Une tribune pour les luttes

Lettre n° 118 (6 juin 2010)

Culture & Révolution

Article mis en ligne le dimanche 13 juin 2010

Cap au pire. Tous les faits les plus saillants de
l’actualité indiquent à l’évidence que les chefs des États
puissants, des grandes banques et des grandes entreprises
continuent sans ciller à mettre le cap au pire pour
l’humanité et la nature.

Il y a quelque chose qui relève de l’hystérie implacable
dans le comportement des dirigeants de l’État d’Israël
tuant ou emprisonnant des gens voulant porter secours à la
population de Gaza. Ils font régner la terreur dans la
région de longue date en toute impunité. Aussi bien les
États-Unis que les États impérialistes européens ne peuvent
que les approuver en douce et les soutenir très concrètement
car cela est tout bénéfice pour ces puissances qui par
ailleurs mènent d’autres guerres complémentaires en
Afghanistan, en Irak, au Pakistan. Ils soutiennent plus que
jamais militairement et financièrement une série de régimes
pourris.

Ces mêmes États qui avaient organisé un grand carnaval de
l’hypocrisie sur le réchauffement climatique à Copenhague ne
font même plus semblant de se soucier de l’avenir de la
nature. Ils assistent impavides à la plus grande pollution
par hydrocarbures de l’histoire de l’extraction du pétrole.
Obama prétend que BP devra payer et indemniser. Est-ce avec
des dollars qu’on peut ramener à la vie les espèces animales
et végétales détruites ainsi que les milieux terrestres et
aquatiques durablement souillés ?

À présent ces États montrent plus que jamais leurs crocs
contre les classes populaires par une série de plans
d’austérité. Ils ont besoin de l’argent nécessaire pour
entretenir leurs armées, poursuivre leurs guerres, renflouer
leurs banques, soutenir les profits des grandes entreprises.
Lesquelles sont encore plus féroces dans l’exploitation du
travail humain. Des salariés mettent fin à leurs jours aussi
bien à la Poste en France que dans l’usine Foxconn en Chine.
Dans cette usine de Shenzhen, sous-traitante d’Apple, Dell,
Nokia, Hewlett-Packard, le personnel fabrique des téléphones
portables et des ordinateurs qui « nous facilitent tellement
la vie ! ». Les jeunes ouvriers et ouvrières y produisent
couramment 70 heures par semaine, voire 80 heures dans les
périodes de pointe. L’un d’eux a été retrouvé mort le 23
janvier dernier au pied de son dortoir, très probablement
assassiné par des gardes de l’usine parce qu’il travaillait
« trop lentement ».

Tous ces faits se tiennent et annoncent des catastrophes
encore plus importantes.

Allons-nous tenir encore longtemps sans commencer à prendre
en mains les destinée de la société ? Les ouvriers chinois
de Honda près de Canton ont réussi par leur grève à bloquer
la production de quatre sites et à obtenir il y a quelques
jours une augmentation de salaire importante. Des grèves et
des révoltes nombreuses surviennent déjà en Chine et
d’autres pays. D’autres actions collectives mûrissent sans
doute mais parallèlement des manifestations de racisme, de
xénophobie et de sexisme éclatent dans divers pays.

Le délai pour contrer l’action des responsables de tous les
désastres évoqués plus haut n’est pas extensible.


- Balle de match
- La tisseuse
- Le jour avant le bonheur
- Le prix de la subversion
- Quintette à cordes


BALLE DE MATCH
La FIFA, les sponsors et les médias télévisuels du monde
entier vont régaler les spectateurs des cinq continents
d’une série de prestations footballistiques nous permettant,
bière, whisky, jus de fruit ou coca en main, de transpirer
de joie ou d’anxiété, loin des problèmes du monde auxquels
il est bien connu « qu’on ne peut pas grand-chose ». Bien
calés au fond de nos banquettes, nous devrons au passage
subir des annonces publicitaires débiles avec en
sous-titrage l’injonction de manger des fruits et des
légumes et de nous bouger un peu plus pour éviter un
accident cardio-vasculaire.

Sur fond de destruction des retraites, de notre pouvoir
d’achat et des restes de services publics, l’été s’annonce
donc palpitant. Il y a peu de chance pour que le prochain
match amical entre l’équipe gouvernementale et l’équipe des
dirigeants syndicaux change la donne. Il n’est pas question
de chercher à dénigrer ou à culpabiliser qui que ce soit
appréciant le foot à la télé. D’autant plus qu’une telle
tentative de rabat-joie serait vaine et inopérante. Ce qui
n’interdit pas (disons, pas encore) de porter un regard
critique sur la fonction de cet événement.

