Une tribune pour les luttes

Objectif du gouvernement : raccourcir l’espérance de vie ?

Commentaire du « Document d’orientation sur les retraites »
Par Jean-Marie Harribey

Article mis en ligne le mercredi 23 juin 2010

Rappel

Les retraites en chiffres-clés

http://www.retraites-2010.fr/racine...

Quelques chiffres suffisent pour prendre conscience que le financement des pensions de retraite en France est un problème de répartition des richesses.

Il y a en France 16 millions de retraités, soit près d’un quart de la population. Les pensions qui leur sont versées représentent 261 Mds €, soit plus de 13 % du PIB. Elles permettent d’assurer un montant moyen de pension de 1 400 € mensuels, en augmentation de 0,6 % en plus de l’inflation chaque année.

En raison de la forte croissance du nombre de retraités (+ 280 000 par an depuis 2006), les régimes de retraite sont confrontés à des déficits importants. Ce déficit s’élève aujourd’hui à 32 Mds € et on estime que si rien n’est fait, il ira en s’aggravant dans les années à venir (70 Mds € en 2030, 100 Mds € en 2050).

La masse salariale en France s’établit en 2009 à environ 1200 milliards d’euros. Le PIB de la France étant de 1900 milliards d’euros cette même année.

Le montant des dividendes versées aux actionnaires représentes 167 milliards d’euros par an. Ce montant a augmenté de plus de 100 milliards d’euros depuis 1982.

L’ensemble des niches fiscales en France représente 75 milliards d’euros de perte par an pour le budget de l’État.

L’ensemble des niches sociales en France représente 30 milliards d’euros de perte par an pour la protection sociale.

Le montant des réductions d’impôts accordés aux ménages les plus riches depuis 2000 se monte également à 30 milliards par an.



Objectif du gouvernement : raccourcir l’espérance de vie ?
Commentaire du « Document d’orientation sur les retraites »
Par Jean-Marie Harribey

http://www.retraites-2010.fr/racine...

Entre parenthèses les numéros des engagements du gouvernement et les numéros des pages de son document ; en gras mes commentaires

1. « Le déséquilibre de nos régimes de retraite ne résulte pas de la crise. Ses causes sont anciennes et démographiques. La crise n’a fait qu’en accélérer les effets, sans en être à l’origine. » (II, 6)


2006 : 2,2 milliards de déficit

2008 : 10,9 milliards

2010 : 32,2 milliards

2. « Il est donc illusoire de prétendre fonder la préservation des régimes par répartition uniquement sur le retour de la croissance et du plein emploi, puisque cette perspective est déjà intégrée par le COR dans ses projections. » (II, 6)

Pourquoi alors figer la part des retraites dans le PIB à 13 % ?

3. « L’augmentation du coût du travail qui résulterait d’une hausse généralisée des cotisations sociales patronales serait particulièrement préjudiciable à l’emploi. On peut ainsi estimer qu’un point de cotisation sociale patronale représenterait, au minimum, une destruction de 50 000 emplois. » (E6, i, 7)

« Par ailleurs, le remplacement de l’assiette des revenus du travail par une cotisation portant sur la valeur ajoutée pénaliserait l’investissement et la compétitivité, notamment de l’industrie. » (E6, ii, 7)

Une cotisation sur les dividendes versés n’affecte pas le coût de production ni l’investissement. Le rapport Cotis (INSEE, 2009) indique : les revenus versés par les seules sociétés non financières aux propriétaires du capital et des terrains sont passés de 3 % à 8 % de leur valeur ajoutée brute de 1982 à 2007, pour atteindre aujourd’hui 76,6 milliards d’euros (auxquels d’ajoutent environ 3% de leur VAB sous forme d’intérêts nets versés). Ce déplacement de 5 points représente sept à huit fois plus que le déficit de tous les régimes de retraite pour l’année 2008 servant de référence aux travaux du COR, et deux fois et demie plus que celui prévu pour 2010.

4. « Répondre à un déséquilibre démographique par des solutions démographiques. » (E7, 7)


Il n’y a pas de déséquilibre démographique car les générations sont renouvelées.

Comble de l’absurde : si on prend au pied de la lettre cette maxime, cela signifie que s’il y a allongement de l’espérance de vie, il faut la raccourcir, ou bien passer à une croissance démographique exponentielle, renvoyant à plus tard le même problème.

Comble du cynisme : car la solution du gouvernement n’est pas démographique, elle est véritablement socio-économique, faire travailler les gens plus longtemps pour avoir moins de retraites à verser.

S’il y a de grandes différences d’espérance de vie entre les catégories socio-professionnelles, c’est que la pénibilité du travail raccourcit la vie. Donc, rallonger la durée de cotisation pour faire travailler plus longtemps ne peut que réduire à terme l’espérance de vie. Ne serait-ce pas l’objectif ultime des contre-réformes des retraites ?

