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BASTA !

Harcèlement : Les migrants à la retraite présumés coupables de fraudes

Par Ludo Simbille

Article mis en ligne le dimanche 3 juillet 2011

Avec les photos et les liens
http://www.bastamag.net/article1640.html

(1er juillet 2011)

Dans leur traque des fraudeurs, les administrations font du zèle. Leur cible ? Les Chibanis, ces anciens travailleurs du bâtiment, de la restauration ou des métiers peu qualifiés, venus du Maghreb, et qui ont choisi de rester en France pour leur retraite. Les Caisses d’allocations familiales ou d’assurance vieillesse soupçonnent certains d’entre eux de fraude aux prestations sociales. Une vie professionnelle chaotique et des allers-retours au Maghreb ne leur permettent pas toujours de remplir les conditions ou d’obtenir tous les certificats nécessaires. Surtout quand les services administratifs ont choisi le harcèlement et les contrôles discriminatoires.

On les appelle les Chibanis car ils ont l’âge des « cheveux blancs ». Ce sont les vieux migrants du Maghreb arrivés en France à partir des années 1950. Retraités de la construction, de la restauration, de l’artisanat, la plupart vivent dans des foyers de travailleurs immigrés. Pour l’administration française, ils seraient des fraudeurs en puissance. Depuis plusieurs mois, ils sont la cible de contrôles incessants de la part des Caisses de sécurité sociale, qui réclament à certains d’entre eux le remboursement d’un trop-perçu d’allocations. Motif ? Ils ne sont pas restés assez longtemps sur le territoire français. Un véritable « harcèlement », selon le collectif Justice et Dignité pour les Chibani-a-s (http://www.chibanis.org/).

À l’appel de ce collectif, quelques dizaines de militants ont manifesté le 23 juin devant la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), avenue de Flandre à Paris. Ces Chibanis demandent l’annulation des remboursements exigés par la CNAV. « On est des travailleurs, on n’est pas des fraudeurs », lancent-ils au mégaphone.

16 ans de labeur ignorés par l’administration

Sliman doit 998 euros parce qu’il n’est pas resté assez longtemps sur le territoire français. Âgé de 66 ans, il vit dans un foyer d’Argenteuil, en banlieue parisienne, avec une retraite de 700 euros. Arrivé en France en 1964, il travaille dans la soudure puis la peinture jusqu’en 1980. Atteint d’une maladie des poumons, il retourne s’installer à Alger pour vivre avec sa femme. En 2008, il revient en France pour faire valoir ses droits à la retraite et multiplie depuis les va-et-vient entre la France et l’Algérie. Comme lui, beaucoup de vieux immigrés n’ont pas bénéficié pas du regroupement familial. Avec femme et enfants au pays, ils font la «  navette », des allers-retours entre ici et le bled.

Une bougeotte qui n’est pas du goût de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav). L’Allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), qu’elle leur verse en complément d’une trop maigre retraite, repose sur une conditionnalité de résidence : 6 mois et un jour de présence sur le territoire français. Même chose pour les allocations versées par la Caisse d’allocations familiales (CAF). Elle exige une résidence de quatre mois sur le territoire pour distribuer l’allocation personnalisée au logement (APL). Ceux restés trop longtemps hors des frontières doivent rendre le trop-perçu.


Contrôles discriminatoires

La CNAV et la CAF ne sont pas les seules à traquer les oiseaux de passage : Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT), Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), Mutualité sociale agricole (MSA) multiplient les contrôles de fraude aux allocations dans plusieurs grandes villes de France. «  Ça a commencé à Marseille il y a 4 ou 5 ans, mais à Paris cette année, c’est général », raconte Geneviève Petauton, du collectif pour l’avenir des foyers (COPAF). « Dans tous les foyers, on leur envoie des lettres, ou des contrôleurs de l’administration sociale viennent physiquement avec des demandes exagérées ». Aux preuves de résidence exigées pour faire valoir ses droits sociaux, s’ajoutent des documents non prévus par les textes de lois comme le passeport ou le justificatif de domicile. « Une personne m’a montré la demande de la CNAV. Comme elle vit dans un taudis, elle n’a pas de quittance de loyer. On a quand même réussi à obtenir un certificat de domicile, mais ça ne suffit pas il faut la quittance. »

À Gennevilliers, les services fiscaux refusaient de donner les avis d’imposition aux vieux migrants, rappelle Ali Elbaz, de l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF). Sous la pression des militants, le directeur du Centre des impôts s’est ensuite excusé d’avoir exigé des passeports. À Perpignan, trois allocataires ont été reconnus coupables de fraude au tribunal correctionnel. Mais certains contrôles ont été jugés discriminatoires et illégaux par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde). Depuis octobre 2007, il existerait des fichiers croisés sur les différentes caisses. « C’est pour ça qu’on parle de harcèlement : on n’est pas dans la chasse aux fraudeurs, on est dans l’épuisement des pauvres », résume Geneviève Petauton.

Quand une caisse d’allocations réclame 22.000 euros à un retraité

En mars 2007, une loi votée dans le cadre de la loi DALO tendait pourtant à protéger le statut d’ancien migrant. Appuyée par Jean-Louis Borloo alors ministre de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, elle prévoit une allocation de réinsertion familiale et sociale. « La loi disait : une personne qui touche l’Aspa, on va lui donner la moitié et on n’exige pas qu’elle réside ici en France », lance Ali Elbaz. Sauf que la loi est restée lettre morte. Malgré ses insuffisances et ses exigences, le collectif de défense des Chibanis revendique son application. « C’est un minimum. Ce qu’on demande, c’est que les droits soient liés à la personne et non au lieu de résidence. »

Car le zèle des administrations n’est pas sans conséquences. Avec des loyers dans les foyers autour de 400 euros et une retraite à 500 euros, beaucoup ne peuvent plus payer. D’autant qu’ils ont des charges de familles. « Dans un foyer d’Argenteuil, sur une centaine de personnes, 30 ont quitté définitivement la France. Ils n’ont plus droit à l’ASPA, l’APL, ils ne peuvent plus payer la somme. Ce sont des "auto-expulsions" », relate Ali Elbaz de l’ATMF. Pour Geneviève Petauton, c’est une façon de dire à ces migrants « barrez-vous ! ». « Les vieux gars, ils en chialent. » « Que dire de ce monsieur à qui une caisse de Toulouse réclame 22.000 euros ? », interpelle le collectif Justice et Égalité pour les Chibani-a-s.

