Une tribune pour les luttes

Collectif RTO

API et « burka » : une attaque à peine voilée contre toutes les précaires.

Article mis en ligne le vendredi 30 avril 2010

Avec les liens :
http://www.collectif-rto.org/spip.php?article850

Vendredi 30 avril 2010 par collectif rto

Nantes : une attaque à peine voilée contre les allocataires de l’API

Comme dans toutes les bonnes séries télé, les scénarios gouvernementaux sont faits de telle manière qu’on sait toujours dès le premier épisode, que les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent, mais c’est suffisamment bien foutu pour qu’on reste accrochés devant l’écran pour avoir la suite.

Ainsi, une énième affaire de « femme-en-burka-qui-menace-nos-libertés » fait brusquement la une des journaux la semaine dernière.

A ce rythme et vu le peu de femmes portant le voile intégral dans ce pays, de l’aveu même des Renseignements Généraux, chacune d’entre elles aura eu son heure de « gloire ». Et jamais sans être utilisée au passage pour faire passer un discours et des pratiques contre l’ennemi numéro un de ce gouvernement, les pauvres et notamment les femmes pauvres.

Au départ, l’ "affaire" ressemble donc aux précédentes : une femme en voile intégral conduit une voiture, ce qui est censé "démontrer" son niveau d’oppression, comme le "démontraient" les précédentes affaires : celles qui vont à la fac, celles qui vont au marché, celles qui vont à la télé, bref celles dont on ne sait qu’une chose : ce sont des femmes de France, oppressées, ça oui, le patriarcat en France…

Donc, on prête une oreille distraite.

Second épisode : la polygamie.

Pareil, franchement, la saison ne commence pas fort. Hortefeux nous fait du réchauffé : la polygamie, marronnier des racistes, comme la vie privée de Carla est celui de Voici.

On sait bien sûr qu’on n’entendra pas la vérité : que toute épouse polygame qui décide d’y mettre fin et de dire la vérité à la Préfecture de Police, se voit immédiatement retirer son titre de séjour si elle en avait un, et avec un arrêté de reconduite à la frontière si elle n’en avait pas.

Alors le cinéma sur les droits des femmes, on écoute d’une oreille distraite. Le droit d’être punies deux fois, chez les allocataires, quelle que soit leur religion, leur culture..., merci on connaît.

Comme on connaît bien aussi la stratégie qui consiste à faire mine de défendre les femmes précaires et pauvres pour en mettre plein la gueule aux hommes de la même classe, surtout d’origine immigrée.

Mais là, troisième épisode, celui qui nous fait ne pas regretter d’avoir attendu sans changer de chaîne : cette fois l’attaque ne sera pas contre UNE femme voilée, mais également contre trois autres, précaires et allocataires de l’API. Les épouses présumées, qui ne sont pourtant pas légalement mariées au mari de la première, celle qui conduisait la voiture au premier épisode.

Vous ne comprenez rien ? C’est sûrement que vous n’avez pas encore subi de contrôle CAF, vous ne connaissez pas encore la notion de «  vie maritale » qui permet de supprimer les ressources de milliers de femmes en se fondant sur l’avis subjectif d’un contrôleur assermenté, sur leur vie amoureuse et sexuelle.

Exactement ce que fait Brice Hortefeux, pour ces trois femmes, le contrôleur en chef ayant un avantage certain sur ses sous-fifres, celui de voir son rapport pour fraude repris par les médias, en boucle.


Bien sûr ces femmes là ne nous ressemblent pas forcément.

