Une tribune pour les luttes

Open Society Justice Initiative avec Fabien Jobard et René Lévy, chercheurs au Centre National de la Recherche Scientifique,le CNRS

Rapport / Police et minorités visibles : les contrôles d’identité à Paris

Contrôles policiers au faciès : la preuve scientifique

Article mis en ligne le samedi 4 juillet 2009

On peut lire le rapport sur le site :
http://www.soros.org/initiatives/os...

et regarder aussi les vidéos :
http://www.lesmotsontunsens.com/pol...

— -

Synthèse du rapport : Police et minorités visibles : les contrôles d’identité à Paris

Les citoyens français d’origine immigrée, et en particulier ceux d’origine nord-africaine
et subsaharienne, se plaignent depuis longtemps de ce que les fonctionnaires de police
les soumettent à des contrôles d’identité injustes, discriminatoires et dépourvus de
nécessité. Si ces perceptions étaient avérées, cela signifierait que les fonctionnaires de
police fondent leurs décisions sur la couleur de la peau des personnes, plutôt que sur
leur comportement.

En 2007, la Open Society Justice Initiative a lancé une étude pour examiner si, et
dans quelle mesure, les policiers contrôlent les individus en fonction de leur apparence.
Cette étude a été réalisée en collaboration avec Fabien Jobard et René Lévy, chercheurs
au Centre National de la Recherche Scientifique, et sous la supervision technique de
Lamberth Consulting.

En examinant cinq sites parisiens (dans et autour de la Gare du Nord et de la sta-
tion Châtelet-Les Halles), importants points de transit du centre de Paris où l’on observe
une forte activité policière, l’étude a recueilli des données sur les contrôles de police, au
premier rang desquelles des données sur l’apparence des personnes contrôlées (origine,
âge, sexe, style vestimentaire, types de sacs portés). Cette étude, qui présente des don-
nées uniques sur plus de 500 contrôles de police, est la seule menée à ce jour, propre à
détecter le contrôle à faciès en France.

L’étude a utilisé une méthodologie fondée sur la comparaison systématique entre
les personnes contrôlées et la population disponible sur les sites en question durant les
mêmes tranches horaires. Tant les données de référence (le benchmark) que celles sur
les contrôles ont étés classées en fonction de l’origine perçue, de l’âge, des vêtements,
et du type de sac porté. En observant les contrôles d’identité, les observateurs ont éga-
lement relevé le déroulement et l’issue des contrôles, et, lorsque c’était possible, ont
procédé à une brève entrevue avec la personne contrôlée pour savoir à quelle fréquence
elle disait faire l’expérience des contrôles de police, quel jugement elle portait sur le
comportement des policiers pendant le contrôle, quelle réaction émotionnelle le fait
d’être contrôlée entraînait chez elle.

L’étude a confirmé que les contrôles d’identité effectués par les policiers se fon-
dent principalement sur l’apparence : non pas sur ce que les gens font, mais sur ce
qu’ils sont, ou paraissent être. Les résultats montrent que les personnes perçues comme
« Noires » (d’origine subsaharienne ou antillaise) et les personnes perçues comme
«  Arabes » (originaires du Maghreb ou du Machrek) ont été contrôlées de manière dis-
proportionnée par rapport aux personnes perçues comme «  Blanches ».
Selon les sites
d’observation, les Noirs couraient entre 3,3 et 11,5 fois plus de risques que les Blancs
d’être contrôlés au regard de la part de ces deux groupes dans la population disponible
à être contrôlée par la police (ou la douane). Les Arabes ont été généralement plus de
sept fois plus susceptibles que les Blancs d’être contrôlés ; globalement, ils couraient
quant à eux entre 1,8 et 14,8 fois plus de risques que les Blancs d’être contrôlés par la
police (ou la douane) sur les sites retenus, également au regard de la composition de la
population disponible. Les entretiens de suivi réalisés avec les personnes qui venaient
d’être contrôlées donnent à penser que les Noirs comme les Arabes subissent d’ordi-
naire davantage de contrôles de police que les Blancs.

