Une tribune pour les luttes

Les Économistes Atterrés

Le calvaire enduré par la Grèce est exemplaire à plus d’un titre.
Plusieurs enseignements peuvent en être tirés.

"Note atterrée sur la Grèce"
par Benjamin Coriat et Christopher Lantenois

Article mis en ligne le mercredi 20 juillet 2011

15 Juillet 201

www.atterres.org

Note_Atterre_e_Gre_ce_Juillet_2011

"L’imbroglio grec

La dette souveraine grecque prise au piège de la zone euro"

par Benjamin Coriat et Christopher Lantenois


Fin de la "Note atterrée sur la Grèce" :

Le calvaire enduré par la Grèce est exemplaire à plus d’un titre.
Plusieurs enseignements peuvent en être tirés.

1. D’abord sont frappantes l’impréparation totale des
autorités de l’UE et l’ampleur des défaillances dans la
construction institutionnelle de la zone euro.

Au moment de la survenue de la crise, avec les premières attaques
spéculatives sur les titres grecs, l’UE est longtemps restée sans
réponse. Aggravant par son silence – et pire encore par l’expression
de dissensions majeures entre certains des acteurs majeurs qui la
constituent – l’ampleur de la crise.

Lorsqu’enfin l’UE s’est saisie du dossier, ce fut pour réaliser que non
seulement rien n’était prévu pour contrer des attaques spéculatives
contre les titres portant sur une partie de sa monnaie, mais de
surcroît que le Traité interdisait toute action concertée (« no bail out »
clause). Les pages du Traité à peine séchées, il fallait en convenir et
revoir la copie imposée aux peuples d’Europe, y compris à ceux qui,
comme en France l’avaient rejeté par référendum. C’est aux
défenseurs du Traité qu’il est donc revenu en toute hâte de concevoir
ce fameux «  plan B », dont durant la campagne référendaire on nous
expliquait qu’il n’y en avait aucun de possible.

Bien sûr on a toujours tort d’avoir raison trop tôt. Mais il ne fallait pas
être grand clerc pour pointer les défaillances multiples d’un Traité
taillé sur mesure pour les marchés financiers. Il reste que, comme la
crise le montre, ce n’est plus seulement d’un plan B que l’Europe a
besoin, c’est de A à Z que la conception de la zone euro doit être
repensée, si du moins l’on veut assurer sa pérennité.


2. Le plan lui-même : une stratégie du choc ?

Il convient d’abord de rappeler combien l’indigence des principes
sous-tendant le plan concocté par la Troïka est consternante.
Comme on l’a rappelé, tout est traité comme s’il s’agissait d’un
problème de finances publiques. Et qu’il ne s’agissait que de faire
saigner la bête, tout en coupant drastiquement dans les dépenses.
Aucune leçon sur ce que livre la crise grecque sur la manière dont la
zone euro s’est mise dans la main des marchés, n’a été tirée. Pas
plus d’ailleurs que n’ont été tirées les leçons de l’explosion en vol du
modèle de la finance globale dérégulée, qui a jeté à bas l’économie
mondiale en 2007-2009.

Au-delà, on ne peut qu’être frappé par un paradoxe. Alors que la
crise est d’abord et avant tout celle de la finance dérégulée, que les
dettes publiques elles-mêmes n’auraient ni connu cette ampleur, ni
été attaquées comme elles l’ont été sans la prégnance des marchés
financiers, le traitement de la crise, non seulement ne revient sur rien
des causes réelles, mais au contraire accroît encore le pouvoir des
marchés financiers. Cette fois en mettant les finances publiques sous
leur contrôle strict dans le seul but de garantir le paiement des
créanciers.

Mais s’agit-il vraiment d’un paradoxe ? Tout se passe en effet comme
si les autorités qui nous gouvernent n’avaient rien appris de la crise.
Et après avoir annoncé quelques mesures cosmétiques, elles
n’avaient d’autre objectif que de reprendre leur course sur le même
chemin, comme si rien ne paraissait plus urgent et important que de
poursuivre la marche en avant de la finance. La mise sous tutelle des
budgets publics que prévoient les dispositions sur le semestre, le
Pacte pour l’euro - venant compléter et encadrer des plans de
restructuration des budgets et des finances publiques [43] - affirme ainsi
une claire volonté de poursuivre dans cette voie même qui a conduit
au chaos 2007-2009 [44].

Last but not least, il est essentiel de rappeler que comme la suite l’a
montré, le plan était non seulement injuste et impraticable, mais aussi et surtout qu’il était bâti sur une contradiction essentielle : car
cherchant à augmenter le solde budgétaire, il installait la récession et
provoquait la chute des recettes fiscales. Comme beaucoup l’avait
alors annoncé, il ne pouvait qu’échouer.