D’ailleurs on ne les verra pas, on ne les entendra pas ; fraudeuses c’est tout ce qu’on nous dira d’elles.
Ce sont les hommes, les "propriétaires" qui parlent, dans cette société.
- Hortefeux d’un côté qui envisage de les trainer au tribunal, en prison pourquoi pas : la «  fraude » au RSA y conduit plus vite que la délinquance en col blanc. A partir de 12 000 euros d’allocations soi-disant indûment perçues, c’est la plainte assurée. La somme correspond grosso modo à deux ans de revenu pour une mère isolée : la CAF, lorsqu’elle décrète la vie maritale, remonte presque toujours deux ans en arrière.
- Le «  polygame » présumé de l’autre, qui fait le coq à la télé, parle de «  maitresses » : c’est la réaction classique de l’homme agressé par un autre homme de statut social supérieur au sien. "Je suis plus pauvre que toi mais je possède des femmes, même sans ton fric et sans ton pouvoir."


Des rôles bien rodés finalement.

Mais ce n’est pas un combat entre l’Islam et la République qui se joue. Mais un combat pour le maintien ou non de ce petit droit tellement essentiel qu’est l’Allocation Parent Isolé.

C’est un droit qui permet tout simplement de ne pas être dépendante financièrement du père des enfants, ou d’un autre homme présent dans notre vie.

C’est un droit qui permet, même aux femmes les plus pauvres, d’exercer concrètement leur droit à l’éducation de leurs enfants sans le chantage possible à l’argent, celui que le père a éventuellement et qui sans l’API serait nécessaire, même pour le strict minimum.

C’est un droit qui permet, malgré le montant minimum de l’allocation, d’espérer pouvoir survivre et recommencer à vivre, même après une séparation, même en devant assumer son rôle de mère.

C’est la certitude d’avoir un revenu minimum, que les enfants puissent au moins se nourrir, être logés les mois ou le père ne paye pas la pension alimentaire qu’il doit.

Mais depuis quelques années, ce droit s’est réduit comme une peau de chagrin.

D’abord par un décret de 2007 : celui-ci impose aux demandeuses de l’API, d’engager dans les quatre mois de la demande , une procédure contre le père de l’enfant, afin de faire valoir son «  droit » à une pension alimentaire. Sans quoi l’API est amputée et la famille monoparentale n’a plus droit qu’au RSA majoré. Ce décret a immédiatement découragé de nombreuses femmes de faire valoir leur droit aux allocations : même si une possibilité de dérogation est clairement prévue par le décret, notamment en cas de violences conjugales, les CAF en informent rarement les allocataires. De plus, c’est à l’allocataire de prouver ces violences.

Ce décret est aussi extrêmement pervers, en ce sens qu’il ne tient absolument pas compte de la réalité des procédures : nombre de pères sont condamnés formellement au versement mensuel d’une pension alimentaire, mais l’acquittent quand bon leur semble. Les contraindre au paiement effectif relève de l’impossible dans le moyen terme. Or, le montant de la pension alimentaire est comptabilisé dans le calcul de l’API, même lorsqu’il n’est pas versé. Obtenir la prise en compte du non-versement, prend du temps et de l’obstination.
Et sa perversité réside aussi dans le fait qu’il contraint les femmes à faire de l’homme un ennemi : les séparations ne sont pas toujours houleuses, et exiger une pension alimentaire du père de ses enfants, n’est pas toujours simple, tout simplement parce que lui-même est aussi pauvre et au chômage, donc plongé dans la galère totale.

On en revient à cette notion de "foyer" qui ne permet pas à chaque individu de percevoir ne serait-ce qu’un minimum en fonction de sa seule situation, à cette régression supplémentaire vers la solidarité "familiale" instaurée par le RSA, qui impose désormais aussi aux enfants à faire appel à leurs parents jusqu’à 31 ans.
Les conséquences de ce décret ont été aggravées par la destruction globale du droit à un accueil physique correct pour les allocataires, et par le traitement de plus en plus long des dossiers.

Le RSA généralise ensuite le 1er juillet 2009, l’application du décret train de vie qui permet une intrusion sans précédent dans la vie privée des allocataires et la prise en compte de revenus laissés de côté jusque là.
Les contrôles ciblent les allocataires de l’API, et c’est bien la vie amoureuse et sexuelle des femmes qui conditionne désormais leur accès au minima.

