Une tribune pour les luttes

Reporters sans frontière

L’Europe et la France perdent leur leadership dans le domaine de la liberté d’expression

Par Jean-François Julliard, secrétaire général de Reporters Sans Frontières

Article mis en ligne le jeudi 21 octobre 2010

20.10.2010

Nous avons publié aujourd’hui notre neuvième classement mondial de la liberté de la presse. Cet outil permet de dresser un bilan des violations de la liberté d’expression pays par pays.

Ma première inquiétude est liée au fait que plusieurs Etats membres de l’Union européenne continuent de perdre des places dans le classement. Si elle ne se ressaisit pas, l’Union européenne risque de perdre son statut de leader mondial dans le domaine du respect des droits de l’homme. Comment pourra-t-elle alors se montrer convaincante lorsqu’elle demandera aux régimes autoritaires de procéder à des améliorations ? Il est urgent que les pays européens retrouvent leur statut d’exemplarité.

Sur les vingt-sept pays membres de l’UE, treize pays se trouvent dans les vingt premiers. Quatorze pays sont sous la vingtième place et certains se retrouvent même très bas dans le classement : Grèce (70e), Bulgarie (70e), Roumanie (52e), Italie (49e). L’Union européenne n’est pas un ensemble homogène en matière de liberté de la presse. Au contraire, l’écart continue de se creuser entre les bons et les mauvais élèves.

La France perd encore une place dans notre classement mondial pour la liberté de la presse. C’est très préoccupant. Il est urgent que les autorités réagissent et rappellent l’importance d’une presse totalement indépendante de tous les pouvoirs. L’année 2010 a été marquée par plusieurs agressions contre des journalistes, des mises en examen, des violations ou tentatives de violations du secret des sources et surtout un climat lourd de défiance envers la presse. La majorité présidentielle a eu des mots très menaçants, parfois insultants, envers certains médias. Ces déclarations ont eu une résonance mondiale et, dans beaucoup de pays, le gouvernement français n’est plus considéré comme respectueux de la liberté d’information. La France a perdu son caractère exemplaire dans ce domaine. Même concernant la liberté de circulation de l’information sur Internet, la France est pointée du doigt par beaucoup d’organisations étrangères. Avec Hadopi, la France est considérée comme un pays qui ne respecte pas suffisamment l’accès à l’information.

A l’autre bout du classement, le raidissement de certains gouvernements est encore plus préoccupant. Le Rwanda, le Yémen, la Syrie, le Soudan ont rejoint la Birmanie et la Corée du Nord dans le carré des pays les plus répressifs de la planète envers les journalistes. Cette tendance n’augure rien de bon pour l’année 2011. La tendance n’est malheureusement pas à l’amélioration dans les pays les plus autoritaires

Si les années précédentes, nous pointions le doigt sur le trio infernal, Erythrée, Corée du Nord, Turkménistan, les mauvais élèves forment, cette année, un groupe plus large de 10 pays, dont les écarts entre eux sont plus resserrés, marqués par les persécutions contre la presse et l’absence totale d’informations. La situation de la liberté de la presse n’en finit pas de se détériorer et il devient de plus en plus difficile de les distinguer les uns des autres et d’établir une hiérarchie. En 2010, l’écart de points entre les dix derniers pays est de 24,5 alors qu’il était de 37,5 points en 2009 et de 43,25 points en 2007. A noter que pour la première fois depuis la création du classement annuel en 2002, Cuba ne fait pas partie des dix derniers. Cette progression est principalement due à la libération de 14 journalistes et 22 militants pendant l’été 2010. La situation sur place, cependant, n’évolue guère, la censure et l’oppression étant toujours le quotidien des dissidents politiques et des professionnels de l’information.

Il faut enfin souligner que plusieurs pays ouvertement en guerre, théâtres d’un conflit larvé ou d’une guerre civile (Afghanistan, Pakistan, Somalie, Mexique) voient des situations de chaos se pérenniser, s’ancrer une culture de la violence et de l’impunité où la presse est une cible privilégiée. Dans ces pays, parmi les plus dangereux au monde, les journalistes sont directement visés par les belligérants, comme le montre la prise d’otage de Stéphane Taponier et Hervé Ghesquière, retenus en Afghanistan depuis maintenant 300 jours.

