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Témoignages

18 ans, jeune majeur et sans papiers

Article mis en ligne le mercredi 11 février 2009

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S’inscrire à la fac, poursuivre ses études, passer le permis, esquisser un premier projet d’avenir, l’aspiration naturelle de tout jeune venant d’avoir 18 ans. Mais pour certains, cette date fatidique marque avant tout une entrée dans la clandestinité d’un long combat.

« D’un seul coup, ce sont des fantômes, ils n’ont plus d’existence publique », s’exclame Fanny, membre du collectif RESF (Réseau Education Sans Frontières) de Marseille. « ils », ce sont des jeunes majeurs qui ont grandi en France et qui à leur majorité deviennent des sans-papiers. Leur « délit » : être entré en France après l’âge de 13 ans, ou après l’âge de 10 ans s’ils sont Algériens ou Tunisiens et dans la majorité des cas, ne pas avoir pu bénéficier de la procédure de regroupement familial. Ces jeunes viennent principalement du Maghreb, d’Afrique subsaharienne, d’Haïti ou d’Asie et sont arrivés en France pour rejoindre une mère ou un père déjà installé.

Leur point commun, tous sont venus en France lorsqu’ils étaient mineurs, sans l’avoir choisi. « C’est l’injustice la plus totale par rapport aux adultes, ne peut s’empêcher de lancer Fanny, Car eux, ont fait le choix de venir en France, mais pas les enfants ». Pour Judith, engagée dans le collectif depuis 1 an et demi, le plus grand challenge du réseau est alors d’arriver à « changer les lois relatives à ces jeunes majeurs pour que tous les enfants scolarisés puissent avoir des papiers ». « Pour que toutes ces années passées en France ne comptent pas pour du beurre », reprend Fanny.

« C’est comme si on leur coupait les ailes »

« Le problème c’est que les jeunes ne pensent pas à demander une régularisation, ils savent qu’ils sont étrangers mais croient que ça va aller de soi, car leurs parents sont régularisés », explique Judith. Résultat, à 18 ans, ils se rendent compte que leur avenir est totalement remis en question. « Souhaitant par exemple effectuer un BEP, ils ne pourront pas s’y inscrire car cette formation propose des stages, où des papiers seront automatiquement exigés. Leurs projets ne sont plus que du vent, c’est là qu’ils devraient pouvoir décider de leur avenir, mais ils ne peuvent pas, savent même parfois avant de passer le bac qu’il ne leur servira à rien. Et s’ils souhaitent travailler, ce sera toujours au noir », déplore Fanny.

Et à cela bien sur s’ajoute la peur de l’expulsion. Si avant l’âge de 18 ans, ils n’ont pas l’obligation de quitter le territoire lorsqu’ils obtiennent une réponse négative suite à une demande de régularisation, il n’en est pas de même après cette date. Car depuis février 2007, les mineurs étrangers reçoivent des « Obligations à Quitter le Territoire Français » si leur demande de régularisation a été refusée. Pour ces jeunes, le premier défi à relever à 18 ans est alors de réussir à raser les murs et de passer entre les mailles du filet.

Un soutien moral

Face à cet amer constat, depuis janvier dernier, la branche Jeune Majeur du réseau RESF de Marseille accueille, oriente et épaule ces jeunes, multipliant notamment les actions dans les établissements scolaires. RESF met aussi en contact les adolescents avec des avocats, si nécessaires, et leur apporte surtout un soutien moral. « La Cimade leur indique leurs droits, les aiguille dans leur demande de régularisation. Notre but est qu’ils ne se sentent pas seuls, s’ils se font arrêter, ils savent qu’on sera là. Des membres du réseau iront les voir, pour les rassurer, mais aussi pour leur expliquer les risques : leur dire qu’ils peuvent aller en prison s’ils refusent l’expulsion et s’ils ne sont pas expulsés cela ne veut pas dire qu’ils auront des papiers », souligne Judith. _ La détermination des militants prend aussi la forme d’opérations coup de poing aux aéroports pour empêcher les expulsions. « Le but de RESF c’est surtout de monter une véritable action politique », admet Judith tout en confiant que son engagement est d’abord moral.

Samedi, à Marseille, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblés devant le centre de rétention du Canet, à l’appel du réseau RESF, exigeant la fermeture de ces lieux de détention où 240 enfants ont été enfermés en 2007.

Marie-Ameline Barbier


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Suspendue à un bout de papier

D’origine marocaine, Nadia est arrivée à France, après l’âge de 13 ans. Pour cette raison, à 18 ans, elle est devenue « une jeune majeure » sans papier. Depuis, elle vit suspendue.

De longs cheveux bruns relevés, de larges boucles d’oreilles brillantes, un maquillage impeccable, c’est une jeune fille radieuse et a priori sans histoire qui s’approche. En descendant la Canebière et alors que les portes des cafés se ferment les unes après les autres, Nadia* esquisse un sourire et ne fait qu’un commentaire, « Bon, c’est pas grave, on verra bien… ». Ces trois mots sonnent comme un leitmotiv pour cette jeune fille de 26 ans.