L’entreprise est difficile car le Mondial, comme les jeux
olympiques, procure un plaisir qu’on peut partager en
couple, en famille ou entre amis, commenter au travail ou
avec des inconnus à la terrasse d’un café. Celui qui n’y
connaît rien et n’aime pas trop cela se retrouve esseulé. Il
est terrible dans une société de ne pas « être dans le coup ».
C’est précisément ce ressort de la convivialité, du
plaisir et de l’intérêt partagés qui est lourdement investi,
dans tous les sens du terme, par les grosses machines de la
marchandisation du sport comme de tous les spectacles de
divertissement.

Toute l’entreprise est si habilement montée qu’il y en aura
pour tout le monde, y compris pour les citoyens ayant des
préoccupations sociales ou éthiques. Nous aurons notre
ration de magouilles scandaleuses, de dénonciations des
conditions infâmes dans lesquelles de jeunes joueurs
africains sont sélectionnés et abandonnés sans papiers, loin
de leur famille ruinée. Et au fond de nos banquettes, nous
serons à juste titre indignés, écoeurés, puis à nouveau
enthousiasmés par tel match ou tel joueur. C’est notre
condition humaine actuelle. Nos émotions sont bien encadrées
pour l’instant par les meneurs de jeu.

Il est temps que cette partie se termine pour que nous
devenions les acteurs de nos vies.

LA TISSEUSE
Revenons à nouveau sur ce qui se passe en Chine où de
remarquables cinéastes réalisent des films très éloquents.
Signalons la parution d’un coffret de documentaires de Zhao
Liang (trois DVD Ina) dont l’hallucinant « Pétition, la cour
des plaignants » que tout le monde devrait voir pour ne pas
dire de bêtises sur les Chinois et la société chinoise. Nous
y reviendrons dans notre prochaine lettre.

« La Tisseuse » de Wang Quan An est une fiction dramatique
émouvante dont le personnage principal interprété par Yu Nan
est une ouvrière d’une usine textile d’aujourd’hui. Bruit
infernal, cadences infernales, surveillance constante des
chefs qui permet par exemple de baisser le salaire d’une
ouvrière parce qu’on l’a vu manger à son poste de travail.
Pour arrondir un salaire dérisoire, certaines femmes sont
entraîneuses dans un bouge le soir.

L’histoire se déroule dans la ville de Xian qui, en dépit de
sa fameuse armée de guerriers en terre cuite, n’a ici rien
de touristique. L’ouvrière décide de faire un voyage à Pékin
quand elle apprend qu’elle a un cancer de la moelle
épinière. Il est incurable dans la mesure où elle et son
mari n’ont pas la somme requise pour tenter une greffe.

Ce film est bouleversant car tous les sentiments y sont
exprimés avec un tact remarquable.

Le réalisateur n’a pas besoin d’insister sur ce qui est
poignant ou révoltant. Son art consiste par exemple à
montrer des immeubles sinistres et des quartiers concassés
réduits en gravats avec en accompagnement une chanson
populaire chantée par la chorale de l’usine où il est
question d’amour renaissant et d’abricotiers en fleurs.

LE JOUR AVANT LE BONHEUR
Nous avons déjà invité sur ce site à lire deux romans d’Erri
De Luca, « Tu, mio » (voir point de vue sur notre site) et « 
Montedidio » (idem). On s’en veut à nouveau par avance d’en
dire trop sur le dernier roman de cet écrivain d’origine
napolitaine, « Le jour d’avant le bonheur » (Gallimard, 138
pages). Non pas parce il jouerait a priori sur des effets de
surprise à ne pas dévoiler mais en raison de la sensibilité
forte et du style décanté avec lesquels il nous présente ses
personnages, leurs pensées et les situations qu’ils vivent.
Ses phrases, en général assez courtes, semblent respirer
avec naturel pour porter à la fois de vastes rêves et des
réalités très palpables.

« Le jour d’avant le bonheur » est celui qui survient
lorsqu’un peuple se libère par lui-même, en l’occurrence
celui de Naples pendant la Deuxième guerre mondiale
lorsqu’il chassa victorieusement l’armée allemande tandis
que la flotte américaine mouillait à proximité. « Quand ils
deviennent un peuple, les gens sont impressionnants » dit
don Gaetano, un concierge qui fait à sa façon l’éducation
d’un jeune orphelin passionné de littérature.

Cet homme regrette la nature qu’il a connue en Argentine
mais il sait tout de Naples, de son histoire héroïque et de
ses coutumes. Il est un expert au jeu de cartes local où son
jeune protégé n’est malheureusement qu’une « nouille ». En
outre il a le pouvoir de lire dans les pensées des gens.