Bref beaucoup d’inquiétudes et bon nombre de raisons de se mobiliser pour défendre notre droit à accéder à une information indépendante. Ici et partout sur la planète.


L’Europe tombe du piédestal, pas de répit dans les dictatures
En France , toujours tendances inquiétantes : violation de la protection des sources, concentration des médias, mépris et même impatience du pouvoir politique envers les journalistes et leur travail, convocations de journalistes devant la justice ...

Rapport complet et classement à lire et télécharger sur :
http://fr.rsf.org/press-freedom-index-2010,1034.html

"Pour sa neuvième édition, le classement annuel de la liberté de la presse révèle d’heureuses surprises, rend compte de sombres réalités et confirme des tendances. Plus que jamais, nous observons que développement économique, réformes des institutions et respect des droits fondamentaux ne vont pas forcément ensemble. La défense de la liberté de la presse est, et restera toujours, un combat, combat de la vigilance dans les démocraties de la vieille Europe, combat contre l’oppression et pour la justice dans les régimes totalitaires qui parsèment encore le globe. Il convient de saluer, d’un côté, les moteurs de la liberté de la presse, Finlande, Islande, Norvège, Pays-Bas, Suède, Suisse en tête et, de l’autre, de rendre hommage à la détermination des militants des droits de l’homme, journalistes, blogueurs, qui par le monde défendent avec vaillance le droit de dénoncer, et dont le sort occupe toujours nos pensées. Nous réitérons nos appels à la libération de Liu Xiaobo, symbole du bouillonnement, pour l’instant contenu par la censure, de la liberté d’expression en Chine, et nous mettons en garde les autorités chinoises qui risquent de s’enfoncer dans une impasse", a déclaré Jean-François Julliard, à l’occasion de la publication du classement mondial de la liberté de la presse par Reporters sans frontières, le 20 octobre 2010.

"Il est inquiétant de constater que plusieurs Etats membres de l’Union européenne continuent de perdre des places dans le classement. Si elle ne se ressaisit pas, l’Union européenne risque de perdre son statut de leader mondial dans le domaine du respect des droits de l’homme. Comment pourra-t-elle alors se montrer convaincante lorsqu’elle demandera aux régimes autoritaires de procéder à des améliorations ? Il est urgent que les pays européens retrouvent leur statut d’exemplarité.

A l’autre bout du classement, nous sommes préoccupés par le raidissement de certains gouvernements. Le Rwanda, le Yémen et la Syrie ont rejoint la Birmanie et la Corée du Nord dans le carré des pays les plus répressifs de la planète envers les journalistes. Cette tendance n’augure rien de bon pour l’année 2011. La tendance n’est malheureusement pas à l’amélioration dans les pays les plus autoritaires", a ajouté Jean-François Julliard.

L’Union européenne perd son statut de leader

Reporters sans frontières a exprimé à plusieurs reprises son inquiétude face à la dégradation de la situation de la liberté de la presse dans l’Union européenne. Le classement 2010 confirme ce constat. Sur les vingt-sept pays membres de l’UE, treize pays se trouvent dans les vingt premiers. Quatorze pays sont sous la vingtième place et certains se retrouvent même très bas dans le classement : Grèce (70e), Bulgarie (70e), Roumanie (52e), Italie (49e). L’Union européenne n’est pas un ensemble homogène en matière de liberté de la presse. Au contraire, l’écart continue de se creuser entre les bons et les mauvais élèves. Plusieurs pays démocratiques où Reporters sans frontières avait signalé un certain nombre de problèmes ne connaissent aucune progression. Il s’agit, en premier lieu, de la France et de l’Italie où incidents et faits marquants ont jalonné l’année en cours, confirmant leur incapacité à renverser la tendance : violation de la protection des sources, concentration des médias, mépris et même impatience du pouvoir politique envers les journalistes et leur travail, convocations de journalistes devant la justice.


