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Le Grand Soir

Chomsky : L’éducation est ignorance (Extrait du livre "Class Warfare" -1995)

Noam CHOMSKY Interview mené par David Barsamian

Article mis en ligne le mardi 27 avril 2010

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DAVID BARSAMIAN : L’un des héros du renouveau actuel de la droite… est Adam Smith. Vous avez effectué des recherches très impressionnantes sur lui qui ont fait remonter à la surface… beaucoup d’informations qui ne circulent pas. Vous l’avez souvent cité décrire « l’abominable maxime des maîtres de l’humanité : tout pour nous et rien pour les autres. »

NOAM CHOMSKY : Je n’ai pas du tout fait de recherches sur Smith. Je l’ai juste lu. Il n’y a pas de recherches. Je l’ai lu tout simplement. Il est pré-capitaliste, c’est une des figures des Lumières. Il mépriserait ce que nous appelons capitalisme. Les gens lisent des bribes d’Adam Smith, les quelques phrases qu’ils enseignent à l’école. Tout le monde lit le premier paragraphe de «  La Richesse des Nations » où il dit combien la division du travail est merveilleuse. Mais peu poursuivent des centaines de pages plus loin, où il dit que la division du travail détruira les êtres humains et transformera les gens en créatures aussi stupides et ignorantes qu’il est possible de l’être pour un humain. Et que par conséquent, dans toute société civilisée, le gouvernement devra prendre des mesures pour empêcher la division du travail d’atteindre ses extrêmes.

Il a donné un argument en faveur des marchés, mais l’argument était que sous condition d’une liberté parfaite, les marchés mèneraient à l’égalité parfaite. C’est l’argument en leur faveur, parce qu’il pensait que l’égalité de condition (pas seulement l’opportunité) était ce que à quoi l’on devait tenter d’aboutir. Et ça revient toujours et toujours. Il donna une critique dévastatrice de ce que nous appellerions les politiques Nord-Sud. Il parlait de l’Angleterre et de l’Inde. Il a sévèrement condamné les expériences que les britanniques menaient à l’époque et qui étaient en train de dévaster l’Inde.

Il a aussi fait des remarques, qui devraient être des truismes, sur la façon dont l’Etat fonctionne. Il signala qu’il est totalement absurde de parler d’une nation et de ce que nous appellerions aujourd’hui les « intérêts nationaux ». Il a simplement observé au passage, parce que c’est trop flagrant, qu’en Angleterre, qui est le sujet dont il discute – et c’était alors la société la plus démocratique -, les principaux architectes de la politique sont « les marchands et les manufacturiers », et qu’ils s’assurent que leurs propres intérêts soient, selon ses propres mots, « particulièrement pris en considération », quel qu’en soit l’effet sur les autres, y compris le peuple anglais qui, c’est ce qu’il soutient, a souffert de leurs politiques. Il n’avait pas les éléments pour le prouver à cette époque, mais il avait probablement raison.

Un siècle plus tard, ce truisme fut appelé analyse de classe, mais vous n’avez pas besoin de lire du Marx pour la trouver. C’est très explicite chez Adam Smith. C’est si flagrant qu’un enfant de 10 ans peut le voir. Il n’en a donc pas fait grand cas. Il l’a juste mentionné. Mais c’est correct. Si vous lisez ses travaux, il est intelligent. C’est une personne qui vient des Lumières. Sa motivation principale était l’hypothèse que les gens sont guidés par la sympathie et les sentiments de solidarité ainsi que le besoin de contrôler leur propre travail, tout comme les autres penseurs des Lumières ou du début du Romantisme. Il fait partie de cette période, des Lumières Ecossaises.

La description qu’on fait de lui aujourd’hui est tout simplement ridicule. Mais je n’ai pas eu à faire des recherches pour en arriver à cette conclusion. Tout ce que vous avez à faire est de le lire. Si vous savez lire, vous le trouverez. J’ai recherché un peu la façon dont c’est traité, et c’est intéressant. Par exemple, l’université de Chicago, le grand bastion de l’économie de marché, a publié une édition bicentenaire du héros, une édition savante avec un énorme index et toutes les notes de bas de page et l’introduction écrite par un lauréat du Prix Nobel, George Stigler. Une authentique édition d’érudit. C’est celle que j’ai utilisée. C’est la meilleure version. Le cadre académique était très intéressant, y compris l’introduction de Stigler. Il est probable qu’il n’a jamais ouvert « La Richesse des Nations ». Presque tout ce qu’il dit du livre est complètement faux. Sur ce sujet, j’ai examiné un tas d’exemple par écrit, dans «  l’An 501 » et ailleurs.

