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Le Blog de KAGATAMA

Rwanda : Nicolas Sarkozy au Mémorial du génocide des Tutsi

Article mis en ligne le dimanche 21 février 2010

Avec les liens et les photos :
http://kagatama.blogspot.com/2010/0...

20/02/10

Qu’aurait dit Bibi ? Qu’aurait dit ma grand-mère Bibi, si elle avait su que 16 ans après son assassinat, le chef des armées, Nicolas Sarkozy, viendrait de France pour se recueillir devant sa dépouille au mémorial de Gisozi, à Kigali ? Elle qui avait tant peur des soldats français qui patrouillaient dans sa région… Iby’isi ni gatebe gatoki[1] ; certainement. _ Quant à ma mère qui repose à ses côtés, je sais que cela ne l’aurait pas du tout impressionné, elle m’aurait dit « tout cela c’est du spectacle, des mots, rien de plus. Ne lui fais pas confiance ». Et mon frère et son épouse qui se trouvent à quelque mètres, qu’auraient-ils dit ? Ma belle-soeur aurait sans doute murmuré : « j’ai travaillé pour vous, pour la fameuse coopération culturelle franco-rwandaise et vous nous avez abandonné à la mort, sans oublier d’embarquer vos amis les tueurs, y compris le secrétaire général des Interahamwe ! Vos fleurs ne nous consolent pas. » Et ma petite soeur, qui gît avec eux à Gisozi ? J’imagine qu’elle aurait crié avec le même regard triste et désabusé, que le jour où les soldats français contrôlaient ses papiers en février 1993 pour vérifier son ethnie : « je suis morte à 20 ans, parce que j’étais Tutsi. Un Président de la République Française peut déposer toutes les fleurs qu’il veut sur ma tombe. C’est trop tard ! »

Nous l’aurons compris, c’est pour nous, les vivants, que Nicolas Sarkozy se déplacera au Rwanda, le 25 février, pour une visite éclair de seulement 3 heures. Nos morts, eux, s’en moquent.

Il faut avouer malgré tout que pour les rescapés du génocide le message est fort. Je garde toujours à l’esprit, le profond dégoût que m’avait inspiré le ministre des affaires étrangères Hubert Védrine, le jour où, de passage à Kigali, le 13 août 2001, il avait refusé de se recueillir devant un site commémorant le génocide afin de se soustraire à « l’instrumentalisation du drame par l’actuel régime. »

Bien sûr, il faudra que cette cérémonie s’accompagne de la vérité. Bernard Kouchner, a déjà reconnu que la France avait commis au Rwanda « une faute politique », ce qui n’est pas rien. J’attends de savoir comment le Président de la République Française va qualifier cette politique. Celle qui a consisté à soutenir avec acharnement, sans discernement, pendant de nombreuses années un régime fondé sur l’ethnisme. Un régime qui, avec son armée et ses milices, formés et armés par la France, a commis un génocide faisant plus d’un million de morts.

Le ciel est bleu, l’heure est grave. Nous sommes le 25 février 2010. Les deux chefs d’États, le Rwandais et le Français sont debout, côte à côte, le silence se fait dans l’assistance, ils prennent un air triste.

A quoi pensent-ils ?

On lui demande de retirer sa ceinture, ses lacets, sa montre. Avec ses amis, on le conduit dans un cachot, il ne comprend pas, il ne parle pas le français et de toute manière, on ne lui explique rien. Nous sommes en janvier 1992. Le jeune chef militaire des rebelles du FPR, invité par les autorités françaises à Paris pour négocier la paix, vient d’être jeté dans un cachot d’un commissariat parisien, après avoir été interpelé par des policiers armés dans sa chambre d’hôtel. Il sera libéré neuf heures après sans un mot d’excuse. Ce sera la première et la dernière fois que Paul Kagame foulera le sol de la patrie des droits de l’homme.

Le président français, se remémore son passage au journal de 20H00 de France 2, le 20 juillet 1994, alors qu’il n’était que le jeune porte-parole du gouvernement : « c’est tout à l’honneur de la France d’engager une opération humanitaire.[...] Imaginez un peu ce que seraient ces images s’il n’y avait pas la zone de sécurité, si les soldats français de l’opération Turquoise n’avaient pas fait ce qu’ils ont fait avec un courage formidable. » « L’opération Turquoise » permettra aux cerveaux du génocide et aux exécutants de fuir la justice de leur pays et de créer ce qui deviendra les milices terroristes FDLR dont le chef vit toujours à Paris.

