Une tribune pour les luttes

« Les réfugiés de la Jungle sont des êtres humains, pas des animaux »

Plaidoirie d’Enora Naour, 16 ans, premier prix du concours international de plaidoiries pour les droits de l’homme organisé par le Memorial de Caen

Article mis en ligne le mardi 16 février 2010

Mesdames, Messieurs

Je me dresse aujourd’hui devant vous pour plaider la cause de Mendaye, Aman, Maryam ou Hamed. Ces personnes viennent du Soudan, d’Érythrée, d’Éthiopie, d’Afghanistan, d’Iran, du Pakistan ou d’Irak. Ce sont des femmes enceintes, des chefs de famille, des enfants qui ont quitté leur pays d’origine afin de rejoindre nos civilisations Occidentales, porteuses d’espoirs et d’avenir.

Ils possédaient pourtant une maison, une famille, un métier. Ils pouvaient manger à leur faim, et se laver correctement, mais malgré cela, leur vie était en danger. Guerre, régime totalitaire ou intolérance religieuse sont les principales raisons qui ont poussé ces êtres humains à s’enfuir. Pour survivre.

Ils ont traversé l’Europe d’Est en Ouest, lors d’un voyage qui pour beaucoup, aura duré plus de 2 ans. D’autres sont passés par le Sahara, et ont franchi le détroit de Gibraltar. Certains ne sont jamais arrivés.

Leur but ? Rejoindre la France, pays fondateur de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, avant de passer en Angleterre. Tout espoir leur était permis car, d’après l’article 13 de cette fameuse déclaration, « devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays. »

J’aimerais pouvoir vous dire, Mesdames et Messieurs, que leurs désirs de bonheur et de liberté ont été exaucés. Mais cela serait une utopie, et je ne suis pas venue pour vous mentir.

Tous ces êtres humains rejoignent le Nord de la France, et s’installent à Calais, port le plus proche de leur destination finale. C’est à partir de ce moment qu’ils se rendent compte que la France n’est pas en mesure de leur offrir le respect et la dignité qu’ils méritent. Ces personnes sont, au regard de la loi française, en situation irrégulière. Et cette situation semble être un prétexte pour les priver de toute part d’humanité.

Ils sont 700, à s’entasser dans des logements de fortune ,à la périphérie de la ville où chaque communauté a établi son campement avec ce qu’il a été possible de trouver : du carton, de la tôle, du tissu…

Les médias ont surnommé cette zone la « Jungle » de Calais, et cette appellation est entrée dans les mœurs. Si l’on prend ce terme au sens propre, il désigne l’endroit de vie des animaux sauvages, et par extension, tout milieu où règne la loi du plus fort. Peut être serait-il important de s’interroger sur l’origine de ce surnom ?

La raison est assez simple. Le conseil municipal de Calais a récemment refusé que le Secours Populaire installe des douches dans son centre d’accueil.

Ils sont donc 700 à se battre pour pouvoir accéder à un point d’eau. 700 prêts à se priver de repas, qu’ils n’ont déjà que rarement, pour avoir le droit de se laver.

Au mois de Juin 2009, un jeune Érythréen est mort noyé car il avait voulu se laver près d’une écluse. Le courant l’a emporté, et lorsqu’il a été rattrapé, il était déjà trop tard. A Calais, voilà le prix à payer pour rester propre.

Les infirmières bénévoles ne peuvent plus prendre soin des diabétiques, des personnes âgées, ou des enfants malades, car elles sont trop occupées à faire face aux cas croissants de tuberculose ou de gale.

Y-a-t-il ici quelqu’un prêt à accepter qu’au 21eme siècle, une telle épidémie se développe dans une ville de notre pays ?

C’est pourtant le quotidien scandaleux de la « Jungle ».

