Une tribune pour les luttes

Analyse d’un conflit inédit

Vu du monde cheminot

Article mis en ligne le dimanche 31 octobre 2010

http://bellaciao.org/fr/spip.php?article109694

« ANALYSE D’UN CONFLIT INEDIT »

Vu du monde cheminot

Les grèves ont cessé dans les secteurs en préavis reconductibles (SNCF, Raffineries, Ports, Energies, Poste, fonction publique …) ainsi que dans les autres poches résistantes du pays. Après 18 jours de mobilisation, il apparaît difficile de tirer un bilan honnête de tout çà en s’appuyant uniquement sur la seule conclusion de l’échec de la rue face au vote de la loi.

Le plus dommageable en tant que syndicaliste est d’avouer que nous n’avons pas réussi à faire circuler assez largement dans nos rangs l’idée pourtant évidente que le mouvement en présence dépasse la seule question de la réforme des retraites... A l’aube d’une crise monumentale de la «  rigueur-décrétée » en France, conséquences des marges de contraction de l’économie partout en Europe, s’annoncent surtout pour les travailleurs des lendemains bien difficiles. Cette appréhension que nous devions transformer en mobilisation n’a jamais, malheureusement, assez fait son chemin dans le monde du travail pour attenter rapidement à l’économie et faire reculer l’UMP, syndicat du MEDEF.

«  Les cheminots ne sont plus la locomotive sociale  » Car il est limpide que ce conflit est clairement devenu au fil des jours une grève de militants interprofessionnels représentant le noyau dur des travailleurs en colère partout dans ce pays. Le point d’encrage national résidait à la vue de tous dans la détermination des raffineurs pétroliers reprenant fermement la relève des cheminots, désormais fatigués et démoralisés après la casse accélérée de leur entreprise et 150 ans de luttes continues harassantes.

Le droit de grève dans ses formes ancestrales est en danger… car de toute évidence, les attaques incroyables invoquant la « sécurité nationale » et décrétant la réquisition des salariés grévistes ont témoigné de la détermination autocratique de nos gouvernants jouant toutes leurs cartes. On peut regretter que ces affaires soient restées sans réelles réactions et trop confinées au silence par les médias et les milieux militants ; les risques de banalisation de la chose à l’avenir sont il faut le dire très inquiétants…


Pour autant, les leçons tirées de ce conflit
nous permettent désormais d’avoir un compte exact des forces disponibles en présence dans le paysage contestataire. Et la véritable participation de ce mouvement à la refondation de l’Histoire sociale vient assurément de l’abandon nécessaire et évident de l’illusoire mythique « grève générale » affaiblissant la réflexion car trop portée comme objectif ultime et immédiat de la révolte !

Il est sur que ce conflit social sera, en ce sens, le grand déclencheur d’une prise de conscience unanime du niveau de frilosité et de terreur du salariat dans un contexte de précarisation extrême, grandissant, effrayant.

« L’outil à présent dépassé, place à l’imagination ! »

Blocages : « une idée qui circule »-

Devant ce constat, est apparue d’elle-même l’ambition florissante d’une grippe décidée de l’économie déguisée en désorganisation du pays pour entourer les temps forts du mouvement. La spontanéité incroyable de l’adoption de certaines formes de luttes adaptées à ce nouveau monde fut impressionnante. Au menu : débrayages à la carte dans beaucoup d’entreprises, grève de 3h59, 59 minutes, 24h, ou reconductible, actions de blocages des ressources pétrolières, des ports, des camions livreurs, des dépôts de bus, des zones industrielles, des déchetteries, des rues ; opérations péages gratuits, rassemblements spontanés, interruptions de diffusion de chaînes de radio publics, diffusions de tracts éclair, occupation temporaire d’entreprises etc… Tout ça laisse entrevoir les moyens d’ ’action qu’ont désormais choisis les jeunes générations pour ériger les barricades sociales de demain.

La question des suites possibles et prochaines du socle social contestataire dépendra ainsi certainement de la capacité des travailleurs de tous bords et notamment des grands bastions de militants (comme les cheminots) à rebondir énergiquement sur ces idées et à s’organiser en conséquences. On a d’ailleurs vu certains syndicats (CFDT - CFTC) s’inscrire parfois fortement dans ce mode d’action, débordant par leur gauche les directives officielles de leurs confédérations, jamais habituées à de telles « folies ».

