Une tribune pour les luttes

Discours tenu par Benoist Magnat à Avignon le mardi 17 mai 2004

AGCS ET L’EUROPE

lors d’une réunion débat dans le cadre des élections européennes

Article mis en ligne le jeudi 20 mai 2004

AGCS signifie : Accord Général sur le Commerce des Services. Il s’agit de l’accord fondateur de l’OMC(1994). Son but est d’accroître la concurrence internationale, en luttant contre les différentes frontières juridiques des pays membres. Une dizaine d’années plus tard, il est en renégociation. Cela n’a pas fait l’objet d’un débat publique, pourtant l’impact sur les sociétés des nouvelles conditions de l’accord sera majeur :

- Cet accord, sans précédant, engage les pays signataires à ouvrir la totalité ou une partie de leurs marchés de services locaux à la concurrence internationale dans les mêmes conditions juridiques quel que soit le pays.

L’idéologie de cet accord : la compétition comme mode d’agencement des rapports humains : pour transformer les rapports humains en rapports marchands, pour déréguler et remplacer les protections que les hommes ont créées contre les abus des autres hommes par de la « flexibilité ».

Cet accord vise essentiellement à déréguler les Etats, à faire disparaître aux niveaux local, régional et national les normes éthiques, sociales, environnementales, considérées comme des « obstacles au commerce »

- Les secteurs ainsi ouverts à la concurrence ne seront plus régis par les gouvernements élus des pays signataires, mais par l’OMC.

L’ORD (Organe de Règlement des Différends) est chargé de passer au peigne fin les textes de loi des pays signataires afin de vérifier s’ils sont en accord avec les exigences négociées dans le cadre de l’OMC. Le cas échéant l’OMC pourra prendre les mesures de rétorsion vis à vis du pays fautif.

La France a été ou pourrait par exemple être très vite obligée d’accepter les aliments à base d’OGM, la viande à base d’hormones, etc...

- Les conditions devront être les mêmes entre le public et le privé. Par exemple pour chaque subvention de l’état accordée au public, une subvention équivalente devra être accordée au privé.

- Un des problèmes majeurs que pose cet accord est qu’il est irréversible. Il engage - quels que seront les votes futurs des citoyens - les gouvernements, et futurs gouvernements de tous les pays signataires. Si jamais un pays souhaite retirer un, plusieurs, ou tous ses secteurs de cet accord, il devra payer pour compenser le manque à gagner des entreprises...

- Si dans le texte, l’AGCS n’ouvre pas à la concurrence les services publics, il faut savoir qu’au sens l’OMC, ne sont des services publics que les services fournis de façon entièrement gratuite, et pour lesquels il n’existe pas de concurrence. La plupart des services publics demandant à l’utilisateur une participation financière, ou étant en concurrence avec des entreprises privées, seules les fonctions régaliennes (police, justice, armée) ne seraient considérées comme publiques selon les critères de l’OMC.

Le 31 mars dernier s’achevait la seconde des trois phases de renégociation de l’AGCS. A ce stade les états devaient communiquer à l’OMC la liste de tous les services qu’ils souhaitent réengager dans cet accord.

Un exemple : la définition même de l’éducation a changé. Ne sera considéré comme éducation que le cours en lui même. Tout ce qui tourne autour (Encadrement, Entretien des bâtiments, restauration, aide à l’orientation, etc...) ne sera plus forcément considéré comme de l’éducation et pourra être soumis aux conditions de l’AGCS. Autre exemple, dans le domaine de la santé, les lits d’hôpitaux ne sont plus considérés comme faisant partie du secteur de la santé, mais sont considérés comme une prestation d’hôtellerie et appartiennent au secteur "Loisir et tourisme".

L’AGCS concerne environ 140 pays. La dernière phase de négociation, au delà de laquelle il ne sera plus possible de revenir en arrière, doit s’achever le 31 décembre 2004.

Commission européenne : fer de lance d’une économie néo ou ultra-libérale

Les Accords de Marrakech (dans le cadre de l’OMC) remettent radicalement en cause le modèle de société qui a, peu à peu, émergé dans plusieurs pays d’Europe au prix de luttes sociales considérables. C’est un des instruments juridiques les plus puissants au service de l’idéologie de l’Etat minimum. Sa mise en œuvre est un des objectifs prioritaires et les gouvernements de l’Union ont, à ce sujet, confirmé leur soutien à cette politique le 8 décembre dernier. Au Parlement européen, une majorité formée de chrétiens démocrates, de libéraux et de sociaux démocrates a fait de même en janvier de cette année.

La Commission européenne annonçait, le 13 janvier, qu’elle propose « une directive visant à réduire la paperasserie qui étouffe la compétitivité ». Il s’agit d’un projet de directive « relative aux services dans le marché intérieur » rédigé par les services du Commissaire européen en charge du marché intérieur, le libéral Frits Bolkestein.

