Une tribune pour les luttes

Communiqué de Survie du 23 décembre 2010

Côte d’Ivoire : la France pyromane ne doit pas jouer au pompier

+ Côte d’Ivoire : quelques questions… par Colette Braeckman

Article mis en ligne le vendredi 31 décembre 2010

L’association Survie rappelle que la France porte une grande responsabilité dans la crise qui secoue la Côte d’Ivoire depuis 8 ans. Malgré ce que prétendent l’ONU et les puissances occidentales, les conditions n’étaient pas réunies pour éviter une large fraude, particulièrement au Nord du pays. La seule issue semble désormais l’apaisement entre les deux camps et non l’affirmation de la victoire de l’un sur l’autre. La France doit procéder au retrait de son opération militaire au profit de troupes internationales sous commandement onusien.

Pour la première fois de leur histoire, les citoyens ivoiriens ont voté dans une élection présidentielle véritablement pluraliste et ouverte. Malgré des conditions extrêmement défavorables, la participation fut massive. Mais depuis trois semaines, la Côte d’Ivoire est séquestrée par «  deux présidents ». Tandis que l’un, Laurent Gbagbo, se crispe sur son pouvoir, la « communauté internationale » est en passe d’imposer l’autre, Alassane Ouattara, aux Ivoiriens.

Pour cerner l’immense responsabilité de la diplomatie française dans l’impasse que vit actuellement la Côte d’Ivoire, il est nécessaire de poser quelques jalons historiques.

À l’automne 2002, l’Élysée refuse l’application des accords de défense à une Côte d’Ivoire en proie à une rébellion armée approvisionnée par un pays voisin. Au contraire, un cessez-le-feu est imposé, entérinant la partition du pays.

En janvier 2003, lors des accords de Marcoussis, la diplomatie française impose l’entrée des rebelles dans le gouvernement ivoirien. À Abidjan, des manifestants refusent que les portefeuilles de la Défense et de l’Intérieur soient confiés aux rebelles, comme le prévoyait l’exécutif français.

En novembre 2004, un engrenage tourne au drame. Au cours d’une offensive aérienne de l’armée ivoirienne sur les zones rebelles, neuf soldats français de l’opération Licorne et un civil américain trouvent la mort. Craignant un putsch orchestré par l’armée française après qu’elle a détruit l’aviation militaire ivoirienne, des manifestants envahissent certains quartiers d’Abidjan. L’armée française tire sur des manifestants, faisant plus de soixante morts.

Les accords de Pretoria d’avril 2005 calquent la structure de la Commission Électorale Indépendante (CEI) sur le plan de table des négociations de Marcoussis, aboutissant à une surreprésentation des rebelles, assurant aux partis d’opposition une large majorité[1]. _ Dans la foulée, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) est créé à Paris, réconciliant deux anciens ennemis[2], Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, autour d’un accord électoral destiné à assurer la victoire de l’un des deux sur Laurent Gbagbo. L’Union Européenne impulse, à travers les Nations Unies, un Programme d’Appui aux Processus Électoraux dont la CEI est le principal bénéficiaire. Le descriptif de ce programme[3] laissait déjà augurer un passage en force :
« Pour les prochaines échéances électorales, il est à prévoir que le problème de confiance se posera avec une acuité encore plus grande et exigera le recours à des pouvoirs décisionnels exceptionnels pour contrecarrer l’incapacité d’atteindre des consensus politiques en temps utile. »

Début 2007, depuis Ouagadougou, Michel de Bonnecorse, chef de la cellule africaine de l’Élysée sous Jacques Chirac, annonce que la fin de la rébellion n’est pas un préalable aux élections[4]. Quelques semaines plus tard, Laurent Gbagbo, Guillaume Soro, leader de la rébellion, et Blaise Compaoré, président du Burkina, signent les accords de Ouagadougou : Guillaume Soro devient premier ministre. Fin 2007, un accord complémentaire a pour unique objet de confier à la société française Sagem Sécurité le volet technique de l’élaboration des listes électorales[5].

