Une tribune pour les luttes

Anne, 14 ans, 10 h de garde à vue en pyjama pour avoir tenté de séparer 2 collégiens qui se battaient

Une conséquence du démantèlement du droit des mineurs

Article mis en ligne le vendredi 12 février 2010


CODEDO

mardi 9 février 2010

Pendant que Brice Hortefeux prépare sa loi sur la délinquance, les policiers continuent à agir en toute impunité et à pratiquer la garde à vue à outrance. Dernière affaire en date…

Ça commence par une bagarre entre deux collégiens à la sortie d’un collège du 20e arrondissement de Paris. Trois collégiennes tentent de s’interposer. La mère de l’élève agressée porte plainte. Le lendemain, 4 ados sont mis en garde à vue. L’un d’eux y restera plus de 24 heures, pendant lesquelles on lui interdira… d’uriner. Le témoignage d’Anne, cueillie chez elle en pyjma, qui a passé 10 heures en garde à vue sur France Info.
A noter (mais peut-être n’est qu’une coïncidence ?) que cette GAV se déroule au commissariat du quartier Gambetta, où ont été "recyclés" les anciens flics de l’ex-commissariat de la rue des Orteaux, tristement célèbre, dont nous avons déjà parlé ici.

http://codedo.blogspot.com/


Journal d’un avocat

14 ans, en garde à vue en pyjama

http://www.maitre-eolas.fr/post/201...


12/02/2010


Anne arrêtée en pyjama : le prix du nouveau droit des mineurs

Par Jean-Yves Halimi | Avocat |

Jean-Yves Halimi est l’avocat d’Anne, l’adolescente de quatorze ans, mise en garde à vue en pyjama. Il raconte l’arrestation de la jeune fille, selon lui, symptomatique de la disparition des protections accordées aux mineurs.

Anne a quatorze ans. Elle n’est connue de son collège que pour l’excellence de ses résultats scolaires et de ses proches que pour son goût de l’écriture et de la batterie. Elle dort ce mercredi matin, son chat noir roulé en boule sur son lit.

Elle est seule avec son frère, sa mère est partie travailler. Des coups violents portés contre la porte de son appartement la tirent brutalement de son sommeil. Elle ouvre la porte en pyjama, les pieds nus : ce n’est pas le laitier, c’est la police.

« Mademoiselle, vous êtes placée en garde à vue, veuillez nous suivre. »

Elle veut s’habiller, mettre des sous-vêtements et un jean. On lui refuse. On l’autorise à mettre des chaussures et un pull.

Conduite au commissariat, elle restera dix heures dans une cellule, seule, pleurant de temps en temps et se récitant de la poésie anglaise.

Entre deux interrogatoires, on la houspille. Sa version des faits qui lui sont repprochés ne coïncide pas assez avec celle de la police. « Tu te fous de notre gueule, si ne dis pas la vérité tu vas rester toute la nuit ». Elle n’a pas l’habitude que des adultes s’adressent à elle de cette façon, ses manières sont plutôt… policées.


L’adolescente n’a pas la même version des faits que la police

Elle n’a pas participé à la bagarre entre deux collégiens de son établissement : elle a tenté avec ses deux amies -qui seront interpellées dans l’enceinte même du collège- de séparer les protagonistes. Elle est trop menue, elle n’y est pas parvenue. Un adulte de passage le fera et les trois collégiennes rentreront chez elles.

Dix heures de garde à vue et un voyage en fourgon menottée. Direction un cabinet médical du 18e arrondissement de Paris, gyrophare et sirènes hurlantes. « Je n’ai jamais passé les menottes à des poignets aussi fins » dira un policier de l’escorte. Menottée dans le dos à l’aller, elle se cogne contre les parois du fourgon ne pouvant s’arrimer à un point fixe. Elle obtiendra d’être menottée les bras devant au retour.

Choquée, sa mère qui la récupère en larmes, alerte une radio d’information continue.

Le directeur de la sécurité de l’agglomération parisienne organise dans l’urgence et sans doute sur instruction de sa hiérarchie, une conférence de presse.

