Une tribune pour les luttes

Calais : les exilés toujours harcelés

Par Philippe Wannesson

Article mis en ligne le lundi 23 mai 2011

http://www.educationsansfrontieres.org/article36530.html

Calais est le principal point de passage entre la Grande-Bretagne et le continent. C’est avec la fermeture des frontières que les personnes souhaitant s’y rendre et n’ayant pas titre à pénétrer sur le territoire britannique ont commencé à s’y trouver bloqués. Au début des années 90, ce sont des exilés venus de l’ancienne Yougoslavie en plein déchirement qui trouvent à camper dans les parcs de Calais, suscitant des réactions de solidarité de la population.

L’histoire d’une frontière qui se ferme.

Si cette solidarité s’est prolongée au fil des années, la réaction des pouvoirs publics a été de cacher et de dissuader. Ainsi, de 1999 à 2002, un hangar à l’écart de la ville, sur le territoire de la commune de Sangatte, permet l’hébergement, l’accès aux soins et l’information sur les droits, tandis que dehors une compagnie de CRS traque les exilés lorsqu’ils vont en ville ou vers les endroits où ils tentent de monter dans les camions en partance vers l’Angleterre. En 2002, le hangar est fermé, puis détruit. Restent les exilés, et les CRS.

Paysages de l’errance

Les lieux dans lesquels se glissent alors les exilés à Calais sont ceux qu’on retrouve tout au long de leur errance à travers des pays qui ne veulent pas les accueillir et qu’ils veulent quitter, du Maroc à la Grèce ou au nord de la France. Les images qui nous viennent aujourd’hui de Libye sont d’une ressemblance frappante. Des campements de cabanes à la périphérie de la ville, parfois en pleine ville (Patras, Calais à certains moments), des bâtiments abandonnés, des interstices urbains.

Les Afghans appellent dzangâl (jungle, forêt), ces campements. Les exilés de toutes nationalités expriment leur sentiment d’être traités comme des animaux en étant relégués dans ces conditions de vie. Leur errance dure couramment des mois, parfois des années.

Les pressions sur les conditions de vie

Dissuader passe souvent par détruire. La destruction des tentes et des abris construits par les exilés est régulière. S’agissant de squats, on assiste aussi à la destruction des couvertures et des effets personnels. Quant aux bâtiments squattés de manière durable, ils sont détruits lorsque les conditions en sont réunies. L’habitation est donc toujours précaire, et les rares effets personnels peuvent eux aussi être détruits à tout moment.

Les destructions sont réalisées par la police, ou par les services de la mairie de Calais après évacuation du lieu par la police. Elles rendent vaines les tentatives des associations d’améliorer les conditions de vie, alors que des exilés sont régulièrement arrêtés à proximité des points d’eau, du lieu où les associations distribuent les repas, ou sur le chemin de la permanence d’accès aux soins de santé.


Les moyens policiers

Une compagnie de CRS est affectée en permanence au contrôle et à l’arrestation des exilés, venant s’ajouter aux effectifs de la police aux frontières, et permettant des patrouilles et des interventions à toute heure du jour et de la nuit. Plus ponctuellement, la police nationale et la BAC peuvent intervenir. Il y a actuellement entre 200 et 300 exilés à Calais.


Un glissement continu par rapport à la légalité

À la base il s’agit de contrôles d’identité, pouvant déboucher sur une vérification d’identité au commissariat de police lorsqu’une personne ne peut pas établir la sienne, ou à un placement en garde à vue lorsqu’un délit est soupçonné.

Dans les faits, des exilés sont « attrapés » (ils essayent autant que possible de s’enfuir) de manière ciblée par la police, à toute heure du jour ou de la nuit, sur la voie publique comme dans des lieux privés, y compris dans les lieux qu’ils habitent, et qui constituent à défaut d’autre chose leur domicile. Ces opérations sont conduites avec plus ou moins de brutalité. A ensuite lieu un contrôle d’identité, puis sont emmenés certains des exilés, y compris parmi ceux qui, détenteurs d’une autorisation provisoire de séjour, sont porteurs d’un document attestant de leur identité. Les mêmes personnes peuvent être arrêtées plusieurs fois dans la même journée ou la même nuit. Il arrive même que certains soient arrêtés en revenant du commissariat vers le centre-ville.

