Une tribune pour les luttes

Etat des lieux de la prise en charge des avortements (I.V.G.) en France et de l’accès à la contraception.

réalisé par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas)

Article mis en ligne le mardi 2 février 2010

Evaluation des politiques de prévention
des grossesses non désirées et de prise
en charge des interruptions volontaires de
grossesse suite à la loi du 4 juillet 2001

Les questions relatives à la santé sexuelle et reproductive constituent un enjeu essentiel de
santé publique, reconnues comme telles par le législateur. L’interruption volontaire de grossesse
(IVG) est inscrite dans le code de la santé publique depuis la loi du 4 juillet 2001, qui fixe par
ailleurs un objectif ambitieux en matière d’éducation à la sexualité à l’école. La prévention des
grossesses non désirées, l’accès à l’IVG et sa prise en charge dans de bonnes conditions figurent
parmi les objectifs de la loi de santé publique du 9 août 2004 .

Mais ces problématiques dépassent le champ pourtant vaste des politiques de santé
publique et s’inscrivent dans la perspective d’évolutions sociales qui ont profondément modifié le
mode de vie des femmes et des couples : prolongation de la scolarité, augmentation de l’activité
professionnelle féminine, décalage de l’âge moyen à la maternité, allongement de la période
d’activité sexuelle, diversification des parcours affectifs et conjugaux, difficultés d’insertion
professionnelle et précarité économique accrue, norme croissante de l’enfant « programmé »,
augmentation du recours à l’interruption volontaire de grossesse en cas de conception non
prévue...

Huit ans après l’adoption de la loi de 2001 le contexte français demeure paradoxal : la
diffusion massive de la contraception n’a pas fait diminuer le nombre des IVG, qui se
maintient aux environs de 200 000 par an, et le fonctionnement réel des dispositifs contredit trop
souvent la volonté affichée de donner la priorité à une approche préventive.
Ainsi les
obligations légales concernant l’éducation sexuelle dans les établissements scolaires ne sont que
partiellement et inégalement appliquées. Les jeunes peuvent recourir de façon gratuite et anonyme
à la contraception d’urgence et à l’IVG, mais pas à la contraception régulière, sauf dans les centres
d’éducation et de planification familiale, dont l’accessibilité demeure limitée.

Une partie des IVG apparaît donc évitable par un effort accru et mieux ciblé de
prévention des grossesses non désirées. Mais il serait illusoire d’en attendre une maîtrise
totale de la fécondité. Des travaux de recherche montrent qu’une augmentation de 50% de la
prévalence de la contraception ne diminue que de 32% le nombre d’IVG1. En effet les facteurs qui
conduisent à une grossesse imprévue et à la décision de l’interrompre sont multiples, complexes, et
échappent pour une large part à l’intervention publique. On estime que 40% des femmes en France
auront recours à l’interruption volontaire de grossesse à un moment donné de leur vie. L ’IVG
n’est donc pas un évènement exceptionnel, elle constitue une composante structurelle de la vie
sexuelle et reproductive et doit être prise en compte en tant que telle.

La prise en charge de l’IVG a marqué des progrès réels, mais qui demeurent fragiles.
Les deux dispositions qui avaient suscité le plus de contestation lors de l’adoption de la loi du 4
juillet 2001 ont permis une plus grande fluidité du dispositif : l’assouplissement du régime
d’autorisation parentale pour les mineures a, selon la plupart des professionnels rencontrés, apporté
une réponse à des situations insolubles avant l’adoption de la loi. Quant à l’allongement du délai
légal, porté de 12 à 14 semaines d’aménorrhée, dont certains craignaient qu’il ne conduise les
femmes à retarder leur décision, il ne concernerait pas plus de 10% des IVG demandes.
Mais ces
IVG tardives ne sont pas prises en charge partout et sont systématiquement réorientées par certains
établissements, qui refusent de les pratiquer ou ne s’estiment pas en capacité de le faire. La gestion des délais d’accès à l’IVG dans les établissements s’est dans l’ensemble améliorée et se
rapproche dans la plupart des cas de la norme de 5 jours définie par la Haute autorité de santé. Mais
cette amélioration globale n’exclut pas la persistance de goulots d’étranglement dans certaines
zones de fortes demande, notamment dans les grandes métropoles, que le lent mais réel
développement de l’IVG médicamenteuse en ville ne suffit pas à résorber.

Ces progrès demeurent néanmoins fragiles, car la place de l’IVG dans le système de soins
n’est pas encore normalisée, en dépit de la mobilisation des services du ministère de la santé pour
que l’activité d’IVG soit reconnue comme une activité de soin à part entière. Ce sera un enjeu
important de la nouvelle organisation issue de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital
et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

Soumise à un régime tarifaire spécifique, différent des autres activités médicales, l’IVG
instrumentale demeure une activité déficitaire, en dépit de plusieurs revalorisations successives
qui n’ont comblé qu’une partie du retard tarifaire, lequel contribue au désengagement des
établissements privés par rapport à cette activité. La pratique de l’IVG persiste à être peu
attractive pour les personnels de santé. Le recours à la clause de conscience par ces
professionnels reste inégal et mal connu, et semble avoir été renforcé par l’allongement du délai
légal de recours à l’IVG. De plus, on assiste à une tendance à la restriction des modes de prise en
charge qui limite le choix des femmes quant à la méthode d’intervention.

