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Bug Brother

18 octobre 2009 Adieu Edvige, bonjour Edwige²

Article mis en ligne le dimanche 18 octobre 2009

Avec tous les liens :

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Le ministre de l’Intérieur a décidé d’”enterrer Edvige”, et veut en finir avec la notion de “fichiers policiers“. Ce pour quoi il a donc décidé de créer deux nouveaux fichiers, et d’en signer les décrets… le jour de la Sainte Edwige.

Non à Edvige“Edvige est mort, il n’est pas question de le remplacer“, avait assuré mardi le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, en annonçant “des bases de données précises“.

De même qu’il cherche ainsi à enterrer Edvige, le ministère récuse également le terme même de “fichier“, selon lui “inexistant juridiquement“… c’est dire la connaissance qu’il a de la “loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés“, adoptée en 1978 après que le ministère de l’Intérieur d’alors ait voulu interconnecter toutes les bases de données administratives dans un seul et même fichier sobrement intitulé… SAFARI (voir Safari ou la chasse aux Français).

En l’espèce, et quoi qu’il en dise, Brice Hortefeux vient bel et bien deux fichiers dont la vocation est bien évidemment de “remplacer” Edvige.

Le premier, intitulé “Prévention des atteintes à la sécurité publique” est “ciblé sur les bandes, les hooligans et les groupuscules“, et s’intéressera aux “personnes dont l’activité individuelle ou collective indique qu’elles peuvent porter atteinte à la sécurité publique“.

Le second, dénommé “Enquêtes administratives liées à la sécurité publique“, concernera les postulants à un emploi dans la police, la gendarmerie ou des secteurs sensibles (aéroports, centrales nucléaires, etc., voir Futurs fonctionnaires, ou potentiels terroristes ?).


Un million de salariés sont ainsi concernés par ces enquêtes
visant, notamment, à vérifier qu’ils ne font pas montre de “comportements contraires aux bonnes moeurs“, mais également que leur “motivation politique, religieuse, philosophique ou syndicale” ne s’avérerait pas incompatible avec l’exercice de leurs fonctions (voir EDVIGE servira à recruter… et licencier).

Les deux fichiers “ont reçu le feu vert de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), l’aval du Conseil d’Etat, tout ce qui posait problème dans Edvige a été retiré“, a souligné l’Intérieur à l’AFP.

Voire : la CNIL avait certes été saisie, le 27 mars 2009, au sujet de ces deux projets de décret, qui avaient donc été élaborés bien avant les récents incidents de Poitiers et l’annonce faire, dans la foulée, de la création de ces deux fichiers (voir Hortefeux veut créer deux nouveaux fichiers).

Dans ses avis, publiés au Journal Officiel en même temps que les décrets, la CNIL se félicite certes de voir qu’elle a été entendue sur plusieurs points qui avaient, à l’époque du scandale Edvige, fait polémique.

Il n’est ainsi plus question de ficher les données relatives à la santé ou à la vie sexuelle des “personnalités politiques“, non plus que les “opinions“, mais les “activités publiques“, notion pour le moins floue et extensible… et que la CNIL avait réclamé, en vain, d’être “mieux définie“.

La CNIL se félicite par ailleurs que, “conformément à sa demande, les données relatives aux signes physiques des personnes, à leurs déplacements et à l’immatriculation des véhicules ne pourront être collectées“.

Le fichier n’en comportera pas moins les “informations ayant trait à l’état civil, à la nationalité et à la profession, adresses physiques, numéros de téléphone et adresses électroniques“ Nos n° de téléphone et adresses email seraient-elles moins sensibles que les n° d’immatriculation de nos véhicules ?

En outre, la CNIL déplore également que le fichier “Prévention des atteintes à la sécurité publique” sera inscrit dans la liste des fichiers sensibles (de conserve avec ceux de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, qui a succédé à la DST, et récupéré par la moitié des anciens RG), la DGSE, la DRM et la DPSD, ce qui “a pour conséquence de réduire l’information communiquée” à la CNIL, et ce qu’elle “regrette” (voir A qui profite la CNIL ? (Edvige, Cristina, la DST, les RG, et caetera).