Le plus stupéfiant est que le deuxième plan d’aide à la Grèce qui se
concocte aujourd’hui poursuit dans cette ligne exacte.
Avec en prime,
à travers les privatisations et les plans de « réformes structurelles »
qui prennent une ampleur inégalée, une forte accélération de la
marche forcée vers la libéralisation totale de l’économie imposée au
pays. Comme si délibérément on appliquait là une « stratégie du
choc
 ». Profiter de la crise pour imposer des mesures qui sans elle,
n’auraient jamais pu être imposées.

Pourtant chacun le sait, le nouveau plan ne pourra au mieux que
permettre de gagner du temps. Pour que la Grèce puisse faire face à
sa dette (si elle n’est pas restructurée), des estimations effectuées
récemment soutiennent qu’il faut qu’elle dégage un excédent
budgétaire «  primaire » de 6% par an pendant de nombreuses
années. Même si ce fardeau est surestimé par ces analyses, il se
présente, évidemment, comme totalement hors de portée. Qu’on le
veuille ou non, d’autres solutions que celles appliquées aujourd’hui
par la Troïka doivent être imaginées et mises en œuvre.

Dans cette voie alternative de la restructuration de la dette grecque,
faire payer aux banques créditrices privées une partie du fardeau, est
un moment obligé. Mais cette restructuration elle-même n’a de
chance d’aboutir que si l’UE résolument s’écarte de la domination
qu’exercent aujourd’hui les marchés financiers. Sur ce point nous ne
pouvons ici que réitérer les analyses et les propositions du Manifeste,
comme du dernier ouvrage des Economistes Atterrés. Le moins que
l’on puisse dire, est que les évolutions actuelles n’ont pas fait perdre
de leur pertinence à ces propositions.

Il faudra cependant aller plus loin encore. Car, et ce sera notre
dernier mot, il faut garder à l’esprit que la descente aux enfers de la
Grèce reste fondamentalement liée à son impossibilité d’assumer sa
position en Europe avec le niveau actuel de l’euro. Les asymétries de
compétitivité ne se sont pas réduites au cours du temps. Avec
l’appréciation de l’euro elles se sont au contraire creusées. Si l’on
veut conserver l’UE et la zone euro, la mise en place de mécanismes
visant à la réduction de ces asymétries est indispensable. D’une
manière ou d’une autre, il faudra revenir à des budgets de type
« fonds structurels » permettant aux pays les moins dotés de la zone
de bénéficier d’aides communautaires pour leur permettre d’entrer
dans de nouvelles trajectoires. Les bricolages actuels ne peuvent
permettre que de gagner du temps. Si celui-ci n’est pas mis à profit
pour concevoir et implémenter un nouveau départ pour l’Europe, à
n’en pas douter, rapidement les mêmes questions qui se posent
aujourd’hui à propos de la Grèce resurgiront, ici ou là au sein des
pays membres de la zone euro, telles qu’en elles-mêmes...

Post Scriptum

L’accord du 21 Juillet : Un trompe l’œil qui marque
une nouvelle avancée des marchés financiers.

A l’heure de mettre en ligne cette note, l’accord du 21 Juillet sur le
refinancement de la dette grecque est à la une de la presse. De
nouveau, et au moins pour la troisième fois (après l’annonce de la
création du FESF et celle de MES) on entend les hourra des
européistes. Accord historique ! On vous l’avait bien dit : c’est au
pied du mur qu’on voit le maçon !! ... etc...

De quoi s’agit-il ?

L’annonce du 21 Juillet qui conclut le sommet consacré à la Grèce et
à la zone euro est en effet importante. Il s’agit d’une nouvelle étape
de la crise financière et d’un nouvel ensemble de mesures prises par
l’UE pour tenter d’y faire face. Trois remarques sont essentielles

1.
Sur un point clé, la BCE a dû manger son chapeau. En dépit de
ses menaces et déclarations, la dette grecque est restructurée. Et
profondément comme on le verra. Il aura donc fallu plusieurs mois et
frôler la catastrophe pour que la BCE admette l’évidence. La dette
grecque et le régime qui a été imposé à ce pays, sont insoutenables.
Imperturbable, en dépit de toutes ses déclarations passées, la BCE
déclare cependant à l’issue du sommet que la restructuration
annoncée ne constituera pas « un évènement de crédit » ! Et qu’en
tout état de cause, elle se prépare à faire face ! On verra plus bas,
que la BCE n’a pas tout perdu dans le nouvel accord, et qu’elle a ses
propres motifs de satisfaction

2.
Le contenu de la restructuration, est moins clair qu’on ne le
prétend. Deux points sont acquis
- Un nouveau prêt de la Troïka à la Grèce est mis en place
L’aide publique se montera à 109 milliards d’euros (qui viennent
s’ajouter aux 41 milliards d’euros prévus au titre de 2010 et non
encore débloqués). De plus, les taux d’intérêt sont abaissés (autour
de 3,5%) et la maturité des dettes anciennes comme futures est
allongée. La dette est restructurée mais il n’y a pas d’abandons de
créances.
- Il y aura bien participation du secteur privé. Une demande
insistante de l’Allemagne sur laquelle la Troïka s’est finalement
alignée.

