Une tribune pour les luttes

Rebellyon

Lectures de printemps pour l’été :
des indigné.e.s, des démocraties à faire et à parfaire,
des révolutionnaires armé.e.s et le règne de la terreur...

Article mis en ligne le vendredi 22 juillet 2011

http://rebellyon.info/Lectures-de-printemps-pour-l-ete.html

Publié le 11 juillet

Il sera question de deux textes venant plus ou moins de Grenoble, l’un trouvé par hasard, parce que présenté comme un texte inspirateur des mouvements populaires du « printemps arabe » : Gene SHARP et son livre « DE LA DICTATURE À LA DÉMOCRATIE », l’autre sur un sujet, assez différent et intéressant, le règne de la terreur, ne sera utilisé que pour les deux dernières de ses 33 pages et est écrit par le collectif Pièces et Main d’Oeuvre. Il sera question d’action collective, de défiance et d’intervention politique, de violence et de non-violence.

Le livre de Gene SHARP décrit les les étapes suc­ces­si­ve­ment réus­sies d’ins­tau­ra­tion de la démo­cra­tie à la place de la vile dic­ta­ture en place. L’ouvrage se veut sché­ma­ti­que, prag­ma­ti­que et effi­cient, il parle dans un style digne d’un guide d’ingé­nie­rie sociale, avec le voca­bu­laire-type sorti d’un cours de lan­gage hyp­no­ti­que pour énarques ou ven­deur de chez Darty. Tout ça en fait une sorte de « Révolution paci­fi­que pour les nuls » qui se fout roya­le­ment du dis­cours poli­ti­que ou de sa jus­ti­fi­ca­tion, et s’abs­tient de juge­ment de valeur.

de la Dictature à la Démocratie (et vice-versa)

Il part seu­le­ment du pos­tu­lat qu’il est juste d’œuvrer pour la Démocratie, qui repré­sente le Bien (but ultime à attein­dre), sans cher­cher à la défi­nir (ça me rap­pelle un petit peu les débats ici sur démo­cra­tie réelle main­te­nant : qu’est-ce qu’illes veu­lent ces foutu.e.s jeunes comme démo­cra­tie ??) ou lui trou­ver des carac­té­ris­ti­ques indis­pen­sa­bles. Il y a de l’autre côté la dic­ta­ture, qui est le Mal, et doit être abat­tue et rem­pla­cée par la pre­mière, un point, c’est tout. Le guide est fait pour ça.

C’est donc très pra­ti­que car dans ce schéma, tout gou­verné peut se consi­dé­rer comme un Juste et recher­cher plus de Démocratie, jusqu’à ce qu’il esti­mera être la démo­cra­tie idéale (qui n’arri­vera jamais). Idem pour la Dictature, chacun pourra se consi­dé­rer plus ou moins en dic­ta­ture sous n’importe quel gou­ver­ne­ment dit repré­sen­ta­tif ou non, de n’importe quel Etat, de par leurs natu­res dans ce monde.

Après cette obser­va­tion, ce guide paraît donc plutôt un guide de com­por­te­ment quo­ti­dien pour tout peuple qui aspire à aug­men­ter son contrôle et sa res­pon­sa­bi­lité sur sa vie et sur sa ou ses com­mu­nau­tés. Mais pour cela, il faut avoir recours à l’action col­lec­tive, c’est-à-dire faire peuple, plus ou moins aidé dans le livre par les «  stra­tè­ges » de la Révolution et autres orga­ni­sa­teu­reu­ses, pour pou­voir s’enga­ger sur le chemin tracé par le livre. Et ce chemin qui, en seconde lec­ture vise à mettre tou­jours plus de démo­cra­tie dans la dic­ta­ture étatique, est sans fin (pas de per­fec­tion en ce bas-monde s’il vous plaît !). Les moyens pro­po­sés sont col­lec­tifs, ce sont la défiance, la non-coo­pé­ra­tion, la pro­tes­ta­tion, et l’inter­ven­tion non-vio­lente. Ils doi­vent entrer dans le cadre d’une stra­té­gie glo­bale visant le but ultime : la Démocratie. Ils doi­vent aussi être col­lec­tifs, ce qui pose pro­blème en ces temps de repli indi­vi­duel géné­ra­lisé et tech­no­lo­gisé...

violence et non-violence

L’autre flou artis­ti­que du livre, hors de la démo­cra­tie, est la ques­tion de la vio­lence. Elle est accep­tée comme un recours pos­si­ble, mais consi­dé­rée la plu­part du temps comme contre-pro­duc­tive et for­cé­ment déri­soire face aux moyens d’un Etat dic­ta­to­rial (point sur lequel PMO abonde). La notion de vio­lence n’est cepen­dant pas expli­ci­tée et peut donc être com­prise (si on le sou­haite) comme tout ce qui ne blesse per­sonne direc­te­ment ou indi­rec­te­ment, et on peut donc y inclure pour notre plus grand plai­sir, des pro­tes­ta­tions et inter­ven­tions telles que sabo­tage, démon­tage, dégra­da­tions, des­truc­tion en tous genres, tout en res­tant ferme contre la lutte armée comme moyen effi­cace pour rem­pla­cer une dic­ta­ture par une démo­cra­tie «  réelle » et « dura­ble » (désolé pour les gros mots).

la Terreur du Futur

Ce rejet de la vio­lence, tuer, bles­ser ou s’en pren­dre direc­te­ment et phy­si­que­ment à une per­sonne m’amène au second texte que je me per­mets de recom­man­der ici, comme un com­plé­ment d’argu­men­ta­tion contre la vio­lence comme ter­rain d’affron­te­ment avec l’Etat et la Dictature.