Ce 2 décembre 2010, le Conseil Constitutionnel ivoirien, essentiellement favorable à Laurent Gbagbo, constate l’expiration du délai imparti à la CEI pour annoncer les résultats provisoires. En effet, la CEI a échoué à trouver un consensus sur l’ampleur d’irrégularités dans le scrutin. Le président de la CEI Youssouf Bakayoko se rend alors au Golf Hôtel, où se trouvent déjà Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara, Guillaume Soro, le représentant du secrétaire général de l’ONU et les ambassadeurs français et américain.
Ces derniers lui promettent protection jusqu’à l’aéroport, en échange de la proclamation de résultats. Bakayoko annonce la victoire de Alassane Ouattara devant les caméras occidentales. Le lendemain, le Conseil Constitutionnel annonce l’invalidation du scrutin dans sept départements de la zone contrôlée par les rebelles et la victoire de Laurent Gbagbo.

Prétendre organiser une élection satisfaisante sans mettre fin à la partition du pays[6] était absurde. On s’étonne qu’aucune autorité internationale ne l’ait exigé sérieusement. Malgré les énormes moyens mis en œuvre, le scrutin n’a pas offert les garanties brandies par l’ONU.

Croire que l’élection présidentielle sortirait la Côte d’Ivoire de la crise était un leurre. Aucun des candidats du second tour ne sera capable à lui seul de guérir la société ivoirienne de ses plaies. Ni Alassane Ouattara, l’économiste libéral qui a fait carrière dans les grandes institutions financières internationales, l’adepte des privatisations, des coupes dans les budgets sociaux et autres plans d’ajustement structurel, l’ami très apprécié de l’Élysée. Ni Laurent Gbagbo, le socialiste devenu rapidement allié des grands groupes français, le nationaliste souvent - et sans doute volontairement - ambigu.

Il est urgent que les initiatives d’apaisement soient privilégiées[7]. Si la « communauté internationale » a une once de bon sens, c’est dans cette voie qu’elle doit pousser les acteurs de cette crise et non dans le refus de voir la réalité et dans l’illusion qu’on peut imposer une solution de force à un pays divisé. Le risque est de plonger la Côte d’Ivoire dans la violence.

Nous demandons que tout soit fait, à commencer par le retrait de l’opération Licorne au profit d’un renforcement de l’ONUCI, pour la réconciliation des Ivoiriens et non pour assurer la victoire d’un camp sur l’autre, ce qui serait lourd de menaces pour l’avenir de la Côte d’Ivoire.


[1] Par le jeu des alliances politiques, le président et trois des vice-présidents de la CEI sont favorables à Alassane Ouattara. Le quatrième vice-président est favorable à Laurent Gbagbo.

[2] Au milieu des années 90, la Cellule Universitaire de Recherche et de Diffusion des Idées du Président Henri Konan Bédié promeut l’ivoirité. Cette notion aux forts relents xénophobes fut instrumentalisée pour écarter Alassane Ouattara de la vie politique ivoirienne.

[3] Programmes d’Appui au Processus Électoral CIV-46362 (2006-2007, 58 millions de dollars) et CIV10-57717 (2008-2011, 75 millions de dollars) du Programme des Nations Unies pour le Développement.

[4] « Le but des pays raisonnables est qu’il y ait des élections libres et honnêtes en octobre [2007], ce qui donnera un président légitime qui sera soit élu, soit réélu, et c’est à ce président de mettre un terme à cette crise. »

[5] Le montant du contrat dépasse finalement les 200 millions d’euros. Filiale du groupe Safran, Sagem Sécurité est devenue Morpho.

[6] Les accords de Ouagadougou exigeaient le désarmement des rebelles et le rétablissement de l’État de droit sur tout le territoire. Sur la reconversion de la rébellion dans l’économie de guerre, consulter les rapports du groupe d’experts ad’hoc de l’ONU.