Le recours à l’IVG
médicamenteuse, que ce soit en établissement de santé ou en ville, ne saurait constituer le palliatif
au fait que l’IVG continue à trouver difficilement sa place au sein du système de santé. Le recours
quasi exclusif à la technique médicale dans certains établissements reflète plus le choix des équipes
que celui des femmes. Cette évolution présente le risque, à terme, d’en faire la seule méthode
pratiquée, le savoir-faire des autres méthodes se perdant peu à peu.

Le système de remontée d’informations, malgré sa lourdeur, demeure lacunaire et laisse
persister d’importantes zones d’ombre, notamment sur le nombre des mineures sans autorisation
parentale, sur le vécu de l’intervention, sur les phénomènes de récurrence, ou sur le nombre des
IVG réalisées à l’étranger par des femmes ayant dépassé les délais légaux en France.

Pour ce qui concerne la prévention, la France se caractérise par une couverture
contraceptive étendue, constituée à 80 % par des méthodes délivrées sur prescription médicale,
avec une forte prédominance de la contraception hormonale orale (pilule). Mais le niveau des
échecs contraceptifs est préoccupant : 72% des IVG sont réalisées sur des femmes qui étaient
sous contraception
, et dans 42 % des cas, cette contraception reposait sur une méthode médicale,
théoriquement très efficace (pilule ou stérilet)3. Ces échecs reflètent une inadéquation des
méthodes et pratiques contraceptives, mise en évidence par les travaux de recherche et confirmée
par les entretiens que la mission a pu avoir avec les professionnels de terrain. La diversification des
attentes et des modes de vie, l’évolution des relations de couple, qui ne s’inscrivent pas
nécessairement dans le cadre d’une conjugalité établie et stable, ne sont pas suffisamment prises en
compte dans les prescriptions contraceptives auxquelles les utilisatrices/eurs ne sont pas
suffisamment associés. Malgré une réelle prise de conscience parmi les responsables et acteurs de
santé publique, qui a conduit à définir de nouvelles stratégies d’action pertinentes en matière de
contraception, le schéma du « tout pilule » demeure prégnant et continue d’influer sur les politiques
et les pratiques.

Malgré le haut niveau de couverture contraceptive tous les problèmes d’accès à la
contraception ne sont pas résolus. Alors que la loi entend garantir un accès autonome des jeunes
à la contraception, pour lequel le consentement parental n’est plus requis, ce droit leur est dénié
dans les faits lorsqu’ils doivent faire appel à la couverture sociale de leurs parents
. Le rapport
thématique relatif à la contraception analyse par ailleurs dans quelle mesure le coût et l’absence de
remboursement de certains produits contraceptifs par l’assurance maladie
peuvent être considérés comme limitant l’accès à la contraception. Il fournit les éléments de réponse à l’amendement
d’origine parlementaire apporté à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 selon
lequel le Gouvernement devra présenter au Parlement à l’automne de cette même année une
évaluation de l’efficacité des dépenses engagées en matière de contraception ainsi qu’une étude des
moyens d’améliorer le remboursement des contraceptifs.

La contraception d’urgence, dont la diffusion a été facilitée, surtout pour les jeunes, par sa
simplicité d’accès, ne s’est pas substituée à la contraception régulière, puisque cette dernière a
continué à s’élargir. Mais le recours à la contraception d’urgence en cas de rapport mal ou non
protégé est trop faible pour entrainer une diminution du nombre d’avortements. La
prévention des grossesses non désirées supposerait une utilisation beaucoup plus systématique.

L’information et l’éducation à la sexualité à l’école n’est pas perçue ni appliquée
comme une obligation légale.
En l’absence de bilan des actions engagées depuis 2001 il n’est
pas possible de mesurer l’ampleur des efforts à accomplir pour satisfaire aux dispositions de la loi
qui prévoit trois séances annuelles dans tous les établissements scolaires et pour tous les élèves, de
la maternelle à la terminale. Mais tout laisse à penser que le chemin à accomplir reste important.

La campagne triennale de communication sur la contraception a permis d’engager une action
globale d’information, mais ces actions n’ont de portée réelle que si elles sont menées de manière
régulière et déclinées localement.

***

La mission conclut donc à la nécessité impérative de renforcer l’approche préventive
mais aussi de réorienter l’effort de prévention vers les modalités les plus efficaces pour
diminuer le nombre des grossesses imprévues, si l’on veut réduire la part des IVG évitables.