Cette bro­chure, «  Le Comitatus ou l’inven­tion de la ter­reur », publiée sur leur site inter­net est assez consé­quente et en même temps conden­sée. Elle évoque les dif­fé­rents pro­cé­dés pra­ti­ques uti­li­sés par l’Etat et son «  noyau dur », l’appa­reil mili­taire, à tra­vers les témoi­gna­ges des acteurs inter­nes. « Il faut pour régner des yeux, des oreilles et des mains ». Une fois posées des remar­ques géné­ra­les comme « Dans l’ensem­ble, la ter­reur a réussi à la domi­na­tion et écrasé l’émancipation. (…) L’his­toire de la révo­lu­tion est un mons­trueux mar­ty­ro­loge que com­mé­more et reconduit le mili­tant », et la per­ma­nence his­to­ri­que de la ter­reur d’Etat, le texte conte l’avè­ne­ment de sa ver­sion moderne en France. Particulièrement, c’est son per­fec­tion­ne­ment dans la guerre d’Algérie – qui fera ensuite école à tra­vers le monde – qui cons­ti­tue le corps prin­ci­pal du texte, bien qu’ensuite soient évoquées d’autres « guer­res asy­mé­tri­ques » et gué­rillas, la ques­tion tech­no­lo­gi­que («  Nul sacri­fice humain, si déme­suré soit-il, ne suffit à vain­cre la supé­rio­rité tech­no­lo­gi­que ») et enfin la conti­nua­tion de ces tech­ni­ques appli­quées à la « guerre au ter­ro­risme ». N’étant ni his­to­rien ni spé­cia­le­ment savant en la matière, je ne sau­rais juger de la scien­ti­fi­que exac­ti­tude his­to­ri­que des faits ana­ly­sés ni celle des conclu­sions tirées, le sujet et la lec­ture sont pas­sion­nants et le style d’écriture, qui n’épargne pas les coups par­ti­cipe gran­de­ment à l’inté­rêt de la lec­ture.

La perle, qui vaut la pré­sence ici de ce texte écrit en jan­vier 2008 en est la conclu­sion, sèche, qui esquisse une évolution pos­si­ble de la pro­chaine répres­sion d’une nou­velle frac­tion armée ou cons­pi­ra­tion des cel­lu­les de feu, qui en vien­drait à être res­sen­tie comme mena­çante par l’Etat, et non comme jus­ti­fi­ca­tif pra­ti­que à un contrôle crois­sant. Une pros­pec­tive par simple extra­po­la­tion qui, drôle dans le récit, est plutôt ter­ro­ri­sante dans ses pers­pec­ti­ves et aide­rait à refroi­dir ceux qui n’ont pas été convain­cus par le livre de recet­tes pré­cé­dent. Elle com­mence ainsi : « Supposons main­te­nant qu’un comité ima­gi­naire (…) se dis­pose à la lutte armée. Nos wan­nabe insur­gés, d’ailleurs connus, infil­trés, suivis des ser­vi­ces com­pé­tents, tien­nent des conci­lia­bu­les dans leurs Zones d’Autonomie Temporaires et autres qui­lom­bos. Ils chu­cho­tent sur le net et de capu­che à capu­che qu’ils pas­sent dans la clan­des­ti­nité, orga­ni­sent des stages de karaté et publient leur mani­feste, « Vers la guerre civile ». »...

Ce petit duo à mon sens est donc, si ce n’est une réponse, au moins une base de dis­cus­sion inté­res­sante, face aux enthou­sias­tes de la dyna­mite et de la gâchette : ce sont la carotte et le bâton pour les impa­tient.e.s qui, comme je l’ai lu une fois sur ce site, « croient pou­voir empor­ter d’un coup la société dans le sillage de leur colère des­truc­trice » (approxi­ma­ti­ve­ment, de mémoire). Certes, cet arti­cle peut paraî­tre tem­péré, voire modéré, peut-être même cen­triste ten­dance Mouvement Démocrate MODEM, mais je nie l’accu­sa­tion, au contraire je trouve qu’en étirant bien la fenê­tre de vue et d’action pro­po­sée par Gene SHARP et en cadrant dans le res­pect de l’inté­grité phy­si­que des per­son­nes pour essayer de ne pas se retrou­ver dans la situa­tion anti­ci­pée par PMO, il y a là une richesse de moyens à la dis­po­si­tion des peu­ples/grou­pes/com­mu­nau­tés pour lutter en faveur de leur auto­dé­ter­mi­na­tion.

Livres (en pdf) :

Gene SHARP, « DE LA DICTATURE À LA DÉMOCRATIE, Un cadre concep­tuel pour la libé­ra­tion », 2003, Institution Albert Einstein, Traduit de l’amé­ri­cain par Dora Atger en 2009, Texte publié à l’ini­tia­tive de l’École de la Paix de Grenoble. Diffusion libre, dispo à www.aein­stein.org.

Pièces et Main d’Oeuvre, « Le Comitatus ou l’inven­tion de la ter­reur », Grenoble, 12 jan­vier 2008, Diffusion libre, dispo parmi d’autres à www.pie­ce­set­main­doeu­vre.com.

P.-S.

Documents joints

*

PMO_-_Terreur

Le Comitatus ou l’invention de la terreur. (PDF – 473.7 ko)

Par Pièces et Main d’Oeuvre, 28 janvier 2008.

*

SHARP_-_de_la_dictature_a_la_democratie

De la dictature a la democratie (PDF – 404 ko)

par Gene SHARP, 2003

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