Une tribune pour les luttes

Le libéralisme à l’assaut du système scolaire français.

Par Jean Paul Walter

Article mis en ligne le mercredi 24 mars 2010

http://rased-en-lutte.net/2009/09/l...

13 septembre 2009

Les réformes imposées par le gouvernement au niveau du système scolaire français sont des réformes structurelles profondes de nature à changer totalement et de façon durable, l’esprit et la déontologie même de la mission du service d’éducation. Elles ont été longuement préparées. Les profonds bouleversements que nous connaissons actuellement dans l’organisation économique et sociale de notre pays et auxquels le système scolaire n’échappe pas, ne sont que l’accélération d’un processus engagé il y a plusieurs décennies déjà.

Les intentions du gouvernement ne sont pas de réformer le système scolaire pour le rendre plus efficient, mais de le déconstruire pour glisser progressivement vers un système d’éducation libéral et marchand puisque dans les sphères économiques les plus influentes, on travaille à la création d’une " économie de la connaissance ". Le gouvernement avance de façon masquée, c’est pourquoi beaucoup d’enseignants, de parents, certains syndicats même, n’osent croire que des objectifs aussi ultimes soient visés.

Il faut placer cette évolution dans un contexte plus large d’application d’une politique que l’on peut qualifier d’ultra-libérale (au regard des courants de pensée sur le libéralisme élaborés au 18ème siècle) et qui cherche à s’imposer de façon globale à tous les pays de la planète.

La Révision Générale des Politiques Publiques mise en œuvre en France, s’inscrit très exactement dans cette idéologie.
La globalisation mondiale est très largement inspirée par les économistes de l’université de Chicago dont les chefs de file étaient Friedrich Hayek et surtout Milton Friedmann. Les Chicago Boys, comme on appelait les économistes formés à cette université, sont devenus les conseillers de très nombreux chefs d’états. Ils ont fait main basse sur des organismes comme le FMI, la Banque Mondiale, l’OMC, l’OCDE.
Les procédés qu’ils appliquent sont invariablement les mêmes : dérèglementation, privatisation, remise en cause des droits sociaux, réduction du pouvoir de l’état et suppression des services publics. Ronald Reagan disait à ce propos : " L’état n’est pas la solution, l’état est le problème... "

Les magnats de la finance, les ténors du capitalisme, voyant dans ces théories, les fabuleux profits qu’ils pourraient en tirer, ont financé, dès les années 60 aux Etats-Unis, de puissants " think tank ".
Ce sont des laboratoires d’idées et d’expertises, dotés d’une organisation et d’un budget, dont l’objectif est d’influer sur la politique. Leur mission était de réfléchir aux modalités de mise en œuvre de ces principes néo-libéraux.

Dans bon nombre de pays, ils ont fait appliquer une thérapie de choc en mettant à profit les graves crises que traversaient ces pays ou en créant des crises (financières ou monétaires par la spéculation) pour que ces pays n’aient d’autres choix que de recourir à l’aide du FMI et de la Banque Mondiale et d’accepter les réformes structurelles imposées par ces institutions : Chili (Friedmann a été le conseiller économique de Pinochet), Argentine, Brésil, Afrique du Sud, Pologne, Russie, Philippines, Irak, etc... On connaît, dans ces pays, le coût en vies humaines, pour imposer aux populations les réformes économiques qu’elles ne souhaitaient pas.

Dans les pays les plus riches, les mêmes stratégies ne peuvent être appliquées. On réforme alors petites touches par petites touches, en étalant sur le long terme des réformes structurelles qui présenteraient pour les gouvernements des risques politiques trop importants.

La libéralisation en France, un long processus

En France, nous assistons à l’accélération d’un processus qui a démarré, à mon sens, déjà il y a une trentaine d’années, sans que les citoyens s’en rendent compte. En voici quelques étapes :

- 1973 : Réforme des statuts de la Banque de France, dans la plus grande discrétion. Cet organisme cesse d’être un service public. L’état abandonne la maîtrise de la monnaie. Il transfère au système bancaire privé son droit régalien de création monétaire. La Banque Centrale garde uniquement le droit d’émettre la monnaie fiduciaire - pièces et billets - ce qui ne représente que 7% de la masse monétaire).
Les banques, quant à elles, créent environ 10% de masse monétaire nouvelle par an, totalement virtuelle, par le simple jeu des crédits et perçoivent des intérêts pour ce service rendu.

- 1976 : L’état paye les intérêts de la dette au-delà du taux d’inflation.