L’Europe du Nord toujours en tête

Cette année encore, plusieurs pays se partagent la première place : Finlande, Islande, Norvège, Pays-Bas, Suède et Suisse. Ils ont déjà occupé la première place du classement depuis sa création en 2002. La Norvège et l’Islande ont toujours été premiers du classement, sauf en 2006 pour le premier et en 2009 pour le second. Ces six pays montrent l’exemple en respectant les journalistes et les médias mais également en les protégeant face à la justice. Ils continuent même à progresser, comme l’Islande qui a proposé un projet de loi exemplaire et unique au monde en la matière : « Initiative islandaise pour les médias modernes » (IMMI, Icelandic Modern Media Initiative). Un pays comme la Suède se distingue par son cadre légal (l’Acte sur la liberté de la presse) particulièrement favorable à l’exercice du métier de journaliste, la force de ses institutions et le respect des contre-pouvoirs, dont la presse, dans le bon fonctionnement de la démocratie.


Dix pays où il ne fait pas bon être journaliste

Si les années précédentes, Reporters sans frontières pointait le doigt sur le trio infernal, Erythrée, Corée du Nord, Turkménistan, les mauvais élèves forment, cette année, un groupe plus large de 10 pays, dont les écarts entre eux sont plus resserrés, marqués par les persécutions contre la presse et l’absence totale d’informations. La situation de la liberté de la presse n’en finit pas de se détériorer et il devient de plus en plus difficile de les distinguer les uns des autres et d’établir une hiérarchie. En 2010, l’écart de points entre les dix derniers pays est de 24,5 alors qu’il était de 37,5 points en 2009 et de 43,25 points en 2007. A noter que pour la première fois depuis la création du classement annuel en 2002, Cuba ne fait pas partie des dix derniers. Cette progression est principalement due à la libération de 14 journalistes et 22 militants pendant l’été 2010. La situation sur place, cependant, n’évolue guère, la censure et l’oppression étant toujours le quotidien des dissidents politiques et des professionnels de l’information.

La Birmanie, où une élection parlementaire doit se tenir en novembre prochain, n’offre aucun espace de liberté et répond, aux rares tentatives d’informer, par la prison et les travaux forcés.

Il faut enfin souligner que plusieurs pays ouvertement en guerre, théâtres d’un conflit larvé ou d’une guerre civile (Afghanistan, Pakistan, Somalie, Mexique) voient des situations de chaos se pérenniser, s’ancrer une culture de la violence et de l’impunité où la presse est une cible privilégiée. Dans ces pays, parmi les plus dangereux au monde, les journalistes sont directement visés par les belligérants, comme le montre la prise d’otage de Stéphane Taponier et Hervé Ghesquière, retenus en Afghanistan depuis maintenant 300 jours.

Croissance économique ne vaut pas liberté de la presse

Si le développement économique des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) est assez semblable, le classement 2010 a révélé une importante disparité des situations de la liberté de la presse. Le Brésil (58e), qui jouit d’une évolution législative favorable, progresse de 13 places par rapport à 2009 tandis que l’Inde chute de 17 places et se retrouve en 122e position. La Russie, particulièrement meurtrière l’année précédente, occupe toujours une place médiocre (140e). La Chine, quant à elle, même si elle connaît une blogosphère d’une étonnante vitalité et de plus en plus mobilisée, continue de censurer, d’emprisonner les voix dissidentes, et stagne à la 171e place. Ces quatre pays endossent désormais les responsabilités des puissances émergentes et doivent tenir leurs obligations dans le domaine des droits fondamentaux.


De très fortes chutes

Philippines, Ukraine, Grèce et Kirghizstan voient leur position dans le classement se dégrader fortement. Aux Philippines, le massacre d’une trentaine de journalistes commandité par un baron local ; en Ukraine, la lente et sûre détérioration de la liberté de la presse depuis l’élection de Viktor Ianoukovitch en février 2010 ; en Grèce les troubles politiques et les violences subies par plusieurs journalistes, et au Kirghizstan, la campagne de haine ethnique dans un contexte de confusion politique expliquent ces fortes chutes dans le classement. Les évolutions sont malheureusement souvent en trompe-l’œil. Certains pays dont la position dans le classement s’améliore nettement retrouvent en réalité leur place traditionnelle après une année 2009 difficile, voire désastreuse. C ‘est le cas, par exemple du Gabon (+22), de la Corée du Sud (+27) ou de la Guinée-Bissau (+25).


Rapport complet et classement à lire et télécharger sur :

http://fr.rsf.org/press-freedom-index-2010,1034.html

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