Mais d’une certaine façon, l’index était encore plus intéressant. Adam Smith est très connu pour son plaidoyer en faveur de la division du travail. Regardez dans l’index « division du travail » : il y a des tas de choses listées. Mais il y en a une manquante, à savoir sa dénonciation de la division du travail, celle que je viens de citer. Je ne sais pourquoi mais elle est absente. Et ça continue comme ça. Je n’appellerais pas ça de la recherche car ça prend 10 minutes de travail, mais si vous regardez l’édition savante, c’est alors intéressant.

Je veux être clair sur ce sujet. Il y a de bonnes études sur Smith. Si vous lisez la recherche sérieuse sur Smith, rien de ce que je dis n’est une surprise pour quiconque. Comment le serait-ce ? Vous ouvrez le livre, vous le lisez et ça vous saute aux yeux. D’un autre côté, si vous regardez le mythe d’Adam Smith, qui est le seul que l’on trouve, l’écart entre le mythe et la réalité est énorme.

Ceci est valable pour le libéralisme classique en général. Ses fondateurs, des gens comme Adam Smith et Wilhelm von Humboldt, l’un des grands représentants du libéralisme classique, et qui inspirèrent John Stuart Mill – ils étaient ce que nous appellerions des socialistes libertaires, c’est du moins ainsi que je les lis. Par exemple, Humboldt, comme Smith, dit : songez à un artisan qui construit de belles choses. Humboldt dit que s’il le fait par coercition externe, comme une paie, pour des salaires, on admirera ce qu’il fait mais on méprisera ce qu’il est. D’un autre côté, s’il le fait librement, comme expression de son libre arbitre, de sa propre volonté, et non pas à cause de la coercition externe du travail salarial, alors nous admirons aussi ce qu’il est parce qu’il est un être humain. Il a dit que tout système socioéconomique décent sera basé sur l’hypothèse selon laquelle les gens ont la liberté de s’informer et de créer – vu que c’est la nature fondamentale des humains – en libre association avec les autres, mais certainement pas sous le genre de contraintes externes qui furent appelées capitalisme.

C’est la même chose avec Jefferson. Il vécut un demi-siècle plus tard, il a donc vu le capitalisme d’état se développer, et il le méprisait bien sûr. Il a dit que ça mènerait à une forme d’absolutisme pire que celui contre lequel nous nous étions défendu. En fait, si vous parcourez cette période entière, vous y verrez une critique très nette et acerbe de ce que nous appellerons plus tard «  capitalisme » et de sa version du 20° siècle, qui est conçue pour détruire l’individu, même dans le capitalisme entrepreneurial.

Il y a un courant parallèle qui est rarement pris en compte mais tout aussi fascinant. C’est la littérature ouvrière du 19° siècle. Ils ne lisaient pas Adam Smith et Wilhelm von Humboldt, mais ils disent les mêmes choses. Lisez les journaux sortis par les personnes appelées les « filles de l’usine de Lowell », des jeunes femmes dans les usines, des mécaniciennes et d’autres ouvriers qui dirigeaient leurs propres journaux. C’est le même genre de critique. Il y eut une vraie bataille de la part de la population active en Angleterre et aux E.U. pour se défendre contre ce qu’ils appelaient la dégradation, l’oppression et la violence du système capitaliste industriel, qui non seulement les déshumanisaient mais réduisait aussi radicalement leur niveau intellectuel. Vous retournez donc au milieu du 19° et ces « filles d’usines », des jeunes filles travaillant dans les fabriques de Lowell (dans le Massachusetts), lisaient de la littérature de qualité de l’époque. Ils ont identifié que l’élément clé du système était de les transformer en outils qui seraient manipulés, dégradés, maltraités etc. etc. Et ils ont âprement combattu ceci sur une longue période. C’est l’histoire de l’essor du capitalisme.

