Une tribune pour les luttes

Le capitalisme saccage nos vies

Chantage au pire ou révolution ?

Article mis en ligne le dimanche 12 avril 2009

OTAN en emporte la guerre

Un sommet de l’OTAN à Strasbourg c’est une réunion pour consolider la
logique de guerre, la surveillance et le contrôle des populations, la
défense des intérêts impériaux du capitalisme occidental. L’OTAN est une
pièce maîtresse dans le réseau militaro-policier, étatique ou privé,
dont le dispositif s’étend au monde entier. Ces forces attaquent les
peuples, les exploités, les dominés, déployant partout la guerre sociale.

L’OTAN relève des Etats ; c’est une avant-garde militaire de la
réaction. Mais il y a aussi ces appareils militaires et policiers
privés, directement liés aux groupes capitalistes.

Ce déploiement de guerre civile planétaire est une des dimensions de la
destruction systématique de ce qu’on appelle Etat de droit, c’est-à-dire
l’agencement des quelques espaces démocratiques et des quelques droits
fondamentaux individuels et collectifs arrachés par les luttes sociales.
Ils sont aujourd’hui menacés par les stratégies capitalistes et étatiques.

Les 20 gangs de Londres

Un sommet du G 20 à Londres, c’est une assemblée d’Etats pour réformer
et consolider le capitalisme. Les décisions qui y seront prises n’auront
d’autre but que de permettre la poursuite de l’accumulation de pouvoir
et de profit dans un cadre un peu rénové. Les rivalités entre la
bourgeoisie étasunienne et les autres classes dominantes n’offrent aucun
point d’appui pour notre action.

La crise qui envahit la planète entière n’est pas nouvelle. Avant les
désastres du capital financier, il y avait une crise écologique,
alimentaire, énergétique. Une crise sociale aussi relevant d’une
répartition des richesses chaque jour plus injuste, exprimant un
mouvement général du système vers la barbarie. Il n’y a pas de crise
essentiellement financière, il y a une crise systémique qui atteint tous
les aspects de la vie.

Un des facteurs de cette crise c’est la dérive d’un système étranglé par
une répartition de plus en plus injuste et inégalitaire de la richesse,
fragilisé par les conséquences économiques et financières d’une
exploitation sans limites. L’action des gouvernements et des
institutions supra-nationales contre la crise consiste en une
gigantesque opération d’expropriation des classes populaires, en un
énorme vol. On paie les bourgeois en faillite en attendant que les
affaires repartent et la facture est honorée par celles et ceux d’en bas
 : chômage, précarité, misère, baisse du niveau de vie, destruction des
services publics, mise en faillite délibérée des assurances sociales en
vue de leur liquidation.

Les ministres de l’économie et des finances des pays membres du G20
veulent renforcer les pouvoirs et les moyens du FMI, une des
institutions décisives dans l’expropriation des peuples, directement
responsable de la crise économique qui affecte le système. Le FMI est un
centre de conception et de commandement pour toutes les stratégies
néo-libérales.

Combattre l’action de l’OTAN et du G20 implique de lutter contre le
système dans son ensemble, contre ses méthodes, ses démarches, son
imaginaire, sa logique et ses objectifs. C’est mener contre lui une
alternative révolutionnaire. Il faut que progressivement les
revendications, les luttes partielles et les pratiques d’émancipation
construisent une politique de libération, soient portées par une volonté
de révolution. Les offres électorales sont toutes des produits avariés

Au fond, les choses sont simples. Les politiques qui ont conduit à la
crise ont été voulues et menées par les classes dominantes et par tous
les gouvernements, bourgeois ou socio-libéraux. L’immense majorité du
personnel politique a promu et organisé cette catastrophe.

Et les mêmes aujourd’hui veulent « réformer » le capitalisme en
subventionnant les capitaines de l’industrie et de la finance. Cette « 
réforme » revient, au mieux, à recadrer un peu et pour un court moment
les excès spéculatifs du capital financier, sans toucher aux
fondamentaux de l’exploitation et de la domination que nous subissons.
Permettre à l’argent de circuler et au crédit de se rétablir n’implique
en rien plus de justice, plus d’égalité, une répartition de la richesse
moins défavorable aux classes populaires, davantage de pouvoir pour
celles et ceux d’en bas.

