Une tribune pour les luttes

CIMADE

Publication de "VISA REFUSE", Enquête sur les pratiques consulaires en matière de délivrance des visas

Préface : "Inaccessible France ou l’art de refuser un visa par service interposé..."par Fadel Dia

Article mis en ligne le jeudi 15 juillet 2010


http://lacimade.org/minisites/politiquedesvisas

Témoignages reçus à la suite de la sortie du rapport


http://www.cimade.org/nouvelles/254...

08 juillet 2010

Depuis plusieurs années, les permanences de La Cimade se font écho du labyrinthe administratif dans lequel se perdent ceux qui demandent un visa pour pouvoir venir en France. Cependant à cause de l’opacité qui règne sur les pratiques des consulats, lointains et méconnus, il est devenu très difficile d’orienter les étrangers en proie à cet univers kafkaïen.
La délivrance des visas constitue pourtant aujourd’hui un outil essentiel de la politique d’immigration française.

En 2009, La Cimade a donc lancé une campagne d’observation dans six pays différents (Ukraine, Turquie, Maroc, Algérie, Sénégal, Mali) afin de dresser un état des lieux des pratiques consulaires, comprendre l’impact des dernières évolutions législatives en la matière et pouvoir apporter des propositions concrètes d’amélioration au dispositif en place.

Si le rapport d’observation dresse un constat très critique des pratiques de ces administrations méconnues, il dévoile aussi les grandes disparités existantes entre les différents consulats et rend compte d’une réalité plus hétérogène que ne le laisseraient penser les forts taux de délivrance de visa brandis par le ministère de l’Immigration.

A lire ou télécharger sur le site de la CIMADE :

Première partie du rapport, Analyse des politiques publiques et des pratiques consulaires

Deuxième partie, Rapports de mission
(Mali, Maroc, Sénégal, Ukraine, Turquie, Algérie).

http://www.cimade.org/nouvelles/254...


« Je savais que pour avoir le visa il fallait d’abord accéder au Consulat.
[...] Mais je n’imaginais pas que cela était en soi une épreuve de taille, si difficile que je n’ai jamais pu la franchir après deux semaines de siège. »

Préface
par Fadel Dia

Inaccessible France ou l’art de refuser un visa par service interposé... _ « Droit à la France ? »

Pourquoi sommes-nous si stressés dès le moment où il nous faut entreprendre une démarche
en vue d’un déplacement en France ? Pourquoi sommes–nous plus stressés que quand il s’agit
de se rendre en Turquie, aux Etats-Unis, voire en Chine ? Peut-être par ce que nous en
demandons trop à la France et peut-être aussi parce que elle nous en promet trop.

Je suis francophone, francophile, «  francolâtre » même comme le sont trop souvent les
Sénégalais de ma génération, plus royalistes que le roi dans la défense de la qualité du
français parlé et écrit. J’ai longtemps enseigné l’histoire, non seulement en français mais de
France. J’ai dirigé une institution intergouvernementale
dont la vocation est la promotion et la consolidation de
l’enseignement dans la langue de Molière dans les pays
qui ont le français en partage. Je suis écrivain de langue
française, publié par des maisons d’édition françaises
qui ont pignon sur rue et dont l’une, fréquentée
autrefois par Senghor, Césaire ou Michel Leiris, a vu
récemment sa directrice décorée de la Légion d’ Honneur
par le président Sarkozy lui-même pour services rendus
à la culture française. A l’occasion de la sortie de mon dernier livre, paru dans cette même
maison, j’ai reçu l’invitation d’une institution reconnue et subventionnée par les collectivités et l’Etat français et qui est depuis plus de dix ans le symbole même de cette « coopération des peuples et des terroirs et non des banques » qu’affectionne, nous dit-on,
l’Ambassadeur de France à Dakar. Africajarc est en effet un festival porté par tout un village
(230 bénévoles sur une population de 600 âmes !), une manifestation fondée sur le
«  respect des différences et l’estime réciproque ». Je ne suis solliciteur ni d’emploi ni de
subsides et me suis même engagé, à titre de contribution et pour le plaisir de l’échange, à
prendre en charge les frais liés à mon déplacement...

La France a proclamé qu’elle allait faciliter la circulation des artistes, des intellectuels, des
écrivains, des chercheurs... Sur la base de ces arguments, tenant compte des motivations
qui sous-tendent mon projet, et malgré les déboires rencontrés dans le passé, j’ai pensé
qu’une demande de visa ne devrait plus être pour moi qu’une formalité et que, d’une certaine
manière, non seulement j’avais droit à la France, mais qu’il existait des Français qui avaient
des droits sur moi et notamment celui de me convoquer au partage et au dialogue.

Je savais que pour avoir le visa il fallait, d’abord, accéder au Consulat, présenter en quelque
sorte le corps du délit, mais je n’imaginais pas que cela était en soi une épreuve de taille,
si difficile que je n’ai jamais pu la franchir après deux semaines de siège.