L’autre aspect de l’histoire est le développement des grandes firmes, ce qui est un évènement intéressant en lui-même. Adam Smith n’en a pas beaucoup parlé, mais il a critiqué ses premières étapes . Jefferson a vécu suffisamment longtemps pour en voir les débuts, et il leurs était très opposé. Mais le développement des grandes firmes a réellement eu lieu au début du 20° siècle et très tard dans le 19° siècle. Au début elles existaient en tant que service public. Les gens s’alliaient pour construire un pont et ils étaient incorporés dans ce but par l’Etat. Ils construisaient le pont et c’était fini. Elles étaient supposées avoir une fonction d’intérêt public. Dans les années 70, les états supprimaient les chartes d’entreprise. Elles étaient accordées par l’Etat. Elles n’avaient aucune autorité. C’étaient des fictions. Ils supprimèrent les chartes d’entreprise car elles ne remplissaient pas une fonction publique. Puis vous passez à l’époque des compagnies et des firmes et des divers efforts pour consolider le pouvoir qui commençait à se mettre en place à la fin du 19°. Il est intéressant de regarder la littérature. Les tribunaux ne l’ont pas vraiment accepté. Il y eut quelques indices de ceci. Ce n’est pas avant le début du 20° siècle que les tribunaux et les avocats conçurent un nouveau système socioéconomique. Ce ne fut jamais fait par la législation. Ce le fut principalement par les tribunaux, les avocats et le pouvoir qu’ils détenaient sur les états. Le New Jersey fut le premier état à offrir aux sociétés tous les droits qu’elles souhaitaient. Le capital du pays tout entier commença bien évidemment à affluer soudainement vers le New Jersey. Les autres états durent donc faire la même chose afin de se défendre, sous peine d’être anéantis. C’est une sorte de globalisation à petite échelle. Puis les tribunaux et les avocats arrivèrent et créèrent un nouveau corps entier de doctrine qui donna aux firmes une autorité et un pouvoir qu’elles n’avaient jamais eu auparavant. Si vous regardez le contexte de l’époque, c’est le même qui mena au fascisme et au bolchevisme. Beaucoup de tout ceci fut soutenu par des gens appelés progressistes, pour ces raisons : ils affirmaient que c’était la fin des droits individuels. Nous sommes dans une période où les compagnies prennent le pouvoir, où le pouvoir se consolide et se centralise. C’est censé être bénéfique si vous êtes un progressiste, par exemple un marxiste-léniniste. De ce contexte sortirent trois choses majeures : le fascisme, le bolchevisme et la tyrannie d’entreprise. Ils sortirent plus ou moins tous les trois des mêmes racines hégéliennes. C’est assez récent. Nous pensons aux grandes firmes comme quelque chose d’immuable, mais elles furent montées de toutes pièces. Ce fut une création consciente qui fonctionna comme Adam Smith l’avait dit : les architectes principaux de la politique renforcent le pouvoir étatique et l’utilisent selon leurs propres intérêts. Ce n’était certainement pas la volonté populaire. C’est essentiellement les décisions des cours et des avocats qui créèrent une forme de tyrannie privée en de nombreux aspects maintenant plus écrasante que ne l’était la tyrannie étatique. Ce sont des parties majeures de l’histoire moderne du 20° siècle. Les libéraux classiques seraient horrifiés. Ils n’avaient pas imaginé ça. Mais les petites choses qu’ils avaient vues les avaient déjà horrifiés. Cela aurait totalement scandalisé Adam Smith ou Jefferson ou quelqu’un comme eux…

BARSAMIAN : … Vous êtes très patient avec les gens, particulièrement ceux qui posent les questions les plus idiotes. Est-ce quelque chose que vous avez cultivé ?

CHOMSKY : Premièrement, d’habitude je fulmine intérieurement, ce que vous voyez donc à l’extérieur n’est pas nécessairement ce qui se trouve à l’intérieur. Mais en ce qui concerne les questions, la seule chose qui m’irrite est l’élite intellectuelle, les trucs qu’ils font me dérange. Je ne devrais pas. Je devrais m’y attendre. Mais ça m’irrite. Mais d’un autre côté, ce que vous décrivez comme idiot m’apparaissent comme des questions parfaitement honnêtes. Les gens n’ont pas de raison de croire autre chose que ce qu’ils disent. Si vous vous demandez d’où vient le questionneur, à ce à quoi il a été exposé, c’est une question très rationnelle et intelligente. Ca peut sembler idiot d’un autre point de vue, mais ça ne l’est pas du tout selon le cadre d’où elle émerge. C’est plutôt raisonnable en règle générale. Il n’y a donc pas de quoi être énervé.