- 1992 : Traité de Maastricht. La Banque Centrale Européenne a interdiction d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux Trésors publics des états membres. Autrement dit, les états sont obligés d’emprunter de l’argent à des organismes bancaires privés pour financer leurs investissements publics et de leur payer des intérêts. Cela a des conséquences énormes sur les politiques publiques, y compris celles de gouvernements souhaitant mettre en œuvre des politiques plus sociales.
La dette publique va, dès lors, non seulement permettre à des intérêts privés de capter l’argent public, mais aussi devenir un levier énorme pour démanteler progressivement les services de l’état et remettre en question les acquis sociaux.
D’après les calculs de André Jacques Holbecq et Philippe Derudder (La dette publique, une affaire rentable Editions Yves Michel) la dette publique de la France calculée en euros constants, s’élevait à 229,15 milliards d’euros au 1er janvier 1980. Elle est de 1328 milliards fin 2008. _ Sans les intérêts que l’état paye à des organismes bancaires privés, cette dette ne serait que de 0,45 milliards d’euros.
Autrement dit, cette dette gigantesque est exclusivement générée par les intérêts.

- 1994 : Révision du code pénal. Une administration peut dès lors être poursuivie pénalement. La responsabilité individuelle est très largement renforcée. Les individus deviennent responsables des dysfonctionnements et non pas le système.
On sait les conséquences que cela a pu avoir sur le fonctionnement des écoles (responsabilité des enseignants, dérive sécuritaire, etc...)
Un nouveau levier est mis en œuvre, celui de la peur et il permet de procéder à une répression légale.

-  1995 : Création de l’OMC dont la France est un membre fondateur et qui succède au GATT (accord général sur les tarifs et le commerce).
La même année, négociation secrète entre les 27 pays membres de l’OCDE de l’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI). Cet accord devait permettre aux sociétés multinationales d’assigner en justice les gouvernements dès lors qu’elles estimaient que les réglementations de cet état créaient des différences de traitement entre les investisseurs nationaux et étrangers, ou encore s’ils créaient des conditions de concurrence déloyale. Cet accord devait aussi permettre de rendre les états responsables de toute entrave aux activités de ces entreprises (manifestations, grèves...) et de les obliger alors à les indemniser. Toute aide à un secteur, à une région ou un pays devait devenir illégale. Un certain nombre d’ONG ont toutefois pu se procurer le projet d’accord et l’ont dénoncé à l’opinion publique. Devant les nombreuses oppositions (notamment en France) le projet a finalement été abandonné. Mais les chantres du libéralisme oeuvrent pour faire resurgir ces dispositions sous une autre forme.
Pourtant, toujours en 1995, un autre accord a été signé, l’AGCS (Accord Général sur le Commerce des Services). Ces accords prévoient une libéralisation progressive avec ouverture totale à la concurrence privée et étrangère, de tous les services, sauf ceux directement liés à la gouvernance (police, armée, justice, impôts...). Au total, 160 secteurs d’activité sont concernés, dont certains représentent de fabuleux marchés mondiaux qui excitent depuis longtemps la convoitise du secteur privé (1500 milliards d’euros par an pour l’éducation, 2600 milliards d’euros pour la santé).

C’est dans ce contexte qu’il faut replacer les réformes engagées par le gouvernement Sarkozy. Ce ne sont nullement des réformes improvisées, mais le simple respect des engagements pris au niveau mondial.

Les think tank de l’éducation

Dans le champ de l’éducation en France, on a vu naître, dès les années 70, un certain nombre d’associations, très liées aux sphères de l’école privée, et très influentes dans les partis politiques de droite. Leur objectif était de faire du lobbying et de réfléchir aux modalités de transformation de l’école publique : Le club de l’horloge, le Cercle Jean XXIII, l’association parlementaire pour la liberté de l’enseignement conduite par Jacques Barrot, Enseignement et Liberté, le club " Perspectives et réalités ", le Conseil pour l’avenir de la France, le Club 89...
Je citerai tout particulièrement la création en 1992, dans les locaux de l’Ecole Supérieure de Commerce (Sup de Co), de l’association " Créateurs d’écoles ", entendez par là, créateurs d’écoles privées.
Je vous lis un extrait du bulletin n° 1 de cette association :
" Notre mission est l’identification des verrous et les moyens de les faire sauter. (...)
Ce sera sans doute la partie la plus délicate de notre travail, car il ne faudra pas tomber dans le piège de la réforme globale, mais identifier avec précision les actions nécessaires, tout en les rendant possible...
"
Parmi les membres fondateurs de cette association : Maurice Quénet, Dominique Antoine, Guy Bourgeois (président de l’association) ...et Xavier Darcos !
Soit, dans l’ordre, le Recteur de l’Académie de Paris (jusqu’en décembre 2008), le Conseiller Education du Président de la République jusqu’en mai 2009, l’ancien directeur du cabinet du Ministère de l’Education Nationale sous François Bayrou, et le récent Ministre de l’Education Nationale.

