Une tribune pour les luttes

Bassin minier de Redeyef/Gafsa

Lourdes peines pour les leaders du mouvement social du bassin minier

à Marseille, rassemblement de soutien aux syndicalistes emprisonnés de Gafsa le 11 février, 17 h devant le consulat de Tunisie (8 bd d’Athènes)

Article mis en ligne le samedi 7 février 2009

Le collectif de soutien aux luttes sociales et politiques du Maghreb (NPA,
Alternative Libertaire, Aix SOlidarité, ATTAC Aix, ATMF) dénonce la
parodie de procès qui a condamné les meneurs du mouvement social du bassin minier de Gafsa, en Tunisie, à des peines allant de deux à dix ans de
prison (cf le communiqué de la CRLDH Tunisie ci-dessous).

Tunisie- Rédeyef/Gafsa : le procès en appel confirme – malgré
l’abaissement- les lourdes peines prononcées en première instance à
l’encontre des leaders du mouvement social du bassin minier. Ces derniers
l’ont transformé en procès de la torture, du népotisme, de la corruption,
de la criminalisation du droit au travail et de la solidarité.

Le procès des 33 (5 accusés ont été acquittés par les premiers juges)
membres et animateurs du mouvement social du bassin minier de
Redeyef/Gafsa s’est rouvert ce mardi 03 février 2009 devant le Cour
d’appel de Gafsa qui avait pris les allures d’une véritable caserne tant
la présence policière (sans compter les agents civils très nombreux) était
massive.

Ce qui était « censé » être le procès des membres d’une « entente »
criminelle s’est rapidement transformé en procès du népotisme, de la
corruption, de la criminalisation du droit syndical, du droit au travail,
du droit à un partage égal de la richesse nationale… et surtout du droit à
l’intégrité physique et morale de toute une population, celle de Redeyef,
qui a subi les affres d’une répression sauvage.

Le procès en appel de Adnane, Béchir, Taïeb, Adel et de tous leurs
compagnons, qui se sont vus infligés des peines allant de 2 ans à 10 ans
d’emprisonnement ferme en première instance, restera dans toutes les
mémoires comme étant le procès de la TORTURE à laquelle recourt de manière systématique et méthodique les agents de l’Etat tunisien. Les témoignages des victimes, qui s’exprimaient librement pour la première fois depuis que les poursuites ont été engagées contre eux, sont on ne peut plus accablants ! Toutes les formes de torture ont été pratiquées sur eux : le « poulet rôtie », la position de la chaise, l’arrosage d’eau,
l’introduction d’objet (dont des bâtons) dans l’anus, le déshabillage des
accusés en présence des membres de leur famille (dont certains sont
également accusés dans la même affaire) …

Les familles des accusées présentes parmi le public étaient horrifiées,
atterrées, par la monstruosité de la barbarie infligée aux leurs, assis
dignement sur le banc des accusés. La douleur incommensurable qu’a
suscitée la relation sereine de ces faits de torture avérés, parmi
l’assistance (avocats compris) n’avait d’autre moyen que les pleurs et les
larmes pour exprimer son indignation…

Le premier moment fort de cette deuxième audience (la première a eu lieu
le 11 janvier) a donc consisté dans les déclarations des accusés
(notamment de Adnane Hajji) lors de leur interrogatoire par la Cour :
l’inexistence de la moindre implication dans les faits (de violences, de
dégradation des biens, etc.) qui leur sont reprochés ont été limpides ;
les clarifications concernant les « milices » et autres « bandes » armées
et payées par les vrais coupables que sont certains nantis de la région,
qui ont tout fait pour faire « avorter » les accords auxquels sont
parvenus les membres du Comité de négociation (Adnane, Béchir…) avec les
autorités locales, le conseiller du Ministre de l’intérieur et le ministre
de la santé… ont fait éclater la vérité sur la collision entre les vrais
fauteurs de troubles (« criminels » « mafias », etc. termes qui se sont
répétés dans les déclarations des accusés) et les responsables de la sécurité à l’échelle de la région…

Les « témoignages » révélés sans exception par tous les accusés qui se
sont succédés à la barre ont contraint (sous l’effet de la fatigue
généralisée) la Cour à suspendre l’audience à plusieurs reprises pour
marquer des temps de repos…

Une fois les interrogatoires (extrêmement éprouvants et émouvants) finis,
les avocats ont demandé le report de la plaidoirie, demande rejetée par la
Cour.