« Circulez, il n’y a rien à voir. Tout s’est admirablement bien passé et Anne a été enchantée de cette expérience instructive. » Avec ces deux précisions livrées sur les questions des journalistes :

Anne n’était pas en pyjama mais en jogging. Elle n’a jamais été menottée.

C’est une «  non affaire » selon un syndicat de policiers mais qui cependant donne lieu à une saisine immédiate de l’inspection générale des services. Comprenne qui pourra !

Pyjama ou jogging ? Anne portait la tenue qu’elle met pour dormir et elle voulait s’habiller, mettre des sous-vêtements. Le responsable départemental de la Police doit ignorer que les adolescentes ne dorment plus en chemise de nuit en pilou et ne mettent plus des charentaises au pied de leur lit.

Menottage ? Les premières conclusions de l’I.G.S filtrent : la version d’Anne et de ses deux amies était la bonne.

L’embarras est palpable : après avoir dit publiquement que les trois adolescentes n’avaient pas été menottées parce que les conditions légales n’étaient pas réunies (pas de dangerosité, pas de velléité de fuir) comment soutenir maintenant le contraire ? Doit-on reconnaître qu’on a menti ? Était-ce sur ordre ? Si oui, de qui ?

Interpellation humiliante contraire à l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, garde à vue entachée d’un acte arbitraire, totalement illicite, commis par un ou plusieurs agents détenteurs de l’autorité publique : circulez, il n’y a rien à voir !


Une conséquence du démantèlement du droit des mineurs

Les policiers s’indignent d’être montrés du doigt et ils ont raison : ils ne font qu’appliquer les instructions qui leurs sont données et agissent dans un cadre apparemment légal. Car en démantelant progressivement le droit spécifique des mineurs les protections accordées aux mineurs de moins de seize ans ont disparu.

Un enfant de treize ans est soumis au même régime qu’un adulte. Même durée de 24 heures, même absence d’avocat assistant aux interrogatoires et ayant accès au dossier. Seule différence, un détail : l’enregistrement filmé des interrogatoires.

Le mariage détonnant de la religion du chiffre (les gardes à vue explosent -près de 900 000, selon France Info- et deviennent le seul mode d’enquête initiale d’un délit flagrant) et de celle de l’aveu (sans protection, ni garantie on peut avouer n’importe quoi pour sortir) montre une fois de plus ses limites.

La plupart des syndicats de policiers sont hostiles à toute réforme de cette procédure. Ils craignent qu’un avocat assistant aux interrogatoires et accédant au dossier se comporte en complice de son client, agisse comme son messager, empêche la manifestation de la vérité et le surgissement, dans toute sa pureté probante, de l’aveu.
Un avocat dès les premières heures de garde à vue

Mais l’avocat qui voudrait manquer à son devoir de probité et de loyauté peut déjà le faire puisqu’il s’entretient avec son client pendant la garde à vue.

Pour ces syndicats, c’est surtout un terrible manque de confiance en la qualité professionnelle de leurs collègues. Pourquoi la police française ne pourrait pas élucider des faits délictueux ou criminels dans les mêmes conditions que la police anglaise, allemande ou espagnole ?

Les espagnols, pourtant fréquemment visés par des actes de terrorisme, acceptent la présence de l’avocat dans la plénitude de ses fonctions dès la première heure de garde à vue. Sont-ils moins efficaces ? Bien au contraire. A la différence de leurs collègues français, leurs enquêtes sont beaucoup moins entachées de suspicion car la personne mise en cause a été humainement traitée et a bénéficié de toutes les garanties légales.

La garde à vue à la française est devenue un archaïsme choquant. La France fréquemment condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme est le mouton noir de l’Europe.

Il y a quelques années on distinguait une démocratie d’une dictature en ces termes : dans une démocratie, quand on sonne chez vous au petit matin, c’est le laitier.

Bien sûr, la France reste une démocratie mais on y a de plus en plus la nostalgie du laitier.


Source TERRA : http://www.rue89.com/2010/02/12/ann...

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