Il n’est pas clair pour les exilés arrêtés s’il agit d’une vérification d’identité ou d’une garde à vue. Certains en sortent avec un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF), sans que les critères de distribution des APRF soient clairs. Plus rarement, la garde à vue sera prolongée, et débouchera sur un placement en rétention. Là encore, les critères sont difficilement lisibles. Mais on peut constater que le placement en rétention de personnes dont l’expulsion n’est pas possible du fait de leur nationalité (ces décisions d’expulsion étant systématiquement suspendues par la Cour européenne des droits de l’homme) peut correspondre un accroissement de la pression policière à l’encontre de tel ou tel groupe, squat ou campement. Sans que là encore aucun critère clair semble exister, des exilés sont convoqués au tribunal pour séjour irrégulier.

Les procédures légales sont donc complétement vidées de leur sens juridique, et ne sont que l’habillage d’un harcèlement quotidien : tout exilé peut à tout moment et en tout lieu, qu’il soit porteur ou non de « papiers », être contrôlé et arrêté de manière plus ou moins brutale, son abris et ses effets personnels peuvent être détruits. Les course poursuites auxquelles donnent lieu les tentatives d’arrestation peuvent conduire à des accidents, parfois à des décès.

Les destructions d’effet personnels ou d’habitations, fussent-elles de fortune, ne relèvent pas du détournement de procédure, mais de la plus totale illégalité, qu’elles soient le fait de la police ou des services de la mairie de Calais. De même, les destructions de bâtiments squattés par les exilés se font sans affichage légal du permis de démolir. La légalité semble suspendue pour tout ce qui touche à la présence des exilés.

Ces écarts par rapport à la loi se retrouvent dans le traitement des demandes d’asile, avec de nombreuses irrégularités dans les procédures européennes Dublin II (défaut d’information, défaut de traduction, tentatives de repousser le délai à partir duquel la France devient responsable de la demande d’asile), des placements sans justification apparente en procédure prioritaire, d’importantes carences quant à l’hébergement. La norme pour les services préfectoraux n’est pas l’application des textes, mais le minimum de prise en charge, et le minimum de chances pour le demandeur d’être reconnu comme réfugié.

Le glissement dans la violence

En pleine nuit, la police arrive dans un squat, casse les vitres à coups de matraque, réveille les exilés à coups de pied et les fait s’aligner contre un mur à la lueur des lampes torches.

Toutes les interventions n’ont pas cette violence, les choses sont en particulier différentes si elles ont lieu de jour ou de nuit, en pleine rue ou dans un endroit fermé ou isolé. Mais la violence verbale et physique fait partie du quotidien. Les compagnies de CRS se relayent à Calais, et chacune d’elles a ses spécificités, certaines ont acquis au fil des années une réputation particulière de brutalité, d’autres gardent une notion de l’usage proportionné de la force, la violence peut être le fait d’individus que leurs collègues laissent faire, ou être collective. Elle n’est pas propre aux CRS, et peut aussi être le fait de la police aux frontières.

Mais la violence ne se limite pas à la brutalité des interventions. En mars dernier, pendant trois nuits de suite, deux fourgons de la police aux frontières ont pénétré peu avant le lever du jour dans une ancienne usine squattée par des exilés d’Afrique noire, musique à fond et passant en boucle « Un dimanche à Bamako ». Ils sont entrés dans les deux bâtiments et ont braqué leurs phares sur les dormeurs, des policiers sont descendus des véhicules pour pointer leurs lampes torches dans les recoins. Puis ils sont partis sans arrêter personne, avec toujours « Un dimanche à Bamako » à fond. Par chance, des militants du mouvement No Border avaient passé la nuit dans le squat, et ont filmé cette intervention particulière. Peu après la diffusion de ces images aux médias, trois militants du mouvement ont été arrêtés dans le même squat et sont poursuivis pour violence en réunion et occupation illégale. Les cartes mémoire de leurs caméras leur ont été restituées endommagées et illisibles. Ils passent en procès le 12 juillet prochain.

Les à-côté des interventions policières sont divers, arroser d’eau ou d’huile les couvertures et les vêtements, uriner sur les couvertures, gazer les casseroles et la nourriture, déchirer des photos de famille ou un Coran, rouler sur un espace de prière... Ces actes ne sont pas quotidiens, mais la densité des interventions les rend fréquents. Plus que les coups, les exilés ressentent vivement en quoi ces agissements signifient la négation de leur humanité. Un des premiers mots français que connaissent les exilés, quelle que soit leur origine, avant « bonjour », est : « dégage ».

