Découverte, qui reste très optimiste quand à leurs capacités à se déprendre de l’imaginaire dominant.

[19Parmi les nombreuses critiques adressées au « mouvement des mouvement », ATTAC occupe évidemment une place de choix. Voir BARILLON. M, 2001 ; « ATTAC : encore un effort pour réguler la mondialisation ! ? », CLimats

[20« Les mauvais jours finiront.... » consacra plusieurs numéro aux « événements de l’Est » qui mirent fin à un empire gigantesque et dont il n’est plus aujourd’hui question nulle part, y compris dans les milieux qui en faisaient le critère principal de positionnement politique.

[21CHÂTELET.G, 1998 ; « Vivre et penser comme des porcs », Folio, est une des tirades les plus intransigeantes sur l’inspiration gauchiste du salmigondis libéral-libertaire qui pénètre comportements et pensées.

[22CASTORIADIS.C ,1978 ; « Les carrefours du labyrinthe », Préface, Seuil.

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