Une tribune pour les luttes

La bête est morte, mais elle nuit encore

Ou quelques considérations éthérées à propos de la loi HADOPI et de l’industrie de la musique et de la vidéo.

+ Quelques remarques de Gari Greu, membre du groupe marseillais Massilia Sound System.

Article mis en ligne le mardi 31 mars 2009

Par Petaramesh le mercredi 11 mars 2009


Ashram de Swâmi Petaramesh

http://petaramesh.org/post/2009/03/...

L’industrie de distribution de la musique et de la vidéo, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est une bête blessée à mort, et comme beaucoup de bêtes à l’agonie, extrêmement dangereuse.

Sous cette forme elle va crever, elle le sait, c’est inéluctable et inscrit dans l’histoire bien plus que dans quelques lois scélérates autant que passagères.

Pour autant, cette industrie condamnée, dans ses derniers spasmes, n’hésite pas une seconde à mordre sauvagement la main qui l’a si longtemps grassement nourrie - la main de "son" public - en tentant de contraindre celui-ci, par la loi s’il le faut, à continuer de lui acheter des choses dont il n’a plus besoin à des prix que plus rien ne justifie, au détriment des libertés publiques les plus fondamentales, sans le moindre scrupule si ce n’est de faire fonctionner autant que possible le tiroir-caisse jusqu’à la dernière, ultime et inévitable seconde, pour que les gros actionnaires et gros bénéficiaires de ce système moribond puissent s’en mettre encore une grosse giclée dans les fouilles avant d’aller l’investir ailleurs ou de prendre une retraite dorée.

Cette industrie est née d’un contexte technique correspondant à une époque donnée, qui, à la fois permettait la distribution d’oeuvres audiovisuelles, autrefois limitées à la représentation directe et vivante, sous une forme enregistrée que l’on pouvait rejouer à loisir, et en même temps nécessitait la distribution de cette oeuvre enregistrée sous une forme matérielle : un disque, un CD, une cassette, un DVD...

Une industrie nouvelle en est née, qui regroupait les fonctions d’enregistrement de l’oeuvre, duplication industrielle de celle-ci, puis de tout un circuit de distribution et de vente, avec la rémunération de toutes les parties prenantes et des intermédiaires.

On notera que, dès le départ, cette industrie n’a rien à voir avec la genèse d’une oeuvre (sa composition) ni avec son interprétation. Pas plus qu’elle ne doit quoi que ce soit à l’inventivité des compositeurs ou à la qualité des interprètes. Non, cette industrie est née d’une technologie, devenue un juteux commerce.

Toutefois, par le truchement de la rémunération des droits d’auteur et autres droits voisins, et tenant compte des sommes considérables que cette industrie a brassées, et de la notoriété qu’elle a apporté a certains compositeurs et interprètes auparavant mondialement célèbres dans leur quartier, elle a construit pour certains d’entre-eux de solides ponts d’or dont ils n’auraient jamais pu rêver quand ils jouaient devant quelques centaines de personnes.

Oui mais voilà, aujourd’hui, la fixation des oeuvres (immatérielles) sur un support matériel donné ne présente plus aucun intérêt pour le "consommateur" final (le public), qui n’a donc, c’est parfaitement logique, plus aucune raison de les acheter ainsi. L’oeuvre peut aussi bien être transmise de bout-en-bout sous forme immatérielle pour le même résultat et à un coût bien moindre, du point de vue de son utilisateur.

L’unique raison d’être d’une industrie, du moins sous une certaine forme, disparaissant, il est donc naturel, inévitable, inexorable, que cette industrie disparaisse.

Tuée par la main invisible de la disparition de son marché.

N’étant plus la forme la plus apte à la distribution de l’oeuvre, Charles Darwin passe par là, couic ! Sous les applaudissements nourris de la foule des capitalistes libéraux qui n’aiment rien tant que le libre jeu de la loi du marché à la concurrence non faussée.

Ah non ?

Non. Ils n’aiment ça que quand ça fait agréablement tinter leur bourse, mais comme toujours appellent à cors et à cris les secours de l’état et de la loi dès que leur (gros) pécule menace de maigrir. Privatiser les bénefs, socialiser les pertes, air connu.

