Une tribune pour les luttes

Addi Bâ. Le soldat inconnu

Par Lilian Thuram (1).

Article mis en ligne le dimanche 5 septembre 2010

Qui sait que ce combattant, affecté au 12e régiment
 de tirailleurs sénégalais 
en avril 1940, a fondé
le premier maquis des Vosges, au lieu-dit du Chêne des Partisans ? 
Torturé, Addi Bâ s’est tu obstinément. Il a été fusillé sur le plateau de la Vierge, 
à Epinal. Ce résistant de 
la première heure n’a reçu la médaille de la Résistance à titre posthume qu’en 2003, soixante ans après 
sa mort.

Convaincu que c’est son devoir, que son honneur le lui commande, le colonel Rives me parle d’un homme dont l’histoire lui tient particulièrement à cœur : Addi Bâ, un parfait « soldat inconnu » ! Évidemment, le colonel Rives aurait pu choisir une figure célèbre, comme celle de Félix Éboué (1884-1944). Seul Noir à parvenir au sommet hiérarchique de l’administration coloniale, Eboué rejoint dès le 18 juin 1940 la Résistance et, en tant que gouverneur, proclame le ralliement officiel du Tchad, alors colonie française, au général de Gaulle.

Félix Éboué, lui, a vu sa résistance reconnue. Ses cendres ont été transférées le 20 mai 1949 au Panthéon. Addi Bâ, lui, reste une étoile noire perdue dans le ciel de France. Pour tout honneur, le colonel Rives, avec l’accord des Langevins, a donné son nom à une rue de Langeais, en Indre-et-Loire, le 11 mai 1991…

Addi Bâ est né en 1913 près de Conakry, en Guinée, colonie française. Arrivé en France, il est engagé comme cuisinier chez un notable de Langeais. En 1939, alors que la guerre est imminente, l’état-major de l’armée se souvient des forces « indigènes » qui combattirent si courageusement en 14-18. Addi Bâ s’engage. Pour un Africain qui connaît la propagande nazie, la victoire de l’Allemagne signifierait une forme de retour à l’esclavage.

En avril 1940, Addi Bâ est affecté au 12e régiment de tirailleurs sénégalais. Le 10 mai 1940, les hommes sont envoyés faire rempart de leur corps contre l’avancée de l’armée allemande, subissant les pertes les plus massives de l’armée  : cinq cent vingt mille tirailleurs seront mobilisés pour occuper la première ligne.

En mai et début juin 1940, mal équipé, les pieds dans la boue, Addi Bâ lutte dans les Ardennes et sur la Meuse, dans des combats terribles, parfois au corps-à-corps. Le 18 juin 1940, à Harréville-les-Chanteurs, en Haute-Marne, son régiment est décimé. Certains combattants sont morts sur les champs de bataille, d’autres massacrés une fois faits prisonniers. Cinq ou six cents tirailleurs sont froidement exécutés par les Allemands. Une balle dans la nuque.

En dépit de toute les règles de la guerre, les nazis organisent de véritables chasses à l’homme dans la Sarthe, en Côte-d’Or, ailleurs encore. Les soldats « sénégalais » sont internés en France plutôt qu’en Allemagne, car les Allemands redoutent les maladies tropicales et, plus encore, le risque de relations sexuelles avec des Blanches !

Mais que devient Addi Bâ ? Tandis que les luttes se poursuivent, que les bataillons noirs tombent les uns après les autres, il est capturé en 1940 et conduit à Neufchâteau, dans les Vosges. Bientôt, profitant d’une soirée de beuverie de leurs gardiens, Addi Bâ réussit à s’enfuir avec une quarantaine de camarades. Ils disparaissent dans la nuit. Non sans se munir des armes abandonnées.

Les hommes se réfugient dans les bois de Saint-Ouen-lès-Parey, où ils subsistent misérablement. Addi Bâ prend le risque d’entrer en contact avec la population de la commune. Le maire de Tollaincourt et l’institutrice du village donnent des soins aux blessés et procurent de la nourriture aux hommes. Certains sont hébergés, cachés par les habitants du village. À cette époque, il faut beaucoup de courage, de témérité même, pour camoufler un Africain au milieu de la France aryanisée, car la répression est terrible. Il y a des histoires formidables, comme celle du tirailleur sénégalais que les paysans vosgiens déguisent en femme et emmènent, en pleine guerre, garder les vaches.

La présence d’Addi Bâ et de ses camarades dans cette zone occupée par l’ennemi représente donc un grand risque, et Addi Bâ le sait. Il cherche à fuir la région. À Epinal, des gendarmes les mettent en contact avec des passeurs. Après avoir enterré leurs armes, les clandestins sont acheminés vers la Suisse, où ils parviennent au début de 1941. L’adjudant Addi Bâ, lui, est resté à Tollaincourt où, camouflé en ouvrier agricole, il continue le combat. Dès le mois d’octobre, il entre en relation avec deux futurs membres du réseau Ceux de la Résistance.

Beaucoup d’entre nous ignorent que les Noirs furent nombreux à lutter pour notre liberté. Dès 1940, on en compte dans les organisations de Résistance et, en 1944, ils viennent grossir les rangs des maquisards. Dans le Vercors, par exemple, en juillet 1944, se trouvent parmi les FFI cinquante-deux tirailleurs sénégalais, ancien prisonniers de guerre évadés, considérés par leur chef comme 
« les meilleurs éléments du massif ».

En mars 1943, Addi Bâ fonde avec un camarade le premier maquis des Vosges, au lieu-dit du Chêne des Partisans. En juillet, son organisation clandestine, baptisée 
Camp de la délivrance, compte quatre-vingts réfractaires au STO, dix-huit Russes et deux Allemands qui se disent déserteurs de la Wehrmacht. Mais, le 11 juillet, ces deux pseudo-
déserteurs s’enfuient et révèlent l’emplacement du camp à la kommandantur. Le surlendemain, ce sont plus de mille soldats allemands qui encerclent la petite colline. Heureusement, des fermiers du cru, qui les soutiennent, les ont prévenus à temps et tous peuvent s’échapper.

Pour Addi Bâ, les choses sont plus difficiles, sa peau le trahit. Le 15 juillet, il est capturé à la ferme de La Fenessière. À peine enfermé, il saute par une fenêtre. Un soldat décharge sur lui son pistolet-mitrailleur. Il est atteint à la cuisse.

On le transporte à la prison d’Épinal, où il est atrocement torturé. Les Allemands veulent obtenir des noms. Addi Bâ se tait obstinément. Il est rejoint par l’un de ses camarades, 
Arburger, arrêté deux jours auparavant par la Gestapo tandis qu’il essayait d’orienter ses compagnons d’armes du Camp de la délivrance vers d’autres maquis. Le 18 décembre 1943, après d’interminables tortures, Addi Bâ et son ami Arburger sont fusillés sur le plateau de la Vierge, à Épinal. Ils n’ont pas parlé.

Ce résistant de la première heure n’a reçu la médaille de la Résistance à titre posthume qu’en 2003, soixante ans après sa mort. Quoi d’étonnant ? Dès la veille de la Libération, notre pays a opéré un blanchiment de sa résistance. La guerre terminée, pas un de leurs noms ne figure sur les livres d’or. Quant aux monuments aux morts, il est bien rare qu’ils mentionnent un soldat africain.

(1) Avec son accord,nous publions de larges extraits 
du portrait qui figure dans le livre Mes étoiles noires, 
de Lilian Thuram, Éditions Philippe Ray, 18 euros, 2010.

LILIAN THURAM

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