Les plaidoiries se sont poursuivies jusqu’à 06H00 du matin du mercredi 4
février 2009. Et le prononcé du jugement a été prévu, le même jour, à
13H00.

Les plaidoiries (une vingtaine sur plus de 100 avocats constitués) ont été
toutes axées sur les irrégularités procédurales flagrantes (aveux extirpés
sous la torture pour la plupart des accusés, falsification évidente des
PV, non convocation des témoins à décharge, absence de confrontation avec
les témoins à charge, etc.) et l’inexistence de charges réelles à
l’encontre des accusés. Le bâtonnier BEN MOUSSA a développé les arguments précédemment soutenus devant le TPI (Tribunal de Première Instance) ; c’est la plaidoirie de Me Chorkri BELAID qui a articulé l’aspect politique à l’aspect purement juridique en démontrant que tout le procès repose sur une décision politique tendant à châtier (pour l’exemple) les leaders d’un mouvement pacifique de protestation sociale ; Me Ayachi HAMMAMI a fait une plaidoirie très originale qui a consisté à démontrer l’unanimité du soutien manifesté par la société civile tunisienne envers le Mouvement de Redeyef : tant les organes des partis d’opposition (Attariq Al Jadid, Al Mawqif, Mouatinoun) en remettant une masse imposante de journaux des trois titres à la Cour, reflétant le soutien inconditionnel au Mouvement …. ; De même les associations spécialisées de défense des droits de l’homme (communiqués de la LTDH, CNLT) ainsi que l’ATFD et la Comité National de soutien aux habitants du bassin minier (4 fascicules …) ; l’avocat a également remis à la Cour des documents relatifs au soutien massif exprimé sur Internet (notamment Facebook)…

C’est une plaidoirie originale et exceptionnelle à travers laquelle les
noms les plus remarqués de la société civile tunisienne ont été évoqués
pour démontrer que si entente il y avait elle n’était pas criminelle mais
citoyenne, légitime et pacifique, et que le choix sécuritaire adopté par
les autorités pour réprimer dans le sang le Mouvement de protestation
sociale est non seulement inapproprié mais contre-productif !

Le procès (comme à l’accoutumé fortement policé) du 03 février 2009 n’a
pas été celui de la prétendue « entente criminelle » de Adnane, Béchir et
leurs coaccusés, mais celui tout d’abord de la torture méthodique et
généralisée infligée aux accusés ; celui du délaissement de toute la
région et la désertification économique sociale et culturelle ; celui de
la criminalisation du droit syndical et de la liberté d’expression et
d’opinion ; celui également de la solidarité avec les déshérités de
Redeyef, puisque plusieurs accusés ont évoqué le cas de Mohieddine CHERBIB qui a été condamné (injustement) par contumace pour avoir diffusé et relayé des informations sur l’Etat de délabrement de toute la région et de la répression sauvage infligée à l’ensemble de la population de Redeyed et notamment les leaders syndicaux taxés par les forces de sécurité comme étant les « chefs d’une bande criminelle »…

Les observateurs internationaux (FSU, SOLIDAIRES, CGT, CFDT, etc.
pratiquement tous les Syndicats français, le syndicat algérien SNAPAM)
ainsi que les représentants de la Commission européenne et de l’Ambassade des Etats Unis, du parti Les Verts (France), du CEDETIM et des
organisations de défense des droits de l’homme (FIDH, REMDH, CRLDHT, Ordre des avocats de Paris, FTCR, etc.), partagent unanimement la même
impression (et jugement) quant aux manquements flagrants aux principes
élémentaires relatifs au procès équitables …

