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Délibération n° 2009-316 du 14 septembre 2009 de la HALDE

Rapport spécial /Régime spécial applicable aux gens du voyage et discriminations .

Article mis en ligne le samedi 24 octobre 2009

Fait à Paris, le 14 septembre 2009.

Dès 1969, le Conseil de l’Europe a souligné l’importance qu’il accordait
à la protection des gens du voyage, cette « minorité dépourvue de
territoire »
. La commission des droits de l’homme des Nations unies a
également relevé en août 1977 que « les gitans sont la minorité la plus
mal traitée dans divers pays d’Europe
 ».

Dix millions de Roms vivent dans les pays de l’Union européenne. En
janvier 2008, le Parlement européen a adopté une résolution relevant
qu’aujourd’hui encore ils sont la cible « d’attaques racistes, de
discours de haine, d’agressions physiques, d’expulsions illégales et de
harcèlements policiers ».
En France, les gens du voyage représentent
environ 400 000 personnes, très majoritairement de nationalité française.

Lors du premier sommet européen sur les Roms organisé le 16 septembre
2008 à Bruxelles, le Gouvernement français a souligné que la situation
des Roms, et les discriminations dont ils sont victimes dans l’éducation,
l’emploi, la santé, le logement, était une priorité de la présidence
française.

Les travaux menés par le comité consultatif de la HALDE ont souligné que
les gens du voyage sont en effet victimes de nombreuses discriminations
en France, que ce soit du fait de la réglementation spécifique dont ils
sont l’objet, ou en raison de comportements individuels.

Le collège de la haute autorité y a donné suite en adoptant le 17
décembre 2007 la délibération n° 2007-372 qui a été notifiée au Premier
ministre et aux ministres concernés. Des courriers de relance ont été
adressés en juillet et décembre 2008.

Finalement, par courrier du 2 février 2009, le ministre de l’intérieur,
de l’outre-mer et des collectivités territoriales et le ministre du
logement ont adressé une réponse commune à la HALDE.

Aucun engagement concret n’étant pris, la HALDE a de nouveau recommandé
que les réformes nécessaires soient engagées dans sa délibération n°
2009-143 du 6 avril 2009. Elle a demandé à être informée dans un délai
de trois mois des suites données, d’une part, aux conditions
discriminatoires d’accès au droit de vote des gens du voyage, et d’autre
part, au régime des titres de circulation.

Le collège a expressément précisé dans la délibération précitée,
laquelle reprend les recommandations déjà formulées en décembre 2007,
qu’en l’absence de réponse satisfaisante il rendrait sa position
publique par la voie d’un rapport spécial au Journal officiel de la
République française.


Titres de circulation

La loi du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes
et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile
ni résidence fixe règle les conditions de déplacement des personnes
itinérantes.

Pour se déplacer sur le territoire national, les gens du voyage français
doivent être munis d’un titre de circulation. Il existe plusieurs types
de titres, délivrés en fonction de la stabilité des ressources :

Le carnet de circulation doit être visé tous les trois mois par la
police ou la gendarmerie. La circulation sans carnet est punie d’une
peine de prison allant de trois mois à un an ;

Le livret de circulation doit être visé tous les ans. L’absence de
livret est une contravention de 5e classe punie par une amende de 1 500
€.

Ce dispositif justifie des contrôles permanents puisque le fait de ne
pas détenir de document de circulation, de ne pas l’avoir fait viser,
comme le fait de ne pas être en capacité de le présenter à toute
réquisition, est en soi une infraction pénale.

Ce dispositif instaure une différence de traitement au détriment de
certains citoyens français en violation de l’article 14 de la Convention
européenne des droits de l’homme (CEDH), qui interdit toute
discrimination dans la jouissance du droit de chacun à circuler
librement, lequel est garanti en ces termes par l’article 2 du protocole
n° 4 : « quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un Etat a
le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence ».

La réglementation applicable aux carnets de circulation apparaît comme
mettant en œuvre des moyens disproportionnés de contrôle, que ce soit au
regard de leur fréquence ou de la gravité des peines encourues.

Dans sa réponse du 2 février 2009, le Gouvernement indique que « les
documents de circulation seront maintenus, mais ce maintien est assorti
d’un réexamen des conditions dans lesquelles ces documents sont visés
 ».

Aucune précision de délai n’a été donnée à la HALDE quant au réexamen
des modalités de contrôle des documents de circulation.