Le consulat et ses « coxeurs »

La méthode est connue et repose sur la délocalisation des tâches subalternes. Vous achetez
donc - à la banque - un code téléphonique (c’est votre premier investissement sans garantie
de succès), déclinez votre identité, exposez les motifs de votre demande et les contraintes
de votre déplacement. Une voix neutre et standardisée vous fixe un rendez-vous : c’est un
mois et demi... APRES la tenue de la rencontre à laquelle vous étiez convié ! Vous marquez
votre étonnement ? « Oui, je vous ai bien compris mais je n’ai que ça pour le moment. Appelez
de temps en temps, achetez une 2e, voire une 3e carte. Je prends note, mais nous ne sommes
pas le Consulat ! »
. C’est bien vrai, ils n’en sont que les « coxeurs » : vous n’avez jamais le
même interlocuteur et une fois sur deux, on vous assure que tous les opérateurs étant
occupés, il vous faudra rappeler. Et puis quelle idée de voyager à cette période : «  c’est l’été, monsieur, le consulat et toute la France sont en vacances et vous êtes trop nombreux à vouloir
partir ! »
. Français qui nous invitez, faites-le en hiver, quand il gèle et qu’il neige et non en
été quand votre pays est en fête !

Cela m’a coûté prés de ... 200 000 Francs CFA* de ne PAS AVOIR EU le visa ! « Mais monsieur,
on ne vous a pas refusé de visa, le consulat n’a même pas pris connaissance de votre
dossier !
 ». C’est bien le piège des mots, puisque le résultat est le même.

« Immigration choisie » : par qui ?

Avec la France nous sommes souvent trahis par nos sentiments et victimes de notre crédulité
qui nous fait croire que nous traitons avec elle d’égal à égal. Nous nous laissons abuser par
les mots et oublions toujours que si tous les pays sont égaux, il y en a qui sont plus égaux
que d’autres et que « dans tous les rapports où l’une des parties n’est pas assez libre ni égale
le viol, souvent, commence par le langage
 » (A. Mbembé). Le français est une langue concise
et c’est déjà dans les mots que se dessinent les nuances. Un « immigré » c’est, selon Littré,
quelqu’un qui est « venu dans un pays pour s’y établir », mais si un Sénégalais qui vit et
travaille en France est un immigré, un Français qui vit et travaille chez nous est désigné par
le terme autrement plus valorisant d’« expatrié ». Un Français qui vient pour un court séjour
au Sénégal est un «  touriste », accueilli à bras ouverts, même quand il est sans le sou, un
Sénégalais dans la même situation est versé dans la catégorie d’immigré potentiel et soumis
à des tracasseries administratives. On veut nous faire croire qu’il est venu le temps de
l’« immigration choisie » et que celle-ci est une « chance » pour les Africains, une entente
«  négociée entre les pays d’origine et les pays de destination » (Sarkozy, Bamako, mai 2007).

Négociée ? Certainement pas ! Choisie ? Oui, mais par une seule des parties ! C’est en réalité
un concept inventé, mis en forme et servi tout prêt à ses «  partenaires » africains par la
France. C’est une notion à sens unique puisque l’immigration n’est « choisie » que dans le
sens Afrique-Europe. Pour qui se rend de France au Sénégal, notamment, l’immigration n’est
ni sélective ni discriminatoire ni même onéreuse, puisque contrairement au Sénégalais, le
Français qui veut venir chez nous n’a pas besoin de visa ni même de justifier ses moyens
d’existence dans notre pays. Pourtant la réciprocité est l’un des principes fondamentaux des
rapports entre nations et M. Sarkozy lui-même nous a assez martelé que « les relations entre
états modernes doivent dépendre de la confrontation de (leurs) intérêts respectifs »
(Bamako,
juillet 2007). La France ne peut évidemment être seule mise en cause ici puisque d’autres
pays africains de la sous-région appliquent ce principe de réciprocité. [...]

Rencontres manquées, espoirs déçus !

Si la France veut, comme elle le prétend, faciliter la circulation des hommes de culture, des
artistes, des chercheurs..., il faut qu’elle cesse d’ajouter des barrières aux anciennes
barrières. Qu’au moins elle n’oblige pas ces « immigrés » choisis par elle à négocier chaque
séjour au jour près, et accepte de leur délivrer des visas à longue durée, comme le font déjà
les Américains, ou qu’elle leur facilite le contact avec une autorité qualifiée, en cas
d’extrême urgence. Que le Consulat cesse d’être inaccessible, sourd à tous les appels, y
compris ceux d’officiels sénégalais que l’on croyait « influents », sourd aux cris de détresse
électroniques venus de France et qui expriment la gêne et le désarroi.

L’Ambassadeur de
France rêve de «  pouvoir expliquer librement l’action de son pays au Sénégal ». Il est sûr, dit-
il, « d’être entendu sans parler » : il a de la chance car beaucoup d’Africains parlent à la
France sans espoir d’être entendus ni même écoutés ! Moi même, je m’y suis essayé, en
« laissant parler mon cœur », comme lui-même l’a fait devant ses invités, le 14 juillet
dernier. Son Excellence a préféré «  tenir entre ses mains » mon livre, plutôt que de le lire,
le soupçonnant de n’exprimer que « la part amère de la rencontre entre nos deux pays et
nos deux cultures »
. Il préfère, pour ce qui le concerne, « la part féconde et enrichissante de
cette rencontre, notamment dans le domaine des lettres
 ». C’est justement de cette part qu’on
m’a privé en me faisant rater le rendez-vous d’Africajarc, ne me laissant que l’amertume.

Extrait de l’ouvrage :
«  A mes chers parents gaulois », Editions des Arènes, Paris 2007.

* Soit 300 € environ.

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