Si je veux écouter de la musique ou regarder un film, je n’ai aujourd’hui strictement aucune raison d’acheter un CD ou un DVD, puisque l’oeuvre sous forme immatérielle me rend exactement le même service et que son support physique ne m’apporte aucune espèce de plus-value.

A contrario, si je veux lire un livre, j’achète un livre, parce que le livre matériel m’apporte un confort de lecture et de transport inégalé à ce jour et pour longtemps encore. Le support physique "livre" vaut le prix que je le paie, avec l’oeuvre fixée dessus et la rémunération de son auteur.

Je n’ai pas l’habitude de faire des photocopies des livres que j’achète pour les donner à tous mes amis. Pourquoi ? Oh, non pas parce que c’est interdit, mais simplement parce que ce serait fastidieux, onéreux, et me donnerait au bout du compte un résultat de qualité bien inférieure au support initial. Non, si je veux offrir le livre à un ami, j’en achète un deuxième. Il vaut décidément le prix que je le paie, puisque l’industrie me le fournit sous une forme parfaitement finie à un prix inférieur à ce que je pourrais faire moi-même.

Pour cette raison, il n’est nul besoin de lois contraignantes et liberticides pour empêcher les gens de photocopier les livres, puisque l’industrie fournit un service qui mérite qu’on le paie.

Il peut simplement être compréhensible d’interdir la réplication industrielle et commerciale de livres, qui oublierait au passage la rémunération de l’auteur. mais pour la réplication personnelle ou non commerciale, cela n’a pas lieu d’être. Pas besoin, en fait.

A contrario, si je veux offrir de la musique à ma Rousse, je vais plutôt lui uploader des MP3 sur sa machine plutôt que lui acheter le CD. Pourquoi ? C’est facile, c’est rapide, ça ne me coûte rien, pour lui offrir un résultat de qualité équivalente à ce que l’industrie pourrait me proposer.

Je ne l’achète pas ? C’est mal ! Mais pourquoi donc est-ce que je ne l’achète pas ? Parce que l’industrie me le propose à des tarifs honteusement élevés et sans aucun rapport avec les coûts réels. Il se trouve que, si copier des fichiers immatériels ne me coûte rien ou presque, à moi simple particulier doté d’un matériel dérisoire, ça coûte sûrement encore beaucoup moins cher à une grosse industrie, n’est-ce pas ?
Mais est-ce que cette industrie me propose un marché raisonnable ? Quelque chose qui justifierait ses coûts, une honnête rémunération du compositeur et des artistes plus une petite marge ? Que non pas ! Elle me vole comme au coin d’un bois !

Cette industrie a, jusqu’au bout et tant qu’il lui a été possible, poussé à la vente de ses CD et de ses DVD - et maintenant de ses Blue-ray - simplement parce que c’est ça qui rapporte un max de gros pognon à tout le circuit et permet de faire de monstres marges. Cette industrie a voulu capturer son marché, lui interdisant tout autre mode d’accès à l’oeuvre. elle a freiné des quatre fers pour ne surtout pas avoir à développer une offre immatérielle simplement honnête. Elle a voulu protéger sa montagne de pognon.
Et en cela, la vache, elle a honteusement triché au grand jeu du capitalisme libéral, seul jeu qui vaille nous dit-on pourtant... Enfin, tant que ça l’arrange...

Je l’inculpe donc sans hésiter du crime honteux de lèse-kapitalisme !

Elle nous a imposé, par le biais de lois votées par nos loyaux représentants, des taxes sur les supports pour la copie privée dont l’essentiel va bien sûr à l’industrie, pas aux cochers de fiacres !

De même bien sûr qu’à chaque fois que nous achetons une voiture, nous payons une taxe au profit des maréchaux-ferrants et des tenanciers d’écuries, ne serait-ce pas tout aussi normal ?
On me murmure pourtant que les cochers de fiacre qui ont voulu survivre ont passé leur permis de conduire et que les tenanciers d’écuries sont devenus garagistes sans qu’autant de foin ne soit remué...

Maintenant encore, alors que l’industrie des majors se voit contrainte, finalement, de passer au support virtuel, immatériel, elle continue de tenter - avec le soutien de notre admirable gouvernement et d’une bonne partie de nos loyaux représentants soucieux de l’intérêt du peuple qui les élit - d’imposer des lois liberticides, scélérates, d’inspiration totalitaire, nuisibles au plus grand nombre et à son propre public, mais pourquoi ? Pour quelle raison ?

