Evelyne Perrin, Haute Tension - Les luttes des salariés contre les plans sociaux 2008-2010 -
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Présentation
Durant l’hiver 2009-2010, alors que les luttes de salariés contre les plans sociaux avaient défrayé l’actualité tout au long des derniers mois, des Contis aux Molex, des Philips aux New Fabris, j’ai effectué une visite auprès des syndicalistes menant ou ayant mené ces luttes, pour leur donner la parole.
J’ai rencontré les salariés de 25 entreprises, dont une majorité d’entreprises donneurs d’ordre ou sous-traitantes de l’automobile, et dont cinq publiques ou récemment privatisées. Ils m’ont exposé les décisions (fermeture, plan social, délocalisation…) contre lesquelles ils ont lutté ou luttent encore, ce que la lutte leur a permis d’obtenir ou non, ce qu’ils en retirent comme leçon.
Aussi j’ai ajouté à l’enquête une partie de propositions, sur ce que pourrait être une véritable politique industrielle en France ou en Europe, sur les mesures, radicales, qui devraient être prises ou imposées pour faire face à cette hémorragie et à ce gâchis humain : limitation du pouvoir de la finance, devenue souveraine, extension du pouvoir des salariés, reprise de l’entreprise par eux, reconversion, relocalisation, RTT…
Je conclus de cette enquête l’absence ou l’insuffisance d’un soutien, d’une coordination de ces luttes, et surtout d’une réflexion sur les solutions, de la part des principaux syndicats et partis politiques de gauche.
SOMMAIRE
Préface de Manuel GEORGET, CGT Philips Dreux p. 6
Introduction
Un désastre industriel
I .Des luttes qui ont fait l’actualité p. 8
Les Contis 13
Centre d’Appels du Club Med 15
Téléperformance 19
Renault-Trucks Saint-Priest 22
Sanofi-Aventis Neuville sur Saône 27
SBFM Caudan 33
Goodyear Amiens 40
Heuliez Cerisay 46
New Fabris Châtellerault 51
Caterpillar Grenoble 55
Delphi Blois 57
Ford Banquefort 60
Philips Dreux 67
Molex Villemur sur Tarn 72
Renault Flins 76
Renault Douai 78
Renault Technocentre 81
Peugeot-Citroën Aulnay 83
Freescale Toulouse 88
Chaffoteaux et Maury 92
Total Dunkerque
II- Et dans le public,
Ou les entreprises publiques privatisées ? p. 95
France Télécom 98
La Poste 100
ERDF-GRDF 104
RFI
III- Des luttes d’un bout à l’autre de l’hexagone p. 105
Un précédent au Collectif de luttes 107
Le Collectif contre les patrons voyous 108
IV- De restructurations en délocalisations, p.113
Un paysage industriel menacé 113
L’ampleur des destructions d’emplois 113
Les transformations profondes du capitalisme 114
Le poids écrasant de la finance 116
La désindustrialisation 122
Les délocalisations 124
Le kit de la fermeture
Les réponses gouvernementales 126
Entreprises multinationales et management par le stress 127
Le rôle joué par les grandes centrales syndicales 129
V- Quelles solutions ? p.133
Une véritable politique industrielle 134
La reprise : un projet inaccessible ? 136
L’intervention des régions 140
Le contrôle ou l’interdiction des licenciements 142
La sécurisation des parcours professionnels 143
La réduction de la précarité 145
Le renforcement des pouvoirs des syndicats 146
La reconversion industrielle 147
La formation professionnelle 148
La relocalisation 150
Le développement de la recherche 151
La taxation des importations
Ou le rattrapage des salaires des pays émergents ?
La réduction du temps de travail
Une autre politique industrielle
S’attaquer au pouvoir des actionnaires
Conclusion p. 158
Le panorama des luttes auquel nous nous sommes livrés, si incomplet soit-il, montre
l’intensité et la détermination des combats que mènent et ont menés les salariés dans les
entreprises frappées par les fermetures, les plans sociaux et les délocalisations. Lorsque la
lutte fut menée dans un mouvement unitaire des salariés et de leurs principaux syndicats,
des victoires non négligeables ont été arrachées. La lutte paie.
Une autre leçon est que plus la lutte est déclenchée en amont de la fermeture, plus elle a
de chances d’enrayer ou de retarder le processus.