La Commission Européenne finance également un think tank chargé de la conseiller en matière d’éducation, le très influent " European Expert Network on Economics of Education ". (Réseau européen d’experts en économie de l’éducation).
Ce groupe d’experts préconise " des politiques introduisant la compétition, le libre choix et les forces du marché dans le système scolaire ".

L’Organisation de Coopération et de Développement Economique a également produit des études pour conseiller les gouvernements sur les mesures d’ajustement à mettre en œuvre dans le cadre d’une politique de libéralisation des services, de réduction des dépenses publiques, afin d’atténuer les risques politiques liés à des mesures impopulaires.
A ce titre, je citerai le Cahier de Politique Economique n°13 publié par l’OCDE en 1996, intitulé " La Faisabilité politique de l’ajustement ", rédigé par Christian Morrisson, successivement Professeur de Sciences Economiques à l’Université Paris I, Directeur du laboratoire d’Economie Politique de l’Ecole Normale Supérieure, Chef de division à l’OCDE, Consultant auprès de la Banque Mondiale.
L’auteur prend la précaution de préciser que l’intérêt politique de ces mesures ne signifie pas qu’elles soient justes et que, pour cela, il a écrit par ailleurs, un Cahier de Politique économique intitulé " Ajustement et Equité ". Les recommandations qu’il formule dans ce cahier relèvent d’un pragmatisme proprement machiavélique. On peut y lire notamment, concernant l’éducation, les propositions suivantes :
" Si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement et l’école peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles, ou supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l’établissement voisin, de telle sorte que l’on évite un mécontentement général de la population. "
ou encore :
" Toute politique qui affaiblirait les corporatismes serait souhaitable... Cette politique peut prendre plusieurs formes : garantie d’un service minimum, formation d’un personnel qualifié complémentaire, privatisation ou division en plusieurs entreprises concurrentes lorsque cela est possible. "

Nous pouvons traduire cela de la façon suivante : SMA, jardins d’éveil, agence nationale de remplacement... Nous observons en tous cas que le gouvernement actuel suit à la lettre l’ensemble de ces recommandations.


LES STRATEGIES DE CETTE POLITIQUE LIBERALE

Les stratégies mises en œuvre pour aboutir à cette libéralisation ont toutes été théorisées dans les " think tank ". En voici les principaux aspects :


1) Les stratégies de communication :

- Depuis 1996, les gouvernements Juppé, Raffarin, de Villepin, Fillon ont systématiquement jeté le discrédit sur les services publics, préparant progressivement l’opinion publique à des réformes structurelles.
La dernière en date est l’Enquête du Ministère de l’EN rendue publique le 29 juin 2009 (juste avant les vacances : est-ce un hasard ?) concernant l’absentéisme des enseignants : " 45 % des enseignants ont posé au moins un congé maladie en 2008 - une proportion deux fois plus importante que chez les salariés du privé (22%). 283.000 enseignants du primaire ont cumulé quelque 3 millions de jours d’absence en 2007-2008. "
Que prépare cette enquête ? Est-elle à mettre en rapport avec la création d’une agence nationale de remplacement ? Avec une réforme du statut des enseignants ?
Par ailleurs, quel crédit peut-on accorder à la véracité de cette enquête ?

Le gouvernement actuel n’hésite pas à avoir recours à la désinformation et aux contre-vérités. J’ai par exemple fait une étude approfondie des résultats des évaluations internationales PISA et PIRLS à propos desquelles Xavier Darcos avait annoncé, pour justifier ses réformes :
" Les deux enquêtes internationales PISA et PIRLS, ont livré un constat alarmant sur l’état de notre système scolaire... "Aujourd’hui, lorsqu’on regarde les comparaisons internationales, alors que la France dépense beaucoup plus que ses partenaires, elle est classée dans les tout derniers de tous les classements internationaux. " Aujourd’hui, sur 40 pays, nous sommes dans les six derniers.
Ces propos ont été relayés également par le Président de la République.
Ce sont de totales contre-vérités car le recul est très relatif et quand on analyse ces évaluations de près, on constate qu’il y a des raisons objectives qui justifient cette légère baisse de performances.
Les évaluateurs estiment que la France fait partie des pays pour lesquels l’évolution n’est pas significative.
Pour l’enquête PISA, par exemple, au classement 2006, sans tenir compte de la marge d’erreur, la France se situe :
- 19ème /58 en sciences - (10e en 2003, mais sur 42 pays uniquement),
Mathématiques 17e /58 (13e /42 en 2003)
Compréhension de l’écrit 17e / 58 (14e /42 en 2003).

