Une tribune pour les luttes

Témoignages d’enseignants

"Mohamed Abourar est un élève scolarisé dans mon lycée"...

" Expulsion d’un lycéen et de son frère jumeau, Remarques incidentes sur l’ordinaire de notre république."

Article mis en ligne le lundi 25 janvier 2010

25/01/2010

Lettre ouverte

« Expulsion d’un lycéen et de son frère jumeau,

Remarques incidentes sur l’ordinaire de notre république.

À l’origine, l’Angola, ou plutôt l’enclave de Cabinda, territoire disputé entre l’Etat angolais et des groupes indépendantistes. Une sorte de guerre civile. Nelson et Adilson ont 17 ans. Leur père est assassiné. Leur mère est emprisonnée. Tous deux réussissent à s’enfuir. Leur refuge ? La France, qu’ils ne connaissent pas, mais qui les accueille. Un peu plus tard, leur mère, leur jeune frère et leur petite soeur les rejoignent, en Touraine.

En tant que « mineurs étrangers isolés », ils sont pris en charge par les services de l’Aide sociale à l’enfance. Mais lorsqu’ils arrivent à l’âge de leur majorité, nos lois leur disent : vous n’êtes plus des enfants ; vous devez, comme tout étranger majeur non européen, faire la preuve de votre droit à rester en France. Commencent alors les démarches administratives pour obtenir l’asile – et c’est la décision officielle, terrible. Le titre de réfugié leur est refusé. Ils découvrent alors qu’ils sont désormais des clandestins, des illégaux, des indésirables, des fugitifs sans terre d’accueil. Pas même des migrants. Des errants.

Nelson et Adilson demanderont au Préfet d’Indre-et-Loire de les régulariser. Ce qu’il refusera, s’obstinant à faire des deux jeunes gens des irréguliers. Et ça, être un irrégulier, c’est un délit, le délit « d’infraction à la législation sur les étrangers ». Telle est l’absurdité de nos règlements administratifs : avant 18 ans, vous êtes les protégés de la république. Après 18 ans, vous en êtes les parias.

Le 18 décembre 2009, Nelson et Adilson sont contrôlés par la police. Mis en garde-à-vue pour défaut de titre de séjour, puis enfermés pendant un mois au « centre de rétention » - c’est le nom que l’on donne aux prisons pour étrangers que l’on veut expulser – du Mesnil-Amelot, situé au pied des pistes de l’aéroport de Roissy. Un mois, c’est le temps qu’il a fallu aux autorités préfectorales pour arracher à l’Ambassade d’Angola, à force de pressions et d’acharnement, le laissez-passer indispensable à toute mesure « d’éloignement du territoire » - autrefois, on appelait ça le bannissement. Ils ont été embarqués dans l’avion pour

l’Angola le lundi 18 janvier 2010, au 31e jour de leur enfermement, dans la soirée. À quelques heures près, ils seraient encore parmi nous, car nos lois disent qu’un étranger enfermé que l’on n’a pas pu expulser au bout de 32 jours doit être libéré.

Que d’énergie il a fallu aux services de la préfecture de Tours pour, jusqu’à l’ultime instant, ne pas lâcher leur proie. Car c’est bien ce qu’ont été Nelson et Adilson pour l’autorité préfectorale : une prise de guerre. Pour ces hauts fonctionnaires que sont les préfets, sans doute se fait-on une gloire de réaliser de tels exploits, d’avoir débarrassé le « pays des droits de l’Homme » d’ennemis aussi terribles que deux jeunes de 20 ans. Mais pour nous, ces exploits que l’on commet, nous dit-on, en notre nom sont une honte.