Tout simplement parce que cette industrie, perdant le support physique, refuse pour autant de perdre le pognon du support physique. Elle renonce au beurre, certes, mais pas à l’argent du beurre, quitte à sodomiser la crémière !

Eh oui, si le support physique disparaît, avec lui ses usines, son circuit de distribution, ses intermédiaires de vente, s’il ne reste plus qu’à rémunérer raisonnablement compositeurs et artistes, et le coût de la prod’, de l’enregistrement de l’oeuvre et de sa distribution immatérielle, ben logiquement, les prix des oeuvres devraient baisser dans des proportions kolossales !

Et gageons que si c’était honnêtement vendu, ce serait honnêtement acheté.

Mais ça, l’industrie ne le veut surtout pas ! Elle veut bien au contraire qu’à la disparition de ses coûts corresponde une considérable augmentation de ses marges !

Et pour qu’un truc pareil puisse marcher, bon sang mais c’est bien sûr, il faut fliquer le public, le menacer des foudres de la loi, le jeter en prison au besoin, parce que sans ça, ben le public, on aura quand même du mal à lui faire payer cher quelque chose qui ne vaut désormais presque rien !

Voilà en fait où nous en sommes, et qui justifie les DADVSI et autres HADOPI qu’on nous vote d’une année sur l’autre, grâces soient rendues à nos loyaux représentants !

Mais les auteurs et les artistes, me direz-vous ?

Hummmm... Là, je crains que la réponse que je vais vous faire vous paraîsse moins capitalistiquement correcte !

Rappelons-nous que les droits d’auteur furent inventés non pas pour protéger les auteurs de leur public, mais pour les protéger de leurs éditeurs ! Afin de s’assurer qu’à toute édition d’une oeuvre correspondrait une juste rémunération de l’auteur par l’éditeur.

Cette rémunération fait sens si elle correspond de près ou de loin au temps, à l’effort, au travail produits par l’auteur dans la création de son oeuvre, voire qu’on le paie d’avance pendant qu’il la compose. En somme c’est cette rémunération qui permet à l’auteur de vivre, éventuellement très bien, pendant qu’il crée, et donc qui lui permet de pouvoir créer plutôt que d’aller travailler à l’usine. Fort bien.
Faut-il pour autant trouver souhaitable, ou normal, que le fait d’avoir écrit un tube de 3 minutes à 22 ans asseoie son auteur sur un tas d’or pour le restant de ses jours sans qu’il n’ait plus jamais à produire quoi que ce soit d’autre ? Trouve-t-on l’équivalent dans aucune autre profession ?
Mais ils sont peu, me direz-vous, les autres crèvent de faim ! Eh bien justement, je trouverais préférable qu’on rémunère davantage des auteurs bien plus divers plutôt que d’en enrichir outrageusement une petite poignée, et c’est justement ce que le système commercial actuel ne permet pas !

Mais le génie, me direz-vous, comment rémunère-t-on le génie, l’inspiration excellente d’où sortira le morceau inoubliable qu’on écoutera pendant 100 ans ? Et je vous répondrai qu’on ne devrait pas rémunérer le génie, il ne correspond pas à un travail ou à un effort particulier de celui qui en est le vecteur. C’est un coup de bol, une inspiration tombée du ciel, d’ailleurs ou de nulle part, que sais-je, mais pourquoi devrait-on le payer ? Aucune idée, aucun éclair de génie, ne provient purement et uniquement de son auteur. Il doit tout à l’humanité entière, à l’accumulation de la connaissance et de la culture humaines, à ses parents, ses profs, ses sources d’inspiration, ses amis... Son éclair de génie est peut-être le sommet de la pyramide à un instant t, mais ce sommet ne tient pas en l’air sans sa base. Si on devait lui rémunérer le sommet, alors il faudrait qu’il rémunère toute la pyramide ! L’éclair de génie provient de l’histoire de l’humanité entière est est appelé à se joindre à son substrat, comme la vis d’Archimède, le théorême de Pythagore, l’oeuvre de Shakespeare, la toccata de Bach ou l’invention du cunnilingus. Mozart si génial fût-il aurait-il composé quoi que ce soit si d’autres avant lui n’avaient pas inventé la musique, ses règles, sa notation, ses instruments ? Peau de balle.

