Une tribune pour les luttes

Pièce et main d’oeuvre

La Villeneuve, "c’est" la technopole

Article mis en ligne le lundi 2 août 2010

Par mail :

Avec une semaine de retard , le point de vue de Pièces et mains d’oeuvres sur
les "événements" de Grenoble

Bonjour,

Beaucoup s’étonnent des événements de ces derniers jours à La Villeneuve ;
ainsi que d’autres récents faits divers, si brutaux qu’ils ont attiré une
attention nationale. Les plus naïfs, ceux qui ne connaissent Grenoble qu’à
travers les articles de complaisance de Libération et d’autres médias,
s’ébahissent : "Vraiment, est-bien la même technopole, ce "laboratoire
grenoblois", place-forte du CEA, de Minatec et des hypertechnologies où,
voici un mois, Libération et le Nouvel Observateur nous conviaient à venir
écouter le maire Michel Destot, et forces enflures céphaloïdes, pérorer lors
des "Etats Généraux du Renouveau ?" (cf
http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=265 )
Est-ce bien cette cité futuriste où le Musée Dauphinois consacre une
exposition à la gloire de "l’homme augmenté" et des robots, "une espèce en
voie de développement
" ?

Ces "émeutes", ces rixes, ces crimes, c’est le retour du réel. Les lignes
ci-jointes offrent aux amnésiques un ahurissant, écoeurant, florilège de
déclarations du technogratin (sources à l’appui) ; de ses manifestations de
mépris et d’oppression envers l’humanité ordinaire sommée de déguerpir, de
s’écraser ou de se faire oublier dans les arrière-fonds de la technopole. Un
jour, les techno-rats jaillissent à la surface et les techno-maîtres
s’effarent. Lisez "La Villeneuve, c’est la technopole" ( en pièce jointe et
surhttp://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=267
), et ne soyez plus étonnés.


La Villeneuve, c’est la technopole

Ce qui se joue ces heures-ci à Grenoble se nomme une bataille d’image. Une bataille cruciale pour le techno-gratin local si attaché à développer l’attractivité du territoire. Le "mythe grenoblois", façonné depuis des
décennies par la propagande officielle, est le meilleur atout des chasseurs de têtes de la "Silicon valley
française
". Il suffit, pour séduire les ingénieurs et cadres américains, allemands ou hollandais, dont les élus
locaux sont si friands, de leur conter la belle histoire du "laboratoire grenoblois", capitale des chercheurs
montagnards, et d’agiter sous leur nez les clichés publicitaires de la "Capitale des Alpes" : mère de toutes les
technopoles, pionnière en tout, modèle de la ville du futur, "Brasilia", comme la nommait Paris Match en 1968.

Une experte ingénierie de population à l’œuvre depuis des décennies permet à la ville, à la fois d’enfler à toute
vitesse avec l’objectif de devenir en 2020 "une métropole à échelle européenne" (le fameux Sillon alpin, de
Genève à Valence), et de choisir ses habitants grâce à un tri qui ne dit pas son nom, mais qui filtre dans les
déclarations des décideurs. Florilège.

"C’est la tyrannie de la réussite,
les pauvres laissent la place aux
r i c h e s
" (Bernard Pecqueur,
ancien conseiller municipal PS) Le Daubé, 04/06/02 .

"Il nous faut du pognon et
des patron
s" (Michel
Destot).
Le Figaro, 1/10/98

"Je préfère gérer des problèmes de riches plutôt que des problèmes de pauvres" (Michel Destot, maire PS de Grenoble), 28/02/04, réunion "Comprendre la Ville"

"Je peux ramener à
Dominique (Strauss-Kahn)
bon nombre de patrons du
. CAC 40
" (Michel Destot).
Le Point, 8/04/10

"La qualité de vie devient aujourd’hui
aussi déterminante que le dynamisme
économique pour attirer entreprises,
cadres dirigeants, chercheurs,
étudiants et leurs familles respectives.
(...) Il convient donc de développer
une image valorisante auprès du
grand public, afin que Grenoble soit
reconnue comme une destination très
prisée.
" (Chambre de Commerce et
d’Industrie de Grenoble, avril 2003,
dont l’ex-président déclarait au Monde
en 2004 : "J’ai l’habitude de côtoyer
des socialistes, je n’ai rien à redire sur
leur action économique
").