A nouveau, la HALDE recommande que les conditions de délivrance, de
suivi et de contrôle du carnet de circulation soient redéfinies afin
d’éliminer l’obligation de le faire viser tous les trois mois, de
limiter les contrôles et que les peines encourues pour défaut de carnet
ne soient plus des peines de prison mais uniquement des amendes
contraventionnelles.

Accès au droit de vote

Les gens du voyage vivant en France sont très majoritairement de
nationalité française. En tant que citoyens, il est inconcevable de les
priver, du seul fait de leurs origines ou de leur mode de vie, d’un
droit aussi important que le droit de vote, lequel constitue l’un des
fondements essentiels d’une société démocratique.

Pourtant, l’article 10 de la loi du 3 janvier 1969 qui définit les
conditions d’inscription des gens du voyage sur les listes électorales
prévoit qu’elle n’est possible qu’après trois ans de rattachement
ininterrompu à la même commune.

Il ne s’agit pas de contester la nécessité pour les gens du voyage
d’être rattachés à une commune pendant un délai minimum pour pouvoir y
exercer leur droit de vote, cette exigence trouvant sa justification
dans la nécessité de garantir la bonne tenue des listes électorales et
le déroulement normal des élections.

La HALDE observe que, conformément à l’article L. 15-1 du code électoral,
les personnes dites « sans domicile fixe » sont inscrites sur la liste
électorale de la commune de l’organisme d’accueil où ils sont
administrativement domiciliés depuis six mois seulement.

Dans la mesure où il n’est ni établi, ni même allégué, que les
contraintes liées à la bonne tenue des listes électorales soient de
nature différente pour les personnes sans domicile fixe et les gens du
voyage, aucun motif valable ne justifie l’application d’un régime
beaucoup plus contraignant pour ces derniers.

En conséquence, le traitement réservé par la loi à cette catégorie de
citoyens français, identifiés par leur appartenance à la communauté des
gens du voyage, entrave directement et de manière excessive leur accès
au droit de vote. Il caractérise une violation des articles 3 de la
Constitution de la Ve République et 6 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen, lequel dispose : « la loi est l’expression de la
volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir
personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation.
 »

Ce dispositif est également contraire aux engagements internationaux de
la France énoncés par la Convention européenne des droits de l’homme,
dans ses articles 14 (non-discrimination) et 3 de son premier protocole
additionnel (droit à des élections libres), comme par le pacte
international relatif aux droits civils et politiques qui garantit à « 
tout citoyen le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations
visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables [...] de voter
et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage
universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de
la volonté des électeurs
 » (article 25).

Cette discrimination directe à l’encontre des gens du voyage dans
l’accès à l’un des droits les plus élémentaires du citoyen ne repose sur
aucune justification objective, ce dispositif doit être réformé.

En février 2009, dans sa réponse adressée à la HALDE, le Gouvernement
reconnaissait que la loi de 1969 était défavorable pour les gens du
voyage, et ajoutait qu’« une réflexion peut être engagée sur
l’harmonisation des différents dispositifs
 ».

La HALDE constate l’absence de délai fixé pour l’aboutissement de cette
réflexion et l’absence d’engagement de mettre un terme à la
discrimination que sa délibération du 17 décembre 2007 mettait en
lumière.

La HALDE recommande de réformer l’article 10 de la loi de 1969 afin de
garantir un accès non discriminatoire des gens du voyage au droit de
vote.

Le président,
L. Schweitzer

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Vos commentaires

  • Le 9 novembre 2009 à 04:16, par Chukri En réponse à : Rapport spécial /Régime spécial applicable aux gens du voyage et discriminations .

    Etant par ma famille maternelle d’origine manouche, je sais quel est le quotidien des "voyageurs" (nom que donne ma grand-mère manùs) : mon bisaïeul mettait ses plus beaux vêtements pour se rendre au commissariat afin de faire signer les carnets de toute la "Kumpania" (= tribu). Je signale qu’il a connu à de nombreuses reprises la prison tout simplement parce qu’ll ne s’était pas rendu à temps à la police. Depuis 1912, la loi française oblige des citoyens français à se comporter comme des "sous-citoyens" sous le prétexte invoqué à l’époque que les Rroms pouvaient être des espions au service de l’Allemagne (il est vrai que la guerre était proche). je rappelle que cette loi a été votée à l’unanimité par le parlement français et cela m’attriste puisque même la gauche le fit ... Nombre de membres de ma famille sont encore victimes de cette loi et sont traités comme des apatrides dans un pays qui reconnaît depuis 1789 la liberté, l’égalité et la fraternité !!! Je demande que les gens du voyage soient considérés comme des citoyens à part entière dans une Europe pluri-ethnique.

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