[7] Par exemple celle de la Convention de la Société Civile Ivoirienne. En outre, on attend la publication du rapport de la mission de Thabo Mbeki. Ce dernier avait contribué à faire retomber la pression après les événements de novembre 2004.

Stéphanie Dubois de Prisque
Chargée de communication
stephanie.duboisdeprisque chez survie.org

Association Survie
107, boulevard Magenta
75010 Paris
Tél : 01 44 61 03 25
Fax : 01 44 61 03 20

http://survie.org


http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/

17 décembre 2010

Côte d’Ivoire : quelques questions…

Colette Braeckman


1. Le scrutin s’est il déroulé dans de bonnes conditions ?

Malgré le satisfecit de l’ONU, la présence de nombreux observateurs étrangers et le bon déroulement du premier tour des élections présidentielles, les conditions, au départ, n’étaient pas optimales : dans le Nord, les ex-rebelles des Forces nouvelles n’avaient pas désarmé, le pays n’était pas réunifié et Laurent Gbagbo, après avoir tardé à organiser le scrutin, n’imaginait pas l’hypothèse d’une défaite. En outre les instances nationales supposées être neutres ne l’étaient pas : la Commission électorale indépendante était composée aux deux tiers d’opposants au président sortant Laurent Gbagbo et ce dernier avait noyauté de ses partisans le Conseil constitutionnel (équivalent de la cour Suprème aux Etats Unis)


2. Le vote s’est il déroulé sur une base ethnique, opposant les musulmans du Nord aux populations chrétiennes du Sud ?

La réalité est plus complexe : le réservoir électoral de Laurent Gbagbo a largement dépassé les effectifs de son groupe, ethnique, les Bétés et il a donc bénéficié d’un vote pluriethnique ; Alassane Ouattara a obtenu un nombre significatif de voix dans les quartiers populaires d’Abidjan, une ville censée lui être hostile. Dans certains bureaux du Nord cependant, il y a eu plus de votants que d’inscrits et les scores ont été décrits comme « soviétiques », ce qui a amené Gbagbo a demander l’annulation des votes dans neuf départements du Nord. Par ailleurs, Henri Konan Bédié, l’ancien dauphin du président Houphouet Boigny et inventeur de l’ « ivoirité », a appelé à voter en faveur de Ouattara et le report des voix s’est bien déroulé. Autrement dit les Baoulés, partisans de Konan Bédié et censés être opposés aux originaires du Nord, ont voté pour Ouattara, un homme que naguère ils honnissaient.


3. Les irrégularités dénoncées par les deux camps sont-elles réelles ?

Des intimidations ont eu lieu dans le Nord mais dans l’Ouest, fief de Gagbo, il y a également eu des violences. Il y a eu une discordance entre le taux de participation annoncé par les Nations unies (70% de votants) et le chiffre annoncé par la Commission électorale indépendante (81% de votants) soit une différence de 630.000 voix ; la CEI, ayant été empêchée d’annoncer le résultat et redoutant les intimidations du camp Gbagbo, l’a fait en dehors des délais, dans un lieu non officiel (l’hôtel du Golf, siège du parti de Ouattara) et… devant les caméras de France 24, qui fut aussitôt interdite d’antenne pour avoir proclamé Ouattara vainqueur avec 54,1%…
Quant au Conseil constitutionnel, relevant les nombreuses irrégularités, il aurait pu se contenter d’annuler purement et simplement le scrutin, au lieu de proclamer la victoire de Gbagbo avec 51,5% des votes.

4. La victoire remportée par Ouattara est-elle incontestable ?

Laurent Gbagbo et les siens n’acceptent pas le verdict rendu par la CEI, mais ils font face à l’avis convergent de tous les observateurs internationaux et à la certification des Nations unies dont les 721 fonctionnaires répartis dans les bureaux de vote ont procédé à leurs propres comptages. De toutes manières, l’écart de voix entre les deux candidats semble trop grand pour permettre le doute.