Vous pouvez être désolé des conditions dans lesquelles les questions surviennent. La chose à faire est d’essayer de les faire sortir de leur prison intellectuelle, qui n’est pas simplement accidentelle comme je l’ai mentionné. Pour reprendre l’expression d’Adam Smith, de gros efforts sont nécessaires pour arriver à rendre les gens « aussi stupide et ignorant qu’il est possible de l’être pour un humain ». Une grande partie du système éducatif est conçu pour ça. Si vous y réfléchissez, il est conçu pour la passivité et l’obéissance. Dès l’enfance, une grande partie est conçue pour empêcher les gens d’être indépendants et créatifs. Si vous êtes de tempérament indépendant à l’école, vous rencontrerez certainement des problèmes très tôt. Ce n’est pas le trait préféré ou encouragé. Quand les gens survivent à tout ça, plus la propagande économique, plus la presse et la masse toute entière, le déluge de distorsion idéologique permanent, ils posent des questions qui d’un autre point de vue sont complètement raisonnables…

BARSAMIAN : Lors de la conférence Mellon que vous avez donnée à Chicago… Vous vous êtes concentré principalement sur les idées de John Dewey et Bertrand Russell (dans le domaine de l’éducation)…

CHOMSKY : ...C’étaient des idées hautement libertaires. Dewey lui-même vient tout droit du courant majoritaire américain. Les gens qui lisent ce qu’il a vraiment dit le considèreraient maintenant comme un extrémiste anti-américain dérangé ou quelque chose dans le genre. Il exprimait la pensée majoritaire avant que le système idéologique n’ait si monstrueusement déformé la tradition. De nos jours c’est méconnaissable. Par exemple, non seulement il était d’accord avec toute la tradition des Lumières qui était que, comme il le disait, « le but de la production est de produire des gens libres » - il a dit « des hommes libres », mais c’était il y a très longtemps. C’est le but de la production, pas de produire des marchandises. C’était l’un des principaux théoriciens de la démocratie. Il y avait beaucoup de sortes différentes, contradictoires de la théorie démocratique, mais celle dont je parle pensait que la démocratie requérait la dissolution du pouvoir privé. Il a dit qu’aussi longtemps qu’il y aurait un contrôle privé sur le système économique, les discussions sur la démocratie étaientt une plaisanterie. En reprenant en gros Adam Smith, Dewey disait que la politique est l’ombre que les grandes entreprises projettent sur la société. Il a dit qu’atténuer l’ombre ne servait pas à grand-chose. Les réformes la laisseraient tyrannique - fondamentalement une opinion libérale classique. Son point principal était que vous ne vous pouvez pas même parler de démocratie tant que vous n’avez pas un contrôle démocratique de l’industrie, du commerce, de la banque, de tout. Ce qui signifie un contrôle par le peuple qui travaille dans les institutions, et les communautés.

Ce sont des idées anarchistes et socialistes libertaires standards qui remontent aux Lumières, un développement naturel des opinions telles que celles dont nous parlions avant, et qui se sont développées avant celles du libéralisme classique. Dewey les représentait pendant la période moderne, tout comme Bertrand Russell, mais d’une autre tradition, mais encore enracinée dans les Lumières. Ils étaient deux des principaux, si ce n’est les deux principaux penseurs du 20° siècle, dont les idées sont aussi connues que celles du vrai Adam Smith. Ce qui est un signe de l’efficacité du système éducatif, et du système de propagande, à tout simplement détruire jusqu’à notre connaissance de nos propres origines intellectuelles immédiates.

BARSAMIAN : Dans cette même conférence, vous avez paraphrasé Russell sur l’éducation. Vous avez dit qu’il avait promu l’idée que l’éducation ne doit pas être vue comme quelque chose qui remplit un vase avec de l’eau, mais plutôt comme aider une fleur à pousser selon sa nature…

CHOMSKY : C’est une idée du 18° siècle. Je ne sais pas si Russell la connaissait ou l’a réinventée, mais vous lisez cela comme ‘standard’ dans la littérature du début des Lumières. C’était l’image qui était utilisée… L’opinion d’Humboldt, le fondateur du libéralisme classique, était que l’éducation est un problème visant à dérouler un fil suivant lequel l’enfant se développera, mais à sa manière. Vous pouvez guider un peu. C’est ce que l’éducation sérieuse devrait être, du jardin d’enfants jusqu’aux études secondaires. C’est ce qui se passe dans les sciences avancées, parce que vous ne pouvez pas faire autrement.