Ce panorama montre également la violence de l’offensive menée par des directions
d’usines appartenant le plus souvent à des groupes internationalisés, et la domination
quasi absolue de la logique financière sur toute logique économique. Il nous a fait
rencontrer des salariés frappés dans leur chair par les stratégies d’entreprises à activité
transnationale faisant jouer la concurrence sur le plan mondial, cette concurrence tant
glorifiée par les tenants nationaux et européens du néo-libéralisme. Seules résistent mieux
les PME et entreprises qui ont longtemps été ou sont encore des propriétés familiales,
échappant à la prise de contrôle de groupes.
Si l’aide émanant de la population et des élus locaux a souvent été d’un apport non
négligeable, c’est la désunion syndicale qui a été le principal frein aux luttes, certains
syndicats jouant en fait le rôle d’alliés du patron, et cassant la lutte en demandant
d’emblée des indemnités de départ. Il a aussi manqué cruellement une impulsion et une
coordination nationales des luttes au niveau des principales centrales syndicales, carence
amenant les salariés à s’organiser eux-mêmes au sein de Collectifs de lutte.
Il faut aussi souligner la carence des appareils de la gauche pour soutenir ces luttes, les
populariser et pour proposer une politique industrielle alternative. Les deux carences
conjuguées ont fait que de ces luttes n’est pas né un vaste mouvement social pour sauver
des pans entiers de notre industrie et les emplois qui font vivre des régions entières.
Pourtant, ces combats ont porté, outre une exigence de dignité de la part des travailleurs
attachés à leur outil de production, des revendications et des pistes pour une autre société,
pour une reconnaissance de l’apport indispensable de l’industrie, pour une réappropriation
par les salariés de l’outil de production et des finalités de la production, pour une réponse
sociétale à la mesure du désastre que constituent non seulement cette agonie industrielle,
mais l’expulsion en masse des hommes et des femmes des processus productifs, tandis
que ceux et celles qui restent au travail sont de plus en plus aliénés par un système de
management qui prive le travail de son sens.
Pourtant, ces luttes isolées et cruciales pour l’avenir de notre industrie auraient justifié un
soutien d’une ampleur exceptionnelle et une traduction dans un projet politique global de
transformation sociale et écologique, s’appuyant notamment sur la reconversion et la
formation. Il n’en a rien été.
Il faut espérer que dans les années à venir, à la faveur de la montée en puissance du
mouvement social, dans toutes ses composantes, dans le paysage politique et institutionnel
français, naissent des initiatives à la hauteur de la dévastation de notre tissu productif et de
l’énorme gâchis collectif de compétences qui l’accompagne au travers des suppressions
sèches d’emplois. Ces initiatives devront poser clairement la question de la propriété
sociale des entreprises, de la jugulation de la finance, de la maîtrise des délocalisations, de
la lutte pour un travail décent.
Face à l’internationalisation des entreprises et à l’avènement d’une concurrence
généralisée, il est également indispensable que le mouvement altermondialiste renforce sa
réflexion et sa prise en compte des enjeux d’une production industrielle socialement utile,
écologiquement soutenable, et répartie équitablement sur la planète, avec une
harmonisation par le haut des conditions de travail et des salaires.
En effet, ces luttes l’ont montré comme d’autres dans les différents secteurs de la société
(étudiants et universitaires, personnels hospitaliers, postiers, enseignants...), le système
actuel d’exploitation à outrance et de dépossession de la force de travail, de domination de
la finance et de pénétration de sa logique au cœur même de toutes les activités et au plus
profond de l’être au travail, suscite une prise de conscience collective de la folie de notre
époque, et le sentiment qu’il faudra une insurrection massive des corps et des esprits pour
y mettre fin.
Ces luttes de salariés témoignent que le combat contre ce modèle de société basé sur
l’exploitation brutale de l’homme et de la nature est à notre portée, mais doit devenir
collectif, et prendre de l’ampleur, gagner en extension, fédérer plusieurs formes de
résistance qui toutes portent une dimension d’alternative et un désir profond
d’émancipation. L’heure est venue.
Annexes
Annexe 1 : Liste non exhaustive
Des entreprises qui licencient
Annexe II : Crise de l’automobile
Annexe III : D’autres exemples, à la liste infinie...
Annexe IV : L’expérience de la région Poitou-Charentes
Annexe V : Propositions de reclassement
de Chaffoteaux et Maury
Annexe VI : Etats généraux de l’Industrie