5. Une solution à l’africaine (la cohabitation entre les deux présidents) est elle encore imaginable ?

L’antagonisme, sinon la haine entre les deux hommes est trop profonde pour imaginer un compromis comme au Kénya ou même au Zimbabwe. En outre, chacun des deux « présidents » incarne des valeurs trop différentes : Ouattara, l’ancien directeur adjoint du FMI, est l’ami des puissants de ce monde, il est soutenu par Obama et par Sarkozy (ce dernier avait naguère célébré son mariage à Neuilly), il défend la bonne gouvernance sur le modèle libéral.
Laurent Gbagbo, aujourd’hui seul contre tous, se dépeint volontiers en héros nationaliste, héritier de la lutte anti coloniale et il joue sur la fibre populiste. S’il se présente comme un panafricaniste, il n’est cependant pas soutenu par ses voisins africains de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, dont le puissant Nigeria, ni par l’Union africaine, ni par l’Afrique du Sud. Seul l’Angola et le Liban étaient représentés lors de sa prestation de serment.


6. Quels sont les atouts de chacun ?

L’isolement international n’effraie pas Gbagbo, soutenu par son clan (son épouse Simone, les « jeunes patriotes » et leurs milices, certains milieux d’affaires, des milieux nationalistes). Il compte toujours sur la fidélité des Forces de défense et de sécurité, dont 4000 hommes membres des troupes d’élite et sur 5000 gendarmes et CRS qui détiennent un arsenal important. Cette fidélité pourrait cependant vaciller si des combats plus rudes s’engageaient et surtout si les soldes n’étaient plus versées. Si Gbagbo compte sur les revenus du cacao, du pétrole, sur les recettes du port de San Pedro, son rival Ouattara veille à couper les financements internationaux (FMI, Union européenne) et à bloquer les comptes des banques étrangères. En outre, les avertissements de Sarkozy, de l’Union européenne et surtout d’Obama s’apparentent à des ultimatums.
Si Ouattara a mis à la tête de son gouvernement Guillaume Soro, (dont Gagbo avait fait son Premier Ministre) c’est aussi parce que ce dernier est l’ancien chef de la rébellion, qui peut donc mobiliser les 4000 hommes des Forces nouvelles dotés d’un armement léger.
_ Les ex rebelles ont aussi des combattants dissimulés dans certains quartiers populaires de la capitale (Abobo, Koumassi, Adjamé), ce qui pourrait susciter une très dangereuse «  chasse aux infiltrés ». Outre un soutien international quasi unanime, et qui n’est pas du à la seule action diplomatique de la France, Ouattara peut aussi compter sur de puissants réseaux dans le monde économique international et au sein de l’Internationale libérale dont fait partie le président sénégalais Abdoulaye Wade.


7. Un scénario à la rwandaise, ou à l’angolaise ?

Malgré l’intervention de médiateurs comme Jean Ping, le secrétaire général de l’Union africaine ou de l’ancien président sud africain Thabo Mbeki, qui recherchent une sortie de crise négociée, deux scenarios sont concurrents : un développement « à la rwandaise » passerait par un « soulèvement populaire », avec armes de poing et machettes ; il serait dirigé contre les « infiltrés », les « étrangers » définis comme un « ennemi intérieur », ce qui mettrait en danger trois ou quatre millions de ressortissants du Nord qui vivent dans les plantations du Sud. Le calme dans lequel s’est déroulé le scrutin, les aspirations à la paix d’une population fatiguée (la guerre a éclaté en 2002) infirment cependant ce scenario-catastrophe. Mais l’autre hypothèse n’est guère meilleure : en Angola, en 1988, les élections auraient du trancher entre deux adversaires irréductibles, Eduardo dos Santos et Jonas Savimbi. Le deuxième tour n’eut jamais lieu et les élections débouchèrent sur une guerre de quinze ans, qui ne se termina qu’après l’assassinat de Savimbi.
Les Ivoiriens croient encore au miracle, ou au pourrissement…

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Vos commentaires

  • Le 23 décembre 2010 à 12:44, par Christiane En réponse à : Côte d’Ivoire : la France pyromane ne doit pas jouer au pompier

    Les deux "présidents " ont l’air bien antipathiques. Pauvres Ivoiriens !

