Une tribune pour les luttes

Loi Carle : Nanterre paiera pour Neuilly

par Muriel Fitoussi , Eddy Khaldi

Article mis en ligne le mardi 29 septembre 2009

Le projet de loi Carle sur le financement des écoles privées a été voté hier lundi 28 septembre à l’Assemblée.


Après 9 mois de gestation dans les tuyaux de l’appareil législatif, le projet de loi Carle, qui avait été voté au Sénat le 10 décembre 2008, passera ce lundi 28 septembre 2009, devant l’Assemblée Nationale, après moult reports fleurant bon l’esquive sournoise du débat public.

Avec ce projet de loi, une nouvelle étape, cruciale, va peut-être être franchie, dans le détournement des principes qui fondent le service public laïque de l’enseignement, mené par le gouvernement. Derrière la loi Carle en effet, se cache l’introduction subreptice et inédite en France, d’un chèque éducation pour les écoles privées, sur un air néo-libéral impatient de faire rimer éducation et consommation. Une entorse dangereuse aux principes républicains, qui depuis Jules Ferry, ont consacré le lien consubstantiel entre la Commune et son Ecole publique.
Un pactole de 400 millions d’euros

Rappelons d’abord que le projet de loi Carle, n’est que la resucée, en version « light », de l’article 89 de la loi d’août 2004, relative aux « libertés et responsabilités locales », article qui mobilisa tant d’élus locaux, et réactiva la guerre scolaire jusqu’ici larvée. Cet article 89, obligeait l’ensemble des municipalités, à financer, sans accord préalable, la scolarité des élèves fréquentant une école privée hors de leur commune de résidence.

Ceci, sans que leurs parents n’aient à justifier leur «  libre choix » particulariste Ce qui représente, pour la collectivité, un petit pactole d’au moins 400 millions d’euros par an. Le projet Carle, lui fit suite, en vue d’éteindre les flammes contestatrices des élus de tous bords, vent debout contre ce diktat dangereux pour l’équilibre des budgets communaux, et générateurs d’injustice sociale.


Une loi que la Pologne l’Italie ou le Portugal pourraient nous envier

Agrémenté désormais, de timides précautions : Obligation de financement par la commune donc, pour des situations particulières, qui ne seraient justifiées qu’a posteriori par les parents. Hors de celles-ci, les communes ont toujours la faculté de financer dans tous les autres cas. Cette disposition qui s’apparente au chèque éducation prôné par les ultra-libéraux, et introduit ici par la petite porte des communes, n’en serait que définitivement entériné. Cette loi, en substituant au rapport institutionnel école-commune, né des lois Ferry, une relation marchande usager-commune, sur fond libéral, est un nouveau pas vers la privatisation de l’école laïque. Il constitue une menace prévisible pour l’existence des écoles des communes rurales et une fuite discriminatoire des écoles publiques de la banlieue vers les écoles confessionnelles du centre-ville. Nanterre paierait pour Neuilly… Une situation que pourraient par ailleurs, nous envier bien des pays bien moins laïques, à l’image de l’Italie, du Portugal ou de la Pologne, où légitimement, l’enseignement catholique n’est pas financé et donc, représente moins de 4%. Tandis qu’en France il est surfinancé, et surreprésenté à 17% de la population scolaire…

Les défenseurs de la loi Carle, introduisent pour la première fois, une corrélation entre « liberté de l’enseignement », et obligation d’un financement public et imposent aussi, pour la première fois dans une loi de l’éducation, le concept de «  parité » de traitement public-privé. Manipulation éhontée, que nul n’oserait s’hasarder à établir ailleurs que dans l’enseignement. La «  liberté d’aller et venir » est après tout, tout aussi fondamentale que la liberté de l’enseignement.

Pour autant, la puissance publique n’a d’obligation que pour les transports en commun et l’usager qui, par convenance personnelle et intérêt particulier, choisit le taxi, a la décence citoyenne de ne pas revendiquer le financement public de sa course.
Public et privé sur un pied d’égalité

On n’imagine pas plus les mêmes communes, contraintes un jour de financer des soins couteux délivrés à leurs ouailles, dans des cliniques privées qui plus est hors de leur périmètre, au détriment de leur(s) hôpital(ux) public(s) de leur territoire. A l’instar des hôpitaux publics, les écoles publiques ont des obligations afférentes à leur mission de service public : égalité de toutes et tous devant l’accueil, continuité, gratuité et laïcité. Le financement des élèves du public hors commune, sous condition et accord a priori, résulte de l’obligation constitutionnelle d’organiser le service public laïque d’éducation en tout lieu, et non d’une quelconque « liberté d’enseignement ». Le privé, lui, revendique des subsides publics au nom de sa « parité » et récuse au nom de sa « liberté » les obligations correspondantes. « Liberté » et « parité » de l’enseignement ne sont ici que des concepts politiques, qui participent, de fait, au démantèlement du service public qui seul en supporte toutes les contraintes. Notre Constitution ne reconnaît que l’égalité entre citoyens, et non une quelconque parité entre groupes, confessionnels ou non.

Il est proprement abusif, de mettre sur le même plan écoles publiques et privées. Ces dernières, sur le support de l’éducation, s’inscrivent dans des logiques commerciales, avec, pour la plupart, des finalités prosélytes. Autant de caractéristiques pour le moins antinomiques avec une mission d’intérêt général ; un travestissement délibéré de la réalité.
Le communautarisme consacré

Le concept de « parité » entre enseignement public ou privé, non content d’être contraire à la Constitution, n’a en définitive, aucun fondement juridique. Il instaure, qui plus est, un dualisme scolaire ruineux. Et le sera d’autant plus que d’autres groupes, confessionnels, linguistiques ou autres, revendiqueront les mêmes privilèges. Il est d’ores et déjà manifeste, comme on le voit dans le débat actuel sur la couverture santé menée par Barack Obama, que la concurrence public-privé engendre des surcoûts. Les dépenses de santé représentent aux Etats-Unis 16% du PIB, alors qu’au moins 20% de la population n’ont aucune protection sociale, contrairement à la France où la couverture santé pour tous les citoyens ne représente que 11% du PIB…

Jusqu’à ce jour, le dispositif législatif instituait un rapport institutionnel fort entre l’École et la Commune. La Loi Carle fait primer les choix communautaristes et particularistes sur l’intérêt général en encourageant par ce régime de faveur la scolarisation dans des écoles privées. La ghettoïsation sociale va s’aggraver. Et les communes rurales seront, elles aussi, pénalisées avec un risque inquiétant pour l’avenir, d’exode scolaire. Des classes et écoles publiques entières disparaîtront…Ce faisant, la loi Carle sacrifie sur cet autel si éloigné des valeurs républicaines, la justice sociale, la laïcité et le vivre ensemble de jeunes citoyens en devenir.

Muriel FITOUSSI et Eddy KHALDI, sont les auteurs du livre Main basse sur l’école publique (Demopolis, 2008)

Mailing http://www.main-basse-sur-ecole-publique.com/

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