La « vie maritale » : ce terme qui permet la suppression de l’allocation est appliqué à des femmes divorcées, mais dont la séparation est longue et compliquée, à celles notamment qui acceptent de domicilier le père de leurs enfants, qui traverse une période d’errance après avoir quitté le domicile familial.
Mais il s’applique aussi simplement, lorsqu’elles retrouvent un compagnon, dès qu’une relation commence, et que le domicile est parfois partagé.
Il s’applique à celles qui ont omis de fermer un compte commun, à celles qui se sont remises en couple quelques mois avant de se séparer à nouveau.

« Fraudeuses » de vivre tout simplement, la vie d’une mère qui est aussi une femme.

Pas de procès équitable, mais de plus en plus souvent la sanction préventive.

La « suspicion de fraude » le terme employé par Brice Hortefeux, contrôleur en chef, est le terme clef de la destruction des droits.

La «  suspicion de fraude », c’est une petite case que le contrôleur CAF coche sur son rapport. Si c’est le cas, alors avant toute décision formelle de la direction de la CAF et du Conseil Général qui statue en dernier ressort pour le RSA et l’API, les allocations sont immédiatement suspendues.
Toutes les allocations soumises à critère de ressources :
- l’allocation logement,
- le complément de salaire RSA éventuel,
- et naturellement l’intégralité de l’API, si c’est le cas.
C’est aussi la suspension du statut d’allocataire de l’API : tout ce qui en dépend, notamment le renouvellement automatique de la CMU.
Et c’est dans la misère totale que l’allocataire devra se battre, face à des salariés de la CAF, qui voient les mots "suspicion de fraude" s’afficher à chaque visite.

Que reste-t-il alors à toutes ces femmes pour qu’elles et leurs enfants puissent simplement survivre ?

La dépendance.

Auprès d’un patron, n’importe quel patron, à n’importe quel salaire, dans n’importe quelles conditions de travail, puisque les patrons ont le choix parmi les femmes précaires.

Auprès d’un autre homme, ou de nombreux autres hommes.

Auprès de l’Etat et de Brice Hortefeux : reconnaître un délit qui n’existe pas, se soumettre, accepter d’endosser une dette fictive de dizaines de milliers d’euros , qu’on nous prendra petit à petit sur nos allocations si on veut bien nous les rétablir.

Avec la loi sur le RSA, la CAF peut désormais appliquer elle même des «  pénalités administratives » de plusieurs milliers d’euros, ajoutées à la prétendue dette. Le « marché » proposé aux femmes décrétées coupables est donc le plaider coupable et le paiement de ces amendes, ou la justice et la quasi certitude d’une condamnation plus lourde ajoutée à la stigmatisation sociale.

Que nous reste-t-il, à toutEs les allocataires, si nous voulons recommencer à vivre face à la horde des inquisiteurs et des chasseurs de sorcières avec à leur tête le Grand Juge et Partie du Ministère de l’Interieur ?

Rien sinon la solidarité inconditionnelle, l’intelligence du collectif face aux tentatives de division minables.

L’effort de voir d’autres femmes, là où l’on nous dresse à voir des ennemies , des inconnues, des étrangères.

Derrière le voile de ces trois silhouettes dont la vie vient d’être détruite par ce gouvernement et jetée en pâture aux médias avec celle de leurs enfants, c’est notre visage à toutes qu’on gifle.