    On dit que l’on est responsable de ses dirigeants, mais on voit bien en France que ce n’est pas si simple puisqu’une majorité d’opposants à Sarkozy ne fait pas changer d’un iota sa politique et que les seuls qui ont une chance de lui succéder dans les urnes ne sont probablement que peu différents et que même en paroles ils(elles) ne sont pas vraiment capables de s’opposer à lui.

  • Le 23 décembre 2010 à 13:01, par Christiane En réponse à : Françafrique

    FRANÇAFRIQUE - Extrait 1
    envoyé par Phares-Balises. - L’info internationale vidéo.
    http://www.dailymotion.com/video/xf...


    Deux acteurs clés de la Françafrique s’expriment à visage découvert : Maurice Delaunay, longtemps ambassadeur de France au Gabon, et qui organisa la montée en puissance d’Omar Bongo, et Jacques Salles, chef des services français au Zaïre puis au Gabon. Ils n’avaient jamais parlé auparavant ?

    Patrick Benquet : Non, jamais. Ils ont accepté de s’expliquer parce que, pour eux, ces histoires sont prescrites. Pour Delaunay, j’ai eu l’impression qu’il me livrait son testament, il est d’ailleurs mort un mois après notre dernier entretien. Nous nous sommes rencontrés. Il a eu du plaisir à parler. J’avais dix pages de questions. Il a balancé, balancé. C’est, je crois, son testament face à l’histoire. Pour lui, tout cela, c’est-à-dire le rôle de la France dans ses anciennes colonies, c’est normal. Maurice Delaunay est le prototype du fonctionnaire de la raison d’Etat.

    Antoine Glaser : Pour Maurice Delaunay et beaucoup d’autres, c’est une vieille histoire. Ils sont tellement dans le bain, avec une sorte de cynisme... Ils racontent les coulisses, benoîtement. Ils pensent que la période est terminée. Ce sont des patriotes, tous sur la ligne de Jacques Foccart : il s’agit de défendre la France et ses intérêts. Ils sont des hauts fonctionnaires qui croient à cette période de communauté de destin entre la France et l’Afrique. Ils croient à ce qui demeure une politique coloniale assimilationniste, il faut créer des gens à notre image !
    L’Occident a confié à la France, donc à eux, la lutte contre les Soviétiques dans cette partie de l’Afrique, ce qui ne doit d’ailleurs pas empêcher la France de contrecarrer les intérêts anglo-saxons, d’où la guerre du Biafra, par exemple.

    Pourtant, la période n’est pas vraiment terminée... Jacques Salles nous raconte une scène où Omar Bongo brasse dans sa suite d’hôtels à Paris des sacs de sport remplis d’argent liquide ! Et il sous-entend clairement un financement massif d’élus français, parle aussi « d’enrichissement personnel ». Puis il s’agit de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, en 2007. Kouchner est mis en cause (un rapport acheté 140.000 euros la page par le gouvernement gabonais), des directeurs de cabinets de ministre... Là, il n’y a pas prescription ! Pourquoi vous n’en dites pas plus ?

