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Nouveaux pays d’origine « sûrs » : quand des logiques politiques et migratoires prennent le pas sur la protection des réfugiés

Article mis en ligne le samedi 14 novembre 2009

Paris, le 13 novembre 2009 - Amnesty International France (AIF) est scandalisée par la décision que vient de prendre le conseil d’administration de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) d’ajouter sur la liste des pays d’origine dits « sûrs » la Turquie, la Serbie et l’Arménie.

Le ministre de l’Immigration, Monsieur Eric Besson, ne cesse de répéter que la France est le pays le plus généreux en matière d’asile. Or, à travers cette décision prise en quelques heures et sans aucun examen sérieux de la situation des droits humains dans ces pays, la France assume le risque de renvoyer un grand nombre de personnes qui pourraient être reconnues réfugiés.

AIF s’interroge sur les motivations réelles qui ont pu conduire la France à choisir ces pays dans lesquels elle considère que « des persécutions ne sauraient y être perpétrées, y être autorisées ou y demeurer impunies »1.

Pourtant, la Turquie a été l’Etat le plus condamné par la Cour européenne des droits de l’homme pendant la dernière décennie pour des violations graves des droits humains, notamment le droit à la vie, le droit à ne pas être soumis à la torture et le droit à ne pas être détenu arbitrairement.

De plus, l’ajout de cet Etat sur cette liste fait suite à une sollicitation des autorités turques auprès des autorités françaises. Cette intrusion d’enjeux de nature politique dans le processus de détermination du statut de réfugié est incompatible avec la logique qui préside à la protection internationale de ces personnes.

AIF rappelle son opposition à la notion de pays d’origine « sûr » qui est contraire au principe de non discrimination en raison du pays d’origine et qui permet de tirer d’une situation générale, prévalant dans un Etat, des conséquences qui s’imposent pour des situations individuelles.

La qualification de pays d’origine « sûr » soumet les demandeurs d’asile à une procédure accélérée qui les prive de l’accès à des conditions d’accueil décentes et, surtout, du droit de ne pas être renvoyés dans leur pays avant l’examen de leur recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).
Cette question est très importante car, en 2008, la CNDA a accordé une protection aux demandeurs d’asile beaucoup plus fréquemment que l’OFPRA : 524 fois contre 180 pour la Turquie, 456 contre 79 pour l’Arménie et 330 contre 94 pour la Serbie.

1 Exposé des motifs du projet de loi portant réforme du droit d’asile, D. de Villepin, ministre des Affaires étrangères, 5 juin 2003.


Pour mémoire, la directive CE du 1er décembre 2005 prévoit très précisemment, dans son annexe 2, les critères qui permettent de considérer un pays d’origine comme sûr :

"Un pays est considéré comme un pays d’origine sûr lorsque, sur la base de la situation légale, de l’application du droit
dans le cadre d’un régime démocratique et des circonstances politiques générales, il peut être démontré que, d’une manière
générale et uniformément, il n’y est jamais recouru à la persécution telle que définie à l’article 9 de la directive
2004/83/CE, ni à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants et qu’il n’y a pas de menace en
raison de violences indiscriminées dans des situations de conflit armé international ou interne.

Pour réaliser cette évaluation, il est tenu compte, entre autres, de la mesure dans laquelle le pays offre une protection
contre la persécution et les mauvais traitements, grâce aux éléments suivants :

a) les dispositions législatives et réglementaires adoptées en la matière et la manière dont elles sont appliquées ;

b) la manière dont sont respectés les droits et libertés définis dans la convention européenne de sauvegarde des droits de l’
homme et des libertés fondamentales et/ou dans le pacte international relatif aux droits civils et politiques et/ou la
convention contre la torture, en particulier les droits pour lesquels aucune dérogation ne peut être autorisée conformément
à l’article 15, paragraphe 2, de ladite convention européenne ;

c) la manière dont est respecté le principe de non-refoulement au sens de la convention de Genève ;

d) le fait qu’il dispose d’un système de sanctions efficaces contre les violations de ces droits et libertés".

Bien évidement l’Arménie (1894 dossiers) et la Turquie (2732 dossiers) représentent deux des demandes les plus fortes devant l’OFPRA.

S’agissant de la Turquie, des délégués de la Grande assemblée avaient récemment regretté que leur pays ne soit pas considéré comme un pays d’origine sûr par la France.

Il est évident que les critères qui président à l’entrée de ces paysdans la liste française sont bien loin de ceux ceux prévus par la directive.