La Solidarité a été incroyable ! Qui, de mémoire, est capable de d’évoquer une telle effervescence citoyenne canalisée autour d’un même enjeu de société ? La part d’opinion publique favorable au mouvement (autour de 70% de la population) a dépassé tous les records imaginables. Les nombreuses journées de manifestations ont rassemblé sans jamais fléchir une masse de mécontents chiffrée exceptionnelle. Les appels aux dons de soutiens pour les grévistes se sont multipliés partout dans le pays, émergeant de façon naturelle comme le témoignage d’une réelle empathie pour le travail syndical. Indice fort, le nombre de nouvelles adhésions à la CGT pendant cette période a dépassé les 60 000 (+8 % d’augmentation !). On a constaté éclore sur les piquets de grève une volonté citoyenne latente de se rencontrer, se mélanger, évoquer ses conditions de vie réciproques et contester ensemble l’avenir qu’on nous promet. Plus symptomatiques, la réception d’innombrables témoignages de soutiens des fédérations syndicales étrangères, suivis par les faits des premiers actes historiques de cohésion, entrepris par des salariés Belges qui ont décidés de bloquer 2 raffineries aux frontières, par solidarité ouvrière, au 14ème jour du conflit...

« Le réel objectif de la réforme » Ne soyons pas dupes, au regard des sois disantes économies budgétaires que représente la réforme des retraites, (autour de 5% des déficits publics ), les objectifs financiers de la réforme apparaissent ridicules en comparaison de l’objectif de désendettement express de l’état. (110 Milliards en 4 ans / Retraites = 4 Milliards par an …) De deux choses l’une : Soit le gouvernement se fout de la gueule du monde avec ses objectifs de réduction du déficit budgétaire ; soit le recul des droits sociaux impliqués par la réforme des retraites est totalement disproportionné au regard de l’objectif financier. …En fait, la volonté était surtout d’envoyer un message de pénitence aux agences de notations indiquant que la France s’engagerait bien sur la voie de la régression sociale et de la baisse globale du niveau de vie de sa population, condition sine qua non pour que les oligarchies financières et les détenteurs du capital puissent continuer à s’enrichir dans un contexte de stagnation économique.


Mais voila, le peuple français
vient audacieusement d’engager une nouvelle fois aux yeux du monde sa volonté de réaffirmer son autodétermination !Au moment de l’annonce d’un nouveau traité européen qui officialise les plans de rigueur, dépouille les états membres de leur pouvoir économique, supprime le droit de vote aux pays jugés « dans le rouge », notre pays a su une fois de plus renouer avec sa tradition identitaire de contestation… La même qui fit surgir la révolution française et son influence sur nos voisins ; le socialisme de lutte et la république sociale, la commune de Paris, le Front Populaire, la Résistance , le programme du CNR, les grandes grèves de Mai 68, celles de 95 et plus récemment le refus du traité ultra-libéral constitutionnel et de l’idéologie du CPE …

Même si la réforme est votée, maintenue, applicable…, nous avons indiscutablement gagné cette bataille, avis aux amateurs ! L’ordre du jour est au maintien de ce climat ! Quelque chose est en marche … …


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29/10/2010

Les nouveaux chemins de la révolte
Par LUC PEILLON

Actions ciblées, manifs records, initiatives de la base : le mouvement contre la réforme des retraites a rénové le visage de la contestation.

http://www.liberation.fr/economie/01012299220-les-nouveaux-chemins-de-la-revolte

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Vos commentaires

  • Le 1er novembre 2010 à 12:00, par Christiane En réponse à : Quiconque a marché dans les rues ces derniers mois sait ce dont la réforme des retraites est le nom : un « Non ! » à l’état de notre monde.

    Le Président et son gouvernement ont décrété cette semaine la fin du mouvement social. Ils ont voulu enterrer, par une parole aussi arrogante que ridiculement performative, la contestation populaire la plus puissante et la plus longue depuis 1968. Ils ont tenté de la dissoudre par l’intimidation, la provocation et la répression, le doute et les manœuvres en tous genres. Aux 2500 arrestations ont succédé une guerre psychologique inédite et un bombardement médiatique de 72 heures, si obséquieusement manipulateurs qu’ils pourraient bien s’être retournés contre leurs instigateurs. La vigueur persistante des 260 manifestations du 28 octobre constitue un démenti cinglant à cette proclamation ubuesque de « fin de partie ». On a voulu prendre le peuple pour un enfant –hallucinante condescendance de Monsieur Woerth !– en le sermonnant ainsi : « Tu as fait ta petite colère ? Très bien, maintenant c’est fini ! ».

    Mais le peuple est adulte, responsable et légitime dans sa protestation. Ses enfants réfléchissent un peu plus et un peu mieux que bien des conseillers politiques. Le peuple a répondu : « Le mépris a des limites ! Il faut écouter maintenant ! » Et il le répétera le 6 novembre, et plus tard, s’il le faut. _ Qu’importe que ce peuple manifestant, que ce peuple résistant soit un million ou trois millions ! Chaque Français qui marche dans la rue porte dix Français avec lui. Chaque réforme qu’on impose autoritairement porte en elle la contestation de dix autres réformes.

