Une tribune pour les luttes

RESF Montreuil

Une horrible journée ordinaire à la préfecture de Bobigny… !

Témoignage

Article mis en ligne le samedi 4 juillet 2009

3 juillet 2009

Je ne peux croire mes yeux de française qui espérait toujours que nous vivons dans un pays dit civilisé :

Lundi 29 juin 2006 je devais accompagner Bintou*une jeune maman à la préfecture pour renouveler son titre de séjour (le 9éme en 8 ans !) Elle est mariée à un français mais en instance de divorce (plus de vie commune, moins de 4 ans de mariage...) très angoissée et fatiguée par une maladie récurrente, elle m’avait demandé de l’accompagner. Pour qu’elle ne fasse pas la queue trop longtemps avec son bébé de 20 mois, j’avais demandé à Boubacar* de venir commencer la queue pour nous en attendant l’ouverture des guichets prévue à 9h.
Dès 6h. du matin, il était sur place, à sa surprise, il trouve déjà plus de 200 personnes dont les premiers étaient arrivés à 4h. du matin ! Tout ce monde attend ainsi chaque jour quelques soient les intempéries et la queue s’étire jusque devant le Trésor Public sur plus de 100m !
Nous le rejoignons vers 8h45, avec la poussette, une bouteille d’eau (il est annoncé 30° pour la journée), le biberon, quelques gâteaux, deux couches de rechange, et l’inévitable dossier plein de papiers au cas où on nous demande davantage…..
Le temps passe, dans la queue, les relations s’organisent, chacun questionne les autres pour savoir s’il a pris la bonne file (il y en a deux toutes aussi longues !) certains désespérés s’aperçoivent qu’ils s’étaient trompés, il faudra revenir ou espérer que les derniers arrivés auront un ticket !
Le soleil commence à chauffer…

Vers 9h20, deux employés de la préfecture sortent dehors et commencent à distribuer des tickets en vérifiant les demandes sommairement, là encore, des personnes quittent la queue parce qu’ils n’ont pas apporté le bon document…4 h de queue pour rien ! à refaire !
Je suis interloquée par ces pratiques, il me semble vivre dans un pays de pénurie ! Plus on approche des employés plus la tension collective monte : à quel numéro vont-ils arrêter de distribuer le sésame ? Certains essaient de resquiller par désespoir, ils se font rabrouer par les autres, le ton monte… puis s’apaise lorsque le fameux ticket est en poche !
À 10h, tous les tickets sont distribués, les derniers arrivés repartent en se jurant de revenir plus tôt le lendemain…nous avons le numéro 1192, nous rentrons enfin dans la salle ou une centaine de chaises alignées sont censées accueillir les 300 personnes avec tickets plus leurs enfants, et accompagnants ! Deux rangées de chaises sont cassées ce qui diminue encore le nombre de places assises, alors l’attente s’organise : certains repartent pour faire leurs courses, d’autres s’installent sur les petits radiateurs (éteints) qui longent le mur du couloir…d’autres restent debout…combien de temps ? Le numéro 1008 est appelé ! il y a deux guichets ouverts, une moyenne de 6 minutes par personne mais parfois bien plus….

Vers midi, il reste 120 personnes devant nous ! Nous sortons dehors pour faire courir l’enfant et prendre l’air. L’une de nous retourne régulièrement pour voir si ça avance. Assises sous un bosquet du parvis, nous étalons une dernière fois les documents et répétons les phrases qu’il faudra débiter à toute vitesse pour ne pas impatienter l’employée débordée qui nous recevra….
Vers 13h je retourne dans la salle, là, les échos d’une dispute : je m’approche, un dame est en train d’injurier les employés parce qu’il n’y a plus qu’un guichet (c’est la pause !) elle crie, la chef arrive et essaie de crier plus fort et dit que si ça continue, elle enlèvera tout le monde et fermera ! Là tout le monde s’en mêle, soit pour soutenir la femme, soit pour l’injurier davantage en disant que si cela ferme ce sera de sa faute….on entend des phrases « je suis là depuis 5h ! « « ça fait 4 fois que je viens sans avoir de ticket, alors je veux passer ! » « J’habite loin ! » « J’ai pris une journée de congé, je ne pourrai revenir ! » certains se fâchent, d’autres supplient ! La chef continue de dire : « ce n’est pas de ma faute si on manque de personnel et les employés sont fatigués d’être harcelés ! »…. Un employé qui a fini sa pause sans doute, vient ouvrir un autre guichet…le climat s’apaise, tout le monde reprend espoir….puis trois, puis quatre…ça avance un peu….

