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La France encourage la Turquie dans sa politique anti-démocratique : arrestation de 11 militants kurdes à Marseille *, Montpellier, Draguignan et Grenoble

Article mis en ligne le mardi 2 mars 2010

http://www.hns-info.net/spip.php?article22106

Source / auteur : http://akbdrk.free.fr/

La France encourage la Turquie dans sa politique anti-démocratique : arrestation de 11 militants kurdes à Marseille, Montpellier, Draguignan et Grenoble

Nous écrivions le 7 octobre dernier : aujourd’hui, la rue de Diyarbakir ou de Hakkari ne croit plus guère au plan gouvernemental qui exclut a priori un arrêt des opérations contre le PKK, une amnistie générale pour les rebelles ainsi qu’un amendement constitutionnel en faveur d’une reconnaissance officielle de l’identité kurde ; elle se demande s’il ne s’agit pas d’une énième manœuvre visant à diviser pour mieux régner : quand bien même cette manœuvre réussirait, elle ne ferait que précipiter le pays dans le chaos et le désespoir.

Aujourd’hui la situation est au comble de la confusion : le nombre d’élus et de cadre du parti pro-kurde (le BDP) embastillés ne cesse de croître (au moins 1 000, peut-être 1 500), plus de 2 000 enfants et jeunes de moins de 18 ans sont aussi incarcérés ; certains se sont vus condamner à des peines incroyables de 45 années de prison pour avoir lancé des pierres sur des tanks ; 132 journalistes sont poursuivis (le directeur du seul journal publié en kurde, Azadî Welat, vient d’écoper de… 21 ans de prison !) ; les 2 000 ouvriers de "Tekel" (la SEITA turque) sont en grève depuis plus de 2 mois ; la guerre fait rage entre le gouvernement islamo conservateur de l’AKP et le clan des militaires dont l’autorité et le prestige se trouvent mis à mal avec les révélations de préparation de coup d’Etat et les arrestations d’officiers de haut rang qui ont suivi. _ Même la bourse s’est inquiétée et les valeurs turques ont chuté.

La mise au pas des militaires aurait dû réjouir les Etats "de droit" qui ne manquent pas d’encourager le premier ministre turc dans son "ouverture démocratique" ; mais il semble que cet affaiblissement du pouvoir politique de la hiérarchie militaire inquiète les Américains et les pays de l’OTAN : l’armée turque n’est-elle pas la deuxième force de l’Otan ? Les fonds de pension des forces armées turques n’ont-ils pas créé la puissante holding militaire OYAK [1] ?

M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères, a été plusieurs fois interpellé à propos de la question kurde ; le 23 janvier dernier, Joël Dutto, ancien Vice-président du Conseil général des Bouches-du-Rhône, Conseiller municipal et Conseiller communautaire de Marseille, lui demandait par courrier de condamner la politique répressive de la Turquie :

Faut il voir dans cette politique répressive (de la Turquie) une volonté délibérée des autorités pour que se réactive le cycle de la violence propre à l’intervention de l’armée et la restriction des libertés fondamentales ? Comment ne pas légitimement se poser la question, alors que depuis plusieurs mois les forces militaires du PKK observent un cessez-le-feu unilatéral afin de créer un climat de paix favorable au dialogue ?

La question est également posée de la responsabilité de notre pays et de ceux de l’Union Européenne qui, en maintenant abusivement et sans fondement le PKK sur la liste des organisations terroristes, confortent la Turquie dans son opposition à un règlement politique et pacifique de la question kurde.

Monsieur le Ministre, vous savez comme moi que le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) n’est pas plus ni moins une organisation terroriste que ne l’ont été l’ANC de M. Nelson Mandela en son temps ou le Conseil national de la Résistance dans une période difficile de notre histoire.

Faut-il que les considérations politiques et économiques rendent à ce point aveugle pour ne pas voir qu’une majorité de Kurdes se reconnaissent et s’identifient à lui. Seuls ceux qui ne connaissent pas cette réalité peuvent croire qu’une solution existe en niant la nécessité d’un dialogue avec le PKK ou en voulant l’éliminer de la scène politique.

Dans sa réponse, B. Kouchner déclare notamment :

Dans le cadre du dialogue soutenu et constructif que nous avons aujourd’hui à titre bilatéral avec ce pays, nous continuons à encourager les autorités turques à intensifier leurs efforts pour le renforcement des libertés individuelles et la consolidation de l’Etat de droit en Turquie, qui doivent bénéficier à tous les citoyens turcs. Dans ce cadre, nous avons salué l’importance de l’initiative dite "d’ouverture démocratique" lancée par le gouvernement en direction des populations d’origine kurde et avons encouragé toutes les parties à poursuivre dans cette voie du dialogue.

Déjà cette position mainte fois exprimée nous paraissait ambigüe, provoquant chez nombre de personnes averties des interrogations légitimes : de quelle ouverture démocratique parle-t-il ? Comment le gouvernement français encourage les parties à dialoguer ?

Je n’ose pas croire que la réponse est dans le "coup de filet" opéré vendredi 26 février dans les milieux kurdes du sud de la France.

Nous sommes une fois de plus atterrés par la répression qui s’abat régulièrement sur les militants kurdes, qu’on interpelle, qu’on embastille durant des mois, et qu’on relâche ensuite en les maintenant sous contrôle judicaire dans l’attente d’un hypothétique procès qui se termine en général par une peine de prison couvrant la durée de la détention préventive.

Nedim Seven, en détention provisoire depuis février 2007, vient d’être libéré après 36 mois d’emprisonnement, la cour d’appel de Paris venant de rejeter les demandes d’extradition présentées par la Turquie. Faut-il voir un lien avec les opérations de la brigade antiterroriste qui se sont traduites par des perquisitions dans les locaux des "Maison des Kurdes" de Montpellier et de Marseille ?

Onze militants kurdes ont été arrêtés à Marseille, Montpellier, Draguignan et Grenoble et transférés à Paris, comme des grands criminels ! Le journal "La Provence" titre : "Marseille au cœur du terrorisme kurde ?". La presse française s’alignerait maintenant sur la presse turque ? Quel est ce "deal" qui voudrait qu’on sacrifie chaque année quelques Kurdes ?

Qu’on se rappelle la légende qu’on se raconte, chez les Kurdes, de génération en génération : le tyran Dehak exigeait qu’on lui sacrifie deux jeunes Kurdes pour apaiser son courroux mais le forgeron Kawa , excédé, finit par défier Dehak et le tuer ; en signe de victoire il alluma un grand feu ; c’est cette légende que les Kurdes commémorent en fêtant le Newroz, le 21 mars de chaque année.

André Métayer

Notes

[1] Créée en 1961, OYAK est composée de 26 sociétés couvrant des activités d’équipement de véhicules, de finance, du ciment, d’alimentation, de la chimie et de service, emploie 12 572 personnes et compte 180 000 membres officiers militaires. Son conseil d’administration n’est composé que de militaires de carrière (source : Institut kurde de Paris).


*Voir Mille Bâbords 13475

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