Une tribune pour les luttes

MAYOTTE

Naufrage d’un kwasa d’expulsés : les “sincères”condoléances du Quai d’Orsay

A Mayotte, nouvelles victimes de la guerre menée par la France aux « non-Mahorais »

Article mis en ligne le mardi 1er décembre 2009

http://www.gisti.org/spip.php?article1764

Mardi 24 novembre, un pécheur repérait onze rescapés après le naufrage, plus de 36 heures avant, d’un « kwassa », petite embarcation utilisée pour transporter les migrants d’Anjouan vers Mayotte. A bout de force, vingt-et-un auraient coulé. Les survivants décrivent la noyade d’au moins cinq enfants dont un nourrisson de 4 mois [1].

Nos associations ont retracé quelques itinéraires de vie des passagers. Ont notamment été relevés :

* parmi les décédés, une femme vivant depuis 19 ans sur le territoire français, mère de six enfants dont l’ainée a 18 ans, tous nés et scolarisés à Mayotte. Cette femme avait fait l’objet d’une reconduite à la frontière il y a trois semaines en dépit d’une situation familiale relevant d’un titre de séjour régulier.

* parmi les survivants, le père d’un enfant de 10 ans gravement malade. Cet enfant, régulièrement suivi par le Centre hospitalier de Mayotte, est en voie d’évacuation sanitaire à la Réunion. La demande de renouvellement de titre de séjour du père était en cours depuis février 2009. Malgré cela, il a été reconduit au mois de septembre dernier sans avoir pu contester le bien fondé de cette mesure.

Il s’agit de deux exemples parmi bien d’autres de cas rangés dans la catégorie de l’«  immigration clandestine » fustigée par les rapports officiels en méconnaissance totale des réalités de l’archipel des Comores et des attaches multiples qui relient à Mayotte ces « non Mahorais » [2]. C’est contre eux que la France livre une guerre sans merci.

Dans son communiqué du 26 novembre, le ministre de l’Immigration en décrit le dispositif : un système de visa biométrique, une brigade mobile de recherche de la police aux frontières chargée spécifiquement de la lutte contre les filières en provenance des Comores, trois radars bientôt quatre sur les côtes de Mayotte, des vedettes de la police aux frontières, de la gendarmerie, et de la douane qui patrouillent en permanence dans la zone ; depuis le début de l’année, 258 embarcations interceptées, 17 555 étrangers en situation irrégulière reconduits aux Comores. Ces moyens exceptionnels sont d’autant plus efficaces qu’une législation dérogatoire prive les personnes interpellées de tout recours effectif [3]. Il s’agit bien d’un déploiement sécuritaire exceptionnel afin d’isoler une île de moins de 200 000 habitants de l’archipel dans lequel elle est insérée [4].

Partout dans le monde se dressent, sous des formes diverses, des murs contre les migrants. Aucun de ces murs n’empêche les migrations. Tous sont causes de morts et d’enrichissement de passeurs peu scrupuleux. Partout, ces guerres contre les migrants cherchent leur légitimation dans une indignation supposée vertueuse contre les filières clandestines, qui inciteraient les gens à prendre la mer contre des prix très élevés et leur feraient ainsi courir des risques insensés.

Mais nulle part autant qu’à Mayotte, la folie et la violence d’une politique sécuritaire coupant une petite île de son milieu à la fois naturel et historique doivent être dénoncées. Et, à Mayotte autant qu’ailleurs, la « grande émotion devant ce nouveau drame » issu de la politique gouvernementale relève d’un cynisme glacial.