L’objectif est d’imposer aux 25 Etats membres de l’Union les règles de la concurrence commerciale, sans aucune limitation, dans toutes les activités de services qui ne sont pas, déjà, couvertes par des dispositions légales européennes (services financiers, télécommunications et transports). Ce qui signifie que la logique de la rentabilité va s’imposer partout.

Ceux qui sont familiers dès règles de l’OMC et de l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) en particulier vont reconnaître dans ce projet des principes et des procédures établis par ces accords. Une fois de plus, l’Union européenne ne protège pas contre la mondialisation néolibérale, elle en prend la tête.

La preuve : lorsque Pascal Lamy a adressé des demandes de libéralisation de l’ensemble des services relatifs à l’eau de consommation et au traitement des eaux usées à 72 des 109 pays. Ces demandes concernent également les systèmes non lucratifs de distribution d’eau. Chaque fois, il a demandé que le pays s’engage à appliquer le traitement national et l’accès au marché pour la prospection, la protection et la gestion des nappes aquifères, la captation, la purification et le stockage de l’eau, sa distribution et le traitement des eaux usées. Tous les pouvoirs publics sont ciblés, de l’Etat central à la commune.

Objet de la directive européenne

Le projet de directive établit « un cadre juridique général en vue d’ éliminer les obstacles à la liberté d’établissement des prestataires de services et à la libre circulation des services au sein des Etats membres » (IP/04/37).

Un mémo de la Commission (MEMO/04/03 du 13 janvier 2004), présente une liste non limitative de services visés par la directive qui vont des services juridiques aux professions artisanales comme plombier ou charpentier en passant par la construction, la distribution, le tourisme, les transports, les services de santé et de couverture des soins de santé, les services environnementaux, les cabinets d’architecte, les activités culturelles ou encore les agences de recrutement.

Les « obstacles » sont formés par les législations et réglementations nationales jugées par la Commission européenne comme « archaïques, pesantes et en contradiction avec la législation européenne. » Il convient donc de « réformer » pour « moderniser ». On retrouve bien là le langage typique des libéraux de droite comme de gauche qui sous le couvert de modernisation démantèlent les acquis démocratiques et sociaux des cinquante dernières années. Car, les « obstacles » sont le plus souvent des dispositions arrêtées par les pouvoirs publics dans l’intérêt d’une meilleure prestation du service concerné du point de vue de la gestion des deniers publics, de l’accès de tous au service, des garanties fournies quant à la qualité du service, du droit du travail, des règles tarifaires, des réglementations visant la publicité. Ces « obstacles » ciblés par la Commission européenne, ce sont les dispositions arrêtées pour éviter que l’immense secteur des services devienne une jungle où se livre une concurrence débridée parce que la recherche de la rentabilité et du profit est la finalité première.

La question que l’on peut se poser, l’Europe est-elle une communauté de valeurs ou d’intérêts ?

C’est la raison pour laquelle, la Commission européenne, dont la légitimité démocratique est quasi nulle, entend remettre en cause « le pouvoir discrétionnaire des autorités locales, » (IP/02/1180 du 13 juillet 2002), c’est-à-dire des institutions élues et contrôlées démocratiquement. La directive proposée est une véritable agression lancée par un collège de technocrates au service des firmes privées contre les choix opérés par des institutions légitimes issues du suffrage universel.

« la politique commerciale est un domaine où, de par le traité, la Commission européenne dispose de compétences fortes et quasi exclusives (…) le Commissaire au Commerce reçoit donc la compétence pour l’ensemble des relations commerciales entre l’Europe et le reste du monde. » dixit Lamy Pascal

Mise en œuvre : le principe du pays d’origine (art. 16) :

Afin de supprimer les obstacles à la libre circulation des services, le projet renonce à une pratique constante dans la construction européenne, érigée en quasi principe fondateur : l’harmonisation. Pour comprendre ce changement radical, il faut garder à l’esprit l’incidence de l’arrivée de dix nouveaux Etats membres dont les législations fiscales, sociales et environnementales vont dans le sens de l’Etat minimum. Harmoniser ne répond plus à l’intérêt des firmes privées. On remplace donc, quand c’est utile, l’harmonisation par le « principe du pays d’origine. »

« le prestataire peut, pour l’exécution de sa prestation, exercer à titre temporaire, son activité dans le pays où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que ce pays impose à ses propres ressortissants. » Avec le principe du pays d’origine, la Commission européenne dispense un prestataire de services établi dans un pays de respecter les lois des autres pays de l’Union. La Commission européenne, qui se considère au dessus des lois lorsqu’il s’agit de satisfaire les firmes privées, s’autorise à modifier le traité (de l’UE) par le biais d’une directive.

