Une tribune pour les luttes

Islamophobie : Sanctionner les femmes qui portent la burqa ne les libérera pas,

par Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
+ RAPPORT Racisme en Europe de l’ECRI (Commission Européenne contre le racisme et l’intolérance)

Article mis en ligne le mercredi 20 juillet 2011

20 juillet 2011

L’islamophobie et les préjugés à l’encontre des musulmans continuent de miner l’esprit de tolérance en Europe. Le débat sur l’interdiction de la burqa et du niqab dans les lieux publics en est l’un des symptômes. Avec la nouvelle loi qui entrera en vigueur en Belgique le samedi 23 juillet, les femmes qui portent ce type de vêtements seront passibles d’une amende et d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à sept jours.

En avril de cette année, la France a été le premier pays d’Europe à interdire le voile intégral, toute personne portant le niqab ou la burqa en public devant désormais s’acquitter d’une amende de 150 euros et/ou suivre un « stage de citoyenneté ». Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, une trentaine de femmes ont été verbalisées ou poursuivies.

Des voix fortes s’élèvent pour exiger le même type d’approche dans des pays comme l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suisse. Dans le nord de l’Italie, une vieille loi anti-terroriste (sic !) qui interdit, pour des raisons de sécurité, de se couvrir complètement le visage a même été utilisée par certaines collectivités locales contre des femmes qui portaient le voile intégral.

Contraire aux normes européennes des droits de l’homme

L’un des principaux arguments avancés est que la pénalisation serait dans le meilleur intérêt du petit nombre de femmes qui portent le voile intégral en Europe. Cette interdiction les aiderait à se libérer. Pourtant, aucun élément tangible ne conforte vraiment ces assertions.

Il est au contraire plus probable que ces lois – très clairement dirigées contre les adeptes d’une religion – stigmatiseront encore davantage ces femmes et les couperont encore plus de l’ensemble de la société. À interdire l’accès d’établissements publics comme les hôpitaux ou les administrations gouvernementales aux femmes qui portent la burqa ou le niqab, le risque est qu’elles finissent par s’exclure complètement de ces lieux. Ce n’est pas ce qu’on peut appeler une libération.

Selon un rapport des Fondations pour une société ouverte, depuis que le débat sur le voile a commencé en France, 30 des 32 femmes interviewées pour ce rapport ont été victimes d’agressions verbales, voire aussi physiques dans certains cas. En conséquence, elles ont préféré limiter le temps passé hors de chez elles.

Concrètement, il se pourrait fort bien que cette interdiction constitue une violation des normes européennes des droits de l’homme et en particulier du droit au respect de la vie privée et de l’identité personnelle. En principe, l’Etat devrait s’abstenir de légiférer sur la manière dont les gens s’habillent.

Toutefois, certaines situations exigent que l’on montre son visage à des fins de sécurité ou d’identification nécessaire lorsqu’il en va de l’intérêt supérieur de la collectivité. Nul ne le conteste et aucun incident sérieux n’a été signalé à ce sujet en ce qui concerne les rares femmes qui portent habituellement la burqa ou le niqab.

Une tentative de diversion des problèmes plus profonds

Nous nous indignons, à juste titre, contre les régimes qui imposent le port du voile intégral aux femmes ; cette attitude tyrannique est en effet totalement inacceptable. Mais ce n’est pas en s’en prenant aux femmes et en les sanctionnant qu’on résoudra le problème.

Faire, comme on l’a fait, des pratiques vestimentaires d’un petit nombre de femmes un problème central nécessitant d’urgence débats et initiatives législatives, c’est tristement capituler face aux préjugés des xénophobes. Ce n’est certainement pas en adoptant leur rhétorique et leurs positions qu’on pourra les combattre.

Les débats sur la burqa et le niqab ont fait diversion en détournant l’attention des problèmes beaucoup plus profonds que posent les tensions et les fossés entre les cultures. Au lieu d’encourager ce discours malencontreux, les responsables politiques et les gouvernements feraient mieux de lutter plus énergiquement contre les crimes de haine et la discrimination à l’encontre des minorités.

Thomas Hammarberg

http://commissioner.cws.coe.int/tik...


RAPPORT Racisme en Europe : Le racisme pourrait s’installer durablement si les Etats ne prennent pas les mesures qui s’imposent (ECRI, 16 juin 2011) - Commission Européenne contre le racisme et l’intolérance

Communiqué de presse – 16.06.2011

Strasbourg, 16.06.2011 – Le racisme et l’intolérance s’enracinent dans les sociétés européennes à mesure que la crise économique donne du poids aux messages extrémistes, met en garde aujourd’hui l’organe chef de file de la lutte contre le racisme en Europe.

La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), qui suit la situation de chacun de 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, indique dans son dernier rapport annuel que le racisme n’est plus un phénomène marginal. Les principaux responsables politiques utilisent de plus en plus des arguments xénophobes et antimusulmans et réclament des référendums ciblant les non-ressortissants et les minorités religieuses. Selon le rapport, «  les moyens juridiques ne semblent pas suffire à contrer cette tendance. Il faut aller plus loin ».

Le rapport - qui étudie les grandes tendances observées en 2010 en matière de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie, d’antisémitisme et d’intolérance en Europe – retient certains "événements déplorables”, survenus en début et fin d’année, qui concernent « des nombreuses victimes parmi les migrants d’Afrique sub-saharienne » et « des affrontements interethniques fomentés par des ultranationalistes ». Il appelle les forces de l’ordre à donner une réponse ferme aux infractions à motivation raciste.

Le rapport salue le fait que la très grande majorité des Etats sanctionne aujourd’hui pénalement « le discours de haine ». Néanmoins, il estime que les autorités doivent appliquer la loi de façon plus rigoureuse et sensibiliser davantage les victimes potentielles aux droits qui sont les leurs. Le rapport encourage aussi « un débat vigoureux sur les questions sous-jacentes ».

Il appelle l’attention sur la vague montante d’antitsiganisme, « l’un des problèmes les plus graves auxquels l’Europe se trouve confrontée aujourd’hui » et apprécie les initiatives visant à améliorer la qualité de vie des communautés roms.

Soulignant la crainte de voir les attaques contre le multiculturalisme conduire à des sociétés fragmentées, le rapport appelle les gouvernements à intensifier leurs efforts pour promouvoir le dialogue interculturel. Selon le rapport, « la réponse au débat actuel sur le multiculturalisme est le respecte rigoureux d’un ensemble commun de principes, en particulier la non-discrimination et la tolérance ».

Le président de l’ECRI, Nils Muiznieks, a soutenu le rapport en appelant les gouvernements à agir dès maintenant pour enrayer la montée du racisme. « Les études menées par l’ECRI dans l’ensemble des pays européens font apparaître une augmentation préoccupante du racisme. Il est nécessaire que les gouvernements aient conscience de cette menace, s’emploient à renforcer la législation et les institutions de lutte contre la discrimination et fassent clairement savoir que la xénophobie ne saurait, à aucun moment, être tolérée dans la société moderne », a indiqué le président.

L’intégralité du rapport est disponible ici

Pour en savoir plus sur l’ECRI : http://www.coe.int/ecri

Les rapports pays par pays :
http://www.coe.int/t/dghl/monitorin...

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