Un autre facteur déterminant a été le style de vêtements portés par les personnes
contrôlées. Bien que les personnes portant des vêtements aujourd’hui associés à diffé-
rentes « cultures jeunes » françaises (« hip-hop, » « tecktonic, » « punk » ou « gothi-
que », etc.) ne forment que 10% de la population disponible, elles constituent jusque
47% de ceux qui ont été effectivement contrôlés. Il ressort de notre étude que l’appa-
rence vestimentaire des jeunes est aussi prédictive du contrôle d’identité que l’appa-
rence raciale. L’étude montre une forte relation entre le fait d’être contrôlé par la police,
l’origine apparente de la personne contrôlée et le style de vêtements portés : deux tiers
des individus habillés « jeunes » relèvent de minorités visibles. Aussi, il est probable
que les policiers considèrent le fait d’appartenir à une minorité visible et de porter des
vêtements typiquement jeunes comme étroitement liés à une propension à commettre
des infractions ou des crimes, appelant ainsi un contrôle d’identité.

Alors qu’en règle générale, les personnes interrogées ont qualifié de « poli » et de
« neutre » le comportement des fonctionnaires qui les avaient contrôlées, et ce quelles
que soient leurs origines supposées, à la question de savoir quel effet ce contrôle avait
produit sur les intéressés, les Noirs et les Arabes interrogés ont exprimés des sentiments
fortement négatifs au regard de celles exprimées par les Blancs, contraste dont la cause
possible est la plus grande fréquence à laquelle les membres des minorités visibles
disent être contrôlés.
*
En l’absence de stratégies policières légitimes qui expliqueraient ces contrôles d’identité
autrement que par l’apparence des intéressés, les différentes forces de police pratiquent
ce que l’on appelle couramment en France le contrôle au faciès (ou, au plan européen,
«  profilage racial »). Ceci est en contradiction avec la législation nationale française
anti-discrimination et le Code de déontologie de la police.
Cela contredit aussi les nor-
mes européennes sur les droits de l’Homme, qui interdisent les distinctions fondées
sur l’apparence si elles sont dépourvues de justification objective et raisonnable. Les
éléments recueillis dans des études émanant d’Europe et des États-Unis suggèrent que
les pratiques de contrôle au faciès ne remplissent pas ce double critère, car leurs effets
négatifs l’emportent largement sur leurs avantages.

En visant certaines personnes à cause de ce qu’elles sont (ou ont l’air d’être) et non
à cause de ce qu’elles ont fait ou font, les policiers perpétuent des stéréotypes sociaux
et raciaux. L’attention accrue que la police accorde à certaines personnes peut entraîner
une augmentation des conflits avec la police, lourds de conséquences à la fois pour la
sécurité du public et pour celle des fonctionnaires eux-mêmes. Une relation police-
public insatisfaisante suscite une méfiance envers la police et ne prédispose pas les gens
à la soutenir, ce qui diminue son efficacité en matière de prévention et de détection des
crimes et des délits. Les contrôles de police ont d’ailleurs été des éléments déterminants
à l’arrière-plan d’émeutes urbaines majeures au Royaume-Uni, aux États-Unis et en
France.

Les effets négatifs du contrôle au faciès en France se sont reflétés dans une série
d’émeutes violentes qui ont ébranlé la France au cours des deux dernières décennies, les
plus récentes étant celles de 2005 et 2007. Ils se font sentir aussi dans les altercations
quotidiennes qui ont lieu entre la police et les jeunes d’origine immigrée ; et dans la
perte de confiance envers le système de la justice pénale française.

Les politiques actuellement adoptées en France, si elles ont accru la sensibilité des
organisations policières aux problèmes de déontologie et de discrimination, semblent
encore insuffisamment armées pour faire face au problème spécifique du contrôle au
faciès. Pour traiter cette forme particulière de discrimination et renouer avec l’essence
de l’idéal républicain français, il faut d’abord la reconnaître comme un problème en soi.

À cette fin, la Justice Initiative fait les recommandations suivantes.

