Une tribune pour les luttes

ACRIMED (Observatoire des médias)

Grippe A : un expert mis en cause ? France Inter prévient la contagion de l’information

par Olivier Poche

Article mis en ligne le mardi 10 novembre 2009

http://www.acrimed.org/article3251.html

Après la mise en cause du professeur Bruno Lina, accusé de conflits
d’intérêts par Le Parisien, France Inter – radio sur laquelle il est
régulièrement consulté au sujet de la grippe A – se mobilise pour laver
l’expert de tout soupçon. Quitte à oublier, dans la précipitation, de
faire état de l’enquête du Parisien, ou même de rendre intelligibles les
pièces du dossier.

Jeudi 29 octobre 2009, la Une du Parisien annonce une enquête intitulée « 
Grippe A – Les vrais pouvoirs des labos ». En pages intérieures, un des
articles, «  Les multiples casquettes du professeur Lina », se penche sur
le cas de ce professeur de médecine, « expert auprès du ministère de la
Santé pour le risque pandémique
 » [1], et (entre autres) président du
comité scientifique du GEIG, Groupe d’Expertise et d’Information sur la
Grippe. Or le GEIG, révèle Le Parisien, loin d’être une association
indépendante, «  est en effet financé à 100 % par cinq laboratoires
pharmaceutiques qui produisent des vaccins contre la grippe
 ». Et le
quotidien francilien de conclure : « le risque de conflit d’intérêts est
manifeste lorsque le professeur Lina s’exprime publiquement sur la
vaccination contre la grippe saisonnière ou la grippe A.
 »

Porte-parole du midi

Le même jour, dans Intertreize, le journal de la mi-journée de France
Inter, Clotilde Dumetz considère, mais sans dire pourquoi, qu’une
question à ce sujet «  vaut peut-être d’être posée ». Elle la pose donc à
Hélène Cardin, spécialiste des questions de santé à France Inter :

- Clotilde Dumetz : « En ces temps d’épidémie grippale, la question vaut
peut-être d’être posée : y a-t-il un lobby de la vaccination anti-grippe
A, et surtout ce lobby a-t-il à sa tête le conseiller « grippe A » de
Roselyne Bachelot ? Hélène Cardin ?
 »

En tant que journaliste « santé », Hélène Cardin est l’interlocutrice
privilégiée de Mr Bruno Lina. Est-ce pour cela qu’elle se croit tenue de
prendre sa défense avant même d’expliquer pourquoi, à tort ou à raison,
il est mis en cause ? En tout cas, son entrée en matière donne le ton :

- Hélène Cardin : « Y a-t-il un lobby de la vaccination anti-grippe A ?
Je l’ignore. En revanche, il est aisé de constater que les lobbys anti-
vaccination sont très nombreux, que leurs arguments sont rarement
scientifiques . »

Faut-il comprendre qu’il n’existe aucun lobby parmi les partisans de la
vaccination et que leurs arguments sont toujours strictement
scientifiques ? [2]. Peu importe : l’essentiel est de protéger le
professeur Lina, sans rien dire des informations fournies par Le
Parisien :

- Hélène Cardin : «  Pour répondre aux accusations qui tentent de le
déstabiliser , le professeur Bruno Lina, que nous avons reçu à plusieurs
reprises à France Inter, tient à rappeler d’emblée qu’il est d’abord
médecin et qu’il n’a pas choisi ce métier pour voir des enfants ou des
adultes mourir de la grippe …
 »

Ainsi et de son propre aveu, c’est en qualité de porte-parole du grand
professeur qu’Hélène Cardin intervient, qualité qu’elle conservera
jusqu’à la fin de sa longue plaidoirie au discours indirect : « Il
rappelle également qu’il a été choisi par ses pairs pour diriger le GEIG,
le Groupe d’Expertise et d’Information sur la Grippe, qu’il est à ce
titre organisateur de congrès au cours desquels sont diffusées les
informations scientifiques. Des congrès financés le plus souvent par des
industriels. Il dit jouer le rôle de courroie de transmission, mais
n’entre jamais dans les procédés décisionnels. Ses conflits d’intérêts,
ses collaborations avec les laboratoires sont publics et nul ne les
ignore au ministère. Au ministère où l’on rappelle que le professeur Lina
a été choisi en toute connaissance de cause parce qu’il est l’un des
meilleurs experts.
 »

« Ses conflits d’intérêts sont publics » ? Certes, mais seulement depuis
quelques heures et la parution de l’enquête du Parisien, que le
professeur s’est alors empressé de confirmer – mais sans laquelle il est
probable que les auditeurs auraient continué à « ignorer » ses « 
collaborations avec les laboratoires » [3]. De cette enquête, les
auditeurs ne sauront rien. Ils sauront en revanche que M. Lina a de
nombreux arguments, et qu’il peut compter sur Mme Cardin pour les faire
valoir.