Aucun appareil d’Etat, aucun gouvernement, aucun parlement, aucune
faction politicienne, ne défendra nos intérêts à notre place. Aucune
élection, aucune votation ne remplacera notre lutte et notre
mobilisation pour construire du pouvoir populaire. Aucune conquête du
gouvernement ou de postes de décision dans l’appareil étatique ne nous
donnera le rapport de force qu’il faut pour imposer à ce système la
satisfaction de nos besoins et de nos aspirations.

Sauf dans quelques conjonctures instables et fragiles, la conquête de
parcelles du pouvoir étatique ne peut satisfaire les demandes des
majorités sociales exploitées et dominées. Il n’y a aucun réformisme
digne de nom qui puisse se construire en tablant sur la logique
électorale et institutionnelle. L’Etat peut certes enregistrer un
rapport de forces et plier devant lui mais la conquête du gouvernement
ne vaudra jamais une avancée de l’action directe populaire. Bien au
contraire, la politique de représentation et de délégation cherche
toujours à réduire et à domestiquer les luttes quand elle ne les réprime
pas purement et simplement.

Et ce qui vaut pour des objectifs limités vaut plus fondamentalement
encore quand il s’agit de transformation sociale, de projet radical
d’émancipation.


Chantage au pire ou révolution ?

Ou les classes populaires ont la force, l’organisation, la capacité
d’invention et de résistance, par elles-mêmes, en autonomie, ou elles
demeureront subordonnées à des bureaucraties qui paient par le contrôle
du mouvement populaire leur ticket d’entrée dans la bourgeoisie.

Déléguer la réalisation de quelque revendication que ce soit à des
politicien-ne-s ne nous fera pas avancer d’un seul pas. Dans la période
historique que nous traversons, la logique de l’Etat et le possible de
l’action gouvernementale consistent, dans l’immense majorité, des cas à
nous prendre du pouvoir, de la liberté, du salaire, du service public et
même une part croissante de dignité. Le système de domination veut
l’asservissement, la soumission et l’avilissement de chacun-e par
l’allégeance publique à cette domination, par l’acceptation proclamée de
la servitude, par le renoncement à pouvoir changer quoi que ce soit dans
le cours de l’histoire et de notre histoire.

Dans la rivalité qui oppose les offres électorales de la droite
institutionnelle et de la gauche du système, il y a toujours le chantage
d’une dérive vers le pire. Sur ces bases, le seul choix que nous offre
la gauche du système c’est de réduire en vitesse et en qualité cette
marche vers le pire néo-libéral. Ce sursis, il faudrait le payer par une
délégation inconditionnelle aux bureaucraties partidaires, associatives
et syndicales, par un sort de piétaille servant au social-libéralisme
pour la conquête des places de représentation et de gouvernement. C’est
le choix entre un pire monstrueux et un pire un peu moins pire.

D’élection en élection, de passage au pouvoir en parenthèse
d’opposition, les tenant-e-s du pire moins pire détruisent
irrémédiablement les acquis qu’ils/elles prétendaient, sur l’estrade
électorale, garantir, conserver et parfois élargir.

Qui ne veut voir cela s’aveugle ! La politique de représentation et de
délégation, vivant par et pour la conquête du gouvernement, nous mène
droit à une liquidation des émancipations possibles, à la destruction de
tout ce que la gauche dans la société a porté d’exigence d’égalité, de
liberté et d’émancipation. Qui se prétend d’une gauche authentique et
veut aller aux affaires avec le social-libéralisme se coupe les mains !

La plèbe et ses ennemis

L’action politique-étatique dans la société capitaliste, sans une énorme
pression de l’autonomie populaire, revient toujours à la mise en œuvre
d’une des variantes d’un commandement capitaliste qui se veut total et
illimité, à la consolidation du pouvoir séparé de l’Etat, à la promotion
de l’exploitation et de la domination, partout.

La vérité, c’est que chaque jour nous perdons en salaire, en libertés et
en droits, en autonomie, en égalité, en sécurité sociale, en condition
de vie, en service public. Chaque jour une nouvelle attaque nous est
portée. Le système proclame chaque jour une nouvelle humiliation contre
les salarié-e-s, les exploité-e-s, les sans-pouvoir, les précaires, les
sans-rien.

Femmes, immigrés, prolétaires, enfants, jeunes, vieux, non normés-es,
non-conformes, nous sommes une immense cohorte qui fait une majorité là
où la domination ne laisse voir que des conditions particulières. C’est
la plèbe. L’exigence de l’émancipation de chacun-e vaut révolution pour
tous/tes.