Les peines prononcées (toujours lourdes, malgré l’abaissement voir liste
ci-dessous) sont la preuve irréfutable de l’absence de la moindre prise en
considération des éléments de preuve fournis par la défense quant aux
irrégularités, et le non-fondé des accusations « Appartenance à une bande
 ; participation à une entente en vue de préparer et commettre une
agression contre les biens et les personnes ; participation à une
rébellion provoquée par plus de dix personnes avec usage d’armes et durant laquelle il y a eu agression d’un fonctionnaire dans l’exercice de ses
fonctions ; entrave à la circulation dans les voies publiques ;
participation à une rébellion provoquée par des discours prononcés dans
des lieux et réunions publics, par des affiches, des communiqués et
imprimés ; dégradation, sciemment, de bien d’autrui ; fabrication et
détention d’outils et d’instruments incendiaires sans autorisation ; jets
de corps solides contre les biens d’autrui ; provocation de bruit et de
tapages dans un lieu public ; distribution, vente et exposition de
publications destinées à la diffusion en vue de troubler l’ordre public ;
collecte de dons sans autorisation ; mise à disposition de locaux et
assistance financière aux membres d’une association de
malfaiteurs. Faits réprimés par les articles :
32 - 131 - 132 - 133 - 119 - 118 - 121 - 121 ter - 304 - 320 - 316 du Code Pénal et les décrets du 21 décembre 1944, du 18 juin 1894 et celui du 02 avril 1953… »-

Pour les accusés Fahem BOUKADDOUS (37) et Mohieddine CHERBIB (38) : « Adhésion à une bande ; participation à une entente visant à préparer et à
commettre des agressions contre des personnes et des biens ; distribution,
vente, exposition et détention, dans l’intention de les diffuser, de
documents susceptibles de troubler l’ordre public dans un but
propagandiste »

8 ans pour : Adnane Hajji, Bechir Labidi (contre 10ans et 1 mois en 1ère
instance)

6 ans pour Taieb Ben Othman, Adel Jayar, Tarek H’limi (contre 10 an et 1
mois en 1ère instance)

3 ans pour Adid Khléifi et Mdhaffar Labidi (contre 6 ans en 1ère instance)

4 ans pour Rachid Abdaoui (contre 6 ans en 1ère instance)

2 ans pour Fayçal Ben Amor , Haroun Halimi, Ghanem Chraiti, Ridha
Ezzeddini, Abdessalem Helaili, Rachid Abdaoui, Sami Amaidi (contre 6 ans
en première instance) et Boubaker ben Boubaker, Hafnaoui Ben Othman,
Mahmoud Raddadi, Hedi Bouslahi (contre 4 ans en 1ère instance)

Confirmation de la peine 2 ans avec sursis pour le reste des accusés :
Issam Fajraoui, Mouadh Ahmadi, Abdallah Farjaoui , Mohamed El Baldi,
Radhouane Bouzayane, Makram Mejdi, Othamn Ben Othman, Mahmoud Helali,
Mohsen Amidi.

2 ans avec sursis pour Isamel El Jawhari, Lazhar Ben Abdelmalek, Boujemaa
Chraiti , Habib Khédhir , Ali Jedidi(acquittés en 1ère instance)

Rappelons que Elfahem Boukadous et Mohieddine Cherbib, considérés en fuite
ont été condamnés respectivement à 6 et à 2 ans de prison ferme en 1ère
instance.