En guise de post-scriptum, quelques glissements collatéraux

Le 20 avril 2011, une famille rom est arrêtée alors qu’elle est en train de récupérer de la ferraille dans un bâtiment abandonné. Bien qu’il s’agisse d’un fait de droit commun, c’est la police aux frontières qui intervient.

Le 25 mars 2011, les douches mises place par la municipalité pour les migrants, situées à l’écart de la ville, sont dégradées pour la troisième fois depuis le début de l’année. Une vaste opération de police est menée sur l’aire d’accueil des gens du voyage, située à proximité. La police aux frontières est partie prenante de l’opération.

De police des frontières, la PAF devient une sorte de police des étrangers et de tout ce qui les concerne, intervenant dans des affaires de droit commun.

Dans un autre registre, le 28 mars 2011 a lieu une vaste opération de police dans trois quartiers populaires de Calais visant le trafic de stupéfiants. Elle mobilise 200 policiers et 200 gendarmes. Concrètement, dès cinq heures du matin, la police entre dans des immeubles, enfonce des portes sans sommation, 61 personnes sont placées en garde à vue.

*Philippe Wannesson est membre de La Marmite aux Idées.

Il sera présent vendredi 27 mai 2011 à la Commission d’enquête juridique, organisée à Paris dans le cadre de la semaine antiraciste.
http://blogs.mediapart.fr/edition/d...


JUNGLETOUR 2011

À VÉLO POUR LES DROITS DES RÉFUGIÉS

Pour la deuxième année, le Jungletour reliera différents lieux du nord de la France, et cette fois-ci de Belgique, autour de la thématique des exilés en errance à travers l’Europe.

Au fur et à mesure que les politiques migratoires devenaient plus restrictives, les frontières de l’Europe (espace Schengen) et du Royaume-Uni (qui ne fait pas partie de l’espace Schengen) se sont fermées. Des centaines de réfugiés se sont retrouvés bloqués. Refusés par le Royaume-Uni et indésirables de ce côté-ci de la Manche et de la Mer du Nord, ils vivent dans des fossés, des bois et des dunes, ou dans des bâtiments abandonnés, des parcs, près des ports, de Roscof en Bretagne à Zeebruges en Belgique, en passant par Cherbourg, Calais et Dunkerque, près des aires d’autoroute où ils essayent de monter dans les camions allant vers l’Angleterre, ou dans les grandes villes en amont.

Mais ce n’est là qu’une étape d’une errance à l’échelle de l’Europe. Les pays d’entrée dans l’Union européenne font tout pour refouler les réfugiés ou pour qu’ils n’y demeurent pas, et au besoin certains ne respectent pas le droit d’asile (en Grèce et à Chypre, moins de 1% des demandes d’asile sont acceptées). Et les autres pays refusent d’examiner leur demande d’asile dès lors que leurs empreintes digitales ont été prisés dans un autre pays et intégrées au fichier européen EURODAC. Le règlement européen Dublin II prévoit en effet qu’on ne peut demander l’asile que dans un seul pays de l’Union européenne, et comment déterminer ce pays ; le plus souvent, il s’agit du pays d’entrée dans l’Union européenne, la prise d’empreintes digitales servant de preuve.

Le Jungletour a pour but de développer les liens entre les associations soutenant les exilés, sensibiliser la population et interpeler les décideurs politiques sur les conditions de vie des exilés et le respect de leurs droits.

Le Jungletour 2011 se terminera à Bruxelles, et cette étape sera l’occasion de remettre au Parlement européen les témoignages des associations de terrain quant au respect des droits fondamentaux des exilés, l’application de la directive «  accueil  » et les effets négatifs du règlement Dublin II sur l’accès au droit d’asile.

Le Jungletour 2011 se déroulera du 2 au 14 juillet et reliera Bailleul, Lille, Angres, Norrent-Fontes, Saint-Omer, Calais, Dunkerque, Ostende, Bruges, Gand et Bruxelles.

Contact : jungletour chez laposte.net
Pour plus d’information : http://www.jungletour.sitew.com/
http://jungletour.over-blog.com/

Il est soutenu et organisé par :
Amnesty International Nord – Pas-de-Calais / Somme
L’Auberge des Migrants (Calais)
CASPA (Arras)
CIMADE 62
Emmaüs Dunkerque
Flandre Terre Solidaire
Fraternité Migrants Bassin Minier 62
Itinérance (Cherbourg)
La Marmite aux Idées (Calais)
Salam Nord - Pas-de-Calais
Terre d’Errance Flandre Littoral (Dunkerque)
Terre d’Errance Norrent-Fontes

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