Rien ne sert de pérorer pour savoir si les 68 milliards donnés par
l’Etat à l’UBS doivent trouver leur contrepartie dans une misérable
participation au Conseil d’administration ou dans une nationalisation
formelle qui changerait quelque chose pour que rien ne change. Ce qui
est à l’œuvre, c’est une gigantesque expropriation. Ce gouvernement paie
avec nos salaires, avec nos retraites, avec notre sécurité sociale les
titres pourris de la rente bourgeoise.

Depuis des années, la seule perspective pour l’assurance-chômage,
l’assurance-invalidité, l’AVS et le régime des retraites,
l’assurance-maladie aussi, c’est une dégradation systématique. Toujours
moins, toujours pire. Pour notre sécurité sociale, il n’y a pas
d’argent. Pour les salaires et les revenus des classes populaires pas
davantage. Mais pour chacun-e, il y a sans cesse plus de contrôle, plus
de mise à nu, plus de contrainte.

De plus en plus souvent, l’accès à un travail salarié se paie d’un
travail gratuit. Stages et périodes d’essai non rémunérées fleurissent.
La précarité devient la norme pour des fractions croissantes de
salariés-es. La précarité s’étend. La pauvreté se multiplie. La
fragilité sociale devient l’horizon des majorités.

Mettre à nu la vie des pauvres est dans la raison d’Etat

Ce système de domination ne cesse d’inventer des abus et des droits
d’exception, des délinquances et des polices, des politiques de
contre-insurgence pour maîtriser territoires et populations. Pour les
classes dominantes et l’Etat, toute liberté populaire est de trop. Toute
sécurité sociale excessive. Il faut limiter, brider ou détruire. Au nom
de la lutte contre le terrorisme, la délinquance ou la crise, tout est
accepté, légitimé, revendiqué. Chaque Etat y a sa part : la torture pour
les uns, les camps pour les autres, le contrôle partout et toujours, la
surveillance, le taser, l’interdiction d’ouvrir sa gueule, de circuler,
d’être là. Cela commence toujours par une mesure ciblée contre un groupe
particulier ou classé comme tel pour l’occasion. Cela finit toujours par
un dispositif et une technologie de contrainte, généralisés, universels.

Les seules consolations offertes au peuple consistent à pouvoir élire de
temps en temps une faction ou l’autre du personnel politique et à
trouver dans les boucs émissaires que l’Etat et les médias désignent une
illusoire consolation de sa condition. Les médias et les penseurs à
solde font office d’architectes d’une caricature d’espace public où tout
ce qui parle a le langage et les tics de la soumission.

Nous sommes dans un pays où la vérité nue est celle-ci. Une vendeuse qui
parle des conditions de travail dans son entreprise est licenciée. C’est
la mesure du pouvoir discrétionnaire des patrons. Manor n’est pas une
exception mais la règle.

Cette travailleuse n’a aucun droit légal à la réintégration. Le message
est clair et sans cesse rappelé. S’il n’y a pas lutte et de rapport de
forces, le patron prive d’emploi et de salaire qui il veut.

Dans le pays du secret bancaire, il y a le secret pour les riches. Pour
les pauvres il y a la mise à nu : tout laisser connaître d’eux-elles au
pouvoir, accepter la fouille permanente et illimitée de leur vie. L’Etat
de Vaud a décidé d’imposer une procuration généralisée aux personnes à
l’aide sociale donnant accès à toutes les informations sur elles. C’est
un département dirigé par un socialiste qui a mis au point cette
politique et qui la mène.

Tandis qu’on débat sur les minarets, le silence est retombé sur la
condition des sans-papiers. Il leur sera bientôt interdit de se marier
en Suisse. Des centaines de milliers de personnes que l’Etat veut mettre
au silence, des sans-pouvoir absolus qui ne restent ici qu’au prix de
leur exclusion du droit commun.

Le capitalisme saccage nos vies

Tout ceci était là bien avant la crise économique. C’est l’ordinaire
depuis longtemps. Avec la crise économique et financière, tout
s’accélère. Avant, les riches encaissaient les bénéfices et accumulaient
les profits, maintenant ils-elles encaissent également les dons en
argent public pour éponger leurs pertes. Le cynisme est la règle du
discours officiel. Ce n’est plus la sanction du marché, le jeu du
marché, la justesse et l’efficacité du marché. C’est désormais l’aide
publique, les indemnités pour recul des profits et la préparation des
nouvelles conditions pour que vive le profit, à tout prix.

