Une tribune pour les luttes

Bulletin de liaison international de la Marche mondiale des femmes 2009 n°1

Un point de vue féministe sur la crise financière : Une autre économie pour un autre monde

La mondialisation économique vue par la Marche mondiale des femmes et des groupes féministes.

Article mis en ligne le vendredi 1er mai 2009

http://www.marchemondiale.org/bulle...

La Marche mondiale des femmes
(Lettre aux dirigeants du FMI et de la BM :
2000 bonnes raisons de changer de cap, octobre
2000), rejoignant les critiques féministes de la
mondialisation, s’était employée à analyser
comment ce processus était certes le résultat du
système économique dominant – le capitalisme
néolibéral – mais aussi comment il n’affectait
pas les femmes de la même manière que les
hommes (Wichterich, 1999).
Et de démontrer les
effets paradoxaux de la mondialisation : plus
grande participation des femmes au marché de
l’emploi mais augmentation des écarts entre
une minorité de femmes dites « gagnantes » et
une majorité de femmes « perdantes » (L’économie
en question du point de vue des femmes, 2004).
Et de démontrer comment les femmes sont
de plus en plus cantonnées dans le travail
précaire, atypique, flexible, à domicile, informel ;
comment elles deviennent partout des « femmes
de services », comment elles sont confinées
dans des ghettos d’emplois et des secteurs
traditionnellement féminins et sous-payés,
comment leurs conditions de travail et de salaire
n’ont pas encore atteint ceux des hommes. La
crise économique actuelle ne fera qu’aggraver
cette situation.

Des féministes ont proposé une analyse
plus approfondie de la mondialisation : le
phénomène ne pouvait se comprendre du
seul point de vue de la critique du capitalisme
néolibéral. Il fallait l’analyser également à
partir du patriarcat entendu comme système
autonome – politique, économique, social et
culturel – d’oppression des femmes ; un système
antérieur au capitalisme lui-même et caractérisé
par :

- L’assignation des femmes à des rôles,
tâches, statuts spécifiques dans la société,
- L’appropriation du corps, du sexe et du
temps des femmes, de leur force productive et
reproductive,
- L’exclusion des femmes de la
propriété, du pouvoir politique, du pouvoir
économique, etc.
- La discrimination dans la
reconnaissance de leur travail et de leur
existence, dans l’accès et l’usage des ressources.

Poursuivant encore plus loin
l’analyse, de nombreux groupes féministes
se sont appliqués à montrer l’imbrication
des discriminations de « classe », de « genre
 » et de « race » qui caractérisent le système
économique qualifié trop étroitement de
capitalisme néolibéral. Les femmes du Sud, les
femmes autochtones, les femmes Noires, les
femmes arabes, etc. vivent des discriminations
spécifiques dans le système actuel en tant que
travailleuses exploitées – sous-payées ou non
rémunérées – dans leur pays ou territoires, en
tant que migrantes ou immigrantes, en tant
que victimes de toutes sortes de violences
institutionnelles.
Le capitalisme tire profit
du racisme et du patriarcat et vice-versa. La
féminisation de la pauvreté, de la maladie, et
en particulier des migrations, en constitue un
exemple. Ces migrations légales et illégales des
femmes constituent aujourd’hui la moitié des
migrations totales. Chaque année par exemple,
des milliers d’aides domestiques et des milliers
d’entraîneuses de bar émigrent vers des pays
du Nord ou de l’Ouest pour travailler dans des
conditions qui se rapprochent bien souvent de
l’esclavage. La traite et le trafic de femmes et de
filles à des fins d’exploitation sexuelle sont en
croissance partout dans le monde.

Enfin, les éco-féministes ont appelé
à critiquer le système économique du point
de vue de son impact sur l’environnement,
sur les relations sociales, et sur l’avenir
de la planète : productivisme boulimique,
addiction pathologique à la consommation,
individualisme à courte vue basé sur le « 
tout avoir, tout de suite et tout le temps »,
culture de guerre et donc dépendance envers
l’industrie militaire, esprit de compétition et
cupidité qui mènent à une concentration de
la richesse à la limite du supportable et à des
mutations dangereuses de la nature elle-même
(changements climatiques, pollution de l’eau,
de l’air, de la terre, etc.).

L’opération « sauvetage » du système actuel :
un cul-de-sac ?

Les plans de sauvetage de l’économie
doivent également être dans notre mire. On le
sait : les dirigeants du G20 se sont beaucoup
agités pour répondre à l’urgence de cette
crise en proposant des mesures immédiates
et de court terme telles qu’un resserrement
des contrôles sur la spéculation aux niveaux
national et international, des investissements
dans les infrastructures, des exigences de
transparence, etc. Mais le préambule à leurs
travaux annonce surtout que tout va changer
pour ne rien changer en profondeur.