Petite retraite et travail au noir

Comment expliquer que des personnes qui ont travaillé si longtemps en France aient une si petite retraite ? Ces anciens migrants sont loin des quarante et une annuités de cotisation. Leur mobilité au travail rend difficile la justification de toutes leurs embauches. C’est ce qui est arrivé à Ali : «  J’ai fait pas mal de boulots dans la pâtisserie, dans le bâtiment. J’ai travaillé en Corse quand je suis arrivé en France. Quand la caisse de retraite m’a envoyé mon historique, il manquait une dizaine d’années... Alors il faut que je cherche des justificatifs, que je n’ai pas parce que j’ai beaucoup bougé. » D’autres se sont retrouvés en marge du marché du travail. « Dans les années 1980, les grandes entreprises ont été obligées de "dégraisser". Les gens sont partis chez des patrons peu scrupuleux, ou travailler au noir », analyse le coordinateur de Association des travailleurs Maghrébins de France.

Avoir travaillé au noir, voilà le tort des Chibanis. La situation est courante dans l’agriculture : ce n’est qu’une fois à la retraite qu’ils s’aperçoivent que leur patron n’a pas cotisé. Ceux présents dans les «  grosses tôles » s’en sortent mieux et ont des fiches de paye, or beaucoup d’Algériens ont trimé sur des petits chantiers. « C’est vrai qu’il y a de la fraude. Mais le travail au noir, voilà la fraude la plus importante », ironise Geneviève Petauton. Selon une étude de la Mission d’Évaluation des comptes de la Sécurité sociale, la fraude sociale s’élèverait à près de 20 milliards d’euros. Et les allocataires fraudeurs représentent la part pharamineuse de 1%, soit 200 millions d’euros ! 80% de cette fraude est liée aux cotisations patronales. Soit presque 16 milliards d’euros, que les employeurs volent par le travail dissimulé. L’Urssaf va-t-elle aussi obliger les patrons à rembourser le manque à gagner ?

Ludo Simbille


Canard enchaîné du 7 avril 2011

A l’aïeul du client

Article Canard Vieux migrants

AGES de plus de 65 ans, ils vivent tous
dans une folle opulence : pensionnaires
du plus important foyer ex-Sonacotra de
Toulouse (197 résidants), qui leur sert
aujourd’hui de maison de retraite, ils
habitent seuls depuis des décennies dans
de somptueuses piaules de 10 m2. Et
perçoivent une coquette retraiteinférieure
au seuil de pauvreté(908eurosparmois),
qu’ils partagent avec la famille restée au
pays. Du coup, ces vieux immigrés ont
droit à des allocations complémentaires
de retraite ou de logement.Exemple pour
Mohamed Mehdi, 74 ans : 636 euros de
retraite, plus 303 euros au titre de
l’allocation solidarité pour les personnes
âgées, et 177 euros d’allocations
logement, royalement versés pendant dix
ans. Mais du jour au lendemain on lui
supprime ces deux dernières allocations
et on lui demande de rembourser 23 000
euros ! Idem pour une quinzaine d’autres
nababs... lesquels ont fini par s’énerver.
Et par occuper,le 15 mars dernier, les
locaux de la Cram, la caisse régionale
d’assurance-maladie de Midi-Pyrénées.

Quel
terrible abus leur vaut ce
redressement ? « Pour toucher ces aides,
ils doivent justifier de 6 à 8 mois de
présence en France
,explique la direction
de la caisse régionale. En faisant des
allers-retours dans leur pays d’origine,
ils n’ont pas respecté les procédures
. »
Sacrilège ! Sauf que, pour connaître les
entrées et sorties du territoire, la Cram a
photocopié les pages des passeports des
petits vieux. Et d’après Anne du
Quellennec, juriste à la Halde, «  ce type
de méthodes a une portée discriminatoire

 » . N’empêche que les retraités n’ont pas
tout compris à l’histoire. « Je suis arrivé
en France en 1952. J’ai passé toute ma
vie à travailler, dans le bâtiment,sur les
routes, dans les carrières. Quand je suis
revenu d’Algérie où j’allais voir la
famille, ils m’ont dit de passe rà la Cram
avec tous les papiers. Et maintenant ils
me demandent 23 000 euros. Je préfère
rentrer en prison que payer ça
 » , affirme
Mohamed Mehdi

En tout cas les contrôles ont été efficaces
 : sept retraités ont plié définitivement
bagage. Restent les autres,qui ont eu un
coup de sang en allant demander des
explications à la Cram. Bien leur en a
pris : après deux heures d’occupation,
toutes les procédures de redressement ont
été suspendues pour trois mois, et les
dossiers vont être réexaminés au cas par
cas. « C’est bien la preuve qu’on a du
coeur »
, avance la direction de la caisse.
Du coeur à l’ouvrage...
Car, depuis quelques mois, de Paris à
Marseille en passant par Lyon, Dijon et
Toulouse,les contrôles et redressements
se multiplient dans les foyers de vieux
migrants...

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