Une tribune pour les luttes

Haïti

Larmes de crocodile

Article mis en ligne le dimanche 17 janvier 2010

Par François Brun

http://www.mediapart.fr/club/blog/f...

16 Janvier 2010

Selon les derniers chiffres communiqués, le séisme d’Haïti aurait causé 50 000 morts et fait un million et demi de sans-abris. Rapporté à la population d’un pays tel que la France, cela représenterait à peu près 350 000 morts et 10 millions de sans-abris.

On ne compte donc plus les proclamations emphatiques de solidarité émanant de gouvernements des pays riches, au premier rang desquels la France et les Etats-Unis. Or, il est clair qu’au-delà des mots, cette solidarité a essentiellement deux manières concrètes de se traduire en actes : financièrement d’abord ; par l’accueil des ressortissants du pays sinistré ensuite.

C’est ainsi que, dans un grand élan de générosité, Christine Lagarde a déclaré : "J’ai demandé au Club de Paris que nous finalisions l’annulation de la dette d’Haïti vis-à-vis du Club de Paris". De quoi s’agit-il ? En réalité, dès juillet 2009, le principe de cette annulation avait été adopté. Un accord avait été signé, dont la mise en œuvre était soumise à des discussions bilatérales qui traînent en longueur. Il s’agit donc bien, comme le reconnaît Christine Lagarde, de « finaliser ». Mais ce n’est ni nouveau, ni encore fait.

Au fait, pour des sommes de quels montants ? La dette d’Haïti au Club de Paris se monte à 214,8 millions de dollars. Et si l’on veut parler chiffres, on ne manquera pas d’ajouter qu’en juillet dernier, le FMI et la Banque Mondiale avaient approuvé un allègement de la dette de 1,2 milliards de dollars, somme considérable pour un pays dont le PNB ne dépasse guère 4 milliards. Par ailleurs, on mentionnera que le FMI vient de débloquer une aide d’urgence de 100 millions de dollars.

Comme il est toujours difficile pour le sens commun de prendre la mesure de la signification de tels chiffres, il n’est peut-être pas inutile de se livrer à des rapprochements certainement idiots ( ?). C’est ainsi que je lis sur un blog du Monde, à la date du 3 août dernier : « le rapport Cuomo a mis en lumière des chiffres édifiants. Il révèle notamment, ce que nous avions du mal à imaginer de ce côté-ci de l’Atlantique, que 686 salariés et dirigeants de 5 grandes banques aidées par l’Etat ( Citigroup, JP Morgan, Merrill Lynch, Goldman Sachs et JP Morgan), ont touché en 2008, plus de 3 Millions de dollars chacun ! » Cela nous fait donc un peu plus de 2 milliards, 20 fois le montant de l’aide d’urgence. Et le 29 avril : « Un article du New York Times va raviver la polémique qui entoure les bonus. Les six principales banques américaines ont provisionné $ 36 milliards pour le seul premier trimestre de 2009 ». Bon ! On me dira que cela n’a rien à voir, mais une somme 360 fois supérieure à l’aide d’urgence du FMI et 170 fois supérieure à celle du montant de la dette que le Club de Paris peine à ce point à annuler, cela laisse tout de même rêveur.

Si l’on considère que l’importance de l’effort financier proclamé à grand sons de trompe doit ainsi être relativisé, on sera porté à se rabattre sur l’examen de la politique d’accueil.

Générosité américaine : Les Etats-Unis ont décidé vendredi d’accorder l’asile temporaire aux Haïtiens sans papiers qui étaient déjà présents sur leur territoire le 12 janvier : « Cela va permettre aux Haïtiens qui remplissent les critères de pouvoir continuer à vivre et travailler aux Etats-Unis pour une période de 18 mois », a expliqué Janet Napolitano, la ministre de la Sécurité intérieure. Le département à la Sécurité intérieure avertit toutefois que « ceux qui ont tenté ou tenteront de se rendre aux Etats-Unis (de façon illégale) après le 12 janvier ne pourront profiter du TPS et seront expulsés ». Et sur un ton cauteleux, digne de notre Besson national, il est expliqué : « Dans ces moments de tragédie, beaucoup de personnes qui souffrent sont tentées de trouver refuge dans d’autres pays (…). Mais essayer de quitter maintenant Haïti ne fera qu’ajouter à la douleur du peuple haïtien ».

Générosité française : dans la hotte d’Eric Besson, justement que trouve-t-on ? Ce communiqué de presse : « Eric Besson, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, a donné, mercredi 13 janvier 2010, instruction à ses services de suspendre immédiatement toutes procédures de reconduite dans leur pays d’origine des ressortissants haïtiens en situation irrégulière sur le territoire national." Vous avez bien lu : « suspendre ». On verra plus tard. Et pas question d’asile temporaire et encore moins de régularisation. Où irait-on si plusieurs centaines, voire milliers de sans-papiers haïtiens avaient demain libre accès aux droits ? Les ressortissants de n’importe quel pays victime d’un quelconque cataclysme, susceptible de se produire à tout instant, pourraient s’aviser demain de demander à bénéficier du même sort. Pourquoi pas les fuyards en provenance d’un pays en guerre ? On s’en tiendra donc à un « dispositif exceptionnel et temporaire d’accueil » qui prévoit «  un allègement des conditions du regroupement familial, des facilités accordées pour la délivrance des visas pour visites familiales ainsi que des visas et autorisations de séjour délivrés à titre humanitaire pour les victimes dont l’état de santé nécessite un traitement médical spécialisé en France ». Tout ça ? Bien sûr, parce que, n’est-ce pas, « la réaction de la France doit être à la hauteur de sa tradition républicaine d’accueil, de solidarité, et d’humanité, et des liens historiques et culturels profonds qu’elle entretient avec le peuple haïtien. Dans des circonstances aussi effroyables et douloureuses, tous nos efforts doivent se concentrer sur l’aide aux Haïtiens ». Ah là, on le retrouve notre Besson !

Ite, missa est.

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