Ce renforcement de l’effort de prévention passe d’abord et avant tout par l’information et
l’éducation sexuelle dès le plus jeune âge,
en donnant, sur la base d’un état des lieux précis, une
impulsion vigoureuse à la mise en œuvre des dispositions prévues par la loi, dans les
établissements scolaires. Il importe également de développer les actions d’accompagnement
dans les lieux extra-scolaires et en direction des populations en situation difficile. La mission
insiste dans ses recommandations pour que les campagnes de communication sur la contraception
soient menées suivant une périodicité régulière et rapprochée, et déclinées localement. Ces
actions sont d’autant plus nécessaire qu’une quantité d’informations de qualité ou de fiabilité
douteuses circule sur ces questions, facilement accessible sur les sites internet ou les forums de
discussion.

La mission formule par ailleurs des recommandations pour assurer dans les faits un accès
gratuit et confidentiel des jeunes au conseil ainsi qu’à la prescription et à la délivrance des
produits contraceptifs
, en s’inspirant des mécanismes retenus pour la contraception d’urgence et
des expériences menées dans certaines régions. Elle estime nécessaire de procéder à une évaluation
globale de la situation des centres de planification et d’éducation familiale, de leurs moyens et
capacités d’action.

Elle recommande par ailleurs de diversifier et d’adapter la couverture contraceptive en
fonction des besoins et modes de vie des utilisatrices/eurs, de promouvoir les méthodes moins
sujettes aux problèmes d’observance que la contraception orale hormonale, d’anticiper et de
mieux gérer par la contraception d’urgence les inévitables accidents de parcours
contraceptifs, en incluant dans cette perspective les nouveaux produits mis sur le marché, qui
tolèrent des délais plus importants.

Le développement de la formation initiale et continue des professionnels de santé sur
les sujets ayant trait à la maîtrise de la fécondité et à la santé sexuelle et reproductive est une
condition essentielle pour que ces questions, qui concernent la majeure partie de la population de notre pays, soient mieux traitées. Cet objectif doit tout particulièrement être pris en compte dans le
cadre de la valorisation de la filière de médecine générale et dans la formation des sages-femmes
dont les compétences en matière de prescription contraceptive ont été très largement étendues par
la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux
territoires.
L’inscription de l’orthogénie comme une activité médicale à part entière dans le « plan
stratégique régional de santé », dans les relations contractuelles entre les futures agences régionales
de santé et les établissements de santé, et dans les projets d’établissement et de pôle, la poursuite
des efforts engagés pour revaloriser la prise en charge financière de l’IVG et son inscription dans le
droit commun d’une tarification fondée sur les coûts, le recrutement de personnels de santé, une
veille attentive à la préservation du choix des femmes dans la méthode d’IVG sont nécessaires pour
assurer, conformément à l’objectif 97 de la loi du 9 août 2004 relative à la santé publique, « l’accès
à l’interruption volontaire de grossesse dans de bonnes conditions pour toutes les femmes qui
décident d’y avoir recours ». Ces mesures sont complémentaires et essentielles pour que l’activité
d’IVG ne soit pas, in fine, la variable d’ajustement des réorganisations de l’offre de soins.

***

Le cadre légal concernant l’IVG, la contraception, l’information et l’éducation à la
sexualité parait adapté dans son économie générale et les recommandations de la mission
n’impliquent pas de modifications législatives ou réglementaires majeures.

Mais la loi doit être mise en œuvre, et il importe de maintenir une impulsion politique
forte sur les questions relatives à la maîtrise de la fécondité, qui suscitent de réelles
préoccupations et qu’on aurait tort de croire résolues. Elles doivent se voir attribuer un niveau de
priorité élevé dans la définition et la mise en œuvre concrète des politiques ayant trait notamment à
la santé publique, à l’organisation hospitalière, à l’éducation, à l’action sociale et au droits des
femmes. Une approche concrète et pragmatique, privilégiant l’expérimentation et la diffusion des
bonnes pratiques, devrait être favorisée. L’effort visant à développer la recherche et les
connaissances sur ces sujets doit être poursuivi, il doit être largement amplifié pour ce qui concerne
l’évaluation de l’efficacité des politiques publiques menées dans ces domaines.

Rapport sur le contraception et l’avortement.

Inspection générale
des affaires sociales

RM2009-112P

Evaluation des politiques de prévention
des grossesses non désirées et de prise
en charge des interruptions volontaires de
grossesse suite à la loi du 4 juillet 2001

RAPPORT DE SYNTHESE

Établi par

Claire AUBIN

Danièle JOURDAIN MENNINGER

Avec la participation du Dr. Laurent CHAMBAUD

Membres de l’Inspection générale des affaires sociales

- Octobre 2009 -


Les meilleurs renseignements et aides

http://www.planning-familial.org/ouverture.php



Menaces sur l’accès à l’avortement

L’ANCIC, la CADAC et Le Planning familial lancent une pétition en défense des structures IVG.

Parce que l’avortement est un droit humain fondamental, nous demandons le maintien des structures existantes et l’ouverture de nouveaux lieux dédiés à l’avortement, pour une véritable égalité d’accès pour toutes par une offre de proximité partout en France.
Signer la pétition :
http://orta.dynalias.org/petition-structures-ivg

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