Les deux frères sont maintenant en Angola, contraints de s’y cacher, car, poursuivis ici, ils sont aussi poursuivis là-bas. Le Préfet – car c’est à lui qu’incombe la faute – a-t-il pensé une seconde au chagrin de leur mère ? Elle vit en Touraine en situation régulière. Sans doute croit-on, dans les bureaux de la rue Bernard Palissy, qu’il est du devoir d’une mère « légale » de renier ses enfants « clandestins ». Peut-être imagine-t-on qu’il suffit de refuser le droit au séjour à un être humain pour qu’immédiatement s’efface le tissu de relations affectives qui le constituent comme être humain. Comment de telles aberrations de l’esprit peuvent-elles germer dans le cerveau de ces autres humains que sont les préfets ? Infliger une telle torture morale à toute une famille qui n’a commis d’autre faute que de croire au mythe de la « France terre d’accueil », c’est reproduire, ici et maintenant, le « délit de bureau » qui nous révulse. Il nous rappelle une des pires périodes de l’histoire de l’Etat français. Ce délit est constitué lorsqu’est prouvée la responsabilité d’un fonctionnaire impliqué, à quelque niveau que ce soit de la procédure, dans l’exécution d’une décision pouvant porter atteinte à la vie et à la dignité humaines. Et pour ça, on peut être condamné.

Mais à la différence des dictatures qui d’habitude commettent ces infâmies arbitrairement, notre démocratie républicaine les programme légalement.

Légalité n’est pas toujours légitimité. Quand la loi est par trop absurde, quand la logique chiffrée de son exécution conduit à bafouer les principes d’humanité, nous affirmons que, de cette France là, nous ne voulons pas ! »

Chantal Beauchamp, professeure d’histoire ; Jean-Christophe Berrier, travailleur social ; Sylvie Carrat, professeure des écoles ; Sylvain Fauvinet, professeur de lycée professionnel, ancien professeur de Nelson ; Jacqueline Hafidi ; Dominique Seghetchian-Shomali, professeure de français ; Nicole Terras.


C’est classe !
A l’affût de tout ce qui bouge, de l’école à la fac, par Véronique Soulé, journaliste à Libération.

http://classes.blogs.liberation.fr/...

23 janvier 2010

Tout à l’heure, Mohamed Abourar, le lycéen de Colombes (Hauts de Seine) expulsé ce matin vers Casablanca (Maroc), a envoyé un texto aux enseignants de son lycée qui s’étaient déplacés aux aurores à l’aéroport de Roissy : il s’excusait de les avoir fait se lever à 4 heures du matin... Les enseignants et les membres de son collectif de soutien sont bien décidés à aller jusqu’au bout et à obtenir son retour en France.

Rien n’y a fait : ni la mobilisation des professeurs et des élèves du lycée professionnel Valmy où Mohamed était en première - lycée visité il y a deux ans par Rama Yade lors de la campagne municipale (elle est depuis conseillère municipale de l’opposition) -, ni les interventions de l’Inspection d’académie du 92 et du Recteur de Versailles, ni les soutiens syndicaux, politiques, associatifs, etc. La préfecture s’était pourtant engagée à ce qu’il ne se passe rien ce week-end... Mais à 7 heures 35 ce samedi, Mohamed a embarqué dans le vol pour Casablanca.

"C’est encore une fois la violence qui l’emporte, protestent les profs qui étaient à Roissy ce matin. Niant le droit légitime de Mohamed à poursuivre ses études en France, l’arrachant à ses copains et à sa formation (en maintenance des bâtiments de collectivité, ndlr), on le renvoie vers un pays qu’il a quitté il y 6 ans et dans lequel il n’a pas de projet !".

Des enseignants membres du Collectif de soutien m’ont fait parvenir le témoignage qui suit, sur les dernières heures de Mohamed Abourar sur le sol français :

"Une journée banale en France.

" Mohamed Abourar est un élève scolarisé dans mon lycée, où je suis enseignante. Je ne l’ai pas en cours comme élève. J’ai d’autres élèves, certains sont « sans-papiers », comme lui. Mais ils ont tous un avenir. Il est comme tout élève faisant partie de notre communauté éducative.

Nous sommes enseignants pour les aider tous à s’accomplir scolairement, professionnellement, socialement.

Mohamed a 18 ans. Il est arrivé en France à l’âge de 13 ans avec son père. Il a engagé une procédure administrative de régularisation à sa majorité. Il prépare son Bac professionnel. C’est un élève exemplaire qui prouve chaque jour son sérieux et sa maturité.

Il a été arrêté jeudi 17 janvier suite à un contrôle d’identité. Il effectuait alors son stage en entreprise. Il a été placé en garde à vue, puis en centre de rétention. Il risque d’être expulsé du territoire français.

Ce jeudi 21 janvier 2010, 13h15, nous l’attendons dans la petite cour pavée. Il est plutôt joli ce bâtiment, pour un tribunal.