Le vieil Ignace, participe à la cérémonie, en tant que membre de l’association des rescapés du génocide, il a perdu son épouse et deux de ses enfants dans le génocide. Il se demande ce qu’il doit penser de tout cela. « La France ne sera jamais un sanctuaire pour les auteurs de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité », cette déclaration, elle sort bien de la bouche de deux ministres français, non ? Et aujourd’hui le Président de la France va certainement prononcer des mots gentils devant la tombe de milliers de victimes du génocide. Mais pourtant, la France reste, avec le Congo, le meilleur asile au monde pour ceux qui ont commis le génocide des Tutsi. Depuis 16 ans, la France c’est Byzance pour Callixte Mbarushimana and co ! Ils y sont régularisés, ils y travaillent, ils y sont soignés, et, après 16 ans d’impunité absolue, ils ont bien compris que la justice française n’ira jamais jusqu’au bout du brassage d’air. Alors à quoi tout cela rime-t-il ?

Immaculée, journaliste au journal francophone « La Nouvelle Relève » venu couvrir l’évènement pense au premier ministre français, Dominique de Villepin qui avait évoqué sur RFI, le 1er septembre 2003 : « les terribles génocides qui ont frappé le Rwanda » utilisant en toute connaissance de cause le pluriel. Dominique de Villepin donnera ainsi le signal de départ à une stratégie de communication sur le thème révisionniste du « double génocide », une communication qui restera une particularité française dans le monde occidental

Eustache était un des membre fondateur du PSD dans les années 1990. Professeur d’université, aujourd’hui sénateur, il a été invité à cette cérémonie qu’il attendait depuis très longtemps. Pourchassé pendant le génocide, il a perdu des amis et son frère dans le génocide. Il n’était pas Tutsi mais il était connu pour ses positions claires contre l’ethnisme proné par le régime. Il se remémore sa stupeur, le 28 février 1993, lorsque il a entendu à Kigali le ministre français de la coopération, Marcel Debarge, exhorter les Hutu à créer un « front commun » contre le FPR. Ce qui accélèrera la création à la fin de 1993 de ce qu’on a appelé le Hutu Power, l’alliance sur une base ethnique de la majorité des partis d’opposition avec les partis MRND et CDR.

Alivera est aujourd’hui haut fonctionnaire au ministère de l’économie. Elle est rentrée du Canada, juste après le génocide pour aider son pays après une vie d’exil forcé. Economiste, elle se rappelle ce que certains ont appelé Rwanda Acte II ou le jour d’après. Le pays était dévasté, les infrastructures détruites, les banques vidées, les intellectuels, les médecins, les fonctionnaires, les agriculteurs tués ou en fuite au Congo. Et à ce moment-là, elle se souvient qu’un pays membre du conseil de sécurité des Nations Unies et de l’Union Européenne faisait tout pour bloquer les fonds à destination du Rwanda. Ce pays qui vient d’offrir la somme de 326 millions d’euros à Haiti, c’était la France.

Uniforme impeccable, médailles sur le torse, au garde à vous, John se souvient de ce jour de juin 1992 où deux de ses compagnons, ses meilleurs amis, furent pulvérisés à ses côtés, lui s’en sortira avec une vilaine blessure à la jambe gauche et une démarche claudicante. C’était dans la région de Byumba, face à lui les Forces Armées Rwandaises qui avaient à leur côté des soldats français …..règlant les tirs des canons. John jette un regard grave sur la délégation française mais il se dit que son pays a besoin de la paix.

Nous sommes, le jeudi 25 février 2010, le silence règne, les Rwandais attendent que Nicolas Sarkozy, Président de la République Française prenne la parole…

[1] La roue tourne.


Références :

- « Un rapprochement sans « excuses », Le Monde, 12 août 2001
- « Kouchner : « Paris a commis une faute politique au Rwanda », Le Figaro, 26 janvier 2008
- « Rwanda : quand la France jetait Kagame en prison », Le Figaro, R. Girard, 22 septembre 1997
- « Les tueurs sont parmis nous », Le Nouvel Observateur, 30 juillet 2009
- « Lettre ouverte à Dominique de Villepin », Association Survie, 12 septembre 2003
- Interview Street Press de Patrick de St Exupéry au sujet du blocage de l’aide par la France
- « Rwanda : le jour d’après », M. Malagardis et PL Sanner, 1995
- « Un génocide populaire », JP. Kimonyo, éd. Karthala, 2008
- « L’attentat, le génocide, la France », Libération, C. Ayad, 19 novembre 2008
- « La guerre secrète de la France au Rwanda », Libération, J.D Merchet et S.Smith, 13 janvier 1998
- « France-Rwanda, un génocide sans importance », Le Figaro, P.de Saint Exupéry, 12 janvier 1998
- « France-Rwanda, le syndrome de Fachoda », Le Figaro, P. de Saint Exupéry, 13 janvier 1998
- « France-Rwanda, des secrets d’Etat », Le Figaro, P. de Saint Exupéry, 14 janvier 1998
- « France- Rwanda, le temps de l’hypocrisie », Le Figaro, P. de Saint Exupéry, 15 janvier 1998


