Une tribune pour les luttes


Témoignage : 2 octobre 2010

Ma vie dans la rue

par Jacques Jedwab

Article mis en ligne le mercredi 6 octobre 2010

http://socio13.wordpress.com/2010/10/02/ma-vie-dans-la-rue-par-jacques-jedwab

Aujourd’hui j’ai pris le train pour Gardanne. Au retour j’ai couru pour attraper le train de 14 heures une. A Gardanne il faut passer par une passerelle pour atteindre la voie. Le train est parti avant que je ne sois en bas.

J’ai téléphoné en attendant, j’en avais pour vingt minutes. Quand le train est arrivé, je me suis rappelé que je n’avais pas de ticket . J’avais essayé d’en prendre un en arrivant, mais le distributeur était naze et le guichet était fermé. L’employé qui prenait la pause derrière un rideau n’a rien voulu savoir et m’a dit de prendre un ticket dans le train si je revenais à la gare avant l’heure d’ouverture.

Je suis monté et j’ai cherché les contrôleurs pour payer mon ticket, 5 euros 40. Ils étaient quatre affalés sur les fauteuils confortables d’un TER Bombardier rutilant, trois types et un fille, genre beurrette. Je demande mon ticket, on me le tend avec une rallonge de quatre euros, parce que je suis à bord. Je raconte mon histoire et ce qu’on m’a dit à la gare, bon je laisse, j’en mourrais pas mais … Tout de même, il y a une affichette
dans le train que j’avais lue à l’aller, elle parle des majorations si l’on voyage sans ticket, dit que dans ce cas il faut aller trouver les contrôleurs et ne dit rien de la majoration qu’on m’a appliquée. Je commence à discuter. Là dessus, il y a un jeune type, un peu gros, banlieusard qui est venu acheter lui aussi des tickets. Il proteste aussi et ne veut pas payer. Il reprend mes arguments, mais le contrôleur lui demande depuis quand il lit les affiches.

Le type va à sa place dans le wagon, où se trouve son frère, un gros lard lui aussi, au visage marqué par des cicatrices.
Le type qui donne les tickets est une sorte de Johnny Belle Gueule, le genre qui se soigne dans le miroir, qui se go et mina , et se petite perle dans le lobe. Il revient à la charge, et ça vire un peu marseillais, un bras se lève que retient la main opposée, bref ce qu’un honneur de vrai marseillais ne saurait supporter. Il dit qu’il va verbaliser le jeune dit oui, il demande des papiers d’identité le jeune dit j’en ai pas je donne mon
nom. L’autre dit que ce sera la police le jeune dit d’accord, la contrôleur dit OK et s’en va. Et là voilà cinq flics qui débarquent d’un autre wagon, déguisés en voyageurs, une fille, la première sur les lieux et quatre mastards. Bon ça fait maintenant neuf personnes pour 5 euros 40, une intervention qui doit globalement dépasser les 200 euros, de la poche à qui je vous le demande.

Maintenant ça pourrait être du genre messieurs vous descendez ou autre gentillesse, mais c’est sans compter sur la procédure. Et là, c’est du gratiné, jambes écartées, fouille au corps, et question intime du genre chichon, armes, fouille des affaires, le tout sans brassard ce qui ne m’a pas l’air correct dans la procédure, vu que ça aurait pu être on ne sait qui. Et puis la correction en Canada Dry, la recherche de la faute, la
présomption de culpabilité à tout va, bien au delà d’une amende pour circulation sans papier.

J’en sors malade, non sans avoir photographié l’affiche du train, disposé à aller m’expliquer avec la Senecefe.

Maintenant je suis à la bourre et je file jusqu’à mon CMPP où l’on m’attend.

Rue de la République, par la rue François Moisson bouclée par les flics. Dans l’enfilade il y a les écoles, les escaliers et au bout mon CMPP. Je me dis qu’il doit y avoir un truc, j’arrive au bout de la rue FM juste avant qu’elle ne coupe la République. Il y a des cars de CRS, et le tram est arrêté.

Je crois d’abord qu’elles ont remis ça. Elles ce sont les mères des élèves de l’Ecole François Moisson avec qui j’ai occupé les voies du tram il y a tout juste une semaine. Mais ça fait bien des flics pour elles, pacifiques et timides, mais courageuses et heureuses d’occuper la rue et une dignité ouverte.