    AG : Moi-même j’étais scotché ! Lorsque Albin Chalandon, ancien président de Elf, lorsque la secrétaire de Mitterrand ainsi que Loïc Le Floch Prigent, lui aussi à la tête du coffre-fort Elf, nous racontent comment le groupe pétrolier a financé la politique française, cela nous semble une vieille histoire. Pour Nicolas Sarkozy, voir l’un de ses « conseillers » africains, l’avocat Robert Bourgi démentir tout financement extérieur, c’est dans l’ordre des choses mais évidemment plus sensible. Surtout quand il explique que oui, bien sûr, il y avait des financements lors des présidences précédentes, mais que brusquement, lorsque l’on parle de celui qui est en poste aujourd’hui, il n’y a plus de financements ! Je trouve cela excellent.
    Tout le monde se marre et Bourgi répond aussi par un “Ça m’amuse” lorsqu’on lui parle de la cooptation des ministres du gouvernement par Omar Bongo en personne... Quel cynisme !

    · Il y a ce passage où Bourgi dit : pas un centime n’est venu de l’étranger pour financer la campagne de Sarkozy. Le plan d’après, vous expliquez que Pascaline Bongo et le ministre des finances gabonais étaient au premier rang du lancement de la campagne de Sarkozy, en janvier 2007.... On reste un peu sur notre faim.

    PB : Tout le personnel politique le sait, mais personne ne le dit comme cela. Quand je pose la question à Bourgi, je connais déjà la réponse...Mais je ne peux pas faire plus. Ces gens ont occupé des postes importants, ils ont autorité pour parler, et ils prennent la responsabilité de dire ce qu’ils disent.

  • Le 24 décembre 2010 à 13:30, par Christiane En réponse à : Côte d’Ivoire : la France pyromane ne doit pas jouer au pompier

    FRANÇAFRIQUE - Extrait 2
    envoyé par Phares-Balises.
    L'actualité du moment en vid...

    Revenons à la guerre du Biafra, une tragédie qui fait un million de morts dans cette province sécessionniste du Nigeria. L’implication si directe et si forte de la France était-elle connue ?

    AG : Elle était connue, mais il n’y avait pas de preuves et elle n’avait jamais été racontée par les acteurs... Tout le monde savait que la base arrière de soutien à la rébellion était vraiment à Libreville, tout le monde savait que Bob Maloubier avait été utilisé, que des armes étaient livrées tous les jours depuis le Gabon. Mais l’activisme des hommes de Foccart n’avait jamais été raconté de cette façon-là. Ce qui mériterait une enquête supplémentaire serait de savoir précisément le partage des responsabilités entre de Gaulle, Foccart et Houphouët-Boigny, sur le Biafra. Est-ce Foccart qui a appuyé pour que la France aille contrer les Britanniques ? Est-ce Houphouët-Boigny qui craignait l’émergence d’un grand Nigeria et voulait que la Côte d’Ivoire reste le centre de l’Afrique de l’Ouest ?

    PB : C’est, je crois, la force du film : ne donner la parole qu’à des acteurs, pas à des spécialistes. Et du côté français, pas du côté africain. Ces choses-là ont été écrites dans des livres. Mais c’est la première fois que Loïc Le Floch-Prigent (PDG d’Elf de 1989 à 1993) dit oui, j’ai financé telle guérilla, j’ai financé l’armée d’Angola, j’ai financé l’armée de Sassou, etc.

    Pourquoi les implications françaises dans le Biafra ont-elles été si peu étudiées jusqu’à présent ?

    AG : Parce qu’il n’y a rien de fait du côté africain. Et parce que tout s’est décidé de manière informelle, par oral. Foccart n’était pas un stratège, c’était un opérationnel : nommer les gens, coopter des francophiles, défendre les intérêts français. Mais il n’y a pas de stratégie globale. Et parfois, ça dérape. La Françafrique, c’est très basique, ça ne va pas très loin. Ce sont des opérationnels. On ne parle jamais de la Grande muette, mais les militaires ont pesé eux aussi dans la politique africaine de la France. Si l’on reprend l’affaire du Rwanda, on voit l’importance des généraux Huchon, Quesnot, et d’autres.

    Pour vous, la Françafrique, c’est pour le pétrole et rien que pour le pétrole ?