Sachons leur rendre les coups ensemble

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Vos commentaires

  • Le 15 juin 2010 à 15:55, par Atzo En réponse à : API et « burka » : une attaque à peine voilée contre toutes les précaires.

    http://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2005-6-page-48.htm#retournoteno1

    La "vie maritale" n’est qu’un euphémisme pour "mariées de force par la CAF". Il n’existe pas de situation juridique en dehors du mariage et du PACS qui soient reconnues par la loi.
    Quelle obligation de soutient ont un homme et une femme en union libre l’un envers l’autre.
    Tout femme vivant en union libre doit disposer d’un revenu individuel et inconditionnel . Prendre en compte des revenus "familiaux" quand il n’y a pas de statut juridique c’est la mettre sous la dépendance d’une personne qui n’a aucune obligation envers elle. C’est donc la rendre mineure et la mettre en danger.
    Tout cela me fait penser à la condition des domestiques dont la vie sentimentale était régie par leurs employeurs.

  • Le 1er juillet 2010 à 14:17 En réponse à : API et « burka » : une attaque à peine voilée contre toutes les précaires.

    par Angela Davis
    sur http://www.casac.ca/french/questions/angeladfr.htm
    publié pour la première fois dans ColorLines Magazine, automne 2000 Reproduit ici avec la permission de l’auteure
    Angela Davis, qui fut prisonnière politique, est une activiste de longue date et auteure qui enseigne à la University of California at Santa Cruz. Elle a prononcé ce discours-programme et a parlé avec les participants et participantes de la conférence « La couleur de la violence » à Santa Cruz.

    C’est pour moi un honneur extrême que d’avoir été invitée à prononcer ce discours-programme. Cette conférence mérite d’être appelée historique pour plusieurs raisons. C’est la première de ce type, et c’est précisément la saison intellectuelle la plus propice pour une telle réunion. L’étendue et la complexité des questions qui y sont soulevées démontrent les contradictions et les possibilités de ce moment historique. Et une telle réunion peut nous aider à imaginer des manières de faire face à la violence qui existe partout dans la vie des femmes de couleur et qui mine radicalement les institutions et les discours dans le cadre desquels nous sommes obligées de penser et de travailler.
    Je peux prédire que cette conférence figurera dans les livres d’histoire comme une étape importante pour les scientifiques et activistes féministes, marquant un nouveau moment dans l’évolution du savoir antiviolence et de l’organisation du travail dans ce sens.
    Il y a de nombreuses années, alors que j’étais étudiante à San Diego, je conduisais sur l’autoroute avec une amie, quand nous avons rencontré une noire qui errait le long de la chaussée. Son histoire était extrêmement troublante. Malgré ses pleurs incontrôlables, nous avons compris qu’elle avait été violée et abandonnée sur le bord de la route. Après un certain moment, elle a été en mesure de signaler à une voiture de police qu’elle arrête, pensant que les policiers pourraient lui venir en aide. Cependant, quand le policier blanc l’a ramassée, il ne l’a pas réconfortée mais a saisi cette occasion de la violer une fois de plus.