Pour ces deux enquêtes, énormément de pays sont dans un mouchoir de poche. Dans ce cas, se référer à un classement pour juger de l’efficacité d’un système scolaire, relève de la démagogie. C’est comme si, lors d’un sprint cycliste, on prétendait que le 10ème qui est arrivé à 8/10e de seconde du vainqueur, est un tocard.

Les évaluations CE1 et CM2 participent à mon sens de la même stratégie de communication, pour justifier la nécessité de réformer. Elles ont été unanimement jugées difficiles. Beaucoup d’observateurs ont été stupéfiés par la complexité du texte soumis à la lecture des enfants de CE1 et pour lesquelles toutes les questions posées ne trouvaient pas de réponses explicites dans le texte.

2) La dégradation du service rendu :

Il y a une grande cohérence entre toutes ces mesures. Pour obtenir facilement le consentement de l’opinion pour la privatisation des services publics, la stratégie la plus souvent utilisée consiste à organiser préalablement la dégradation de la qualité du service, afin qu’ils perdent de l’attractivité au regard du privé et que leur inefficience puisse servir de prétexte à leur privatisation.
Cette stratégie est actuellement massivement appliquée dans le secteur de l’éducation (et de la santé aussi d’ailleurs). Voyons de quelle manière.

La mesure la plus efficace pour déconstruire, est la suppression massive de postes d’enseignants.
Il est difficile d’en comptabiliser le nombre exact car la gestion des personnels est très opaque à l’Education Nationale. On dépasse les 50 000 suppressions au cours de ces 5 dernières années.
Avant de changer de ministère, Xavier Darcos a annoncé 16 000 nouvelles suppressions pour 2010.

- En collèges et lycées, les dotations en heure sont très souvent attribuées en deçà des besoins. Par conséquent, on concentre plus d’élèves dans moins de classes, on y a recours de façon massive aux heures supplémentaires, on recrute à tour de bras du personnel vacataire, sous-payé et au statut précaire, et malgré cela, il faut maintenant réduire l’offre dans certaines matières, comme par exemple l’enseignement des langues.
La réforme du lycée engagée par Xavier Darcos devait permettre également de réorganiser la scolarité des lycéens, avec notamment moins d’heures de cours, pour supprimer des postes. L’économie escomptée a été évaluée à 16 ou 17 000 postes.
Le recul sur cette réforme s’explique par le fait que risque politique apparaissait trop important pour le gouvernement. Une forte coalition, de la maternelle à l’université, aurait eu trop de poids. Par ailleurs, les politiques se méfient des grèves d’enseignants dans les lycées, car elles libèrent une population lycéenne prompte à se joindre aux manifestations.

- Dans l’enseignement primaire, l’application " Base élèves " a également été conçue pour pouvoir gérer les effectifs au plus près et donc supprimer des postes d’enseignants. On joue ensuite sur les
seuils d’ouverture et de fermeture, mais les économies d’échelle ne peuvent pas encore y être appliquées de la même façon en raison d’une plus grande dispersion géographique, notamment en milieu rural. C’est là que la mise en place des EPEP suscite des inquiétudes. Cette structure permettrait de faire sauter ce verrou.

Dans le premier degré, pour l’instant, on a surtout rogné à la périphérie :
- les enseignants malades sont de moins en moins remplacés.
- les RASED sont amputés. D’abord l’annonce de 3000 suppressions, ramenées ensuite à 1500, devant la mobilisation. Mais, s’agit-il là d’un tour de passe-passe ? Dans notre département, 19 postes en Rased sont gelés et non pourvus. Cela permet de dire que les postes ne sont pas supprimés.
- on programme la disparition des sections de tout-petits dans les écoles maternelles. Xavier Darcos a démenti que les petites et moyennes sections pourraient emboîter le pas. Mais je signale que le rapport du député Yves Censi déposé en octobre 2008 dans le cadre de la loi des finances, établi des comparaisons entre plusieurs pays d’Europe et suggère que l’on pourrait réduire les dépenses en France en raccourcissant la durée de la scolarité de 2 ans. Cette remarque laisse penser que le déshabillage de la maternelle n’est sans doute pas terminé d’autant qu’elle serait mise en concurrence avec les jardins d’éveil.
- on supprime les postes dans les services éducatifs des musées, ou encore dans les associations complémentaires de l’éducation nationale, telles que l’USEP, l’OCCE, les CEMEA, la JPA, les PEP, etc... Ces associations ont la réputation d’être hostiles aux idéologies de droite. Darcos avait d’ailleurs annoncé qu’il n’allait pas continuer à financer ceux qui venaient crier sous ses fenêtres.