Mamoudzou, Paris - 2 décembre 2009

Signataires :

* A Mayotte
o Collectif Migrants Mayotte : CCCP (coordination pour la concorde, la convivialité et la paix), Cimade (groupe de Mayotte), Médecins du Monde (mission de Mayotte), Resfim (réseau éducation sans frontières, île de Mayotte), Solidarité Mayotte
o Secours Catholique (délégation Mayotte), LDH (section Mayotte)


* Cimade, Gisti, LDH, Mrap, Secours catholique

Notes

[1] Voir les récits et témoignages en provenance de Mayotte

[2] Voir « la réalité de ce que dissimule le terme d’immigration clandestine à Mayotte - Contre-rapport de Migrants-Mayotte en écho au rapport Torre de la commission des finances du sénat » (septembre 2008)

[3] Voir Urgences pour Mayotte : fermeture du centre de rétention et accès à un recours effectif contre une mesure d’éloignement, six saisines interassociatives du 9 février 2009

[4] Voir Urgences pour Mayotte : fermeture du centre de rétention et accès à un recours effectif contre une mesure d’éloignement, six saisines interassociatives du 9 février 2009


http://www.cimade.org/temoignages/1...

Naufrage au large de Mayotte : un drame absurde

Jeudi 27 novembre 2009, un médecin de l’hôpital de Mayotte nous informe que 11 rescapés d’un naufrage de Kwasa-kwasa sont hospitalisés. Beaucoup d’entre eux sont dans un état grave. Parmi eux, deux mineurs dont une jeune fille de 13 ans qui aurait, d’après les premières sources, perdu ses parents.

Après avoir eu l’autorisation des médecins, nous décidons de rencontrer la petite. Mais en arrivant auprès d’elle, nous constatons qu’elle n’est pas seule : deux tantes maternelles sont à son chevet. L’une d’elles a une carte de résident, l’autre est en cours de régularisation car ses 6 enfants et son mari sont français. Les deux femmes nous racontent alors les circonstances qui ont abouti au décès de leur sœur aînée, Mme Zahara.

Arrêtée le 18 novembre chez elle, elle a été renvoyée à Anjouan, aux Comores le 19. Son beau-frère a bien tenté de contester sa reconduite en se rendant au centre de rétention pour témoigner de la longue présence de Mme Zahara, mère de 6 enfants, nés et scolarisés à Mayotte. On lui rétorque qu’elle est libre de partir avec ses enfants. Pourtant, Mme Zahara habite depuis 19 ans à Mayotte, elle y a vécu de longues années, enfant, jusqu’au décès de son propre père, inhumé dans l’île. Pourtant, sa fille aînée a 18 ans et est de fait française. Pourtant, son mari vit à Mayotte depuis 40 ans. Arrivé chez son oncle à 5 ans, il n’a jamais eu de passeport et vit donc sa vie sans papiers, sans pourtant être dans la clandestinité. Rien n’y fait, Mme Zahara est reconduite en moins de 24 heures.

Une fois à Anjouan, Mme Zahara décide de repartir presque immédiatement à Mayotte. Or une de leurs filles, née en 1996 à Mayotte, avait été confiée à la grand-mère à Anjouan, qui se sentait trop seule. Celle ci devenue trop vieille pour s’en occuper, Mme Zahara décide de ramener sa fille avec elle à Mayotte. Elle est l’une des 11 rescapés ayant survécu 2 jours en mer après le naufrage de leur embarcation.

Parmi les disparus, deux femmes avaient été reconduites il y a trois semaines, enceintes, leurs enfants habitent Mayotte.

Ce drame absurde illustre parfaitement les dégâts de la politique du chiffre, l’absence d’accès aux droits pour les « étrangers », laissés dans le plus grand dénuement voire même le désespoir.


Mardi 1er décembre 2009

Le naufrage d’un kwasakwasa au large de l’île de Mayotte a, encore une fois, endeuillé le pays. C’est un pécheur de Bandrele (Anjouan) qui a repéré les naufragés accrochés à un élément de la barque mercredi 25 novembre. Il a immédiatement alerté les autorités qui n’ont pas lésiné sur les moyens pour retrouver les survivants, puisque même un falcon de l’armée française a été affecté aux opérations de sauvetage.