    Qui n’a vu en effet que ce qui nourrit cette mobilisation exceptionnelle contre la réforme des retraites est aussi et avant tout une sourde indignation, un fort sentiment de révolte, une colère brute et noire contre la somme insupportable des injustices sociales et économiques dont la majorité des Français sont les victimes depuis l’accession de Sarkozy au pouvoir ? Ce que les hommes politiques et les organisations syndicales ne mesurent pas encore suffisamment, c’est que le peuple dans son entier, des plus jeunes aux plus âgés, est en train de s’emparer d’une réforme injuste et inefficace pour en faire le porte-étendard d’un refus de mille autres injustices, encore plus graves et criantes que l’allongement du temps de travail et le vol de notre vie dont cette réforme est le symbole. La gravité des cortèges, leurs silences parfois inquiétants, des slogans aussi inventifs que radicaux, font entendre, désormais, et de plus en plus fort, un « Non ! » à l’Etat-Sarkozy, un « Non ! » à son gouvernement autoritaire, à sa violence sociale, politique et économique. Un « Non » à son déni de démocratie. Quiconque a marché dans les rues ces derniers mois sait ce dont la réforme des retraites est le nom : un « Non ! » à l’état de notre monde.

    Aussi, un signe ne trompe pas : les assemblées générales dans tous les secteurs professionnels, privés comme publics, assemblées très souvent interprofessionnelles, portent des revendications qui dépassent de loin le cadre de la réforme imposée. La question des retraites déborde les retraites vers une résistance qui est déjà globale. La lutte politique et syndicale commence à être dépassée, en son sein et en ses marges, par une résistance citoyenne et populaire : salariés, syndiqués ou non, précaires, chômeurs, retraités, sans-papiers, minorités d’origine étrangères, toutes et tous se retrouvent dans les rues de nos villes et cherchent à s’organiser en dehors des cadres institutionnels. Que ce soit le mouvement spontané des enseignants stagiaires, que ce soient les travailleurs et précaires de la Gare de l’Est, que ce soient les vacataires en luttes de l’Université de Strasbourg, que ce soient encore tous ces Français anonymes qui donnent généreusement à des caisses de grève qui n’ont jamais été si nombreuses, tous inventent et vivent un moment déjà historique en ce qu’il a fait naître une solidarité vraie, une fraternité qu’on ne soupçonnait plus, quelque chose qu’il est très difficile de nommer et qui a la saveur de l’utopie, quelque chose qui transpire dans le sens étrangement nouveau que prend ce vieux mot de « camarade » quand on se surprend à le prononcer.

    Oui, quelque chose de très important est en train de se passer. Et se pourrait-il pourtant qu’il ne se passe rien ? Se pourrait-il que le vent de la révolte retombe et que nous entrions dans le temps long de cette « guérilla sociale durable et pacifique » que le sociologue Philippe Corcuff appelait récemment de ses vœux ? Un « mai rampant » à l’italienne jusqu’en 2012, disent certains, de plus en plus nombreux. Ou bien des années de plomb. Ou bien les deux. Personne ne le sait. Un inconnu est là, devant nous.

    Face à cet inconnu, plein de crainte autant que d’espoir, où en est le pouvoir ? Après avoir méticuleusement évidé la démocratie sociale de toute sa substance, après avoir flirté tout l’été avec l’extrême et l’inadmissible, notre Président entend, semble-t-il, se refaire une virginité sociale avec un nouveau Premier ministre. Cette posture sera-t-elle la nouvelle imposture d’une fin de quinquennat, entre chape de plomb et fard démocratique ? Le virage social après le virage sécuritaire et xénophobe ? Les Français se laisseront-ils abuser par la nouvelle coupe de cheveux de Jean-Louis Borloo ?

    Il est à craindre qu’on n’éteigne pas l’incendie d’une si profonde colère d’un coup de ciseau ou d’un habile remaniement. Pas plus qu’on n’intimide des sources d’information en faisant rapine de quelques ordinateurs. Le pouvoir s’est aujourd’hui, et durablement, séparé du peuple. L’obstination d’un pouvoir autiste a élevé un mur de mépris auquel répond la colère sourde des Français. Derrière ce mur qui grandit de jour en jour, le Président est seul. Seul face au peuple. Cette multitude libre et imprévisible, cette force qui va, comme « un sombre ouragan dans l’air silencieux ».

    Pascal Maillard

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