Ni les preuves irréfutables du recours systématique à la torture pour
recueillir les prétendus aveux, ni la falsification évidentes des PV
établis en toute illégalité par les officiers de la police judicaires, ni
la non convocation des témoins à décharge, ni la confrontation les témoins
à charge, ni les demandes de procéder aux examens médicaux, ni celles
concernant les enquêtes complémentaires …. n’ont été pris en compte par la
Cour !. Dans d’autres circonstances et sous d’autres cieux un seul grief
parmi ceux invoqués par la défense dans l’affaire des 38 (33) aurait eu
pour conséquence logique l’annulation de l’ensemble des procédures…. Mais
on est ici en Tunisie, et le procès équitable, tout autant que l’égalité
des armes, et la légalité des peines et poursuites, sans parler de la
présomption d’innocence et des droits de la défense … sont totalement
étrangers au déroulement « normal » du procès pénal….

Paris, le 4 février 2009


C.R.L.D.H. Tunisie

Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie

membre du Réseau Euro-méditerranéen des Droits de l’Homme

21ter rue Voltaire - FR-75011 PARIS - Tel/Fax : +33.(0)1.43.72.97.34
- contact chez crldht.org
- www.crldht.org

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  • Le 12 février 2009 à 10:46, par Christiane En réponse à : Tunisie : après la fermeture de leurs bureaux, le harcèlement continue pour les journalistes de radio Kalima

    Zakia Dhifaoui, collaboratrice pour la radio Kalima, quittait le siège de la Confédération Générale Tunisienne du Travail (organisation syndicale), aux alentours de 17 heures, le 10 février 2009, lorsque six policiers en civil l’ont interpellée. Elle a été détenue une heure au commissariat de police de la rue Charles de Gaulle à Tunis, où elle a subi de graves humiliations. Le même jour, Faten Hamdi, stagiaire à Kalima, a été menacée de poursuites judiciaires. Elle avait été interpellée trois jours auparavant.

    "Ce harcèlement envers des journalistes de Kalima, et identique pour tous les journalistes indépendants de Tunisie, est insupportable. La volonté des autorités tunisiennes est claire : après avoir fermé les locaux de la radio Kalima et confisqué son matériel, la police s’en prend maintenant aux journalistes de la seule radio indépendante du pays. Le but est de leur rendre la vie impossible pour qu’ils quittent Tunis et cessent leurs activités journalistiques" a déclaré Reporters sans frontières.

    Lors de son interpellation, Zakia Dhifaoui a été isolée dans une pièce. Deux policières l’ont violemment déshabillée et se sont employées à une fouille au corps. Des responsables de la sécurité l’ont ensuite menacée, la prévenant que ce genre de "correction" pourrait se reproduire chaque jour tant qu’elle demeurerait à Tunis et qu’elle continuerait son travail à la radio Kalima.

    La veille de cette arrestation, le 9 février, Zakia Dhifaoui avait déjà subi des menaces et des intimidations. Pendant trois heures, des policiers l’avaient questionnée sur son travail à Kalima, puis menacée de lui intenter un procès et de l’emprisonner si elle n’abandonnait pas ses activités.

    Ecrivain, Zakia Dhifaoui collabore également de façon occasionnelle à Mouwatinoun, hebdomadaire d’opposition. En 2008, elle avait passé cent deux jours en prison, après avoir couvert et participé à une marche de soutien au mouvement social de Gafsa. Depuis, elle n’est pas parvenue à reprendre son activité d’enseignante à Kairouan (120 km au sud de Tunis).

    Par ailleurs, Faten Hamdi, une journaliste de Kalima, a été menacée ce même 10 février, par des agents de la police politique tunisienne, d’être emprisonnée si elle poursuivait ses activités au sein de Kalima. Cette jeune stagiaire de 24 ans avait été arrêtée le 7 février, rue Habib Bourguiba à Tunis, puis maintenue en détention pendant trois heures. Elle avait notamment été menacée de poursuites judiciaires.

    Trois journalistes de la chaine satellitaire Al-Hiwar Ettounisi avaient également été interpellés le 7 février, et menacés de poursuites s’ils poursuivaient leur travail

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