Je fume ma troisième cigarette lorsque les éducateurs et le père de Mohamed arrivent. Les mains se serrent, les regards sont anxieux, les sourires forcés. Quelques mots de présentation. Et tout le monde se replonge dans ses pensées.

Je ne les connais pas ces gens, et pourtant nous sommes là pour le soutenir, le défendre, ensemble. Je me demande à quoi ressemble Mohamed. Je croise tous les jours 480 élèves au lycée. Je l’ai forcément croisé, je lui ai forcément dis bonjour un jour.

Et puis il arrive. Trois personnes menottées, encadrées chacune par deux policiers qui les maintiennent et les font avancer. Et je le reconnais lui ; oui, ses yeux, ses sourires, je me rappelle, dans le hall du lycée, dans les escaliers, dans la cour.

Il traverse aujourd’hui une autre cour, en baissant la tête. Il nous aperçoit alors, nous sourit, à son père, ses profs, ses éducateurs. Chacun notre tour nous lui disons « bonjour Mohamed », mais il ne s’arrête pas, il doit continuer à avancer. Il doit monter les escaliers, rentrer dans le bâtiment, s’asseoir derrière cette barrière, là sur ce banc à l’écart de tous et de tout, cerné par les policiers.

Nous restons dehors, incapables de bouger sur le moment. Une collègue s’effondre en larmes. La vision de notre élève menotté, encadré par les policiers comme un criminel, cela je ne peux l’intégrer ni l’accepter. Il nous faudra plusieurs minutes avant de retrouver du courage, le courage de Mohamed, pour pouvoir rentrer à notre tour la tête haute, pour lui donner à notre tour les sourires et l’espoir, derrière cette barrière, sans pouvoir l’approcher.

L’avocate arrive. Elle s’entretient avec le greffier. Nous informe que Mohamed passera en deuxième audience. Nous demande d’entrer dans la première salle d’audience et de nous installer regroupés.

Les trois «  prévenus » arrivent ensuite. On leur a enlevé les menottes. Ils s’assoient de l’autre côté.

Chaque minute d’attente est trop longue. Je l’observe. Son regard est perdu quelque part dans le vide, droit devant lui.

Le greffier annonce la juge, nous nous levons.

« Affaire …..n°….. » . Un homme mauritanien se lève et s’avance, prend place debout à côté de son avocat. La juge présente le dossier. Nous n’entendons rien, les micros ne fonctionnent pas. L’avocat parle à son tour, puis c’est le tour du commissaire représentant le préfet.

« Affaire ABOURAR Mohamed …n°….”
. Mohamed se lève et rejoint son avocate. La juge parle, on n’entend toujours rien. L’avocate s’exprime, puis le commissaire, puis l’avocate.

«  Affaire …..n°…. ». Un homme palestinien s’avance…

La juge se retire pour 10 minutes afin de délibérer.

Les minutes sont toujours aussi longues. Le soleil est de la partie, il traverse les grandes vitres à droite, et se pose sur nos têtes, nous voile la vue. Ma main en visière, j’essaie d’apercevoir Mohamed, il s’entretient avec une policière, il sourit. La policière vient dire à son père que Mohamed veut lui parler.

Je les observe dans le soleil, le père et le fils.

Nous demandons à la policière, une collègue et moi, à lui parler. Elle accepte, mais nous n’aurons pas le droit de lui serrer la main. Les premiers mots sont difficiles, mais son sourire fait le reste. Nous lui disons que quoi qu’il arrive nous resterons mobilisés, que nous soulèverons des montagnes, que nous sommes tous avec lui, le lycée, les profs, les élèves. Il ne me connaît probablement que de vue, même pas de nom, mais il me fixe de ses yeux, il me dit que ça l’encourage et l’aide à tenir, il nous dit merci d’être là, et merci tout court.

La juge revient. Elle s’assoit. Elle annonce que les requêtes pour les affaires …. et ABOURAR sont rejetées. Elle se relève aussitôt et ressort immédiatement de la salle d’audience sans plus de commentaire.

Le coup est tombé. J’ai dû mal comprendre, c’est allé tellement vite. Je regarde mes collègues, je regarde Mohamed. Je ne comprends plus rien, plus rien à cette justice. Mohamed est stoïque, il ne semble pas réagir. Nous non plus. Le silence est là, il persiste, aucun mot ne peut sortir.