"J’avais envisagé l’espace libéré par la caserne de Bonne
comme un espace de relance pour des gens à pouvoir
d’achat élevé. Avec Minatec, on a 2000 personnes qui ne
vont pas venir à Grenoble pour habiter en HLM. Il faut
les loger in situ, dans la ville, où leurs femmes et leurs
enfants ont une ville qui corresponde à leur niveau
social. Sur l’espace de Bonne, on pourrait faire de
l’immobilier de très grande qualité, un vrai centre
culturel et d’habitat, et l’avenue Alsace-Lorraine, à côté,
reprendrait l’allure qu’elle avait, celle d’une vitrine où les
gens achèteraient des objets de classe au lieu d’aller les
acheter à Lyon. Ce n’est pas contradictoire avec la mixité
sociale !
" (Max Micoud, ex-conseiller municipal de
droite) Le Daubé, 14/12/01

""On n’attire pas Minkowski (chef
d’orchestre) avec des MJC" (Destot).
Le Monde, 22/01/02

"On élargit le territoire (NDR : du centre
ville, avec le nouveau quartier de Bonne) en
faisant augmenter la qualité de l’offre,
d’autant que nous avons une grande partie
de la population possédant un pouvoir
d’achat élevé
" (Geneviève Fioraso, adjointe
au maire PS en charge de l’économie).
Le Daubé, 17/02/05

Un exemple d’expérimentation du "laboratoire grenoblois" ? En 2002 la préfecture ouvre une cellule d’accueil,
non pour les Roms expulsés du campus, mais pour les riches expatriés. Celle-ci est chargée de "répondre aux
demandes d’inscription des enfants d’étrangers dans les établissements scolaires, et de mieux soutenir les
parents dans leur implantation en Isère",
tandis que des agences de "relocation" s’occupent "d’aplanir toutes les
difficultés liées à l’installation. Pour un forfait situé entre 3000 et 4000 €, elles accompagnent les nouveaux
venus dans leurs démarches : recherche du logement, démarches administratives, inscription à l’école, achat de
la voiture ou du mobilier. Certaines affirment même pouvoir accomplir des "miracles", tels que l’obtention du
permis de séjour en épargnant aux intéressés l’attente aux guichets de l’administration
 !"

En somme, vue de l’extérieur, de la Chambre de Commerce ou d’une salle blanche de Minatec, Grenoble est un
rêve de technopole en expansion, peuplée de jeunes gens modernes, performants et bien rémunérés.
Mais alors, d’où sortent ces sauvageons furieux, qui brûlent les voitures et tirent sur la police ? Où étaient-ils,
tandis que le maire vantait partout le modèle de développement grenoblois, et assurait qu’en livrant la ville aux
labos et aux entreprises high tech, il œuvrait pour "l’emploi, la première des solidarités" [2] ? A quoi s’occupaient-
ils, pendant que Destot "s’activ(ait) au sein de son club, Inventer à gauche", contactant Bouygues, patron de
TF1, pour le compte de son ami DSK en prévision des prochaines présidentielles (cf Le Point, 8/04/10) ?


Ils vivaient à la Villeneuve, la face cachée de la technopole.

Jusqu’à ces jours-ci, Destot et ses complices, Safar ou Fioraso, avaient réussi à diffuser le mythe d’une "ville
riche
". Las, le 20 juillet 2010 Le Monde le révèle à la France entière : "L’image de la "capitale des Alpes"
écornée"
. Ce n’est pas faute, pourtant, d’avoir enquêté et informé sur les ravages sociaux et humains de la
technopolisation. Depuis bientôt dix ans, Pièces et Main d’œuvre démonte le "laboratoire grenoblois" pour mettre
à jour ses rouages : destruction du territoire, des quartiers populaires aux zones agricoles, au profit de l’industrie
high tech ; connivence du techno-gratin qui défend ses intérêts derrière l’écran de fumée du social-futurisme ;
expulsion des classes populaires du centre vers la périphérie (bientôt, le quartier Saint-Bruno en aura lui aussi
fini avec ses pauvres), remplacées par les ingénieurs à hauts revenus dans des résidences Haute Qualité
Environnementale à 3500 € le mètre carré ; mais aussi et surtout aggravation du fossé entre le pouvoir et les
sans-pouvoir par la technification [3].