3) La modification des structures de l’organisation des établissements et les statuts des personnels :

- Dans l’enseignement supérieur, la machine est en route. La loi sur les Libertés et responsabilités des universités, prévoit l’Autonomie financière des universités, l’autonomie au niveau de la gestion des ressources humaines (le Président a un droit de veto sur les affectations et les recrutements des personnels, distribue des primes au personnel), la possibilité pour les Universités de devenir propriétaire des biens immobiliers.
En appliquant aux universités, la structure d’une entreprise, le modèle managérial va s’imposer à ses acteurs et l’on glissera progressivement vers le modèle libéral.

- Le projet de réforme des lycées comportait un volant de même nature. Bon nombre d’observateurs y voyaient également la mise en route d’un lycée à l’anglo-saxonne, avec un renforcement du pouvoir du chef d’établissement, un accroissement de l’autonomie de l’établissement (avec des concepts du style pilotage des résultats, nouvelles formes d’évaluation...).
Beaucoup y ont vu également, un profond changement de la condition enseignante préfigurant un changement de statut, avec la modularisation des enseignements sur le modèle des cursus à la carte des universités. La mise en place d’un soutien scolaire (heures hebdomadaires et stages en été) confié à des assistants d’éducation pouvant être recrutés par des étudiants en master se destinant à l’enseignement fait intervenir dans les établissements des personnels aux statuts différents et concurrentiels.
La réforme des lycées devrait être remise en route par Luc Châtel.

- Dans le 1er degré, la création des EPEP, Etablissements Publics d’Enseignement Primaire, laisse craindre aussi que cela soit la clé de voûte pour de profonds changements. Il ne s’agit pas uniquement de regrouper pour réduire les moyens.
Le projet de loi actuel augmente énormément le pouvoir du directeur d’EPEP qui ne sera pas forcément un enseignant. Les enseignants sont très minoritaires au conseil d’administration. Les prises de décision concernant le financement des EPEP deviennent extérieures aux communes en milieu rural. Que deviendront les petites écoles à plus long terme ? Quels en seront les effets sur la vie des villages ?
Le projet d’établissement est préparé par le Conseil pédagogique qui regroupe le directeur de l’EPEP et des enseignants élus au CA et non plus la totalité de l’équipe pédagogique.
La liberté pédagogique des enseignants est donc réduite.
Mais les EPEP permettront surtout de faire sauter un certain nombre de verrous pour évoluer vers d’autres formes d’organisation du système scolaire.
On peut y voir poindre, comme pour la réforme des universités :
- l’autonomie des établissements, sur le plan financier, au niveau du recrutement, au niveau de la gestion des apprentissages,
- la mise en concurrence des établissements,
- le chèque éducation et... la privatisation progressive...

Il faut mettre en relation ces modifications de structures avec :
- * la suppression annoncée de la carte scolaire, laissant aux familles le libre-choix de leur établissement - en réalité, une sélection s’opérera à l’entrée des bons établissements avec une ghettoïsation des établissements les moins côtés.
- * le culte de l’évaluation et de la performance (mise en concurrence des établissements, mais aussi des enseignants entre eux au sein d’un même établissement). Je rappelle que Xavier Darcos avait même annoncé qu’il était favorable à ce que les enseignants soient payés en fonction des résultats de leurs élèves.
On est alors dans un contexte où l’on calque le fonctionnement d’une école sur celui d’une entreprise, comme si une école était une chaîne de production, avec tous les effets pervers que cela engendrerait, notamment pour les élèves les plus fragiles.

Je pense que la modification du statut des enseignants est également en route. Le rapport sur la redéfinition du métier d’enseignant appelé Livre vert, remis au Ministre le 4 février 2008 par Marcel Pochard, Conseiller d’Etat, donne toute une palette de pistes sur la nature du contrat de travail des enseignants, allant du maintien du statut actuel à une précarisation très forte. Dans le contexte actuel, on peut penser que ce sont les options les plus libérales qui sont visées à moyen ou long terme. J’en veux pour preuve la multiplication des postes à profil qui échappent à toute règle en ce qui concerne le recrutement.

