Une tribune pour les luttes

Nouvelles d’Orient

Les révolutions arabes sont-elles finies ?

par Alain Gresh

Article mis en ligne le mercredi 15 juin 2011

A lire avec les liens sur :
http://blog.mondediplo.net/2011-06-13-Les-revolutions-arabes-sont-elles-finies

lundi 13 juin 2011,

Un climat de pessimisme domine chez les commentateurs. Depuis l’effondrement des régimes tunisien et égyptien, les révolutions arabes semblent marquer le pas. La Libye serait vouée à la division ; l’ordre règne au Bahreïn ; le Yémen s’enfoncerait dans la guerre (lire, dans Le Monde diplomatique de ce mois-ci, l’article de Laurent Bonnefoy et Marine Poirier, « Au Yémen, l’unité dans la protestation ») ; quant à la Syrie, son régime semble déterminé à noyer dans le sang la contestation (on lira l’article publié sur le site du Monde diplomatique, « Les mots de l’intifada syrienne », qui analyse le mouvement et ses espoirs). Ailleurs, les manifestations s’essouffleraient, aussi bien en Algérie qu’au Maroc, en Jordanie qu’en Irak.

Il est bien sûr impossible de prédire l’avenir, mais ce pessimisme me semble hors de propos. Il s’appuie sur une vision idyllique des périodes révolutionnaires, qui devraient s’achever rapidement, ne connaître ni soubresauts, ni violences, ni retours en arrière. Or, cela a rarement été le cas au cours de l’histoire. Ni la révolution de 1789, ni celles de 1848, et encore moins les révolutions du XXe siècle n’ont correspondu à ces descriptions. Les affrontements, la violence, les hésitations, sont le propre de toutes les périodes révolutionnaires, quand meurt l’ordre ancien et que l’ordre nouveau peine à s’affirmer.

Les contestations ont touché et continuent à toucher tous les pays arabes, sans aucune exception. Elles témoignent de l’ampleur de la révolte, mais aussi de l’ampleur des problèmes à résoudre. Non seulement la région sort d’une glaciation politique de plus de quarante ans, mais elle est confrontée à une accumulation de défis, notamment économiques et sociaux, qui ne seront pas résolus en quelques semaines. La résistance des pouvoirs en place, remis de la surprise qu’a représenté la chute de Ben Ali et de Moubarak ; l’organisation de la contre-révolution régionale, autour de l’Arabie saoudite ; la capacité du Fonds monétaire international à imposer à des pays comme la Tunisie ou l’Egypte ses conditions : autant d’éléments qui pèsent sur les luttes.

Mais il faut rappeler quelques données :

- la contestation ne cesse pas. Ainsi, plus de dix mille personnes ont défilé à Bahreïn (« Bahrain opposition rally draws thousands », Al-Jazeera English, 11 juin), première sortie de l’opposition depuis l’intervention des troupes saoudiennes. Au Maroc, des milliers de personnes ont manifesté le 5 juin pour dénoncer la mort d’un manifestant tué par la police et pour demander des changements réels (« Morocco’s uprisings and all the king’s men », Al-Jazeera English, 5 juin). Même au Koweït, plus libéral pour ses habitants (à condition de ne pas parler des bidoun, ces dizaines de milliers de personnes privées de leur nationalité – lire le rapport de Human Rights Watch, « Prisoners of the Past : Kuwaiti Bidun and the Burden of Statelessness », sous embargo jusqu’au 13 juin, mais disponible à cette adresse), des centaines de jeunes se sont rassemblés devant le Parlement pour demander le départ du premier ministre et des réformes démocratiques (« Kuwaiti youths urge PM ouster, reforms », Gulf in the media, 12 juin). Et chaque manifestation dans un pays renforce la détermination chez le voisin ;

- les tentatives d’écraser par la force les soulèvements, comme en Libye, au Yémen, à Bahreïn, en Syrie, ont, pour l’instant, échoué. La détermination des populations à résister prouve que tout retour en arrière sera difficile à imposer. Même l’usage – notamment par l’Arabie saoudite – de l’arme confessionnelle se révèle peu efficace pour diviser les populations ;

- l’aspiration à plus de liberté, à plus de justice sociale s’exprime partout. Il serait faux de penser que les pays du Golfe sont à l’abri. Sur nombre de sites, les internautes font entendre leur volonté de réforme, leur refus du statu quo et de la corruption galopante. Lire, par exemple, cet envoi sur le blog d’Aisha, 2 juin 2011, « Saudi youth’s aspirations “True life Resist the power Saudi Arabia” » ;

- la capacité des Etats-Unis à imposer leur volonté est affaiblie. Leur situation financière ne leur permet pas d’aides substantielles à la région – l’agence de notation Moody’s a même menacé de dégrader leur note, comme elle le ferait avec de « vulgaires » pays du tiers-monde. D’autre part, et malgré les déclarations sur l’amélioration de la situation militaire, ils ne sont parvenus à stabiliser la situation ni en Irak ni en Afghanistan – dans ce dernier pays, ils cherchent désespérément à négocier avec les talibans. Les pays qui se libèrent auront une autonomie plus grande, dans un monde multipolaire, pour chercher de nouveaux partenaires, de nouveaux associés.

Je voudrais reprendre, en conclusion, un paragraphe de mon éditorial du dernier numéro de Manière de voir, « Comprendre les révoltes arabes » (juin-juillet 2001, en kiosques) :

« Les chemins de la liberté et de la dignité qu’a ouverts le peuple tunisien, et dans lesquels se sont engouffrés après lui les autres peuples arabes, restent incertains, escarpés, périlleux. Mais, déjà, le retour en arrière n’est plus possible. “Quand une fois la liberté a explosé dans une âme d’homme, les dieux ne peuvent plus rien contre cet homme-là” (Jean-Paul Sartre, Les Mouches). »

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