Une tribune pour les luttes

Marseille - 20 mars 2011

Fête du Newroz, le nouvel an kurde

+ Newroz pîroz be ! Les Kurdes demandent l’autonomie démocratique

Article mis en ligne le dimanche 20 mars 2011

Le dimanche 20 mars 2011,
rassemblement à 18h30 en haut de la Canebière.

La Maison du Peuple Kurde vous invite à fêter le nouvel an kurde avec les Kurdes de Marseille.

ATTENTION : itinéraire de la marche modifié à cause du match OM-PSG.
Rassemblement devant la maison du Peuple kurde, 29 bd Longchamp 13001
Festivités aux Mobiles, en haut de la Canebière.



Diyarbakir célèbre un Newroz exceptionnel

dimanche 20 mars 2011

Traditionnellement les célébrations du nouvel an kurde (le Newroz) sont l’occasion pour les Kurdes de manifester leur joie mais aussi leurs revendications identitaires, leur soif de liberté et de démocratie. Les feux allumés à cette occasion rappellent la légende du forgeron Kawa défiant et tuant le despote Dehak.

La Manifestation de Dyarbakir où le procès, suspendu de nouveau, doit reprendre bientôt.

Voir Mille Bâbords 16239


Newroz pîroz be ! Les Kurdes demandent l’autonomie démocratique

24/03/2011

Newroz a pour origine l’histoire de Kawa le Forgeron, en kurde Kawayê Hesinkar, qui s’opposa, selon la tradition, au tyran Dihak qui faisait régner la terreur sur son pays. Il y avait deux serpents sur les épaules du roi Dihak, et chaque jour il faisait tuer deux jeunes gens pour nourrir les serpents de leur cervelle. On avait déjà ainsi pris seize fils au forgeron Kawa, et lorsque les soldats du roi vinrent prendre son dix-septième fils, il se révolta. Il marcha sur le palais de Dihak et le tua, puis il gravit la montagne et alluma un grand feu à son sommet, pour signaler à tous que le pays était libéré. C’était la naissance du Newroz.

Depuis des millénaires, Newroz, qui signifie « nouveau jour » en kurde, est célébré par les Kurdes comme la fête la plus importante de l’année. Elle symbolise à la fois l’arrivée du printemps et le passage à une nouvelle année. Dans le passé, les festivités du Newroz duraient une semaine entière, et elles étaient aussi l’occasion pour les garçons et les filles de se rencontrer et de trouver la personne avec qui ils désiraient se marier. La fête traditionnelle du Newroz est ainsi décrite dans « Mem û Zîn », l’épopée kurde mythique d’Ehmedê Xanî composée à la fin du dix-septième siècle, où c’est lors de la fête du Newroz que se rencontrent les deux amoureux éponymes de l’épopée.

Depuis le début du XXème siècle et la division du Kurdistan entre quatre Etats, cependant, la fête du Newroz a pris une signification politique qu’elle ne possédait pas auparavant. Dans trois des quatre parties du Kurdistan, le Newroz a été interdit car il représentait le symbole le plus visible de la culture et de l’identité kurde que ces Etats souhaitaient anéantir.

Ainsi, en Turquie, le Newroz a été pendant de très longues années interdit. Il est par la même occasion devenu, comme au temps de Kawa, une manifestation de la résistance kurde. En 1982, dans la tristement célèbre prison de Diyarbekir, Mazlum Dogan, un des cadres fondateurs du PKK, a célébré le Newroz symboliquement en allumant trois allumettes, puis s’est pendu pour protester contre la torture systématique dans la prison de Diyarbekir et la politique inique du gouvernement turc à l’égard du peuple kurde. Depuis cette date, il est connu par les Kurdes sous le nom de « Kawayê Hemdem », le Kawa moderne.

Depuis le début des années 80, Newroz est toujours vécu comme le symbole de la résistance kurde, à la fois par les Kurdes, qui y scandent leurs revendications, y réclamant leur droit à la liberté, et aussi par les Etats des pays où habitent les Kurdes, qui prennent toutes les mesures en leur pouvoir afin d’interdire le Newroz. Ainsi, en 1991 à Cîzre, la ville de Mem û Zîn et des princes du Botan, l’armée turque a ouvert le feu sur une manifestation pour le Newroz, tuant près de 100 personnes, des femmes et des enfants. Un an plus tôt, en 1990, Zekiye Akalp, une étudiante kurde, s’était jetée du haut des murs de la forteresse de Diyarbekir pour protester l’interdiction de Newroz par le gouvernement. Elle a aujourd’hui une statue à Suleymaniye, au Kurdistan d’Irak.