    Je raconte cette histoire non pour sa valeur de choc mais pour son pouvoir de métaphore. Vu la nature raciste et patriarcale de l’État, il est difficile d’envisager l’État comme détenant les solutions aux problèmes de la violence contre les femmes de couleur. Cependant, le mouvement antiviolence étant devenu institutionnalisé et professionnalisé, l’État joue un rôle de plus en plus prépondérant dans la manière dont nous conceptualisons et créons des stratégies afin de minimiser la violence contre les femmes. L’une des tâches majeures de cette conférence, et du mouvement antiviolence dans son ensemble, c’est de se pencher sur cette contradiction, surtout dans la mesure où elle se présente à des communautés de couleur pauvres.
    L’apparition de la » violence domestique »
    La violence, c’est l’un de ces mots qui résonne puissamment sur le plan idéologique, un mot dont la signification est en mutation constante. Avant de faire quoi que ce soit d’autre, nous devons rendre hommage aux activistes et aux scientifiques dont les critiques idéologiques ont rendu possible l’application de la catégorie de violence domestique à ces couches masquées d’agression dirigée systématiquement contre les femmes. Pendant si longtemps, ces actes ont été entourés de secret ou ce qui est encore pire, ont été considérés comme normaux.
    La plupart de nous tiennent pour acquis que la violence misogyne, c’est une question politique légitime, mais souvenons-nous qu’il y a un peu plus d’une vingtaine d’années seulement, la plupart des gens considéraient la » violence domestique » comme étant une question privée et ne se prêtant donc pas à un discours public ou à une intervention politique. Une seule génération seulement nous sépare de cette époque de silence.
    La première fois que l’on a dénoncé le viol, c’était au début des années 1970, et la première organisation nationale contre la violence domestique a été fondée vers la fin de cette décennie.
    Depuis, nous en sommes venus à reconnaître la proportion d’épidémie de la violence au sein des relations intimes et le nombre élevé de viols lors d’un rendez-vous ou par une connaissance, ainsi que de la violence au sein de l’intimité entre personnes du même sexe ou dirigée contre ces personnes. Mais nous devons également apprendre comment nous opposer à la fixation raciste sur les gens de couleur comme étant les auteurs principaux de la violence, y compris la violence domestique et sexuelle, tout en mettant vigoureusement en question la violence réelle que les hommes de couleur infligent aux femmes. Il s’agit précisément des hommes qui sont déjà perçus comme étant les principaux auteurs de la violence dans notre société : les membres de gang, les vendeurs de drogue, les tireurs au volant d’une voiture, les cambrioleurs et les agresseurs. En bref, le criminel est vu comme étant un homme noir ou latin qui doit être mis en prison.
    L’une des questions principales qui se posent dans le cadre de cette conférence, c’est comment mettre au point une analyse qui ne favorise ni le projet conservateur de mettre à l’ombre des millions d’hommes de couleur selon les diktats contemporains du capital mondialisé et de son complexe industriel carcéral, ni le projet également conservateur d’abandonner les femmes de couleur pauvres à un continuum de violence qui existe depuis les ateliers de misère jusqu’aux prisons, aux abris et même dans les chambres à coucher.

    Comment élaborer des analyses et organiser des stratégies contre la violence dirigée envers les femmes tenant compte de la race du sexe et du sexe de la race ?
    Les femmes de couleurs à l’avant-garde