L’assurance AIG reçoit 180 milliards de l’Etat nord-américain pour faire
face à ses pertes et prétend de voir honorer les contrats avec ses
dirigeants-es en leur versant 450 millions de dollars de bonus alors que
Continental licencie 1200 ouvriers dans son usine française après avoir
extorque de ces travailleurs 5 heures de travail gratuit par semaine en
échange d’une garantie de l’emploi jusqu’en 2010. Quand il s’agit de
travailleurs il n’y a pas de contrat à honorer, ni pour la bourgeoisie
ni pour l’Etat.

Et rebelote, le progressiste Obama offre 1000 milliards de dollars
supplémentaires aux banquiers en faillite !

Pour les autres, pour les sans-pouvoir, pour les exploité-e-s, pour les
salarié-e-s c’est l’accélération brutale de tout ce que nous
connaissons. Moins de salaire, plus de travail. Plus de flexibilité,
plus d’asservissement, plus de silence, plus de contrôle, plus de
contrainte. Celles et ceux qui veulent aller au gouvernement, nous
parlent de relance, de politiques économiques, d’actions publiques, de
réformes du capitalisme, de contenir la spéculation et les abus du
secteur financier. La question fondamentale est de savoir si nous allons
tolérer que pas à pas ce système de domination détruise nos vies. La
question est de savoir si nous allons accepter sans lutter ou si nous
allons lutter et créer. Aucune résistance ne peut dépendre du possible
prescrit par l’Etat et le système. Dans sa rationalité, le système dira
toujours que toute revendication est de trop, que tous refus de se
soumettre à ses injonctions compromettent l’économie, l’équilibre social
et l’ordre public.

Marcher séparément, frapper ensemble mais aussi marcher et frapper ensemble

Nous avons contre nous un système à l’offensive. Il nous attaque de
toute la force de ses pouvoirs et de ses institutions. Pour nous
défendre, nous ne pouvons compter que sur la puissance accumulée hors de
ce système, loin de l’Etat et des gouvernements, à distance de la
politique de représentation qui veut saisir les résistances pour les
affaiblit et les liquider.

Face à une offensive généralisée, seules des milliers de luttes
différentes dans leurs modalités, leur démarches et leurs objectifs
peuvent l’emporter. Elles seules ont la possibilité de gripper la
machine, de l’arrêter, de la renverser. Chaque lutte est une
alternative, un coup porté contre le système qui l’ébranle tout entier.
Chaque lutte, dans sa démarche, dans son être au monde, ouvre des
possibilités qui vont bien au-delà d’elle-même. Chaque lutte donne un
sens à ce monde et nous permet, à toutes et à tous, de nous y repérer,
d’en saisir le sens et d’y faire sens.

L’essentiel est que soit explicité cet élément évident : la résistance
populaire est hors de l’Etat. L’Etat et le gouvernement ne servent pas
pour fonder notre puissance. Nous avons ce que nous luttons et rien d’autre.

Naturellement, la résistance populaire est plurielle, diverse.
Innombrables sont les expériences qui tentent de combiner l’action de
base et la conquête des parcelles de pouvoir étatique, argumentant que
le pouvoir contenu dans l’Etat peut aussi nous servir pour changer les
choses. La tension ente activité institutionnelle et action directe
populaire se poursuivra immanquablement. Mais il faut déterminer ce qui
sera au centre de la lutte : délégation ou autonomie, politique
institutionnelle ou politique de libération et donc quels sont les
principes et les moyens qui permettent à la résistance populaire
d’avancer effectivement, de conquérir son autonomie.

Se perdre au gouvernement

On peut unir et il faut unir. Tout ce que la gauche sociale suppose,
entraîne, fait vivre, doit être fédéré, mis en communication, joué comme
un immense multiplicateur d’une lutte à l’autre, dans une tension
toujours fragile, mais indispensable vers la fédération des résistances,
vers leur alliage. La politique institutionnelle habite aussi les luttes
et les mobilisations, tente de limiter et de domestiquer la résistance
populaire, de la rendre gouvernable pour les institutions du
capitalo-parlementarisme. Chaque possibilité d’action conjointe,
unitaire, à la base, doit être exploitée. Mais, comme nous l’a appris le
syndicalisme révolutionnaire il y a plus d’un siècle, seule l’action
directe de masse peut, dans une construction stratégique, unifier et
fédérer. C’est en rendant subalterne la politique institutionnelle, en
faisant converger tout ce qui dans la résistance se fait à distance de
l’Etat et construit inconditionnellement sa propre puissance que nous
pouvons avancer efficacement.