Depuis quelques années et l’arrivée au pouvoir de l’AKP, le gouvernement turc a changé de stratégie, et a essayé de se réapproprier la fête du Newroz, poursuivant ainsi une pratique de longue date de vol et de turcisation de la culture kurde, que l’on voit notamment beaucoup en ce qui concerne la musique kurde. Les chansons kurdes sont ainsi traduites en turc avec l’objectif de faire oublier l’original kurde. En 2008, l’Etat turc a créé sa propre fête de « Nevruz », affirmant qu’il s’agit d’une fête traditionnelle turque, et même les militaires l’ont célébré ! Dans le même temps, cependant, la fête traditionnelle kurde du Newroz continuait d’être interdite sous des prétextes fallacieux : l’utilisation de la lettre « W », interdite en turc, dans les pancartes de la manifestation. Ironiquement, ce qui illustre bien l’hypocrisie politique de l’Etat turc, c’est ce même Newroz 2008 qui a été l’un des plus violents depuis le début du XXIème siècle. On se souvient notamment des images tournées à Wan, à Sêrt ou à Hekarî, ou la police turque avait violemment attaqué les manifestants, notamment des femmes. En 2008, 2 personnes ont été tuées par la police turque au Kurdistan de Turquie, et 3 personnes ont été assassinées à Qamishlo au Kurdistan de Syrie, par l’armée du régime baassiste.

Dans la droite lignée de ces évènements, le gouvernement turc de l’AKP poursuit actuellement, au Kurdistan, une politique du double jeu et de l’hypocrisie. Mettant d’un côté en avant une soi-disant « ouverture démocratique », faite de réformes cosmétiques, et proposant une révision de la Constitution turque qui ne fournit toujours aucune expression aux droits du peuple kurde, le gouvernement du premier ministre Recep Tayyip Erdogan poursuit d’autre part une politique de répression sans pitié à l’égard de la société civile kurde. Cette répression se manifeste dans absolument tous les champs de la vie sociale et politique des Kurdes : pratiquant une politique de la carotte et du bâton, le gouvernement de l’AKP espère ainsi amadouer les électeurs kurdes à l’approche des élections de juin 2011, tout en réprimant par tous les moyens la représentation élue et démocratique des Kurdes.

C’est ainsi que le DTP, Parti pour une Société Démocratique, a été interdit par la Cour constitutionnelle turque. Son successeur, le BDP, est lui aussi la cible de la répression juridique de l’Etat turc : 152 personnalités politiques kurdes, parmi lesquels 7 membres élus du BDP, sont aujourd’hui accusés dans un procès où ils risquent de lourdes peines de prison. Au cours de ce procès, qui a débuté en octobre 2010, les accusés ont souhaité se défendre en kurde : cela leur a été refusé par le président du tribunal, qui a qualifié le kurde de « langue inconnue ». Hasip Kaplan, député kurde de Şirnak, a bien souligné l’hypocrisie du gouvernement de l’AKP au parlement turc, en rappelant que « TRT 6 [la chaîne d’information en kurde ouverte dans le cadre de « l’ouverture démocratique » de l’AKP] diffuse à l’heure actuelle dans une langue inconnue » ! Quant au projet de nouvelle Constitution présenté par le gouvernement, il n’apporte aucun changement concret pour la démocratie en Turquie : le barrage de 10 % des voix au niveau national requis pour entrer au parlement est maintenu comme un obstacle au pluripartisme, aucune garantie n’est donnée à la langue, à la culture et à l’identité kurdes et les pouvoirs de la Cour constitutionnelle n’ont même pas été limités afin que celle-ci ne puisse plus interdire les partis politiques.
Ce procès et les actions de répression qui l’accompagnent ont pour unique but de détruire la représentation politique civile des Kurdes, et leur seule conséquence sera la reprise de la guerre. En effet, face à cela, de plus en plus de jeunes Kurdes ne considèrent plus la voie politique comme porteuse d’espoir et partent dans les montagnes rejoindre les rangs de la guérilla du PKK. Cette même guérilla avait d’ailleurs décrété un énième cessez-le-feu unilatéral le 13 août 2010, qui non seulement n’a pas été respecté par l’armée turque, mais a même été l’occasion de provocations, comme la détonation d’une bombe au passage d’un minibus dans la région de Hakkari, en septembre 2010, ayant fait 9 victimes - tous proches de sympathisants du BDP. Les manifestations démocratiques et pacifiques du peuple kurde continuent d’être réprimées dans la violence et parfois le sang. Au vu de ces faits, le PKK a décidé, le 28 février dernier, la fin du cessez-le-feu unilatéral.