Les policiers font se relever les trois hommes venus comparaître, ils sont en train de les faire sortir de la salle. Vite, vite, on se lève, on dit bien fort à Mohamed que ce n’est pas fini, qu’on est là, qu’on reste là avec lui, qu’il tienne bon.

Une autre collègue pleure. Je lève les yeux au plafond et regarde en l’air, il paraît que cela évite aux larmes de tomber sur les joues.

Nous sortons à notre tour de la salle d’audience. Mohamed est retourné sur son banc derrière la barrière. Nous restons là, nous voulons lui montrer que nous serons là jusqu’au bout. Je cherche à croiser son regard, mais il regarde son père. Et puis l’espace d’un bref instant, j’ai ses yeux, je lui donne mon sourire et toute ma force.

Ils ressortent du bâtiment comme ils sont venus, menottés, maintenus, encadrés par les policiers.

Nous applaudissons très fort ces policiers, et longtemps, jusqu’à ce qu’on nous dise de repartir, nous applaudissons très fort à cette justice injuste.

Mes mains rougies ont aussi applaudi très fort à ton courage Mohamed, et j’applaudirai encore très fort demain au lycée pour que tu entendes mon soutien. Et j’applaudirai encore plus fort, s’il le faut, à l’aéroport, pour que tu saches que nous ne t’abandonnerons pas. Que la France ce n’est pas que cela."

Collectif de soutien à Mohamed Abourar


COMMUNIQUE de la réunion nationale RESF assemblée à Metz les 23 et 24 janvier

La bataille de Valmy ne fait que commencer ! Expulsion d’un lycéen de Colombes (92)

23 janvier 2009

Mohamed ABOURAR, 18 ans et quelques mois, élève du lycée Valmy à Colombes a été expulsé ce matin vers le Maroc. Son père, qui a une carte de résident, l’avait fait venir à 13 ans et quelques mois pour qu’il bénéficie d’une formation. L’expulsion de son fils est une belle récompense pour cet homme qui travaille en France depuis 1977 !

Mohamed avait été interpellé dimanche dernier à Paris. Expulsé en moins d’une semaine ! Des lycéens d’un établissement de Villeneuve sur Lot avait parlé de "fast deportation" après l’expulsion express d’un de leur camarade. L’expression s’applique pleinement ici.

Comme c’est trop souvent le cas dans les affaires que le ministère considère comme sensibles, il joue de l’insinuation et de la calomnie. Mohamed est accusé d’avoir proféré des "mences de mort caractérisées " à l’encontre d’un policier.
Un gamin de 18 ans, peut-être menotté, dans un commissariat, menaçant un policier... l’affaire a semblé suffisamment surprenante, peut-être même ridicule, au procureur pour qu’il décide de ne pas poursuivre le "délinquant".

Cet acharnement contre un tout jeune homme que ses enseignants et des éducateurs sont unanimes à dire "très sérieux" est incompréhensible. En réalité l’explication réside peut-être dans les souvenirs de M. Sarkozy. Fin 2006, il avait fait expulser Suzilène, alors élève du lycée Valmy, malgré la mobilisation de ses camarades et de ses enseignants. Les manifestations n’avaient pas cessé pour autant. Les élèves ayant appris la présence de M. Sarkozy au Conseil général des Hauts-de-Seine, ils s’y rendirent en manifestation, finirent par être reçus et arrachèrent au candidat Sarkozy le retour de Suzilène. Alors, l’expulsion de Mohamed serait-elle la vengeance du Président ?

Quoi qu’il en soit, la partie n’est pas finie. Taoufik, lycéen de Malakoff expulsé en août 2008, est revenu en avril 2009 grâce à l’action de ses profs, de ses camarades et de toute la ville. L’élève Mohamed Abourar reviendra. La bataille de Valmy ne fait que commencer !

Contacts

Richard Moyon (Hauts de Seine) 06 12 17 63 81
Boubacar Mazari (Colombes) 06 45 65 75 60
Isabelle Mire (Metz) 06 71 75 08 48
Catherine Tourier (Lyon) 06 81 51 81 44
Brigitte Wieser (Paris) 06 88 89 09 29

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