Avocat du soir

Quelques heures plus tard, Alain Le Gouguec revient sur le sujet : c’est
le premier titre développé dans le journal de 18 heures :

- Alain Le Gouguec : « Le vaccin de la grippe A fait des heureux : les
vaccinés qui échappent ainsi au virus, et les labos qui le fabriquent car
vendre des millions de doses cela peut rapporter gros. Mais ce vaccin a
aussi des effets secondaires je dirais des effets polémiques. Ce matin,
nos confrères du journal Le Parisien ont mis le sujet à la Une. Le Comité
qui conseille le Ministère de la Santé, le Comité qui encourage la
vaccination de masse serait tout bonnement financé à 100% par les labos
pharmaceutiques, alors jusqu’où va le pouvoir des labos ? C’est le coup
de fil du 18h d’Inter.
 »

Incontestablement, le soir l’information est plus complète [4]. La
question, reprise de l’enquête du Parisien, est prise à bras-le-corps : « 
jusqu’où va le pouvoir des labos ? » ; et pour y répondre, rien de moins
que « le coup de fil d’Inter ». Reste à savoir qui on appelle…

- Alain Le Gouguec : « Bruno Lina, bonjour … Vous êtes professeur de
médecine au CHU de Lyon et aussi président du GEIG, le Groupe d’expertise
et d’information sur la grippe, le comité de lutte contre la grippe A… on
vous reproche cette double casquette, et par là même d’être finalement au
cœur d’un conflit d’intérêts.
 »

On l’aura compris, le coup de fil d’Inter n’aura pas pour but de répondre
à la question posée, mais consistera à fournir une tribune de cinq bonnes
minutes (sur un journal d’un quart d’heure…) à l’expert-maison
injustement attaqué, et qui peut se rendre justice en personne, quelques
heures après avoir dépêché sa porte-parole.

Après quelques questions sur le « conflit d’intérêts », Alain Le Gouguec
élargit la problématique :

- Alain Le Gouguec : « Mais finalement, professeur Lina, vous ne pensez
pas que le GEIG soit financé par les labos et que la campagne en faveur
de la vaccination contre la grippe A connaissent quelques ratés, le
public français n’est pas très chaud pour se faire vacciner, vous ne
pensez pas que cela va ajouter encore plus au trouble des esprits, dans
l’opinion publique ?
 »
[…]
- Alain Le Gouguec : « Vous ne donnez que des avis, on a compris. (…)
Professeur, merci d’avoir commenté l’actualité en direct sur France
Inter.
 »

Oui, «  on a compris »… On a compris que « finalement », le seul problème
posé par les liens éventuels entre médecins, laboratoires et pouvoirs
publics serait de troubler les esprits et d’entraver la bonne marche de
la campagne de vaccination. Voilà de l’actualité bien « commentée ».
***

Une heure plus tard, dans «  Intersoir », dernier journal de quelque
importance de la soirée, plus un mot sur la «  polémique ». Sans doute ni
Bruno Lina ni son avocate n’avaient pu se libérer.

Notes

[1] C’est la qualification qu’il revendique, selon Le Parisien, « sur la jaquette de son récent livre où il promet La Vérité sur la grippe A ».

[2] Pour mémoire, on rappellera cette information « scientifique » d’Hélène Cardin, qui dès le 28 août 2009, affirmait : « les réfractaires choisiront ou non, comme je vous le disais, de se faire vacciner. Les effets secondaires du vaccin, en principe, il n’y en aura pas , je dis bien en principe, car nous savons que toute injection, comme toute intervention chirurgicale comporte quelques risques infimes, aussi infimes soient-ils bien sûr ». Bien sûr.

[3] Rappelons que depuis 2007, l’article L4113-13 du Code de la santé publique fait obligation à tout professionnel de santé s’exprimant publiquement (à la radio, la télévision, ou dans la presse écrite) de faire état de ses éventuels conflits d’intérêt.

[4] Même si la présentation qui est faite des informations du Parisien confond visiblement « GEIG » et « Comité de lutte contre la grippe » et est à ce titre inexacte.

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