Mais la majeure partie du système éducatif est très différente. L’éducation de masse fut conçue pour transformer les fermiers indépendants en instruments de production dociles et passifs. C’était son premier objectif. Et ne pensez pas que les gens n’étaient pas au courant. Ils le savaient et l’ont combattu. Il y eut beaucoup de résistance à l’éducation de masse pour cette raison. C’était aussi compris par les élites. Emerson a dit une fois quelque chose sur la façon dont on les éduque pour les empêcher de nous sauter à la gorge. Si vous ne les éduquez pas, ce qu’on appelle l’« éducation », ils vont prendre le contrôle – « ils » étant ce qu’Alexander Hamilton appelait la « grande Bête », c’est-à-dire le peuple. La poussée anti-démocratique de l’opinion dans ce qui est appelé les sociétés démocratiques est tout bonnement féroce. Et à juste titre, puisque plus la société devient libre, plus dangereuse devient la « grande bête » et plus vous devez faire attention pour la mettre en cage d’une manière ou d’une autre.

Mais il y a des exceptions : Dewey et Russell en font partie, bien qu’ils soient complètement marginalisés et inconnus alors que tout le monde les louent comme ils le font pour Adam Smith. Ce qu’ils ont réellement dit serait considéré comme intolérable dans le climat autocratique de l’opinion dominante. L’élément totalitaire de cette dernière est assez frappant. Le simple fait que le concept « anti-américain » puisse exister – je ne parle pas de son utilisation – manifeste un côté totalitaire vraiment dramatique. Ce concept, l’anti-américanisme – sa seule véritable contrepartie est l’anti-soviétisme dans le monde moderne. Dans l’Union Soviétique, le pire crime était d’être anti-soviet. C’est la caractéristique d’une société totalitaire d’avoir des concepts tels que ceux-ci. Ici c’est considéré comme naturel. Les livres sur l’anti-américanisme, par des gens qui sont essentiellement des clones de Staline, sont hautement respectés. C’est vrai des sociétés anglo-américaines, qui sont de façon frappante les plus démocratiques. Je pense qu’il y a une corrélation… Alors que la liberté s’accroît, le besoin de forcer et de contrôler l’opinion grandit aussi si vous voulez empêcher la « grande bête » de faire quelque chose de sa liberté…

…Dans leurs travaux sur le système éducatif américain il y a quelques années, deux économistes, Sam Bowles et Herb Gintis, ont fait remarquer que le système est divisé en morceaux. La partie destinée aux travailleurs et à la population est en effet conçue pour imposer l’obéissance. Mais l’éducation destinée aux élites ne peut être identique. Elle doit permettre la créativité et l’indépendance, sinon ils ne pourront faire leur boulot, c’est à dire faire de l’argent. Vous trouvez la même chose dans la presse. C’est pour cela que je lis le Wall Street Journal, le Financial Times et Business Week. Ils doivent dire la vérité. C’est une contradiction dans la presse généraliste aussi. Prenez le New York Times et le Washington Post par exemple. Ils ont une double fonction et elles sont contradictoires. L’une des fonctions est de soumettre la grande bête, l’autre est de laisser leurs lecteurs, qui font partie de l’élite, se faire une image raisonnablement réaliste de ce qui se passe dans le monde. Ils ne pourront satisfaire leurs propres besoins sinon. C’est une contradiction qui se ressent jusqu’au sein du système éducatif. C’est totalement indépendant d’un autre facteur, à savoir l’intégrité professionnelle, que beaucoup de gens ont : l’honnêteté, quelles que soient les contraintes extérieures. Cela mène à diverses complexités. Si vous regardez dans le détail la façon dont les journaux fonctionnent, vous trouvez ces contradictions et ces problèmes qui se développent ensemble de manière compliquée...

Noam Chomsky

SOURCE
L’éducation est ignorance, sur CHOMSKY.FR, Extrait du livre Class Warfare, 1995

Traduction : T. pour CHOMSKY.fr
http://www.chomsky.fr/

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