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Reporters sans frontières

Turquie - L’acharnement sur les journalistes abordant la question kurde continue

Article mis en ligne le jeudi 31 mars 2011

A lire avec les liens et les photos :
http://fr.rsf.org/turquie-l-acharnement-sur-les-journalistes-31-03-2011,39919.html

Reporters sans frontières constate avec tristesse que, malgré les dénégations officielles des autorités turques, la question kurde reste un tabou qu’il ne fait pas bon briser. Au mois de mars, au moins six personnes ont été inculpées ou condamnées pour avoir écrit sur le sujet, en vertu de la Loi antiterroriste n°3713.

La Loi antiterroriste aura vingt ans le 12 avril 2011. Elle est rapidement devenue une arme implacable contre les journalistes qui abordent le problème des minorités nationales. Les procès de ce mois-ci prouvent une nouvelle fois son utilisation abjecte et délirante. En son nom, des auteurs mais aussi des éditeurs sont touchés par de fortes condamnations.

Hakan Tahmaz et Ibrahim Cesmecioglu, respectivement chroniqueur et directeur de rédaction du journal Birgün, ont été condamnés, le 24 mars 2011, pour « reprise de déclaration ou communiqué en provenance d’une organisation terroriste ». Sur la base de l’article 6 de la Loi antiterroriste, il est reproché aux deux journalistes la publication, en août 2008, d’un article intitulé « Un cessez-le-feu unilatéral amplifiera le problème ». Celui-ci contenait un entretien avec Murat Karayilan, représentant du PKK interrogé à Qandil (Kurdistan irakien). Faisant référence à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, le procureur avait pourtant requis l’acquittement pour les deux hommes en vertu du droit d’information sur les sujets d’actualité. Mais le président de la 10ème chambre de la cour d‘assises d’Istanbul a choisi de condamner Tahmaz à dix mois de prison pour avoir écrit l’article, et Cesmecioglu à une amende de 16600 livres turques (1600 euros) pour l’avoir publié.

Cette même cour avait condamné deux semaines plus tôt l’auteur et l’éditeur d’un livre sur la question kurde publié en mai 2010, au motif de «  propagande du PKK ». L’auteur de «  L’Etat global et les Kurdes sans Etat », Mehmet Güler, a été condamné le 10 mars 2011 à un an et six mois de prison, et l’éditeur, Ragip Zarakolu, à une amende de 16600 livres turques (1600 euros). Là encore, le procureur avait pourtant qualifié la peine d’emprisonnement de « disproportionnée et contraire aux exigences d’une société démocratique ». Triste exemple de l’acharnement judiciaire dans ce domaine, les deux hommes avaient déjà été jugés, au même motif, pour la publication d’un autre livre en juin 2010.

Le journaliste Ertugrul Mavioglu a quant à lui été mis en cause pour avoir publié une interview en trois parties de Karayilan dans le journal Radikal, du 28 au 30 octobre 2010. Accusé de «  propagande du PKK », il est passible de sept ans de prison. Alors que son procès doit s’ouvrir tout prochainement, la similitude de son cas avec celui de Tahmaz et Cesmecioglu fait craindre une nouvelle condamnation injuste.

Après une relative ouverture sur le sujet, la question kurde semble de nouveau tétaniser les autorités. Il est vrai que contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, la pratique de la justice envers les journalistes n’avait guère été altérée par cette ouverture politique. Newroz, le nouvel an kurde célébré le 21 mars et journée traditionnelle de manifestations dans l’Est du pays, a fourni une nouvelle démonstration de cette répression aveugle.

Dans la nuit du 21 mars 2011, Necip Capraz, du journal local Yüksekova Haber, a été interpellé avec dix autres personnes à Hakkari (sud-est). Il est soupçonné d’appartenance à l’Assemblée turque de l’Union des communautés du Kurdistan (KCK/TM), accusée d’être liée au PKK. Opéré du coeur il y a un an, le journaliste a une santé fragile. Il a été arrêté trois ans jour pour jour après avoir fait l’objet de violences de la part de policiers, en marge de manifestations pro-kurdes qu’il couvrait. Journaliste connu dans la région, il avait reçu en 2005 le «  Prix Solidarité de la presse », décerné par l’Association des journalistes contemporains (CGD).

Les autorités s’en sont même prises à des étrangers. Le photo-reporter allemand Benjamin Hiller a été interpellé alors qu’il couvrait une manifestation du Parti démocratique kurde (BDP) à Diyarbakir (sud-est). Verbalement pris à partie et accusé d’avoir pris des photos illégales, il a été placé en garde-à-vue pendant une heure et demie, puis finalement relâché.

Le problème des minorités nationales est un sujet brûlant en Turquie, où le simple fait de les mentionner est souvent perçu comme une atteinte à l’unité du pays. Le 28 mars encore, Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature, a été condamné en appel à une amende de 6000 livres turques (730 euros) pour avoir affirmé en 2005 dans un article paru en Suisse : «  30 000 Kurdes et un million d’Arméniens ont été tués sur ces terres ». Cette condamnation est symboliquement très forte.

Reporters sans frontières réitère une fois de plus ses appels aux instances judiciaires, pour qu’elles cessent de criminaliser l’expression des débats qui agitent actuellement la société turque.

L’organisation effectuera une mission en Turquie début avril, à l’occasion du vingtième anniversaire de la Loi antiterroriste et des rafles de journalistes intervenues ces dernières semaines.

http://fr.rsf.org/

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