Mais sur le contenu de cette participation les choses sont beaucoup
moins claires. Fait hautement significatif, le lobby bancaire (400
créanciers représentés par Baudoin Prot, PDG de BNP Paribas,
Joseph Ackerman, président de la Deutsche Bank, et un représentant
de l’Institut de la Finance Internationale) était présent à Bruxelles et a
négocié pied à pied la participation des banques. Sur tous les points
celles-ci ont eu gain de cause. D’abord la participation restera
«  volontaire » (l’idée d’une taxe sur les banques proposée par la
France a fait long feu). Ensuite le lobby a obtenu que les créanciers
puissent choisir entre plusieurs solutions : soit en maintenant leurs
engagements mais en reprenant des titres de même maturité, soit en
refinançant la Grèce avec des titres de maturité plus longue, soit
enfin en vendant des obligations grecques avec une décote. L’Institut
de la Finance Internationale (le cœur du lobby) a déjà indiqué sa
préférence : il entend privilégier pour les créanciers bancaires un
échange des titres qui viennent à échéance jusqu’à 2020 contre le
rachat de nouvelles obligations à trente ans à condition qu’elles
soient garanties par les titres européens les mieux notés. Comme le
note Martine Orange « ceci revient à un transfert du risque du
secteur privé vers le public. Car c’est l’Europe qui se porte garante en
dernier ressort
 » (Médiapart du 22 juillet)

3.
Enfin, dernière annonce : le FESF est appelé à voir ses
compétences élargies. Il serait autorisé (tout cela doit validé par les
instances nationales et communautaires de l’UE) :
- à procéder à des prêts et/ou à la recapitalisation de banques ;
- à racheter de la dette sur le marché secondaire, venant ici
relayer la BCE à qui ce rôle était jusqu’ici réservé. Le FESF
constituerait ainsi un canal supplémentaire permettant aux créanciers
privés de se défaire de titres de dette publique qu’ils détiennent
Ce dernier point est essentiel. Il constitue tout à la fois une victoire de
la BCE qui ne souhaitait plus jouer ce rôle et une énorme avancée
pour les marchés financiers, qui en échange d’une participation
« volontaire » trouvent ici un deuxième canal pour transférer vers le
public (le FESF) de la dette privée jugée risquée.

Au total, le résultat est bien que la dette grecque est allégée. Pour
autant on ne peut considérer que le problème grec est résolu. Plus
que jamais le pays est incité à appliquer les multiples plans
d’austérité qui lui ont été imposés. L’heure est toujours à l’austérité
tant en Grèce que partout ailleurs en Europe. Et rien ne garantit dans
ces conditions que les dettes des pays européens pourront être
acquittées. Ce d’autant qu’on a pris soin de déclarer que ce qui a été
fait pour la Grèce, ne le sera ni pour l’Irlande, ni pour le Portugal ...
La zone euro est donc toujours en suspens. Du temps a été gagné,
les problèmes de fond ne sont pas traités.

Dernière remarque : force est de constater que les dispositions
arrêtées au cours du dernier sommet constituent de nouvelles
avancées pour les marchés financiers
 : après s’être assuré le
contrôle des budgets publics à travers le FMI et les plans de la
Troïka, les voici grâce à un FESF relooké, disposer d’un instrument
de défausse de la dette risquée qu’ils détiennent. Ceci ajouté au fait
que les nouveaux bons à maturité plus longue, ne seront émis (ou
échangés contre les bons existant) par les créanciers que s’ils sont
garantis sur des obligations AAA, laisse penser que la contribution
«  volontaire » du secteur privé a su trouver de bien belles
contreparties !

On l’aura compris, en dépit des cris de victoires claironnés de
partout, on est loin des solutions soutenables attendues. Aucune des
questions de fonds léguées par la crise financière et sa
transformation en crise des dettes publiques n’a pour l’heure été
véritablement traitée. Dans ces conditions la zone euro reste et
restera une zone de tempêtes.

BC, CL,

le 23 Juillet

[43]
Que ces plans soient directement imposés par la main visible de la Troïka comme
en Irlande, en Grèce ou au Portugal, ou par les mains « invisibles » des marchés
comme dans la plupart des autres pays de la zone euro, qui vivent sous la terreur de
voir dégrader la note attribuée à leurs dettes souveraines par les agences de
notation, dont comme chacun le sait, la clairvoyance et l’intelligence se sont
affirmées à plein pendant toute la période qui a précédé la venue de la crise

[44]
Sur ce point voir « 20 ans d’aveuglement... »

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