    Les femmes de couleur ont été actives dans le mouvement antiviolence depuis ses tout débuts. La première organisation nationale contre la violence domestique a été fondée en 1978 quand la United States Civil Rights Commission Consultation on Battered Women a abouti à la fondation de la National Coalition Against Domestic Violence. En 1980, le Washington D.C. Rape Crisis Center parraina le premier Congrès national sur les femmes du tiers monde et la violence.
    L’année suivante, un groupe de travail de femmes de couleur a été créé dans le cadre de la National Coalition Against Domestic Violence. Pour faire des comparaisons historiques, il est significatif de savoir que le U.S. Third World Women’s Caucus créé cette même année dans le cadre de la National Women Studies Association et le livre séminal This Bridge Called My Back a été publié pour la première fois.
    Un grand nombre de ces activistes ont contribué à une compréhension plus complexe des relations croisées, se chevauchant et souvent contradictoires entre la race, la classe, le sexe et la sexualité, militant contre une théorie simpliste de la violence privée dans la vie des femmes. Clairement, le slogan puissant lancé au départ par le mouvement féministe : « La vie personnelle est politique » est bien plus compliqué qu’il le semblait initialement.
    L’argument féministe précoce que la violence contre les femmes n’est pas, de manière inhérente, une question privée mais a été rendue privée par les structures sexistes de l’État, de l’économie et de la famille, a eu un impact puissant sur la prise de conscience par le public.
    Et cependant, l’effort en vue d’intégrer une analyse s’abstenant de réifier le sexe n’a pas connu le succès. L’argument que la violence sexuelle et domestique représente la fondation structurelle de la dominance masculine conduit parfois à une notion hiérarchique selon laquelle la mutilation génitale en Afrique et le sati ou action de brûler son épouse, en Inde, sont des formes les plus épouvantables et extrêmes de cette même violence contre les femmes que l’on peut découvrir dans des manifestations moins horrifiantes dans le cadre de cultures occidentales.
    D’autres analyses soulignent une incidence accrue de violence misogyne dans les communautés pauvres et les communautés de couleur, sans nécessairement reconnaître l’étendue plus élevée de surveillance policière dans ces communautés, directement et par le biais d’agences de services sociaux. En d’autres mots, précisément parce que les stratégies primaires visant à lutter contre la violence contre les femmes dépendent de l’État et considèrent la violence masculine contre les femmes comme des » délits », le processus de criminalisation renforce encore plus le racisme des tribunaux et des prisons. Ces établissements à leur tour contribuent encore plus à la violence contre les femmes.
    D’un autre côté, nous devrions applaudir les efforts courageux des nombreuses activistes responsables d’une prise de conscience populaire axée sur la violence contre les femmes, luttant pour des solutions juridiques et pour un réseau d’abris, de centres de crise et d’autres lieux où les survivantes peuvent trouver un soutien. Mais d’un autre côté, compter sur le gouvernement les yeux fermés a abouti à des problèmes graves. Je suggère que nous concentrions notre réflexion sur cette contradiction : l’État, empreint de beaucoup de racisme, de dominance masculine, de préjudices reliés à la classe et d’homophobie et qui se construit par l’acte violent, peut-il minimiser la violence dans la vie des femmes ? Devrions-nous compter sur l’État pour régler le problème de la violence contre les femmes ?
    La vidéo réalisée par Nicole Cusino (aidée de Ruth Gilmore), qui sera bientôt mis sur le marché, concernant l’expansion des prisons en Californie et son impact économique sur les communautés rurales et urbaines, inclut une scène poignante où Vanessa Gomez décrit comment le déploiement de stratégies antiviolence de la part de la police et des tribunaux a abouti à l’emprisonnement de son mari dans le cadre de la Loi de la troisième faute. Elle décrit une altercation verbale entre elle-même et son mari, qui était en colère avec elle parce qu’elle n’avait pas coupé en morceaux le foie pour le repas du chien puisque, selon elle, c’était son tour de couper le foie.
    Selon ses déclarations, elle a insisté en lui disant qu’elle préparerait le repas du chien mais il a dit que non, il avait déjà commencé à le faire. Elle déclare qu’elle l’a empoigné et, en tentant de lui prendre le couteau des mains, lui a gravement coupé les doigts. À l’hôpital, cet incident a été signalé à la police. Malgré le fait que Mme Gomez ait contesté la version des événements proposée par le procureur, son mari a été condamné pour agression. À cause de deux condamnations précédentes en tant que délinquant juvénile, il a été condamné de par la Loi de la troisième faute de Californie à 25 ans à vie, peine qu’il purge actuellement.