N’en disons pas plus, ce livre est lumineux.

Liens :
http://culture.revolution.free.fr/c...
http://culture.revolution.free.fr/c...

LE PRIX DE LA SUBVERSION
Nos lecteurs qui ont déjà lu des romans de Thomas Bernhard
(1931-1989) ou vu certaines de ses pièces de théâtre
apprécieront d’autant plus le recueil posthume de textes qui
vient de paraître en français sous le titre « Mes prix
littéraires » (Gallimard, 162 pages). De fait celles et ceux
qui ignorent tout de ce grand auteur corrosif peuvent aussi
commencer à le découvrir et à l’apprécier au travers de ce
petit livre très drôle.

Dans une bonne partie de son œuvre, Thomas Bernhard a été
particulièrement acerbe à l’encontre de la « bonne société »
autrichienne, de ses conventions réactionnaires, de son
catholicisme, de son nazisme mal refoulé et de toutes ses
hypocrisies. L’auteur a toujours fait preuve d’une
combativité vengeresse et inextinguible contre tout cela, au
point d’interdire que l’on joue ses pièces en Autriche après
sa mort. Il est donc vraiment comique de découvrir que
Bernhard a reçu des prix de la part d’officiels et de
notables qui en général n’avaient pas lu ses œuvres. En fait
il aura reçu davantage de prix prestigieux en Allemagne que
dans son propre pays.

Dans quelles circonstances et parfois pour quelles obscures
raisons a-t-il reçu ces prix ? C’est précisément ce qu’il
nous raconte avec verve et sensibilité. Il se plaît aussi à
se moquer de lui-même avec entrain et une bonne dose de
férocité pour ses embarras situationnels et ses maladresses.
Il ne cache pas que l’une de ses motivations gourmande et
enfantine dans l’acceptation de ces cérémonies souvent
ridicules de remise d’un prix est la somme d’argent qui se
trouve à la clé. Certains prix qui correspondent à une ville
qu’il aime comme Hambourg et à une reconnaissance
authentique sont aussi à l’origine de moments de félicité
sans mélange.

Ces narrations sont complétées par trois « discours de
remerciement » et une lettre de démission qui ont dû
provoquer une certaine consternation chez les officiels
visés.

Une fois de plus on retrouve dans ce livre comme dans
« L’origine », « La cave », « Le souffle », « Le froid »,
« Un enfant » (regroupés dans la collection Byblos Gallimard),
« Maîtres anciens » (voir un point de vue sur le site C&R),
« Béton » (idem) ou « Extinction, un effondrement », cette
qualité paradoxale de Thomas Bernhard d’évoquer des réalités
pénibles, sordides, ennuyeuses ou grotesques de façon
vivante, musicale et philosophique.

Liens :
http://culture.revolution.free.fr/c...
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QUINTETTE À CORDES
Rigmor Gustafsson est une chanteuse suédoise métisse connue
dans les pays nordiques ainsi qu’en Allemagne et Suisse
alémanique pour interpréter un jazz de très bon aloi ainsi
que des chansons folk américaines ou suédoises. Sa tessiture
fait songer à celle de Joni Mitchell.

Pour son huitième album « Calling You » (CD ACT, 2010) elle
a eu l’excellente idée d’associer ses cordes vocales à celle
du quatuor à cordes de la radio de Vienne, le
radio.string.quartet.vienna. Le résultat est séduisant. Le
répertoire choisi est large puisqu’on y trouve des chansons
ou des thèmes de Paul Simon, Stevie Wonder, Charles Mingus,
Richard Bona et des compositions ou arrangements de la
chanteuse et de membres du quatuor, Asja Valcic, Bernie
Mallinger ou Johannes Dickbauer. On sent que ces cinq-là se
sont amusés comme des petits fous pour habiter et habiller
toutes sortes d’harmonies et de climats. La très bonne
surprise est qu’un quatuor à cordes classique réussisse
aussi impeccablement par leurs attaques et pizzicati à
rendre toutes sortes de rythmes propres au swing, à la soul,
au folk, voire à la musique contemporaine.

On peut découvrir quelques mesures de cette formation en
allant sur le site de chaîne de télévision suédoise TV4 :
http://www.tv4play.se/aktualitet/ny...

Cela commence par une pub pour des pâtes ou des saucisses et
une présentation par un journaliste suédois portant un
blouson de style KGB. Mais ensuite ça s’arrange et
l’interview de Rigmor Gustafsson qui suit vous permettra
d’améliorer si nécessaire votre suédois !

Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder

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