Selon les premiers témoignages, le kwasa-kwasa embarquait à son bord trente deux personnes parties d’Anjouan, lundi. La petite barque s’est cassée en deux, dès lundi, par les fortes vagues qui sévissaient dans la région. Les onze rescapés qui ont été repêchés, dont deux adolescents et une femme enceinte, et qui se trouvent actuellement à l’hôpital de Mamudzu, sont donc restés deux jours en mer, accrochés à un morceau de la barque. Avant d’être retrouvés, ils ont assisté à la mort de leurs vingt et un compagnons d’infortune. Une femme, qui a encore les seins tuméfiés, a dû laisser couler son bébé de quatre mois parce qu’elle n’arrivait plus à le tenir. Un survivant raconte aussi qu’il a dû lâcher un adolescent dont les parents avaient déjà coulés car après vingt quatre heures, il n’en pouvait plus. Une adolescente de 13 ans a vu sa mère, qu’elle n’avait pas vu depuis longtemps, se noyer. Les témoignages sont particulièrement intenables…

L’Etat français a réagi par deux communiqués, l’un du ministre de l’Immigration, Eric Besson et l’autre du Quai d’Orsay. Le ministre de l’Intérieur “exprime son émotion” et le Quai d’Orsay “présente ses plus sincères condoléances” au nom de la France.

Tandis que le ministère français des Affaires étrangères fait des appels du pied au gouvernement comorien pour relancer le fameux Gthn, Eric Besson affirme “son indignation face aux filières clandestines”, qui font prendre la mer à ces personnes en leur promettant un eldorado, et en leur faisant payer un prix très élevé et courir des risques insensés”. Mais les associatifs sur l’île de Mayotte n’ont pas la même vision des choses. En effet, beaucoup des personnes mortes vivaient à Mayotte et ont été “reconduites à la frontière”, selon les termes des autorités française, avant même qu’on ait examiné leurs droits. C’est le cas d’une dame qui est à Mayotte depuis son enfance, avec plusieurs enfants nés à Mayotte, qui a été “expulsée” il y a une semaine et qui voulait revenir dans l’île avec une de ses filles née à Mayotte mais qui était à Anjouan près de sa grand-mère. Cette jeune fille de 13 ans est aujourd’hui orpheline de mère.

Flore Adrien, présidente de la Cimade à Mayotte, jointe par Al- Watwan affirme que “beaucoup de gens, comme cette dame, ne devraient pas être reconduits à la frontière mais que la politique du chiffre conduit à des situations aberrantes”. Le chiffre à n’ importe quel prix Elle ajoute : “Quand on a toute sa famille à Mayotte, on fait tout pour revenir, même en prenant un kwasa”. Même son de cloche du côté de Médecins du Monde, où la responsable, Marie-Pierre Auger déclarait à nos confrères de Rfi : “C’était des gens pour la plupart qui font des aller et retour, qui ont leur vie à Mayotte et qu’on renvoie. Voilà, donc si on arrête un peu d’expulser les gens sans leur laisser le temps de faire valoir leur droit, peut-être ces drames là, il y en aura moins”.

Le ministre de l’Immigration poursuit pourtant son communiqué en indiquant que ses services ont déjà comptabilisé 17555 reconduites vers les autres îles de l’Union des Comores depuis janvier 2009, un record par rapport à l’année dernière (16040). Il oublie juste d’indiquer que la plupart du temps, ce sont les mêmes personnes qu’on recompte d’une semaine à l’autre et il omet d’indiquer également le chiffre de ceux qui finissent leur vie sur les côtes maoraises. Depuis mercredi, jour de la découverte des rescapés, il n’y a eu aucune déclaration du gouvernement comorien. Vendredi dernier lors de son discours à l’occasion de l’eïd, le président Sambi a indiqué que “la question de l’île comorienne de Mayotte a été inscrite à l’ordre du jour définitif de l’Onu”.

Mahmoud Ibrahime

Source : Al-watwan N° 1452-53 du 1er décembre 2009 avec
http://wongo.skyrock.com/

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