Le 22 septembre dernier, la police, sur ordre du ministre de l’immigration, a fait évacuer le campement. Des membres du réseau No Border , qui luttent pour la défense des droits des immigrés, étaient présents lors de cette rafle et témoignent :

« Les policiers arrachaient les migrants au groupe, traînant certains d’entre eux sur le sol, qui nous regardaient implorant et apeurés. Dans cette rafle, les migrants ont été considérés et traités comme du gibier, déshumanisés et humiliés pour longtemps. »

Ce jour là, 276 personnes ont été interpellées, puis transférées dans différents centres d’accueil dans le sud de la France. Une procédure de demande d’asile d’urgence leur a été proposée, mais celle ci reste complexe et a peu de chances d’aboutir. Beaucoup sont donc retournés à Calais, dans l’attente d’un passeur qui accepterait de leur faire traverser la Manche illégalement. Et toujours dans les mêmes conditions.

Pendant ce temps, les pouvoirs publics semblent se poser beaucoup de questions, dont la réponse paraît pourtant évidente.

Pourquoi permettre à ces individus d’avoir une hygiène décente ?

Parce que ce sont des êtres humains.

Pourquoi la police arrêterait-elle de traquer ces individus en situation irrégulière ?

Parce que ce sont des êtres humains.

Pourquoi offrir à ces individus la possibilité de vivre librement et dignement ?

Parce que ce sont des êtres humains.

Bien sûr, me direz vous, Calais n’est qu’un lieu de passage, une plaque tournante. Les immigrés ne vivent pas plus de quelque mois dans cette ville.

En 2008, 1819 personnes ont été arrêtées en tentant de rentrer illégalement au Royaume Uni, mais des milliers d’autres parviennent tout de même à franchir la frontière.

Cependant, un chiffre ne nous est pas communiqué. Celui du nombre d’hommes, de femmes, d’enfants tués alors qu’ils tentaient de passer Outre-manche. Asphyxie, noyade, hypothermie semblent être le prix à payer pour obtenir le droit d’asile. Ce droit qui, en 1948, lorsque la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme a été signée, semblait naturellement acquis par tout être humain.

Mais les chiffres dérangent, et les politiques au niveau local, national et européen préfèrent fermer les yeux. S’imaginent-ils que ne pas évoquer ce problème le fera disparaître ?

Lorsque Philippe Lioret a sorti son film Welcome au printemps 2009, la population française a découvert avec effroi les conditions de vie d’un jeune immigré kurde dans la « Jungle » de Calais. Des cris de protestation se sont élevés. Les médias ont largement relayé le message transmis par le film. Nous avons pu croire un moment que tout allait changer. Que plus personne ne cautionnerait de telles horreurs après les avoir vues sur grand écran. Pourtant, quelques semaines plus tard, la diffusion de Welcome s’est interrompue et avec elle, le mouvement de révolte qui venait d’éclore.

La France est une démocratie. Le pouvoir appartient au peuple et à lui seul. Mais pour défendre une cause, encore faut-il être informé. Aucun citoyen français ne pourra s’engager tant que les migrants de Calais seront considérés comme inexistants . Aucune mesure ne pourra être prise tant que les médias ne décriront pas avec précision et objectivité les horreurs quotidiennes de la « Jungle ».

Il ne faut cependant pas oublier de mentionner les nombreuses associations humanitaires. Celles qui chaque jour se battent pour offrir un repas chaud à toutes ces personnes en attente d’avenir. Tous ces bénévoles qui recherchent les enfants, restés cachés par crainte de la police, pour leur apporter de l’aide. Avez vous déjà entendu parler d’eux ? Probablement pas. Ces acteurs, indispensables à la survie des immigrés de Calais, restent cachés. Tapis dans l’ombre eux aussi. Car leur humanité, leur désir de solidarité fait d’eux des hors-la-loi. Paradoxal me direz vous ? Et pourtant…

Je vais peut être vous apprendre que l’article L622-1 du code des Étrangers indique que : «  toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France sera puni de 5 ans de prison et de 30000 euros d’amende. »

Ce texte est une aberration ! Il l’est d’autant plus lorsque l’on sait que la fraternité est l’un des piliers fondateurs de la République Française. Cette belle fraternité dont on nous parle tant depuis notre plus jeune âge !