POLICE ET MINORITÉS VISIBLES : LES CONTRÔLES D’IDENTITÉ À PARIS

À l’intention des autorités politiques :

- Reconnaître publiquement l’existence d’un problème de contrôle au faciès dans
la police française.
- Encourager et financer les recherches pour déterminer l’ampleur du problème
que constitue le profilage racial en France.
- Entreprendre un examen approfondi des normes juridiques, des politiques et des
pratiques qui sous-tendent les habitudes de contrôle au faciès.
- Modifier l’article 78.2 du Code de procédure pénale afin d’interdire explicitement
la discrimination raciale, de clarifier et de renforcer l’existence de « raisons plausi-
bles de soupçonner
 » claires et définies, comme seules justifications des contrôles
d’identité ; et afin, également, de clarifier les raisons qui amènent à la palpation
ou la fouille des intéressés.
- Maintenir et soutenir les organes de contrôle spécialisés et indépendants des for-
ces de sécurité, tels que la Commission nationale de la déontologie de la sécurité,
les doter des ressources matérielles et humaines suffisantes pour donner suite
aux requêtes dont ils sont saisis, afin de leur permettre d’identifier d’éventuelles
pratiques discriminatoires, y compris indirectes.
- Engager un travail avec les communautés locales et les associations sur les problé-
matiques de non-discrimination, pour discuter la nature du problème et élaborer
des réponses politiques susceptibles de bénéficier d’un consensus social réel.

À l’intention des autorités de police françaises :

- Enregistrer systématiquement les contrôles d’identité à l’aide d’un formulaire, y
compris l’apparence raciale de la personne contrôlée, le motif et le résultat des
contrôles, afin que leur efficacité et leur impartialité puissent être vérifiées. Une
copie du formulaire devrait être fournie à la personne contrôlée, qui pourrait ainsi
attester lors d’un autre contrôle éventuel qu’elle s’est déjà faite contrôler dans un
passé proche. Ces données devraient par ailleurs servir à constituer des statisti-
ques anonymes permettant de vérifier l’existence du profilage racial. Les informa-
tions statistiques sur les contrôles d’identité devront être analysées au regard de
populations de référence pertinentes, codées selon les mêmes variables.
- Exiger que les policiers expliquent les raisons du contrôle aux personnes concer-
nées et leur fournissent une information concernant les droits et les responsabi-
lités respectifs des policiers et des personnes contrôlées.
- Analyser de façon régulière les données issues des contrôles d’identité. Les résul-
tats de ces analyses devraient être utilisés dans le cadre des briefings et de l’en-
cadrement des agents. Ils devraient également être mobilisés à l’occasion de la
préparation des opérations ciblées, afin d’assurer que les pouvoirs de contrôle
seront utilisés de manière efficace et impartiale.
- Rendre publiques les informations statistiques concernant les contrôles d’identité
et leurs résultats et les employer comme instruments de discussion concernant
les priorités et les pratiques policières, aussi bien au niveau local que national.
Ces données devraient constituer la base d’une ouverture et d’un dialogue avec
les citoyens des différentes localités, pour discuter la nature et les motifs de toute
surreprésentation constatée, et pour rechercher des approches alternatives fon-
dées sur un diagnostic local de sécurité partagé.
- Soumettre à examen les directives opérationnelles et les procédures d’application
des normes qui réglementent le comportement de la police et s’assurer qu’elles
sont conformes aux principes de non-discrimination. Offrir une formation spé-
cifique aux fonctionnaires de police dans le domaine du «  profilage racial », en
particulier sur l’utilisation légitime ou non de l’apparence raciale des individus
dans le ciblage des contrôles d’identité.
- Évaluer et, si nécessaire, renforcer le contrôle de la manière dont les agents de
police utilisent les contrôles d’identité, en vue d’améliorer leur efficacité et leur
impartialité.
- Examiner tous les cas litigieux, afin de vérifier s’ils ne traduisent pas une hostilité
routinière dans les contrôles menés de la part de certains agents, unités ou servi-
ces de la Police Nationale, de la Gendarmerie Nationale, des Douanes et des autres
forces de sécurité. Si tel est le cas, la situation doit être corrigée via les politiques
d’emploi, de formation et de réaffectation des agents, ainsi que par l’action disci-
plinaire de l’administration, selon la gravité du problème constaté.
- Établir des procédures permettant de recueillir les appréciations des citoyens sur
la qualité des services rendus par la police afin d’identifier les bonnes et les mau-
vaises pratiques (« boîtes à idées », sondages, suivi qualitatif auprès d’associations
locales, etc.).

Retour en haut de la page

Soutenir Mille Bâbords

Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !

Thèmes liés à l'article

Répression c'est aussi ...

0 | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 | 30 | 35 | 40 | ... | 1265