Et aussi :

http://survie.org/genocide/?lang=fr

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Vos commentaires

  • Le 21 février 2010 à 20:15 En réponse à : Rwanda : Nicolas Sarkozy au Mémorial du génocide des Tutsi

    Très bonne réflexion mon frère,
    Je pense que nous ne devrions pas attendre beaucoup de cette visite, ce n’est pas les cranes des victimes du génocide qui vont pousser Monsieur Sarko à demander pardon pour une faute ou une responsabilité qu’il fait semblant d’ignorer.
    Même si par miracle, il le ferait, ce sera certainement un de ces scènes de théâtre des politiciens dont nous connaissons tous.

    Trop tard , nous n’avons pas besoin de ses excuses, non plus de sa compassion hypocrite, il ne va pas ramener les nôtres qui ont été tués sauvagement.....

    Mais ce qui est certainement sûre est que s’il a vraiment un coeur, il apprendra beaucoup à Gisozi.....

    Je voulais également en profiter pour informer ces criminels qui ont lancé des grenades ce week end sur des innocents que Monsieur Sorko ne vient pas pour les escorter comme l’a fait l’armée française en 1994. Arrêtent de verser du sang car je vous assurent que vous n’arriverez jamais à déstabiliser la sécurité de notre cher Pays, vous n’avez plus de place dans notre société. ;

    Je souhaite à tous les Rwandais de vivre en paix et de s’unir pour combattre toute force négative quelque soit sa provenance.

    Alpha

  • Le 22 février 2010 à 08:41, par Foucher En réponse à : Rwanda : Nicolas Sarkozy au Mémorial du génocide des Tutsi

    Il serait intéressant également de s’interroger sur les pensées de ces nombreux cadavres de hutu inhumés dans ce mausolée sous l’étiquette tutsi.

    Que pensent-ils chaque fois que Kagame vient hypocritement se pencher sur leur tombe ?

  • Le 26 février 2010 à 10:47, par Wilmont1000 En réponse à : Rwanda : Nicolas Sarkozy au Mémorial du génocide des Tutsi

    Le chemin de "Canossa" du citoyen-Président Sarkozy

    Pour quelqu’un qui a soutenu l’action de la France en 1994 en tant que porte parole du gouvernement, pour quelqu’un qui a couvert le financements français des opérations occultes de cette dernière favorisant les génocidaires, ce voyage a du être ressenti par le "citoyen-Président" Sarkozy comme le chemin de Canossa. Lui, surtout lui, être "obligé" d’aller s’incliner devant ces centaines de milliers de victimes, elles innocentes ! Quelle ironie de la géopolitique !

    La France a perdu. Elle s’est inclinée !

    Elle a perdu non seulement le bras de fer judiciaire Bruguière-Commission Mucyo / Mutzinsi.
    Elle a aussi perdu toute son influence dans cette région d’Afrique. Le Rwanda est devenu anglophile, fait partie du Commonwealth et les richesses, y compris du Kivu Congolais, partent à l’Est, chez les anglo-saxons !

    C’est ce qu’a dû entériner le « citoyen-Président » Sarkozy lors de ce voyage, en s’inclinant sur les tombes de ses (bien les siennes !) victimes innocentes.

    L’avenir nous dira, si au nom de la « realpolitik », les responsables français de ce génocide seront, ou non, traduit devant les tribunaux.

    Ce voyage, est un succès pour tous ceux qui ont eu le courage de se battre, comme le Président Kagamé, de témoigner, notamment devant les commissions Mucyo / Mutzinsi. Sera-t’il qu’une étape vers la vérité totale ou participera-t’il à l’enterrement de cette dernière ?

    Les mêmes sont appelés à continuer le combat pour la justice envers toutes ces âmes innocentes.

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