Même si cela heurte le sens commun de beaucoup, le problème n’est pas de
savoir si une gauche plus dure peut gouverner avec le social-libéralisme
en étant minoritaire par rapport à celui-ci ou si elle doit devenir
majoritaire avant d’aller gouverner avec lui. L’Etat est certes la
matérialisation complexe d’un rapport de force mais son « noyau dur » de
répression et de contrainte demeure le facteur déterminant. De surcroît,
l’accès au gouvernement ne signifie pas la maîtrise de la puissance
étatique.

Le service public peut être en quelque sorte détaché de l’Etat,
socialisé, démocratisé par l’accumulation des luttes et l’intervention
populaire. Mais le noyau irréductible de l’Etat n’est pas un matériau
qu’on puisse s’approprier et recycler en instrument d’émancipation. Si
nous nous laissons enfermer dans la politique institutionnelle, dans le
capitalo-parlementarisme, nous laissons l’Etat retourner contre nous nos
efforts, nos convictions, notre parole. En permanence, il tente de nous
les rendre irréductiblement étrangers. Il s’efforce d’en faire des
machineries hostiles qui nous exproprient et nous enchaînent, jusqu’à
l’impuissance.


Nous sommes déjà une image du futur

La question est, bien sûr, d’opposer à la crise systémique une issue
radicale de transformation sociale, donc une révolution et d’en parier
la stratégie. Longue marche. Beaucoup de gens ont l’intuition que dans
ce monde tout devient insécure, fragile, dangereux, hostile, que rien
n’est acquis à l’être humain, que la catastrophe menace. Ce terreau est
sans doute fertile pour y propager l’idée révolutionnaire. Cela est
possible à trois conditions.

La première c’est que les mouvements de résistance en communiquant, en
mettant en communauté et en égalité les exigences d’émancipation qu’ils
portent, fassent surgir une revendication générale infiniment plus ample
et plus forte que leurs objectifs particuliers.

La deuxième est que se construisent et se renforcent des organisations
faites pour lutter, pour résister, pour agréger, pour socialiser. Si ne
se constitue pas sur des objectifs plus ou moins importants des
organisations populaires indépendantes du capitalo-parlementarisme,
comptant sur elles-mêmes pour aboutir, il nous manquera l’essentiel.
L’essentiel, y compris pour défendre les acquis démocratiques et
sociaux. Seule la résistance populaire peut enrayer la barbarie rampante
de l’Etat et des appareils de commandement du système. Seule la lutte
peut empêcher que soient liquidés les éléments de progrès que nous ont
légués les révolutions démocratiques et les mouvements d’émancipation du
passé. Seule la lutte nous permet d’avancer et d’espérer autre chose que
la consolation d’un moins pire.

Le troisième élément consiste dans la nécessité de faire entrer en
dialectique les revendications immédiates et les objectifs à moyen terme
avec des propositions politiques, culturelles et symboliques porteuses
d’une alternative générale. Ce n’est pas la mission particulière d’un
parti ou même de plusieurs mais le travail de tous les collectifs qui
luttent.

Il n’est pas question de parler et d’agir au nom de quelque chose de
supérieur au mouvement social, d’une instance de la totalité qui serait
au-dessus des luttes partielles, donc considérées comme moindres en
conscience et en qualité des objectifs et des pratiques. Les collectifs
politiques sont égaux aux autres structures de lutte, ni plus ni moins.
Il s’agit d’agir de partout pour la constitution d’un mécanisme
multiplicateur des luttes. La politique de libération est une sorte de
laboratoire du pari et du possible. Elle explore les voies que les
résistances désignent, les entraîne et grandit par elles, dans une
communauté sans cesse plus puissante et ouverte.