Il y a des gens qui occupent la rue mais c’est autre chose.

En face, devant la porte d’un immeuble, tournés vers la rue, je les vois, une trentaine de gaillards caparaçonnés comme des robocops. Des meubles sortent portés par je ne sais qui, je n’ai pas vu. J’ai vu les meubles, les CRS, leurs lunettes noires et ortiziennes, leur morgue, leurs trognes et la haine est venue, sauvage, lourde. Et Meng est arrivé hors de lui, blanc cassé, automate des papiers à la main. Meng est le manager du Heng Heng, le restaurant chinois qu’ont ouvert ses parents il y a vingt ans, une institution locale, qui a résisté à la construction des voies de tram qui a ruiné la zone, jeté des gens hors de chez eux par de méthodes de DRH d’Orange,. Meng résiste et se radicalise. Meng je dis que ce sera le premier roi chinois de Marseille, il philosophe sans fin, en autodidacte boulimique, il m’appelle Grand Maître, et parfois il me casse tellement les couilles quand il me fait ses théories et que je suis fatigué, que je me prive de ses plats délicieux qu’on vient manger de toute la ville, et pour pas cher.

©andré

Maintenant Meng est juché sur une poubelle retournée, je me mets près de lui et je serre le poing. Il parle, il harangue, il montre ses papiers et traite quelqu’un de lâche. Je me rappelle qu’on m’attend je pars. Je croise une institutrice de l’école qui va vers le rassemblement qui occupe la rue. Elle est aussi décomposée que moi. Je lui dis cette ville est effrayante elle répond ce pays est effrayant. Le mot fascisme vient dans nos
bouches, et je ne sais qui le dit le premier.

En haut on m’attend. Je dis à Laurence ma collègue ce qui se passe et comme elle est libre elle y va. Elle est aussi atterrée que moi quand elle remonte. A six heures elle me laissera un sms pour me dire que les flics se sont multipliés comme des rats.

J’en croise un de rat en sortant vers sept heures et demi. Je lui dis que je l’aime mieux que les flics mais il s’en fout. Je me dis qu’une soupe serait bien venue mais le Heng Heng est fermé, je fais le lien et, juste, Meng est dans la rue comme un halluciné. Ce sont ses parents qu’on a expulsés, il veut passer la nuit devant la porte de l’appartement. Il y a avec lui un type qui lutte pour le quartier un mec bien qui le convint qu’il faut se
reposr parce que demain est un autre jour. Une lutte juridique gagnable tant l’arbitraire est flagrant, odieux.

Le pire est ceci. Meng et sa famille sont venus du Cambodge où les Khmers Rouges les avaient pourchassés. Il s’est fait français, il vit la France, il a épousé une française, il a un enfant métisse qu’il pousse tellement dans le savoir que dès fois j’ai peur qu’il ne le fasse tomber. Un fou des livres j’ai déjà dit. Ce merveilleux bon homme a dit au CRS qui lui faisait face j’ai choisi la France, et cette ordure lui a répondu on se trompe
parfois dans ses choix.

Mes parents sont venus de Pologne ici, ont été pourchassés par les nazis, mon oncle est mort déporté en Lituanie dans un train où huit cents Juifs proclamaient au moment de mourir qu’ils étaient huit cents français. Mon père était maquisard FTP. Ma France est bouffée par ces termites. Je les hais, je me battrais contre eux, avec ce qui me vient de rage accumulée.

C’est une guerre civile faite au peuple. C’est l’occasion de regrouper, de s’inventer. Lors de la manifestation pour l’école, il y avait surtout des mères ; presque toutes immigrées, prêtes à se battre pour l’école de la République. Une d’elle fit un discours en français et demanda au professeur d’arabe de l’école de venir traduire, pour que tout le monde comprenne. Il n’ y avait aucune revendication ethnique, aucune lutte linguistique. La langue était à sa juste place, juste un instrument de parole et de compréhension. Dans l’action, les barrières tombent et les
différences se réduisent à presque rien, en tout cas à rien qui vaille la peine d’en faire tout un plat Sauf si l’on a faim. C’est ça la juste résolution des contradictions dans le peuple.

Qu’ils prennent garde les termites et les DRH, ils font de nous une peuple.


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