Nous savons tous que la question de l’immigration en Europe et en France est un sujet délicat. Je ne suis sûrement pas bien placée pour parler d’un point de vue politique, mais je le suis suffisamment pour me rendre compte de la dimension morale et éthique de ce problème.

Depuis quelques années, l’Union Européenne entame une politique de fermeture des frontières, alors que les demandes d’asile ne cessent d’augmenter, conséquences des climats politiques de plus en plus tendus au Moyen Orient.

Cette politique n’empêche pourtant pas les migrants de quitter leur pays pour rejoindre l’Europe. Elle les oblige juste à rester cachés. A mettre leur vie en danger.

Toutefois, des solutions existent, à échelle locale, pour que les migrants de Calais ne soient plus traités comme des animaux. Ce dont ils ont besoin avant tout, c’est de soutien. Beaucoup ne parlent pas le français, et ne connaissent pas leurs droits concernant les demandes d’asile. L’Angleterre est pour eux un idéal, mais ils ne savent pas que ce pays accepte moins facilement les réfugiés que la France. Lorsqu’ils parviennent à traverser la Manche, beaucoup sont donc renvoyés sans délai ni formalités dans leur pays d’origine. Ils doivent être informés des possibilités qui leur sont offertes, et des dangers qu’ils courent en tentant la traversée. De plus, dans une lettre ouverte adressée à Monsieur le ministre de l’immigration, l’association Médecins du Monde insiste sur certaines propositions destinées à améliorer l’accès aux soins des populations migrantes. Parmi celles ci figurent l’accueil et l’accompagnement des jeunes migrants dans des centres spécialisés. La France est signataire de la Déclaration des droits de l’enfant, et la situation des mineurs à Calais est extrêmement préoccupante. Les Permanences d’Accès aux Soins de Santé, « permettant la prise en charge des publics en situation de précarité » doivent aussi être développées dans la région de Calais. Celles ci devraient d’ailleurs être complétées par des Lits Halte Soins Santé qui « permettent de poursuivre les soins des personnes sans abri et sont destinés à l’accueil temporaire des personnes, quelle que soit leur situation administrative. » Ces solutions sont la base d’un respect envers les migrants de la « Jungle », et la reconnaissance de leur droit à la dignité.

Il est temps de mettre les différences instances publiques face à leurs responsabilités et leur hypocrisie.

Je profite de la tribune qui m’est offerte aujourd’hui pour lancer un appel à la mairie de Calais. Un nombre correct de douches doivent être installées et mises à la disposition des migrants de la Jungle. L’idéal serait d’ailleurs de fournir les moyens nécessaires afin que cette appellation n’ait plus lieu d’être. Leur statut d’immigrés illégaux ne doit pas être une raison pour les priver des conditions de vie convenables qui siéent à tout être humain.

Je lance un appel au gouvernement français, pour que l’article L622-1 du code des étrangers soit purement et simplement abrogé. Le délit de solidarité n’a plus lieu d’être dans le pays fondateur de la déclaration universelle des droits de l’Homme dont l’article 3 précise que «  tout individu a droit à la vie, à la liberté, et à la sûreté de sa personne. » Si cette sûreté doit être assurée grâce à une aide extérieure, aucune loi ne peut la punir.

Enfin, je lance un appel aux grandes instances européennes. Des lois concernant le droit d’asile et l’immigration existent, mais ne sont pas appliquées de façon homogène dans tous les pays membres de l’Union. Le monde est en changement permanent, et il est nécessaire de s’adapter à l’arrivée de réfugiés qui fuient des climats politiques devenus trop extrêmes dans leur pays. Si des personnes restent réticentes, qu’elles se disent que nous ne sommes pas en bonne position pour juger celles qui migrent afin d’échapper à des problèmes que nous ne connaissons pas dans nos régimes Occidentaux.

Des changements sont réalisables et il semble important que la situation désastreuse des habitants de la « Jungle » de Calais devienne une préoccupation politique le plus rapidement possible, afin que plus aucun Calaisien, Français ou Européen n’ait à rougir de ce qui se passe à ses frontières.

Merci pour eux.

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