    Je raconte cet incident parce qu’il démontre de manière si manifeste la facilité avec laquelle l’État peut assimiler notre opposition contre la domination de type sexuel à des projets de domination raciale, ce qui veut également dire domination sexuelle.
    Une violence militarisée
    Gina Dent a observé que l’une des réussites les plus importantes de cette conférence était de placer les femmes autochtones américaines dans la catégorie de « femmes de couleur ». Comme le suggère l’étude importante réalisée par Kimberle Crenshaw sur la violence contre les femmes, la situation des femmes américaines autochtones démontre que nous devons également inclure à notre étude analytique la domination coloniale persistante des nations autochtones et des formations nationales à l’intérieur des frontières territoriales présumées des États-Unis ainsi qu’à l’extérieur de celles-ci. La brutalité coloniale des États américains racistes, sexistes et homophobes dans leur traitement des autochtones démontre une fois de plus la futilité de compter sur les processus juridiques ou législatifs de l’État pour résoudre ces problèmes.
    Comment peut-on alors s’attendre à ce que l’État résolve le problème de la violence contre les femmes alors qu’il répète constamment sa propre histoire de colonialisme, de racisme et de guerre ? Comment peut-on demander à l’État d’intervenir quand en fait ses forces armées ont toujours pratiqué le viol et les coups et blessures contre les femmes » ennemies » ? En fait, la violence sexuelle et intime contre les femmes a toujours été au cœur des tactiques militaires de guerre et de domination.
    Et cependant, l’approche pratiquée par l’État néolibéral est d’incorporer les femmes à ces organismes violents, les intégrer aux forces armées et à la police.
    Comment fait-on face au meurtre par la police d’Amadou Diallo, dont le portefeuille a été pris par erreur pour un pistolet, ou celui de Tanya Haggerty, à Chicago, dont le téléphone cellulaire fut l’arme présumée qui a permis à la police de justifier son meurtre ? En engageant davantage de femmes comme agents de police, est-ce que l’argument que les femmes sont victimes de violence fait d’elles des agents de l’ordre inefficaces ? Est-ce que donner aux femmes un plus grand accès à la violence officielle aide à minimiser la violence informelle ? Même si c’était le cas, voudrions-nous adopter ceci comme solution ? Les femmes échappent-elles essentiellement aux formes d’adaptation à la violence qui sont si essentielles à la culture de la police et des militaires ?
    Carol Burke, une civile qui enseigne à la U.S. Naval Academy, déclare que » les ordres sadomasochistes ont augmenté depuis que les femmes sont entrées à la brigade des aspirants de marine en 1976″. Elle cite des chansons militaires qui sont si cruellement pornographiques que je me sentirais mal à l’aise à les mentionner en public, mais je voudrais quand même vous donner un exemple relativement moins offensant :
    La fille la plus laide que j’ai jamais rencontrée
    Se cognait le visage contre un arbre
    Je l’ai ramassée, l’ai frappée deux fois
    Elle a dit « Oh aspirant, vous êtes bien trop gentil »
    Si nous concédons qu’il y a quelque chose dans les structures de formation et les opérations qu’ils doivent exécuter qui rend les hommes (et peut-être aussi les femmes) de ces institutions plus prônes à commettre des violences dans le cadre de leurs relations intimes, alors pourquoi est-il si difficile de formuler une analyse de la violence contre les femmes prenant la violence de l’État en ligne de compte ?
    La stratégie principale adoptée par le mouvement antiviolence des femmes, c’est-à-dire la criminalisation de la violence contre les femmes, ne mettra pas un terme à la violence contre les femmes, tout comme les peines de prison n’ont pas mis un terme à la criminalité en général.
    Je devrais dire qu’il s’agit là de l’une des questions les plus vexantes auxquelles font face les féministes d’aujourd’hui. D’un côté, il est nécessaire de créer des remèdes juridiques pour les femmes survivantes de violence. Mais d’un autre côté, quand le remède est fondé sur la punition dans le cadre d’institutions qui favorisent la violence, contre les hommes et les femmes, comment résout-on cette contradiction ?
    Comment pouvons-nous éviter l’hypothèse que les modes de violence précédemment » privés » ne peuvent être rendus publics que dans le contexte du système de violence de l’État ?
