Une tribune pour les luttes

Chemins inédits vers l’horreur de demain

Par Christophe Mileschi

Article mis en ligne le vendredi 17 septembre 2010

13 Septembre 2010

Christophe Mileschi est professeur de littérature italienne contemporaine à Paris Ouest Nanterre, traducteur et écrivain.


Je suis un Français d’origine étrangère, d’origine non contrôlée et d’origine incontrôlable.
Je n’appartiens à aucun parti, syndicat ni église.
Je n’appartiens pas à non plus à la «  patrie » où je réside et respire.
Je voudrais, depuis le non-lieu véritable de l’existence, dire ceci :
Nous savons bien, très bien, ce que signifient, ce que trahissent les propos et la politique de ce gouvernement, son chef suprême en tête.
Nous savons bien sur quels leviers, sur quelles pulsions ça joue, et où ça mène.
Nous savons ce que coûte cette construction du consensus sur la peau d’un Autre qu’on rejette hors de soi, qu’on refuse d’accueillir en soi, chez soi, à qui on dénie les droits qu’on dit par ailleurs vouloir défendre pour les nationaux. Nous connaissons ce mécanisme ancien et toujours réinventé qui fabrique l’enthousiasme par la haine, l’identité par l’invention d’une altérité sans partage.
Dans un monde où rien n’est sûr sinon que nous mourrons, c’est le propre des pleutres et des démagogues d’ainsi feindre la certitude à bon compte : la certitude qu’il y a un dehors et un dedans, et que le chef veille à la frontière et nous défend des invasions barbares. Mais le chef est ici l’envahisseur et le véritable barbare.
Italo Calvino, qui n’était pas un extrémiste politique, a dit qu’il fallait cependant être des extrémistes de la pensée. Que c’était le rôle et la fonction des intellectuels, que de pousser les idées à leurs ultimes conséquences, pour savoir où ça mène. Bataille a dit je crois quelque chose d’analogue.
Être un intellectuel, être quelqu’un qui pense dans le cas qui nous réunit aujourd’hui, être un extrémiste de la pensée, c’est tout bonnement penser à ce à quoi mène cette politique et le discours qui la soutient.
Cela a déjà eu lieu, cela peut avoir lieu encore, a écrit Primo Levi.
On dit : pas d’amalgame, c’est excessif de comparer le Sarkozysme et le Vichysme.
Ce serait même contreproductif, disent certains.
Bien sûr, Sarkozy n’est pas Pétain, les mesures contre les Rom ne sont pas les lois contre les Juifs.
Mais, bien sûr aussi, s’il faut attendre que se reproduise exactement la scansion de mots et de faits qui a conduit à l’horreur exterminatrice avant de s’émouvoir, alors restons chez nous : à chaque fois, l’Horreur invente de nouveaux chemins, des chemins inédits.
J’affirme que ce gouvernement est en train d’inventer les chemins inédits qui mènent exactement à l’Horreur de demain. C’est-à-dire à l’Horreur où sont déjà des personnes, ici, maintenant, traitées comme des catégories, comme des espèces, comme des entités collectives. L’Horreur de demain, c’est l’Horreur où l’on est déjà, qui demain sera institutionnalisée et généralisée.
Cela ne doit pas avoir lieu. Nous sommes ici parce que nous ne le voulons pas.
Dans les années qui viennent, c’est ma crainte depuis longtemps, il faudra le dire et le redire encore, le dire et le redire plus fort.
Surtout il faudra, c’est mon espoir, relier solidement le sort qui est fait aux sans- papiers ou aux Roms, à la misère, à la précarité, à l’iniquité du destin où l’on contraint tant de gens «  avec-papiers » et autres «  vrais » Français.
Il nous appartient de dire que nous savons que les « problèmes » que le pouvoir agite sous le nez du bon peuple ne sont que les écrans de fumée derrière lesquels il s’assure sans cesse la possibilité de poursuivre ses manigances infectes. Il nous appartient de dire que les véritables ennemis de la France, si par France on entend une certaine république idéale fondée sur des valeurs de justice sociale, d’égalité, de fraternité, de liberté, que les véritables intrus sont aujourd’hui, précisément, en position de diriger ce pays.
Notre combat est un combat pour la justice, contre l’autoritarisme financier.
Là où un président et sa clique œuvrent à détruire le lien social, à atomiser la communauté qu’ils administrent en clans, à exaspérer les particularismes au nom d’un fantasme létal d’identité nationale, à diviser pour régner, il nous faut travailler à ce qui unit, qui renoue, qui fédère.
S’il est un Autre à dénoncer, à fustiger, à combattre, s’il est un ennemi commun, c’est ce président imposteur, ce républicain de façade, ce hiérarque et sa cour.
Sarkozy Go Home.
J’affirme que ce gouvernement est indigne de sa fonction et qu’il doit se démettre. _ Au nom de la France.
Je lance à M. Sarkozy un défi en duel verbal. Qu’il ose le relever. Qu’il ose affronter un simple citoyen de la république française sur la question des Roms, des sans- papiers, des retraites, et tout ce qu’il voudra. Qu’il ose mettre sa rhétorique de politicien de métier à l’épreuve du réel.
Si ce qu’on nomme démocratie permet ce qui se passe en France depuis 3 ans, depuis 8 ans, depuis 15 ans, alors c’est qu’il est temps de changer cette démocrasserie.

Christophe Mileschi

Christophe Mileschi est intervenu dans le cadre du rassemblement « Les Roms, et qui d’autre ? » qui a eu lieu samedi 11 septembre 2010 à Montreuil.

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