La Guadeloupe est proche

Il y a aujourd’hui de par le monde de multiples résistances qui tendent
vers l’auto-émancipation, vers la liberté, l’égalité et la solidarité.
C’est un mouvement général qui se décline dès maintenant dans les
luttes, dans leur accumulation, dans leur communauté, dans les
possibilités de rupture dont elles sont porteuses. C’est une orientation
politique écrite de manière contrastée et variée, mais immense. Le
mouvement de grève générale en Guadeloupe vient encore de nous donner
là-dessus une leçon magistrale : actions directes de masse, mise à
distance de l’Etat, indépendance face aux mécanismes et aux démarches du
capitalo-parlementarisme, pari sur l’unité et donc capacité de peser
effectivement sur la pratique de l’Etat et des pouvoirs capitalistes. Le
mouvement de la Guadeloupe nous dit aussi comment s’opère la jonction
des émancipations passées avec l’exigence de l’émancipation présente,
dans tous ses sujets, dans ses objectifs particuliers et dans ses
revendications communes.

Bien d’autres mouvements que nous avons connus nous disent la même
chose, des plus modestes, aux plus connus. A chaque fois, la
confrontation a été gagnée par la capacité d’autonomie de la résistance
populaire par la mise à distance des démarches, des temps et des
possibles de la politique institutionnelle. Car la question n’est pas de
savoir s’il faut peser sur l’institution étatique, c’est d’une nette
évidence. Nous devons être contre-pouvoir face à tous les pouvoirs du
système, donc être capables de peser, de tordre, de conditionner...

La vraie question est celle de savoir s’il faut se plier aux
institutions, y compris à leur imaginaire (ce qui est irrémédiable quand
on décide d’y demeurer un certain temps) pour changer quelque chose ou
si nous allons prendre nos affaires en main.

La crise systémique que nous vivons nous rappelle crûment quel est le
rôle et la nature de l’Etat et en quoi il matérialise une aliénation
politique qui se définit toujours comme une expropriation de la liberté
du peuple.

Les acquis sociaux, les libertés démocratiques, les droits fondamentaux,
la traduction sur le terrain légal et institutionnel des avancées
portées par les luttes ont fait reculer la contrainte et la violence du
système. La tension vers la construction d’une société auto-instituée
n’implique pas simplement une socialisation du politique et cela va sans
dire de l’économie. Elle porte aussi une conception autre de l’ensemble
de l’activité humaine qui met au premier plan la communauté et
l’exigence d’émancipation, c’est-à-dire l’exigence d’égalité. Il s’agit
certes de collectiviser et de partager entre toutes et de tous le
pouvoir, la richesse et la production, mais tout cela ne sert qu’à
rendre possible l’égalité entre les être humains. Sans elle, il ne
saurait y avoir de liberté, d’autodétermination, d’autonomie.

Les luttes d’aujourd’hui appellent l’objectif révolutionnaire. Il y a à
la fois le projet explicite, déclaré et critique d’une transformation
sociale radicale et l’utopie concrète présente dans les luttes en cours.
La résistance tisse d’un monde nouveau dont il s’agit de solliciter sans
cesse la tension et le possible.

Il n’y a pas de grande ou de petite revendication. Il y a la tension
possible vers l’avant ou le renoncement à cette tension qui signifie
toujours, à terme, le sacrifice des objectifs et des combats aussi
partiels soient-ils.

Il y a toujours des objectifs intermédiaires à proclamer et des
propositions pour les traduire en politiques gouvernementales dites
alternatives. Mais, franchement, à quoi cela sert-il d’invoquer un
gouvernement qui nationaliserait une grande banque, quitterait l’OTAN ou
respecterait la neutralité si nous n’avons pas la force de refuser de
payer cette crise, de collaborer à la logique de guerre ou de couper
court au vol de notre revenu ? Et si nous avons la force d’empêcher
toutes ces choses, quelle sera l’utilité d’un gouvernement sinon de
mettre en musique sur une chiche partition la partie la plus pauvre de
ce que nous sommes en train d’avancer ? Aucun gouvernement ne mérite que
nous arrêtions notre effort.

Les luttes définissent un pouvoir constituant qu’aucune gestion
gouvernementale ne saurait contenir. Quand nous luttons, c’est du
pouvoir populaire que nous construisons, c’est l’enracinement de notre
force, c’est notre capacité d’être au monde et d’y peser. Aucun
gouvernement, aucun-e député-e, aucun appareil ne saurait impulser à
notre place une politique de libération.

Organisation socialiste libertaire

Tract distribué à Genève lors de la manifestation anti-OTAN et anti-G20
du 28 mars 2009

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