    AG : Ce n’est pas aussi net et clair. C’est l’énergie. De Gaulle, c’était le pétrole. Sarkozy, l’uranium.

    PB : Il faut ici parler du documentaire. Le danger du documentaire historique pour la télévision, c’est l’exhaustivité. Donc, nous avons choisi un axe, et l’axe énergétique est le plus important dans cette affaire, car l’angoisse de De Gaulle est le pétrole. Cela m’a ensuite permis de faire des choix parmi 14 colonies, 50 ans d’histoire, etc. L’idée du film est de montrer la cohérence de la Françafrique. Pour cela, il faut faire des choix, presque construire une dramaturgie. On a par exemple eu beaucoup de mal à insérer la Côte d’Ivoire dans le récit, alors que c’est un pays décisif pour la Françafrique.

    L’autre surprise, c’est comment l’affaire Elf bouscule l’ensemble de la politique africaine. On a toujours vécu l’affaire Elf comme une affaire franco-française...

    AG : Elf est au cœur de la Françafrique. Et, en termes géographiques, ce cœur, c’est le Gabon, avec Omar Bongo au pouvoir pendant plus de 40 ans ! Ce qui est passionnant, c’est qu’avec l’affaire Elf se produit une inversion des rapports de force. Avec ce scandale, Omar Bongo reprend la main sur un certain nombre de ses obligés français. L’affaire Elf est fondamentale dans les relations franco-africaines. Omar Bongo était le doyen de cette Françafrique, il était l’homme des services rendus, de la défense des intérêts français. Bongo se rend indispensable. Et c’est d’ailleurs pour cela qu’il explose des années plus tard avec les enquêtes judiciaires sur les « biens mal acquis », les investissements divers de dictateurs et chefs d’Etat à Paris. Comment, pense Bongo, je donne tout à ces Français, et ils me font cela !

    Votre thèse est que la Françafrique s’est effondrée. Est-ce que vous ne l’enterrez pas un peu vite quand on découvre qu’Omar Bongo donne son aval à tel ou tel ministre français ?

    AG : Parler de la Françafrique maintenant, par rapport à ce qu’elle a été sous la guerre froide, c’est anachronique. La Françafrique de la guerre froide était un système totalement intégré, politique, militaire, financier. La France cooptait des hommes, plaçait des adjudants chefs qui avaient servi en Indochine ou ailleurs. Je parle de la Françafrique comprise comme une communauté de destin entre la France et l’Afrique, où la France défendait les intérêts de l’Occident.

    Par rapport à ce système intégré, une grande France assimilationniste et une monnaie commune via le franc CFA, ce que l’on appelle aujourd’hui les turpitudes de la Françafrique, c’est plutôt ce que j’appellerais l’Afrique des happy few. On voit bien d’ailleurs comment les missi dominici sont aussi souvent activés par des dirigeants africains que depuis Paris.

    Tout de même, l’élection du fils Bongo (élections truquées, la France soutient), élection au Togo (truquée, la France appuie)... La France n’a peut-être plus la possibilité d’imposer ses choix, mais elle est toujours dans les couloirs ?

    PB : Bourgi n’est pas Foccart. Bourgi est un avocat d’affaires qui travaille pour Bongo. Foccart était un service d’Etat ! Ce ne sont plus les mêmes motivations. La Françafrique est moribonde, mais il reste des liens. C’est pourquoi je termine le documentaire par les francs-maçons et les liens entre loges françaises et loges africaines.

    Est-ce aussi parce que les pays émergents qui débarquent en Afrique concurrencent la France sur son ancien pré carré ?

    AG : Absolument. Depuis la chute du Mur de Berlin, les Etats-Unis, d’autres pays européens et les émergents concurrencent le pré carré français. Des Singapouriens prennent des hectares de palmiers au Gabon !