Et les interprêtes, me direz-vous ?

Ben je répondrai bêtement que le boulot d’un musicien est de jouer de la musique et que le boulot d’un acteur est d’acter. Si je trouve fort normal qu’un musicien qui joue ou un acteur qui acte soit (éventuellement très bien) payé, je trouve beaucoup moins normal que les dollars tombent à la pelle dans l’escarcelle d’un musicien qui glande en tongs sur sa terrasse en bord de mer parce qu’il a joué une fois dans un studio un truc trôôôôô bien il y a vingt ans. Surtout pendant que d’autres musiciens pas forcément moins bons mais sûrement moins veinards tendent la main dans le métro.

Je ne sais pas vous, mais moi, je ne serai pas payé à vie comme un nabab pour avoir bien fait mon boulot, même très-très bien, même génialement si ça se trouve, pendant quelques mois il y a 10 ans...

Donc oui, les auteurs, les interprêtes, faut les payer, ça c’est sûr, mais je suis intimement persuadé qu’on arriverait à en payer bien davantage et de manière très raisonnable en crucifiant le système actuel, et que si on voulait prendre des sous au public, eh bien ça serait fort bel et bon, si on s’en servait pour intelligemment financer le spectacle vivant, les musiciens qui jouent, les théâtreux qui théâtrent, plutôt que de légiférer tous les internautes sont des criminels au moins potentiels ! au bénéfice d’un système financier qui capte l’essentiel du flux pour n’en recracher en bout de course qu’une très petite partie à une infime minorité dorée de compositeurs et artistes bien gras et infatués d’eux-mêmes, ceux-là même qui font des courbettes et des mamours à monsieur Nègre et madame Albanel.

La culture, ça ne produit rien d’utile et c’est pour ça qu’elle est indispensable à la vie humaine. Rien n’est aussi indispensable que ce qui est parfaitement inutile. Comme ça ne produit rien d’utile, ça ne peut pas se commercialiser comme un baril de lessive, sauf à la dénaturer complètement, ce qui me semble une excellente raison de chercher un moyen de la financer collectivement.

Nos chers députés et notre ministre des majors feraient bien de passer le temps dont ils disposent à réfléchir à ça, plutôt qu’à monter des usines à gaz répressives qui, de toute manière, ne marcheront pas, ce qui est bien la seule chose dont on soit sûr quant au résultat de leurs efforts actuels.

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Vos commentaires

  • Le 1er avril 2009 à 18:35, par Christiane En réponse à : Massilia Sound System en guerre contre la loi Hadopi

    http://www.laprovence.com/articles/...

    extraits de l’interview de Gari Greu, membre de Massilia Sound System :

    "...le tout répressif me gave, c’est un peu la solution proposée à tous les problèmes en ce moment..."

    "Je me sens pas très concerné par cette histoire de "manque à gagner." Moi, en tant que chanteur et musicien, qu’on me télécharge je m’en moque ! Au contraire, ça veut dire qu’on m’écoute, que je touche les gens. Et je le comprends très bien : les jeunes d’aujourd’hui, ça fait 15 ans qu’ils téléchargent de la musique. Acheter un CD pour eux c’est un peu comme aller à la messe. Evidemment, le facteur économique m’intéresse moins qu’il n’intéresse les grosses maisons de disque."

    "Avec Massilia Sound System, chaque fois qu’on vend un CD, je gagne 15 centimes d’euros, alors quand on en vend 30 000 je vous laisse faire le compte. Mes morceaux je peux les donner, c’est pas avec ça que je mange ! Mais Universal, Carrefour, la Fnac eux ils mangent avec ça. Nous on se fait baiser, on a dû trouver d’autres choses pour vivre que les ventes de disque. Nous on fait des concerts."

    "En plus le téléchargement nous profite, ça nous amène beaucoup plus de monde aux concerts. Quand j’étais jeune, je possédais 15 vinyles en tout, si j’avais pu télécharger je ne me serais pas gêné !
    Ma culture musicale aurait été bien plus grande ! Aujourd’hui, les jeunes ont cette possibilité et c’est génial pour eux, ils connaissent tous les styles maintenant. Le public qu’on a devant nous à chaque concert est bien plus qualifié qu’il ne l’était."

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