Vers trois heures, nous revenons dans la salle, quelques chaises sont libérées, il fait 31°, les toilettes (une seule cabine) sont inondées et nauséabondes, il n’y a pas d’eau parce que le distributeur de boissons payantes est dans l’autre salle (file numéro 2)
…encore 60 personnes devant nous….l’enfant a fini par s’endormir, nous commençons à fatiguer, mal au dos, envie de dormir, la conversation se raréfie…dans la salle le bruit diminue… le rythme des numéros se ralentit, en me déplaçant vers les guichets, je constate qu’il n’y a plus personne ! Est-ce la pause ? bien sur on ne nous prévient pas ! 20 minutes après, cela reprend : trois puis quatre guichets… Nous rediscutons un peu et décidons qu’on aurait peut-être dû photocopier la page du livret de famille. Il y a des photocopieurs dans le couloir des bureaux 11à 20 : l’un est en panne, mais l’autre fonctionne (20 cents la copie, soit le double du prix de la poste, pourquoi ?)

À 16h15, enfin le numéro 1192 s’affiche, nous nous présentons au guichet 7. La dame commence par aller longuement vers l’arrière (pause ou travail, comment savoir ?) Quand on pose ses documents sur le guichet, des gouttes d’eau tombent dessus, venant d’on ne sait où, « faites attention, ça mouille ! » dit seulement l’employée ! Elle délivre un dossier de dépôts et un nouveau rendez-vous pour…le 9 septembre ! «  Présentez une copie de cette convocation, si vous êtes contrôlée ! » répond-elle à la jeune femme qui s’inquiète de ne pas recevoir de carte provisoire alors qu’elle est mère d’enfant français ! Nous repartons avec ça, soulagées d’avoir été reçues : dans la pénurie on finit par se contenter de peu !

…à la porte de sortie, conflit et cris ! Des policiers interdisent l’entrée à des personnes qui crient et pour cela empêchent aussi les gens de sortir. (après 16h, il n’y a plus qu’une issue pour tout le bâtiment, les autres sont cadenassées : est-ce le respect des normes de sécurité ?). Le ton monte encore dehors et dedans. On finit par comprendre qu’un père de famille est sorti pour acheter de l’eau pour ses deux enfants restés à l’intérieur, le petit sous la garde du grand. Le père a gardé son ticket qu’il montre désespérément, mais on lui signifie qu’il ne doit plus rentrer, il crie, les enfants dedans commencent à pleurer ! Alors, la dame que j’accompagne commence à paniquer, elle a chaud (il fait plus de 30° à l’intérieur) elle est épuisée et déçue d’avoir obtenu si peu, elle se jette sur la porte en criant «  laissez moi sortir, j’étouffe ! ». La foule s’est amalgamée près de la sortie… j’essaie de la calmer et parlemente à travers la porte pour que les policiers laissent au moins sortir les gens. Ils finissent par entrouvrir et j’entraine la mère et la poussette, sans savoir comment le père a pu retrouver ses enfants et terminer sa démarche…

Une horrible journée ordinaire à la préfecture de Bobigny… et nous appelons notre pays « terre d’accueil » !

Le pire, c’est de s’habituer disent ceux du CRA de Vincennes, en grève de la faim !

Retour en haut de la page

Vos commentaires

Soutenir Mille Bâbords

Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !

Thèmes liés à l'article

Sans-papiers c'est aussi ...

0 | ... | 870 | 875 | 880 | 885 | 890 | 895 | 900 | 905 | 910 | ... | 925