Ce n’est d’ailleurs pas uniquement la représentation politique des Kurdes qui est attaquée : toute forme de liberté d’expression leur est refusée. C’est ainsi que Vedat Kurşun, rédacteur en chef du seul quotidien kurde du pays, Azadiya welat, a été condamné en mai 2010 à 166 ans et 6 mois de prison, un record en la matière ! Son cas n’est malheureusement pas un cas isolé. Comme le souligne le rapport de RSF, les condamnations de journalistes, notamment travaillant dans la presse kurde, se sont multipliés ces derniers temps. Les enfants eux-mêmes ne sont pas épargnés par la politique injuste et antisociale du gouvernement de l’AKP. A cause de lois antiterroristes interprétées pour réprimer toute manifestation de l’identité kurde, des milliers d’enfants, parfois âgés de 10 ans à peine, ont été emprisonnés et condamnés à des peines pouvant aller jusqu’à vingt ans de prison. Pourquoi ? Leur seul crime était d’être suspecté d’avoir crié des slogans lors de manifestations, ce qui a suffi à les faire condamner en tant que « membres d’une organisation terroriste ». Un de ces jeunes, récemment libéré, s’est d’ailleurs immolé par le feu pour protester contre la onzième année de détention d’Abdullah Ocalan, le leader du PKK qui est emprisonné dans des conditions désastreuses sur l’île-prison d’Imrali. Malgré ses appels répétés à la paix et au dialogue, sa main tendue n’a jamais été saisie par le gouvernement turc, qui préfère poursuivre la politique de la guerre et de l’assimilation forcée. La proposition d’autonomie démocratique, qui, sur des modèles comme celui du Québec ou de la Catalogne, pourrait permettre de résoudre pacifiquement le problème kurde dans le cadre des frontières actuelles des divers Etats, a été rejetée en bloc et taxée de « séparatiste » par les ministres de l’AKP. Au cours des célébrations du Newroz 2011 organisées dans les différentes villes kurdes, la police a, de manière systématique, attaqué les manifestants qui se dirigeaint vers les « Tentes pour une Solution Démocratique » (« Konên Çareseriya Demokratîk ») installées pour cette occasion. De nombreux blessés sont à déplorer, notamment à Diyarbakir et Nusaybin. Une fois de plus, le rideau de fumée de « l’ouverture anti-démocratique » du gouvernement AKP se dissipe, laissant voir le vrai visage de ce mouvement politique, un visage que les Kurdes connaissent bien : celui de la négation et de la criminalisation de l’identité, de la culture et de la représentation politique des Kurdes.

Malgré tout cela, la résistance du peuple kurde ne saurait être brisée. En 2011 encore, ils étaient près de deux millions à Amed (Diyarbakir), la capitale du Kurdistan, et plusieurs millions d’autres à travers le Kurdistan, l’Europe et le monde entier, à s’être rassemblés pour allumer le grand feu de la résistance et de la liberté, symbole de la lutte du peuple kurde face à l’oppression. Comme Kawa avait triomphé de Dihak jadis, le peuple kurde à nouveau triomphera et tournera la page sanglante de son histoire ouverte avec le partage du Kurdistan en 1923, afin de vivre à nouveau dans la paix, la prospérité et la fraternité avec tous les autres peuples du Moyen-Orient.

Newroz signifie la nouvelle année, mais aussi le nouveau printemps du peuple kurde et pour tous les peuples, l’arrivée d’une nouvelle époque de liberté face à l’oppression.

Nous vous souhaitons à tous une très bonne fête de Newroz 2011.

Newroza we pîroz be !

L’Association Arjîn - 24 mars 2011


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