    Les vrais représentants de la Françafrique ne sont-ils pas, aujourd’hui, les patrons des grands groupes français, Bouygues, Bolloré, Areva ?

    AG : Si on prend l’exemple de Laurent Gbagbo, en Côte d’Ivoire, il a très bien compris qu’il pouvait jouer sur la fibre nationaliste, être l’homme qui dit non à la France et, dans le même temps, se servir des grands groupes français pour faire de la diplomatie d’influence. Il met Nicolas Sarkozy en stéréo avec Martin Bouygues et Vincent Bolloré, qui sont les deux plus gros poids lourds français en Côte d’Ivoire. Bien sûr que les hommes d’affaires ont une grosse influence.

    PB : Sarkozy est un VRP qui parcourt l’Afrique pour les groupes français.

    Et si Bolloré était aujourd’hui le vrai représentant politique de la France ?

    AG : Il demeure bien sûr une défense des intérêts français en Afrique. Mais Nicolas Sarkozy, c’est le CAC 40 : il fait 17 heures d’avion pour se rendre à Luanda signer un contrat Total. Il va au Niger et en RDC avec Anne Lauvergeon, PDG d’Areva, il va à Brazzaville pour installer Bolloré, etc. Nicolas Sarkozy a peur de l’Afrique. Sa seule ligne est le business. En déplacement avec Anne Lauvergeon, Sarkozy n’est pas le président de la France, mais le patron d’Areva.

    Est-ce qu’il y a eu des hésitations, à France-2, pour passer ce documentaire ?

    PB : Non. Aucune. Les Africains ont réagi en premier. Au Gabon, ça met la pagaille. L’extrait diffusé sur Internet, où est expliqué comment l’élection d’Ali Bongo a été truquée, fait du bruit. L’opposition s’est déjà emparée du documentaire.

  • Le 4 janvier 2011 à 11:09, par Christiane En réponse à : Côte d’Ivoire : Appel à la CEDEAO : « Vos peuples sont en danger. Ne vous trompez pas de guerre »

    Un collectif d’intellectuels africains lance un appel aux dirigeants des pays membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest pour leur demander de penser d’abord à leurs populations avant de s’engager dans le conflit en Côte d’Ivoire.

    http://www.mediapart.fr/club/editio...

    (...)

    Personne ne doit mourir en Côte d’Ivoire, ni ailleurs en Afrique, au nom d’une démocratie décrédibilisée et dévoyée parce que conçue, financée et évaluée de l’extérieur par des puissances d’argent en quête de dirigeants « sûrs ».

    Alors, trêve d’ingérence, d’arrogance et d’humiliation ! Chaque peuple s’indigne, résiste et se libère en se référant à son histoire et son propre vécu des injustices et d’asservissement.

    Puissent les souffrances infligées aux peuples d’Afrique servir de levain pour l’émergence de valeurs, de structures et d’institutions démocratiques, pacifiques et humanistes ici et de par le monde.

    SIGNATAIRES :

    Aminata Dramane TRAORE (Forum pour un Autre Mali) ; Demba Moussa DEMBELE (Forum Africain des Alternatives) ; Pr Jean Bosco KONARE (Enseignant) ; Ray LEMA (Artiste musicien) ; Cati BENAÏNOUS, Ismaël DIABATE (Artiste peintre) ; Bernard FOUNOU (Forum du Tiers-monde) ; Nathalie M’Dela MOUNIER ( Ecrivain) ; Antonia REIS (Interprète) ; Clariste SOH-MOUBE (Centre Amadou Hampâté Bâ) ; Mohamed EL BECHIR BEN ABDALLAH (Président de la Coordination des Partants Volontaires à la Retraite- CPVR) ; Borry KANTE (au nom de toute la CPVR - 5666 adhérents) ; Taoufik BEN ABDALLAH (Enda Tiers-Monde)

    Pour plus d’informations ou si vous voulez vous joindre à cet appel : http://www.foram-forum-mali.org/

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