La mastérisation de la formation enseignante a été adoptée cet été. Les catégories sociales pouvant avoir accès au métier d’enseignant changeront car il faut pouvoir payer des études universitaires longues.
Le concours aura donc lieu au cours du premier semestre de la 2ème année de master. Les recalés du concours (80 % des candidats) pourront toutefois obtenir leur diplôme. On verra donc grandir considérablement une cohorte de diplômés prêts à occuper des postes d’enseignants contractuels recrutés directement par les proviseurs, principaux ou directeurs d’EPEP, en CDD, de façon précaire et sous-payés.
Il est prévu que l’Agence Nationale du Remplacement, agence d’intérim faisant appel à des vacataires, recrute dans ce vivier. Dans ces conditions de précarisation accrue des personnels, il sera facile, à plus long terme, de faire apparaître le maintien de fonctionnaires dans l’Education Nationale comme une anomalie.


4) Organiser le mécontentement des usagers

L’habillage de ces mesures fait habituellement porter la responsabilité des dysfonctionnements de l’institution par les agents de terrain, mettant les politiques hors de cause.

- Les rythmes scolaires dans le primaire sont unanimement décriés. Il faut concentrer plus d’apprentissages dans temps raccourci, puisque les nouveaux programmes sont plus lourds et que le samedi matin a été supprimé. Ça se traduit par une pression continuelle sur les élèves, notamment sur les plus lents, les plus fragiles. C’est du stress totalement contre productif.
Les enfants quittent leur journée de classe épuisés (les enseignants aussi d’ailleurs). Et pour ceux qui sont concernés par l’aide personnalisée, on rajoute une louche au pire moment de la journée.

- Les programmes scolaires préconisent les vieilles méthodes de transmission des savoirs de l’école d’antan, faisant fi et jetant le discrédit sur toutes les recherches dans le domaine des sciences de l’éducation. Ils ont été considérablement alourdis. La tendance est à l’intensif au détriment de projets qui donnent du sens aux apprentissages. Ils instaurent l’apprentissage de la lecture dès la grande section de maternelle, à un âge où nombre d’enfants n’ont pas la maturité nécessaire. Ils mettent l’accent sur les " automatismes " plutôt que la recherche de sens. La démarche pédagogique recommandée est celle de la répétition, de l’exercice redoublé. Il y a de moins en moins de plaisir à apprendre dans ce contexte.

- L’aide spécialisée du RASED est progressivement supprimée. On la remplace par de l’aide personnalisée, du soutien ou des stages de remise à niveau s’adressant à des enfants qui saturent par ailleurs. Ce sont des placebos qui doivent donner l’impression de ne pas abandonner les populations les plus défavorisées.

- L’accueil des enfants en situation de handicap a été rendu obligatoire. _ D’apparence généreuse, cette mesure est toutefois en trompe l’œil, car faute de moyens humains pour accompagner ces enfants, les conditions de scolarisation deviennent souvent difficiles pour les handicapés, pour les autres élèves, pour les enseignants, notamment lorsqu’il s’agit d’un handicap mental.

- La publication des résultats des évaluations nationales pousse progressivement les enseignants vers des pratiques qui relèvent du bachotage et pousse au clientélisme.

- La disparition des IUFM et la masterisation de la formation des enseignants conduit à une formation professionnelle réduite. Elle est limitée à un stage qui s’effectuera durant le deuxième semestre de la 2ème année de master et sans autre soutien qu’un vague " compagnonnage ". On image le désarroi de ces enseignants qui vont de plein pied se retrouver devant une classe.


5) Mettre en place des mesures en faveur des établissements privés

Parallèlement à la déconstruction de l’école publique, le gouvernement a mis en œuvre un certain nombre de mesures favorisant les écoles privées.

- A partir de mars 2008, dans la plus grande indifférence, ont été multipliés les contrats d’association avec les écoles privées qui leur permettent d’être prises en charge financièrement de façon quasi intégrale par les collectivités territoriales.

- En 2008 et 2009, les suppressions de postes d’enseignants payés par l’état ne s’appliquent pas dans les mêmes proportions au privé qu’au public.