Communiqué de Forum réfugiés

Le CA de l’OFPRA alourdit la liste des Pays d’origine sûrs avec une méthode très contestable publié le 13 Novembre 2009

Le conseil d’administration (CA) de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a examiné ce jour la liste existante des Pays d’origine sûrs (POS) et la proposition d’ajout de sept nouveaux pays : l’Albanie, le Kosovo, la Serbie, la Turquie, l’Arménie, les Comores et le Sri Lanka. Au final, la Géorgie a été retirée de la liste, la Turquie, l’Arménie et la Serbie ont été ajoutées.

Forum réfugiés désapprouve la méthode, et soutient Olivier Brachet, son administrateur, qui a quitté la séance pour ne pas cautionner ces décisions.

Forum réfugiés réclamait de longue date la tenue d’une séance du CA consacrée à la révision de la liste des POS. Dans cette perspective, l’association avait versé, comme contribution aux débats, différents documents recommandant de maintenir une liste courte, la mise en place d’un mécanisme d’évaluation annuelle et de retrait en urgence, le retrait de certains pays de la liste actuelle, la définition de critère d’appréciation précis, et surtout l’examen de la liste pays par pays et en deux temps (une première séance consacrée aux débats ; une seconde au vote).

Aucune de ces préconisations ne semble avoir été prise en considération aujourd’hui. Il est regrettable que les décisions prises le 13 novembre l’aient été sans étude préalable. Il est anormal que les documents d’analyse n’aient été transmis aux administrateurs que 72h avant la séance, et plus encore que l’administrateur de Forum réfugiés ne les ait pas reçus. Des décisions d’une si grande importance pour les demandeurs d’asile ne peuvent être prises avec une telle légèreté.

Par ailleurs, Forum réfugiés déplore que le contrôle des flux significatifs de demandeurs d’asile et les considérations diplomatiques l’emportent sur l’étude des situations dans les pays d’origine qui devrait, seule, prévaloir.

Forum réfugiés, qui a déjà obtenu du conseil d’Etat l’annulation partielle de la liste et le retrait en 2008 de l’Albanie et du Niger, portera cette nouvelle décision au contentieux.

Jean-François Ploquin, directeur général 06 84 33 91 46

Julien Poncet, directeur adjoint chargé des relations extérieures 06 21 77 27 59

Note aux rédacteurs/compléments d’information

Le conseil d’administration de l’OFPRA est compétent pour adopter « au vu de [la] situation effective » y prévalant, la liste des pays d’origine sûr (POS), qui pour être considérés comme tels doivent « veiller au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l’Etat de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (article L.741-4, 2° CESEDA et Décision n°2003-485 DC du 4 décembre 2003, §32).

La première liste adoptée en 2005 classait comme POS les pays suivants : Bénin, Bosnie-Herzégovine, Cap-Vert, Croatie, Géorgie, Ghana, Inde, Mali, Mongolie, Maurice, Sénégal et Ukraine. La seconde liste adoptée en 2006 ajoutait l’Albanie, la Macédoine, Madagascar, le Niger et la Tanzanie. Ces deux listes ont été contestées devant le conseil d’Etat. Seuls l’Albanie et le Niger ont été retirés de la liste eu égard notamment à l’instabilité du contexte politique et social propre à chacun de ces pays » (Décision CE, 13 février 2008, n°295443, Association Forum réfugiés c. OFPRA).

La décision d’inscrire un pays sur la liste des POS a des conséquences immédiates pour les demandeurs d’asile originaires de ces pays : placement quasi systématique en procédure prioritaire et non admission provisoire au séjour ; instruction à l’OFPRA en 15 jours seulement (contre 90 jours en moyenne) ; recours à la CNDA non suspensif d’une reconduite à la frontière ; privation en droit ou dans les faits d’accès à l’hébergement en centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), à l’allocation temporaire d’attente (ATA) à la couverture maladie universelle (CMU).

S’agissant de la Turquie, des délégués de la commission des droits de l’homme de la Grande assemblée ont fait part, lors d’un entretien au Sénat français, de leurs regrets que leur pays ne compte pas parmi les pays dits sûrs. Lors d’une question orale, publiée au JO du Sénat le 17/09/2009, une sénatrice a relayé cette question au ministère de l’Immigration, lequel a fait savoir que l’éventualité d’une inscription de la Turquie sur la liste sera examinée dans le cadre de la révision de la liste des POS.

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