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Regards

L’inéluctable naufrage du Vaisseau de l’info, journal lycéen

Les élèves du lycée Victor Hugo classé en ZEP à Marseille refusent un prix qui devait être remis à leur journal demain jeudi 30 juin et annoncent la fin dudit canard.

Article mis en ligne le mercredi 29 juin 2011

Nous, équipe du journal lycéen Le Vaisseau de l’Info, avons décidé de
refuser le
prix qui nous a été décerné cette année par l’académie d’Aix-Marseille
pour notre
4ème participation au concours de journaux scolaires de la Fondation
Varenne. En
conséquence de quoi, nous ne participerons pas à la cérémonie de remise
des prix
organisée le 30 juin au rectorat d’Aix-Marseille.”

Le comité de rédaction du Vaisseau de l’Info.

“Vous avez cru faire une économie d’argent, c’est une économie de
gloire que vous faites.”
Victor Hugo, Discours du 10 novembre 1848 à l’Assemblée


Vaisseau de l’info n°9
lundi 30 mai 2011
http://www2.lyc-hugo-marseille.ac-aix-marseille.fr/spip.php?article213

Vaisseau de l’Info n° 8
Numéro double, 24 pages
samedi 29 janvier 2011
http://www2.lyc-hugo-marseille.ac-a...
Au sommaire, un dossier collectif sur les territoires marseillais, la police, la prison, la jeunesse en déroute et les incertitudes du sort...
20 pages d’arpentage et de reportage au long cours, avec cette année deux nouvelles rubriques : "music capsule" et la "galerie spatiale".
http://www2.lyc-hugo-marseille.ac-aix-marseille.fr/spip.php?article191

Vaisseau de l’Info n° 7
mercredi 26 mai 2010
http://www2.lyc-hugo-marseille.ac-a...
Au sommaire : la visite de l’écrivain René Frégni au lycée, les mères infanticides, la vie quotidienne à Hugo... sans compter notre cahier "spécial Auschwitz" dédié au voyage des 1ères ES2.

Vaisseau de l’Info n° 6
2 mars 2010
http://www2.lyc-hugo-marseille.ac-a...


29 juin 2011

L’inéluctable naufrage du Vaisseau de l’info, journal lycéen

Tribune, par Christine Gorce

"Adieu Vaisseau !", fin de l’aventure pour les journalistes en herbe du Vaisseau de l’info.

http://www.regards.fr/societe/l-ineluctable-naufrage-du-vaisseau

Les élèves d’un lycée classé en ZEP à Marseille refusent un prix qui devait être remis à leur journal demain jeudi 30 juin et annoncent la fin dudit canard. Anecdotique ? Peut-être mais révélateur des difficultés croissantes des services publics à assurer leurs missions. La documentaliste du lycée explique pourquoi Le Vaisseau de l’Info coule. Extraits.

«  Nous, équipe du journal lycéen Le Vaisseau de l’Info, déclarons refuser le prix qui nous a été décerné cette année par l’académie d’Aix-Marseille pour notre 4ème participation au concours de journaux scolaires de la Fondation Varenne. En conséquence de quoi, nous ne participerons pas à la cérémonie de remise des prix organisée le 30 juin au rectorat d’Aix-Marseille. » - Le comité de rédaction.

Le Vaisseau de l’info est né d’un club-presse fondé en 2008 au sein du lycée Victor Hugo de Marseille, établissement classé en ZEP, et il achèvera son existence cette année, après avoir tant bien que mal subsisté pendant quatre ans. En ma qualité de responsable pédagogique du journal, je tiens à faire connaître les raisons de cette décision.

L’éducation aux médias fait partie de nos priorités académiques, elle est prescrite par les textes officiels avec les intentions les plus louables (esprit critique, citoyenneté, transversalité), et se voit soutenue par des acteurs institutionnels et associatifs convaincus. La semaine de la presse et des médias à l’école, les rencontres et les concours, la revue de presse annuelle des médias scolaires sont une manifestation de ce dynamisme... de plus en plus dénutri et entravé. En réalité, l’éducation aux médias ne bénéficie dans les faits d’aucune base concrète, sauf à se surajouter à d’autres programmes eux-mêmes saturés...

Partout chantés, la recherche de l’information, le décryptage de la presse et des médias ne sont assortis d’aucun support horaire pour être enseignés. C’est bien souvent aux professeurs documentalistes -dont je suis- que la tâche incombe, à charge pour elles et eux d’arracher une heure au temps libre des élèves ou de convaincre un collègue de leur ouvrir ses heures de classe. Ces mêmes collègues ayant vu depuis la réforme des lycées leur temps d’enseignement maigrir et leurs groupes classes gonfler (jusqu’à 26 ou 30 en zone d’éducation prioritaire), l’effort est de plus en plus rarement consenti (...).

Ainsi le journal du lycée a-t-il toujours reposé sur la bonne volonté d’une poignée d’élèves qui parvenait à se réunir une demi-heure chaque semaine, à l’heure des repas. Malgré ce fonctionnement bancal, le Vaisseau de l’info a reçu dès 2008 son premier prix académique, il s’est vu gratifié en 2009 du premier prix national pour la catégorie lycées et a reçu depuis diverses mentions spéciales. C’est grâce à cette seule récompense qu’il a pu s’équiper (d’un ordinateur et d’un appareil photo), se déplacer pour aller recevoir son prix et/ou mettre un peu de couleur sur ses Unes.