    La Loi sur la criminalité
    Il est important de noter que la loi de 1994 » Violence Against Women » a été adoptée par le Congrès des États-Unis comme Titre IV de la Violent Crime Control and Law Enforcement Act of 1994, la Loi sur la criminalité. Cette loi s’efforce de remédier à la violence contre les femmes dans les contextes domestiques, mais en même temps facilite l’incarcération d’un plus grand nombre de femmes, par le biais de la Loi de la troisième faute et d’autres dispositions. La croissance des corps de police prévue par la Loi sur la criminalité augmentera certainement le nombre de personnes victimes de la violence policière.
    Les prisons sont des institutions violentes. Comme l’armée, elles rendent les femmes vulnérables de manière encore plus systématique aux formes de violence qu’elles pourraient avoir subies à la maison et dans la communauté. Les expériences vécues par les femmes en prison manifestent un continuum de violence à l’intersection du racisme, du patriarcat et du pouvoir de l’État.
    Un rapport de Human Rights Watch intitulé » All Too Familiar : Sexual Abuse of Women in U.S. Prisons » déclare : » Nous avons découvert qu’être une prisonnière dans une prison d’État des États-Unis peut être une expérience terrifiante. Si on est abusée sexuellement, on ne peut pas échapper à son agresseur. Les procédures de grief ou d’enquête, si elles existent, sont souvent inefficaces et les employés du système correctionnel continuent de commettre des abus parce qu’ils pensent qu’ils seront rarement tenus responsables sur le plan administratif ou criminel. Peu de personnes hors des murs de la prison savent ce qui se passe ou interviennent si elles sont au courant. Encore moins de gens font quoi que ce soit pour résoudre le problème. »
    Récemment, 31 femmes ont entamé des poursuites de recours collectif contre le Michigan Department of Corrections, accusant ce service de ne pas prévenir la violence sexuelle et les abus de la part des gardes et du personnel civil. Ces femmes ont été soumises à des vengeances cruelles, y compris de nouveaux viols !
    Dans la prison d’État Valley, en Californie, le médecin chef du service médical a déclaré à Ted Koppel, sur une chaîne nationale de télévision, que lui et son personnel soumettaient de manière routinière les femmes à des examens du bassin même si elles n’avaient qu’un rhume. Il a expliqué que ces femmes étaient en prison depuis longtemps et n’avaient pas de contacts avec des hommes et qu’en fait, ils prenaient plaisir à faire ces examens du bassin. Koppel envoya l’enregistrement de cette entrevue à la prison et il fut éventuellement renvoyé. Selon le Department of Corrections, il ne sera jamais autorisé à avoir de nouveau des contacts avec les patientes. Mais ceci n’est que le sommet de l’iceberg. Le fait qu’il se soit senti capable de déclarer ceci dans une émission nationale de télévision vous donne une idée de la situation horrible qui prévaut dans les prisons de femmes.
    Il n’y a pas de solutions faciles à toutes les questions que j’ai soulevées et auxquelles tant d’entre vous travaillez. Mais ce qui est clair, c’est que nous avons besoin de collaborer pour travailler à une structure et à une stratégie beaucoup plus nuancées que le mouvement antiviolence n’a jamais été capable d’élaborer.
    Nous voulons continuer de contester la négligence à l’égard de la violence domestique contre les femmes, la tendance à la laisser de côté comme étant une question privée. Nous avons besoin d’élaborer une approche fondée sur la mobilisation politique plutôt que sur les remèdes juridiques ou la prestation de services sociaux. Nous devons nous battre en vue de solutions temporaires et à long terme à la violence et, simultanément, penser aux questions connexes de capitalisme global, de colonialisme global, de racisme et de patriarcat, à toutes les formes qui influent sur la violence contre les femmes de couleur. Pouvons-nous par exemple relier une demande musclée de remèdes destinés aux femmes de couleur victimes de viol et de violence domestique à une stratégie demandant l’abolition du système carcéral ?
    Je conclus en vous demandant de soutenir la nouvelle organisation lancée par Andrea Smith, l’organisatrice de cette conférence. Un tel organisme contestant la violence contre les femmes de couleur est spécialement nécessaire pour relier, avancer et organiser nos efforts d’analyse et d’organisation. Nous espérons que cette organisation jouera le rôle de catalyseur pour nous permettre de continuer à penser et agir ensemble à l’avenir.
    ANGELA DAVIS I’ AM BLACK WOMEN

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