Enfin, il n’est pas vain de comparer les informations que collectaient les Renseignements Généraux, au titre du décret de 1991, avec celles que recueilleront désormais les fonctionnaires de la Sous-direction de l’information générale, qui lui a succédé.

Les RG étaient ainsi autorisés à procéder “à la collecte, la conservation et le traitement dans les fichiers des services des renseignements généraux d’informations nominatives relatives aux personnes majeures qui font apparaître” :

- les signes physiques particuliers, objectifs et inaltérables, comme éléments de signalement des personnes qui peuvent, en raison de leur activité individuelle ou collective, porter atteinte à la sûreté de l’Etat ou à la sécurité publique, par le recours ou le soutien actif apporté à la violence ainsi que les personnes entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec celles-ci.

- les activités politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales.

Le fichier relatif aux “Enquêtes administratives liées à la sécurité publique est à la fois plus précis, et plus large :

1° Motif de l’enquête ;
2° Informations ayant trait à l’état civil, à la nationalité et à la profession, adresses physiques, numéros de téléphone et adresses électroniques ;
3° Photographies ;
4° Titres d’identité.
Est également conservé le rapport de l’enquête administrative, contenant les éléments permettant de déterminer si le comportement de la personne concernée n’est pas incompatible avec l’exercice des fonctions ou des missions envisagées, compte tenu de leur nature.

Les informations contenues dans le fichier “Prévention des atteintes à la sécurité publique” sont encore bien plus intrusives :

1° Motif de l’enregistrement ;
2° Informations ayant trait à l’état civil, à la nationalité et à la profession, adresses physiques, numéros de téléphone et adresses électroniques ;
3° Signes physiques particuliers et objectifs, photographies ;
4° Titres d’identité ;
5° Immatriculation des véhicules ;
6° Informations patrimoniales ;
7° Activités publiques, comportement et déplacements ;
8° Agissements susceptibles de recevoir une qualification pénale ;
9° Personnes entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec l’intéressé.

On notera enfin la réaction outrée de Delphine Batho, députée (PS) co-auteure du rapport d’information sur les fichiers de police qui avait révélé que le nombre de fichiers avait augmenté de 70% en trois ans, et qu’un quart n’ont aucune existence légale (voir Le quart des 58 fichiers policiers est hors la loi), et qui dénonce la “méthode choisie” par Brice Hortefeux :

Le ministère de l’Intérieur vient de décider, dans le dos du Parlement, de créer les remplaçants d’Edvige par simple décret.

La méthode choisie est une fois de plus celle d’un pouvoir qui veut passer en force sur tout, tout le temps, qui refuse le débat démocratique, écrase le parlement et sa propre majorité.

Delphine Batho déplore également le fait que les décrets font “apparaître dans Edvige 3 ‘l’origine géographique’ des personnes, comme un moyen de contourner l’interdiction de ficher l’origine ethnique, ce qui n’est pas acceptable“.

Elle a en outre jugé “insuffisantes” les garanties “concernant les personnes mineures ou le fait de ficher les activités syndicales” dans les “enquêtes administratives”.

Pour Mme Batho, Brice Hortefeux “ferait mieux de retirer tout de suite ses décrets” et “inscrire immédiatement à l’ordre du jour de l’Assemblee nationale” une proposition de loi sur les fichiers de police, “prête depuis 6 mois” (voir Comment légaliser les fichiers policiers ?)

On notera enfin que c’est probablement dans un souci d’apaisement de la population que le ministère de l’Intérieur a décidé de signer ces deux décrets ce 16 octobre 2009, soit un an jour pour jour après la Journée nationale d’action du 16 octobre 2008 contre le défunt projet Edvige.

Le ministère n’était pas sans savoir que le 16 octobre, c’est la Sainte Edwige…

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