- Création début 2008 d’un fonds d’intervention pour aider les écoles privées à se développer dans les banlieues. Dans le cadre du plan de Fadela Amara " Espoir Banlieues ", plus de 50 classes privées ont été créées dans les banlieues en septembre 2008, sous prétexte de venir en aide aux élèves qui sont sur le point de sortir du système scolaire sans diplômes. L’état prend en charge les frais d’aménagement des locaux et une grande part du fonctionnement : le " forfait internat " dans le cas où les élèves sont hébergés en pensionnat et la rémunération des enseignants.
L’espoir en banlieue sera donc porté par les écoles privées, essentiellement catholiques.

- Le 18 décembre 2008, Nicolas Sarkozy a signé des accords avec le Vatican sur la reconnaissance des diplômes de l’enseignement supérieur catholique notamment concernant la formation des enseignants.

- Un autre accord a été signé en juin 2009. Les Instituts catholiques peuvent délivrer désormais des masters de formation d’enseignants.

- Le Rectorat de Grenoble a décidé que pour la première fois, un grand nombre d’établissements privés étaient centres d’examens pour la session du baccalauréat 2009 -

- Le projet de loi Carle (Jean-Claude Carle - Sénateur de Haute Savoie) a été adopté par le sénat et en commission par l’Assemblée Nationale. Il devait être soumis au vote du Parlement au mois de juin, mais ce vote a été ajourné.
Ce nouveau texte doit abroger l’article 89 de la loi du 13 août 2004 dont la circulaire d’application du 6 août 2007 est actuellement déférée devant le Conseil d’Etat par plusieurs organismes dont l’Association des Maires Ruraux de France.

La loi du 13 août 2004 reconnaît déjà, de fait, une mission de service public aux écoles privées qui sont pourtant des entreprises n’ayant aucune des obligations des écoles publiques (laïcité, obligation d’accueil de tous les élèves, continuité de service et gratuité pour les familles).
Mais au-delà de cette préoccupation, le projet de Loi Carle, comme l’article 89 de la loi de 2004, crée de nouvelles obligations pour les communes, les obligeant à financer la scolarité de leurs enfants inscrits dans des écoles privées hors de la commune de résidence, et ce, sans accord préalable.
Cette obligation est certes limitée aux conditions suivantes :
- obligations professionnelles des parents, lorsqu’ils résident dans une commune qui n’assure pas directement ou indirectement la restauration et la garde des enfants ;
- inscription d’un frère ou d’une sœur dans un établissement scolaire de la même commune ;
- raisons médicales.
Or, peu de communes rurales sont en mesure de financer un service de restauration et de garde d’enfants. Ce nouveau droit des usagers peut être lourd de conséquences pour les communes rurales. Au-delà des charges nouvelles que cela occasionnerait, nous craignons un exode scolaire qui conduirait à des fermetures des classes dans l’école publique du village, voire sa disparition totale.
Par ailleurs, même lorsque la contribution n’est pas obligatoire, la commune de résidence peut participer aux frais de fonctionnement de l’établissement d’accueil dans la limite du montant consacré à la scolarisation de l’enfant à l’école publique.


6) Le fichage, la veille de l’opinion et la répression

Un autre phénomène inquiétant est l’atteinte sévère aux libertés individuelles.

- Il y a bien sûr le fichage dans Base-Elèves, qui fait l’objet de vives réserves, de la part de la Ligue des droits de l’homme et du Comité des Droits de l’Enfant des Nations Unies, notamment. Des données très sensibles (nationalité, parcours scolaire, religion...) figuraient dans la version initiale de base-élèves. Une forte mobilisation a fait retirer un certain nombre de champs controversés de cette application. Après avoir entendu les représentants de la France le 12 juin, le Comité des Droits de l’Enfant des Nations Unis a fait part, dans son rapport, de ses préoccupations quant à l’usage de ce fichier à des " fins telles que la détection de la délinquance et des enfants migrants en situation irrégulière et liées à l’insuffisance de dispositions légales propres à prévenir son interconnexion avec les bases de données d’autres administrations".[

- La délégation à la communication du Ministère de l’Education Nationale a lancé un appel d’offres dont l’annonce a été publiée le 6 novembre 2008 au bulletin officiel des annonces des marchés publics.
Cet appel s’adresse à des sociétés privées et concerne deux lots :
- l’un pour le compte du Ministère de l’éducation nationale d’un montant de 100 000 € HT,
- l’autre pour le compte du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, d’un montant de 120 000 € HT.