5. « Les générations qui arrivent aujourd’hui à l’âge de la retraite disposent dans la majorité des cas d’une carrière complète. Cette situation résulte du fait que l’âge moyen d’entrée s’établissait, pour ces générations, à un niveau nettement plus bas qu’aujourd’hui : la durée d’assurance moyenne validée à 30 ans a ainsi diminué de 11 trimestres (passage de 42 à 31 trimestres) entre la génération 1950 et la génération 1974. Au fur et à mesure que cet âge moyen d’entrée va s’élever, ce levier contribuera de plus en plus à réduire le déficit de financement des régimes de retraite. » (E7, i, 8)

Donc le gouvernement avoue qu’il sera de plus en plus difficile de satisfaire à l’obligation de cotiser plus longtemps.

6. « L’augmentation de l’âge légal est susceptible d’avoir un impact plus rapide sur l’allongement effectif de la vie active que la durée de cotisation. Par rapport à l’augmentation de la durée de cotisation, ce levier ne pénalise par ailleurs pas ceux qui entrent plus tard sur le marché du travail. Augmenter uniquement la durée de cotisation les expose au risque de ne pas avoir tous leurs trimestres à l’âge de 60 ans, et concentre donc sur cette partie des actifs le choix entre une retraite moindre (application de la décote) ou un départ à la retraite après 60 ans. Qui sont ces actifs ? Ceux qui font des études, bien sûr, mais aussi les jeunes qui sont confrontés à des difficultés plus importantes pour s’insérer sur le marché du travail et obtenir un emploi. » (E7, ii, 9)

Si le gouvernement aggrave la mesure du report de l’âge légal par un allongement de la durée de cotisation, c’est pour compenser… les inconvénients du report de l’âge légal. Je blesse mon adversaire et, pour ne pas qu’il souffre, je l’achève !

Les jeunes sont confrontés à des difficultés pour obtenir un emploi ? Eh bien, on fera travailler davantage les seniors !

7. « L’augmentation de la durée d’activité, à travers la durée de cotisation ou l’augmentation de l’âge de la retraite, améliorera nécessairement le taux d’emploi des seniors. » (E10, 11)

Ah ? Avec quels emplois ? Méthode Coué ? Seraient-ce les travailleurs qui décideraient de la création d’emplois parce qu’ils désireraient travailler jusqu’à 70 ans ?

8. « Le Gouvernement entend notamment intégrer dans le champ de la réforme des retraites la mise en place d’une contribution supplémentaire de solidarité sur les hauts revenus et les revenus du capital. (…) Les ressources supplémentaires ainsi collectées seront affectées aux mécanismes de solidarité des régimes de retraite, à travers le fonds de solidarité vieillesse (FSV). » (E12, 13)

L’assistance aux pauvres et le principe de la contributivité personnelle en substitution à la solidarité. C’est le « I want my money back » de Margaret Thatcher (1979).

On nous annonce quelques milliards de plus récoltés alors que les déficits claironnés se chiffrent pas dizaines de milliards, voire 100 milliards en 2050.

Au final :

9. « Sauvegarder le système de retraite par répartition »… mais… « nécessaire d’encourager les dispositifs d’épargne retraite. » (E1, 15)

10. « Ne pas réduire les déficits en baissant les pensions des retraités d’aujourd’hui. Leur pouvoir d’achat restera garanti par l’indexation de leurs pensions sur les prix. » (E3, 5 et 15)

Donc les pensions seront dévalorisées relativement aux salaires.

Et les retraités de demain ?

11. « Le Conseil d’orientation des retraites a indiqué que le niveau moyen des pensions continuera de croître au-delà de l’inflation dans les vingt ans qui viennent sous l’effet de l’amélioration des carrières. » (E4, 5 et 15)

L’amélioration des carrières avec l’augmentation de la précarité, la dérégulation du marché du travail et le laminage du droit du travail ?

12. L’objectif pour la classe dominante est de faire payer la crise aux travailleurs pour rassurer les marchés financiers. Après avoir transféré des montagnes de dettes privées vers la collectivité, via des déficits publics gigantesques, il convient de rétablir la rentabilité du capital en pressurant un peu plus les travailleurs et la grande majorité des populations. Peu à peu, des plans d’austérité de plus en plus sévères sont imposées par les gouvernements et le FMI, comme en Grèce et progressivement dans tous les pays.

La chanteuse grecque Angélique Ionatos dit en concert (avec Katerina Fotinaki) : « On a une grosse dette en Grèce, mais si tout utilisateur d’un mot d’origine grecque devait verser un centime à chaque utilisation, la dette grecque serait réglée en un rien de temps. »

Alors que les conditions de l’autonomie individuelle et de l’émancipation sont anéanties par les contre-réformes, la bataille pour les retraites est une bataille de civilisation.

Et cela pour trois raisons :

- enjeu de répartition de la richesse entre capital et travail, et aussi entre Nord et Sud quand on refuse la capitalisation ;

- place du travail dans la société : travailler moins au fur et à mesure des gains de productivité ;

- finalités de l’activité et mode de développement.

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