4 impacts ou 4 offensives

Les conséquences de cette directive, si elle est adoptée, vont être considérables :
1. - la définition des services ouvre la voie à la privatisation et à la mise en concurrence de presque toutes les activités de services, y compris la quasi-totalité de l’enseignement, la totalité de la santé et des activités culturelles ; c’est une logique purement marchande qui va prévaloir dans toute une série de secteurs où elle n’a pas sa place ;

2. - le principe du pays d’origine permet la dérégulation et la privatisation complète de tous les services qui ne sont pas fournis directement et gratuitement par les pouvoirs publics en permettant au prestataire de s’établir dans le pays le plus libéral et d’offrir ses prestations dans toute l’Union ;

3. - le principe du pays d’origine permet la déstructuration et le démantèlement du marché du travail dans les pays où il est organisé : ainsi, une entreprise polonaise qui détachera des travailleurs polonais en France ou en Belgique, par exemple, ne sera plus tenue de demander un agrément aux autorités françaises ou belges si cet agrément a été accordé par les autorités polonaises et seule la législation polonaise s’appliquera à ces travailleurs ; en outre si cette entreprise polonaise utilise du personnel provenant, par exemple, d’Ukraine (pays qui ne fait pas partie de l’Union), seule la législation polonaise s’appliquera à ce personnel. Enfin, ce principe va permettre aux entreprises d’intérim de détacher des travailleurs intérimaires dans les autres Etats membres sans la moindre restriction, les conditions salariales étant celles du pays d’origine ;

4. - la disparition des restrictions nationales à l’établissement ouvre la voie à l’Etat minimum, celui-ci ayant perdu le droit de définir des choix fondamentaux dans l’organisation de la politique d’enseignement, de la politique de santé, de la politique culturelle et des politiques visant à permettre l’accès de tous à des services essentiels.

L’AGCS porte sur tous les services de tous les secteurs. Une exception est prévue : les services publics définis comme ceux fournis dans l’exercice du pouvoir gouvernemental, mais à condition qu’ils ne le soient ni sur base commerciale (ils doivent être gratuits), ni en concurrence avec d’autres fournisseurs. La directive sera d’application à tous les services fournis aux entreprises et aux consommateurs à l’exception des services fournis gratuitement et directement par les pouvoirs publics.

La directive et l’AGCS ont des principes communs :
- la règle de la « transparence » : l’obligation de fournir des informations sur les services,
- l’accès au marché : implique que les pays ouvrent l’accès à leur marché aux ressortissants de pays tiers et que ceux-ci obtiennent le droit de fournir des services sur leur territoire,
- le traitement national : l’Etat membre doit réserver aux fournisseurs de services étrangers le même traitement qu’à ses propres ressortissants avec cette circonstance aggravante par rapport à l’AGCS qu’il ne peut, dans le cas de la directive, imposer ses propres lois aux fournisseurs étrangers.

Ainsi, le projet de directive apparaît clairement pour ce qu’il est en fait : une transposition d’un AGCS encore plus libéral dans le droit européen.

Il y a d’ailleurs un lien direct et avoué entre ce projet de directive et les négociations de l’AGCS. Au nom de la cohérence avec les autres politiques de l’Union, le projet (page 16) indique clairement que les négociations de l’AGCS « soulignent la nécessité pour l’UE d’établir rapidement un véritable marché intérieur des services pour assurer la compétitivité des entreprises européennes et pour renforcer sa position de négociation. »

En clair, si l’Europe a totalement privatisé les services dans son espace intérieur, elle sera en position de force pour exiger, dans le cadre des négociations de la mise en ouvre de l’AGCS, la privatisation des services chez les autres. Bolkestein-Lamy, même combat !

- le 19 mai, en pleine campagne électorale pour le renouvellement du Parlement européen, la Commission soumettra le projet au Conseil des Ministres qui examine les questions de compétitivité avec l’espoir d’obtenir un accord sur les grandes lignes du projet ;

- la Commission compte sur un accueil positif du Parlement européen, ce qui sera très probablement le cas. Même si, avec cette directive, le fameux « modèle européen » est mort.

Sauf si, lors du scrutin européen, il y a un vote massif de ceux qui veulent une autre Europe en faveur des candidats qui s’engagent, sans ambiguïtés, à combattre l’Europe néo-libérale, individualiste, égoïste et marchande qu’on nous impose et à construire une Europe des citoyens, par les citoyens, pour les citoyens pour une Europe solidaire, sociale et qui respecte l’environnement.

Benoist Magnat

(discours tiré de 4 textes : Raoul Jennar, Attac et un inconnu)

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