Il s’agit de mettre en place un dispositif de veille de l’opinion dans le domaine de l’éducation.
Voici quelques objectifs tels qu’ils sont mentionnés dans l’appel d’offre :
Ce dispositif vise, en particulier sur Internet, à :
- Repérer les leaders d’opinion, les lanceurs d’alerte et analyser leur potentiel d’influence et leur capacité à se constituer en réseau,
- identifier les réseaux d’influence,
- Identifier et analyser les sources stratégiques ou structurant l’opinion
- Alerter(le ministère) et préconiser en conséquence...

Sources surveillées

La veille sur Internet portera sur les sources stratégiques en ligne : sites " commentateurs " de l’actualité, revendicatifs, informatifs, participatifs, politiques, etc. Elle portera ainsi sur les médias en ligne, les sites de syndicats, de partis politiques, les portails thématiques ou régionaux, les sites militants d’associations, de mouvements revendicatifs ou alternatifs, de leaders d’opinion. La veille portera également sur les moteurs généralistes, les forums grand public et spécialisés, les blogs, les pages personnelles, les réseaux sociaux....
Les vidéos, pétitions en ligne, appels à démission, doivent être suivis avec une attention particulière et signalées en temps réel.

Les sources d’informations formelles que sont la presse écrite, les dépêches d’agences de presse, la presse professionnelle spécialisée, les débats des assemblées, les rapports publics, les baromètres, études et sondages seront également surveillées et traitées.

La chasse aux sorcières est donc ouverte.

Parallèlement à ce flicage, on assiste à une répression de plus en plus dure qui frappe les désobéisseurs de l’Education Nationale, mais également d’autres agents de l’état notamment par rapport au devoir de réserve.
Voici quelques exemples :
- Jean-Yves Le Gall : L’IA de l’Isère lui a signifié le retrait de sa fonction de directeur et le contraint de quitter son école pour avoir refusé de renseigner " Base élèves ".
- Erwan Redon et Christine Jousset (Marseille) - refus de mettre en œuvre les nouveaux programmes et les deux heures d’aide personnalisées - retrait 32 jours de salaires sur 3 mois pour service non fait. Sanction annulée provisoirement par le tribunal administratif.
- Alain Refalo : 19 jours de retrait de salaire et refus d’une promotion à l’échelon supérieur ( - 7000 euros pour les 4 ans à venir) - Motifs : manquement au devoir de réserve, incitation à la désobéissance collective, attaque publique contre un fonctionnaire de l’Education nationale. "
- Diane Combes et Bastien Cazals : retrait de salaires et interdiction de s’exprimer dans les médias.
Le Tribunal Administratif TA de Montpellier a jugé que les 24 jours de retenue de salaire concernant Bastien Cazals étaient " illégaux " au motif qu’on ne pouvait considérer que le professeur des écoles ait manqué à ses obligations.
- Des plaintes ont été déposées à l’encontre d’Isabelle Bérard et Christian Bernardini pour occupation illégale de l’Inspection Départementale alors qu’ils attendaient l’IEN pour lui remettre une lettre.

Le 9 juillet 2009, le ministre Luc Chatel a eu des déclarations inflexibles à l’encontre des désobéisseurs.

Des sanctions sont également en cours contre le gendarme Jean-Hughes Matelli et le commandant de police Philippe Pichon pour s’être exprimé dans les médias sur la politique sécuritaire mise en œuvre.

CONCLUSION

Ce tableau n’apparaît pas très reluisant. Le libéralisme nous plonge dans un monde extrêmement inégalitaire. Les perspectives de marchandisation du service d’éducation placent l’école plus que jamais dans cette grande problématique du 21ème siècle qu’est l’équité. Il est évident qu’un système scolaire payant verrouillera à tout jamais les classes sociales. Warren Buffet, un des magnats de la finance à New York, affirmait à ce propos, il y a quelque temps : " La lutte des classes a bien lieu, mais c’est la mienne qui est en train de la remporter. "
L’enjeu pour nous est de savoir comment exercer un contre pouvoir et comment inverser cette tendance.

Jean-Paul WALTER

août 2009

Quelques sources :
_ Le grand bond en arrière Serge Halimi Fayard
La stratégie du choc Naomi Klein Léméac/Actes sud
_ La dette publique, une affaire rentable André-Jacques Holbecq Philippe Derudder Ed Yves Michel
_ Main basse sur l’école publique Eddy Khaldi Muriel Fitoussi Demopolis
Les politiques scolaires mises en examen
Claude Lelièvre ESF Editeur
Centre de développement de l’OCDE - Cahier de politique économique n° 13 La Faisabilité politique de l’ajustement par Christian Morrisson
_ La nouvelle raison du monde Pierre Bardot - Christian Laval La Découverte

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