(...) Ce journal qui avait reçu tous les suffrages a financé ses dernières impressions grâce aux cotisations acquittées par les élèves au Foyer socio-éducatif du lycée, ce qui signifie que nos lycéens, issus des quartiers les plus défavorisés de Marseille, ont payé pour pouvoir l’écrire et le lire.

Trop long, trop beau, trop cher. À de rares exceptions le Vaisseau de l’Info a toujours été tiré à 250 ou 260 exemplaires (pour 1100 à 1250 élèves), si bien que beaucoup dans l’établissement ne l’ont jamais eu entre les mains et n’en connaissaient pas même l’existence tandis que Libé Marseille, LCM (La Chaîne Marseille, télé locale, ndlr), Marseille Hebdo ou Le Marseille Bondy Blog se penchaient sur ses colonnes.

On lui reconnaissait une vertu sans doute, qui était de produire sa propre information plutôt que de recycler celle des autres, avec des méthodes presque professionnelles de collecte, d’enquête et de vérification. Il avait ainsi convaincu une poignée d’ados que les affaires de la cité étaient la leur, qu’ils pouvaient par eux-mêmes découvrir des choses que d’autres ou eux-mêmes ne savaient pas... Ce fameux appétit de savoir que nous peinons à inspirer, tant nos élèves ont appris à s’en remettre à des savoirs balisés, pré-détenus par l’enseignant-e ou par une quelconque autorité.

Comble d’adversité, le CDI (ou Centre d’Information et de Documentation) où se fabriquait ce journal est aujourd’hui un désert. Il comptait récemment encore un poste de documentaliste et demi assorti de deux aides documentalistes, celles-ci ont été remerciées lors de la suppression des contrats aidés, et jamais remplacées. Il est depuis lors devenu impossible d’y réaliser un journal comme celui que l’académie distingue aujourd’hui, sauf à cesser de répondre aux besoins des élèves et des enseignants qui se succèdent en ce lieu du soir au matin.

Faut-il en conclure qu’il n’y a plus de place dans l’Éducation nationale, y compris “prioritaire”, pour ce genre d’entreprise ? Oui, si l’on ajoute que l’Institution n’a pas pensé cela, ou qu’elle ne faisait que compter... C’est la raison pour laquelle, peut-être, elle remet d’une main une distinction symbolique tandis que de l’autre elle retire.

À l’heure où la “culture de l’information” s’annonce comme un enjeu de savoir majeur dans la formation des “digital natives”, l’éducation aux médias, qui en est le corpus tangible, n’est ni un enseignement, ni même une option, ce qui lui laisse très peu de chances face à la logique concurrentielle du “projet” qui permet d’arracher aux collectivités les moyens de réaliser les objectifs de l’État.

Le dernier numéro du Vaisseau de l’info vient ainsi de paraître, entièrement réalisé en dehors du lycée, sur le temps libre des uns et les autres, pour ainsi dire à la rage. L’Institution ne peut logiquement le récompenser car il ne lui appartient plus. Nous vous en adressons la dernière page.


Marseille, le 23/06/2011

Monsieur le Recteur,

L’intersyndicale du lycée Victor Hugo ainsi que des personnels non-syndiqués appellent votre attention sur le manque de moyens alloués au CDI de notre établissement.

En effet ce service qui, encore récemment, comptait un poste et demi de professeurs documentalistes assorti de deux postes d’assistant(e)s-documentalistes en CAE, ne dispose plus à ce jour que d’un poste pérenne de documentaliste titulaire et d’un demi-poste de contractuel(le).

Notre lycée, qui accueille plus de 1150 usagers (élèves et personnels réunis), n’est plus dans la capacité d’offrir l’amplitude d’ouverture dont ont besoin nos élèves pour leurs travaux accompagnés. Aujourd’hui, le CDI est dans l’obligation de fermer ses portes à la pause méridienne, aux récréations, chaque mercredi et samedi et à chaque fois qu’une séance pédagogique a lieu dans ses locaux.

Nous vous rappelons l’importance pour nos élèves issus de milieux défavorisés d’avoir accès à une culture de qualité par le biais d’ouvrages référentiels (livres, périodiques, ressources numériques et audiovisuelles) et de pouvoir travailler dans un lieu serein, calme et encadré par des personnels formés. Vous n’êtes pas sans savoir que ce type de dispositif orienté vers « l’égalité des chances » devrait garantir à nos élèves les conditions et les outils de travail nécessaires à leur réussite.

Compte tenu de cette situation, nous comprenons la colère des élèves qui ont refusé le prix décerné à leur journal alors qu’ils l’avaient reçu les bras ouverts les années précédentes. Nous joignons à ce courrier deux pétitions dénonçant cette situation : l’une émanant des élèves après le départ de la deuxième assistante-documentaliste, l’autre, proposée aux parents, concernant plus généralement le manque de moyens dont pâtit notre établissement.

En conséquence, nous demandons la transformation de l’actuel demi-poste de contractuel(le) en un poste complet de professeur documentaliste ce qui permettrait de maintenir un régime d’activité pédagogique soutenu.

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