En fait, les dirigeants des pays du
G20 proposent des corrections aux dérives
du système – ce qui n’est pas négligeable,
surtout du point de vue des populations
vulnérables – mais qui ne constitue en rien
une remise en cause de ce qui est au coeur
de la crise économique : les finalités et le
fonctionnement du système lui-même. Une fois
la tempête passée, les choses reviendront à la
normale ! Rien en effet sur la démocratisation
des secteurs financiers, sur l’élimination
des paradis fiscaux et de l’évasion fiscale
en général, sur la refonte des institutions
financières internationales (OMC, FMI, BM,
etc.) des bourses, de l’accès au crédit, de
l’appropriation individuelle ou corporatiste des
ressources naturelles, sur la mise en cause des
politiques inégalitaires, sur l’encouragement
à la consommation et à l’endettement, sur le
productivisme qui met la planète en péril, etc

Les dirigeants mondiaux ignorent
totalement l’existence du sexisme et du
racisme comme causes structurelles de la crise
économique, donc il faut questionner leurs
plans de sauvetage :

- Comment affectent-ils les femmes de
manière spécifique ?
- Quelles mesures sont destinées aux
femmes ? Par exemple : l’équité salariale estelle
partie prenante de ces plans ? Met-on un
stop à la privatisation des services de santé et
d’éducation ?
- Quand les gouvernements parlent
d’investir dans les infrastructures, de quoi
parlent-ils ? Des ponts, des routes …mais
qu’en est-il des biens et services qui répondent
aux besoins fondamentaux des individus et
collectivités (garderies, centres de femmes,
groupes de défense de droits, coopératives
agricoles, etc.).

Sur quels principes et quelles valeurs refonder
l’économie ?

La Charte mondiale des femmes pour
l’humanité propose de construire un autre
monde fondé sur les valeurs d’égalité, de
liberté, de solidarité, de justice et de paix.

Chacune de ces valeurs implique
l’émergence d’une « autre » économie basée
sur les principes suivants :

- La primauté du politique sur
l’économisme ; donner priorité au « vivre
ensemble », au souci pour l’intérêt général,
le bien commun, les biens publics en tant
que patrimoine commun de l’humanité
à partager équitablement (ressources
naturelles, eau, air, etc.) ;

- La démocratie comme fin et comme
moyen de transformation de l’économie.
L’économie demeure un immense chantier à
démocratiser ;

- Une conception résolument solidaire
de l’économie en opposition à l’économie
machiste et guerrière dominante qui produit
un très petit nombre de gagnants et une
grande masse de perdantes et perdants. Une
économie nouvelle socialise les gains de
productivité au lieu de les privatiser ;

- L’égalité de droit et de fait entre les
femmes et les hommes et une transformation
des rapports sociaux qui implique entre
autres :

- une remise en cause de
la hiérarchisation sociale et, par le fait
même, une remise en cause des privilèges
individuels et collectifs associés à cette
hiérarchie ;

- un engagement de la part des
divers acteurs sociaux à réclamer le respect
des droits des femmes ;

- La reconnaissance du travail invisible
de reproduction sociale assumé très
majoritairement par les femmes et encore
ignoré dans la comptabilité de la richesse ;

- Les droits, en particuliers les droits
économiques, sociaux et culturels qui
concernent toutes les sécurités souhaitées
(alimentaire, énergétique, de santé,
d’éducation, de logement, etc.) ;

- Le respect de l’environnement et
la remise en question de la croissance
économique à tout prix (productivisme
destructeur des rapports sociaux et de
l’environnement).

Des exemples de mesures immédiates à
prendre :

Investissements gouvernementaux
dans tous les types d’infrastructures (de
« béton » et sociales) hors de partenariats
privés-publics (PPP) ;
Refondation d’une politique
industrielle axée sur les projets innovants,
écologiques et riches en emplois des petites et
moyennes entreprises et industries avec droit
de regard de l’État sur la stratégie de relance
industrielle (Le Monde, 21 janvier 2009) ;
Mesures de facilitation de l’accès au
crédit ;
Mesures de protection, de création et
de formation en emploi ;
Mesures de protection des plus
vulnérables dans toutes les sociétés
(assurance-chômage, sécurité du revenu, etc.)
dont les femmes, en particulier les femmes
pauvres, monoparentales, âgées, Noires,
autochtones, etc ;
Mesures de partage des gains de
productivité en faveur des salaires, contre
le chômage mondial et pour le travail
décent protégé par les normes du Bureau
international du travail (BIT) ( http://ituccsi.
org/spip.php ?article2703&lang=fr
) ;
Mesures pour instaurer l’égalité et
l’équité salariales entre les hommes et les
femmes ;
Promotion de l’économie locale dont
l’économie sociale ;
Reconnaissance et émergence, dans la
sphère publique formelle, du travail
« invisible » des femmes. Entre autres, la
reconnaissance des savoirs traditionnels et
des savoirs d’expérience acquis à l’extérieur
de la sphère économique « dominante ». Ces
savoirs contribuent au bien-être des personnes
et des collectivités. Il est fondamental de les
valoriser et de leur reconnaître une
« rentabilité sociale » autant qu’une
« rentabilité économique » ( http://ituc-csi.
org/spip.php ?article2703&lang=fr
) ;
Partage équitable entre les femmes
et les hommes du temps alloué au travail
domestique et à l’éducation des enfants dans
la sphère privée.

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