Nadia est Marocaine et vit en France depuis plus de 8 ans. Ses parents séparés, elle est venue avec ses frères rejoindre son père, espérant trouver une vie meilleure qu’au bled. Nadia appelle tout simplement cela, « un avenir ». Son père, en France depuis 30 ans où il a travaillé comme ouvrier agricole, possède une carte de séjour. Il entreprend alors une démarche pour que ses enfants bénéficient du regroupement familial. Mais elle est refusée pour des raisons financières, les critères en termes de logements ou de revenus étant très précis en la matière. A 18 ans, la sanction tombe donc, Nadia et l’un de ses frères deviennent sans papier. Un seul en effet, car l’autre est sous une bonne étoile qui lui a permis d’arriver en France avant ses 13 ans. Simple coup de chance ou symbole de l’absurdité d’un système, un même résultat : il peut devenir citoyen français.

A peine majeurs, Nadia et son frère connaissent un véritable parcours du combattant qu’ils étaient loin d’imaginer. « Le déclic, c’était le permis, j’ai présenté mon passeport marocain, mais ça ne suffisait pas ! », glisse la jeune fille. « Je me souviens aussi il y avait un voyage prévu avec le lycée à New-York, mais je ne pouvais pas aller à l’étranger, je maronnais », se rappelle Nadia. En plus de la frustration, se sont ajoutées les moqueries : « c’était la honte quand même, j’essayais de pas le dire au lycée. Après à la fac c’est plus facile car il y a beaucoup d’étrangers », lâche l’étudiante. BAC en poche, elle entame des études en d’économie à Aix-en-Provence. « Habitant à quelques kilomètres d’Aix, on voulait pas venir à Marseille ou à Aix, car ce sont des grandes villes, il y a plus de policiers que dans la petite ville d’où je viens », souligne Nadia.


« En 10 minutes, le juge décide d’un avenir »

Vivant désormais avec une épée de Damoclès au dessus de la tête, en 2003 elle entreprend avec son frère une demande de régularisation auprès de la Préfecture. Elle essuie un refus. Et il y a un peu plus d’un an, alors que son frère rentre en voiture avec des amis, tous les passagers se font contrôler leur ceinture de sécurité. Le jeune homme essaie d’expliquer qu’il ramènera ses papiers plus tard, trop tard, il est arrêté. La voix de Nadia commence à trembler, mais elle continue, « ça va », ne cesse t-elle de répéter. « Il a alors passé 15 jours en centre de rétention avant d’être expulsé. J’ai pris le risque d’aller le voir au tribunal pour le revoir et là, je l’ai vu menotté, c’est comme s’il était recherché, comme s’il avait commis un crime », raconte la jeune immigrée en laissant transparaître quelques larmes, qu’elle s’efforce très vite de dissimuler. Ni colère, ni apitoiement, elle reprend calmement : « le juge ne se rendait pas compte qu’en 10 minutes, c’est de tout l’avenir d’un jeune homme qu’il décidait ».

La décision tombe comme un couperet pour Nadia, son frère va être expulsé. Alors que les membres de RESF (Réseau Education sans Frontières) parviennent à empêcher son avion de décoller de Marignane, il finit tout de même par être renvoyé au Maroc par bateau. « Depuis il vit chez mon autre sœur avec ses neveux, il ne fait rien, je sais pas comment il supporte ça », regrette Nadia. « Après son expulsion, j’avais peur en permanence, je n’osais plus rentrer chez moi, j’ai vécu un mois chez ma cousine. Heureusement que les membres du réseau étaient là, admet-elle avant de confier : C’est choquant, pour juste un truc administratif, un bout de papier, tout est compromis, ils cherchent des excuses, c’est un système injuste, absurde ».

Loin de s’avouer vaincue, la jeune immigrée a refait une demande de régularisation à la fin de l’année dernière. Elle attend actuellement une réponse de la Préfecture et a reçu un récépissé temporaire, vécu comme une bouffée d’oxygène. « Je veux être indépendante, libre, je voudrais travailler pour aider mon père qui est désormais invalide et âgé, je me sens comme une charge pour lui, mais je ne peux rien faire, c’est comme si on m’empêchait de vivre, tout est limité, heureusement il y a les études. Le récépissé était un soulagement je suis davantage sortie ».
Et en attendant la décision, « je fais avec, je vis au jour le jour, je verrai », reprend la jeune fille en haussant les épaules. Pour elle, en tous cas, une chose est sûre et qui lui permet de dormir sur ses deux oreilles, elle n’est coupable de rien. « Même si je dois aller en prison, je sais que je n’ai rien à me reprocher ! ».

*Le prénom a été modifié

Marie-Ameline Barbier -

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