La Villeneuve, c’est la technopole. Ce modèle de ville moderne, fondée sur la liaison recherche-université-
industrie-pouvoirs publics (civils et militaires), et sur la tyrannie de l’innovation – tu t’adaptes ou tu crèves. Ce
que le techno-gratin a dissimulé, dans ses présentations PowerPoint des "atouts de l’écosystème grenoblois" pour
pomper les subventions d’Etat et le label "Pôle de compétitivité mondial", c’est la place réservée à ceux qui ne
s’adaptent pas, pas assez vite. Les 15 000 habitants de la Villeneuve n’ont pas le profil technopolitain des
Ingénieurs, Techniciens, Cadres, qui cultivent tout ensemble la foi dans le Progrès, la dénégation et la bien-
pensance autosatisfaite. Il fallait mettre quelque part les autres, si possible loin du centre ville où s’épanouissent
désormais de gras vendeurs de vêtements de luxe et de vulgaires tenancières de "spas", équipés de 4x4 et de
résidences sur les côteaux du Grésivaudan. Ce Grenoble-là, qui s’étale dans les pages glacées de magazines pour
parvenus de province - tels ce "Beaux Quartiers", non distribué à la Villeneuve – a pointé sous Carignon, puis a
été développé par Destot. Et chacun, parmi les 20 % de Grenoblois qui travaillent dans la recherche et
l’enseignement, de faire semblant d’ignorer l’existence des en-dehors.

Ce qui nous attend maintenant, c’est la poursuite du programme de Technopolis. Enfin désigné publiquement, le
nouvel ennemi va faire l’objet d’un traitement de pointe, comme toujours à Grenoble. Et Destot d’embrayer, les
carcasses de bagnoles encore fumantes : "Nous avons été les pionniers dans de nombreux domaines, nous
pouvons désormais l’être dans le traitement de ce nouveau fléau qu’est celui de la délinquance urbaine"
(L e
Monde
, 20/07/10). Car, désormais, "la sécurité est la première des solidarités".
Ça tombe bien, elle est aussi l’un des premiers débouchés de l’industrie high tech, ailleurs comme à Grenoble. Il
faut s’attendre à voir fleurir, non pas des caméras de vidéosurveillance, mais des caméras intelligentes, à
reconnaissance faciale et détection de comportements atypiques – ville pionnière oblige. Comme celles que
concoctent les ingénieurs de l’INRIA de Grenoble, déjà testées en 2005 à La Villeneuve, en partenariat avec la
société Blue Eye Vidéo. Bon, la technique était bancale, l’affaire a capoté, mais depuis on n’a pas arrêté le
progrès. Les partenaires du Pôle de compétitivité Minalogic ont les cartons plein de projets de mouchards
électroniques RFID, à disséminer sur le territoire pour mieux contenir la population dans les mailles du filet,
selon le programme de la "planète intelligente" d’IBM auquel Michel Destot apporte son inconditionnel soutien [4].
Le maire-ingénieur de Grenoble, qui avoue regarder "attentivement l’expérience de Singapour", la ville
électronique totalitaire où chacun est sommé de se comporter en fourmi numérique sous contrôle et surveillance
permanente. Enfin, faisons confiance à Clinatec, le laboratoire très discret de Minatec dédié aux manipulations
du cerveau, via implants électroniques, pour fournir au pouvoir les moyen de maintenir la "sécurité, première
des solidarités.
"

Pièces et Main d’œuvre

Grenoble, 22 juillet 2010

1
Les Affiches de Grenoble

2
Blog de M. Destot, octobre 2005, janvier 2010, et au détour de multiples entretiens

3 Lire notamment "Le laboratoire grenoblois" (2002) ; "Planification urbaine et croissance à la grenobloise" (2004) ;
"Quartier de Bonne : Quand les Verts fabriquent la ville de leur rêve" (2008), sur www.piecesetmaindoeuvre.com

4
Lire "IBM et la société de contrainte", 2010, sur www.piecesetmaindoeuvre.com

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