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Rapport « Les Marseillais musulmans »

+ "Remettre en cause le mythe d’une Marseille fraternelle provoque souvent des réactions violentes » Par Julien VINZENT

Article mis en ligne le dimanche 25 septembre 2011

Rapport « Les Marseillais musulmans »

Avec les liens :http://www.marsactu.fr/2011/09/23/r...

« Remettre en cause le mythe d’une Marseille fraternelle provoque souvent des réactions violentes »

Par Julien VINZENT

le 23 septembre 2011

Une « étude de cours élémentaire » de 315 pages, vous avez déjà vu cela ? La Provence oui, après avoir lu (?) Les Marseillais musulmans, réalisée par Françoise Lorcerie et Vincent Geisser, chercheurs à l’Institut sur le monde arabe et musulman (université Aix-Marseille) sur commande de l’Open Society Foundation, créée par le financier américain Georges Soros. Ce qui permet au passage de dévaloriser le travail dès le titre : «  la très étrange étude d’un milliardaire », comme si c’est le spéculateur qui a mis la livre a genoux en 1992 qui avait planché dessus…

La charge se poursuit avec la citation de phrases («  Les musulmans de Marseille se sentent abandonnés par leur ville » par exemple) dont on ne sait pas trop si elles viennent d’Internet où elles «  tournent depuis hier (…) alimentant des sites et des blogs dans toutes les langues » selon le quotidien ou du rapport lui-même. En tout cas on ne les y a pas trouvées.

Mais l’argument clé pour discréditer ce travail, qui fait partie d’une série prévue dans onze villes européennes, est un « substrat scientifique » mince. « Pour asséner de telles vérités, on imagine qu’ils ont dû recouper les statistiques, composer des panels, visiter les moquées, solliciter les associations, éplucher les politiques, analyser les discours… Rien de tout ça », prétend l’article. Qui réduit l’exercice à « ce que les journalistes appellent un « micro-trottoir », sorte de mini-sondage récréatif sans aucune portée scientifique ».

Le « panel » donnant lieu aux « statistiques » est pourtant décrit : « 100 Marseillais se déclarant musulmans et 100 autres se déclarant non-musulmans » dans le 3e arrondissement de Marseille. Quant aux mosquées, associations, politiques, discours, ils ont été étudiés et rencontrés via des «  groupes de discussion » et des «  entretiens avec des autorités locales », comme le précise par la suite La Provence. Ou comment se contredire à quelques lignes d’intervalles… Et la liste des personnes rencontrées (voir en fin d’article) ne relève pas non plus de l’enquête baclée…

Après avoir découvert sommairement le contenu de l’étude – qui après une brève (quelques dizaines de pages…) histoire des migrations à Marseille et des relations de la ville avec ses immigrés analyse, avec 55 tableaux et des centaines de citations à l’appui – le ressenti des musulmans sur leur identité, leur intégration, leur accès à l’éducation, l’emploi, le logement, leur avis sur la sécurité, leur pratique et leurs attentes en matière de citoyenneté, leur consommation de médias et le discours de ces derniers sur eux – puis parcouru plus attentivement les quatre pages de «  conclusion et recommandations », on rêve de voir un jour un minot de CE1 rédiger un tel rapport… A noter que La Marseillaise en a elle livré un compte-rendu assez sobre.

(...)

Après cette longue introduction, la parole à un des auteurs, Vincent Geisser, joint ce matin au Liban :

Marsactu : quelle est votre réaction à cette descente en flammes ?

Vincent Geisser : sans vouloir rentrer dans un polémique avec La Provence, c’est malheureusement une réaction que j’ai souvent observée à Marseille dans un certain milieu : le déni de réalité. Dès que l’on remet on cause le mythe d’une Marseille fraternelle, sorte de carnaval multiculturel avec l’OM, on provoque une réaction violente. Mais derrière la fraternité, il y a dans cette ville de vraies fractures sociales. Après, peut-être la journaliste Sophie Manelli a-t-elle mal compris certaines choses, mais pour en arriver à une telle violence, c’est qu’elle a dû ressentir elle même une violence : «  ils sont en train de tuer mon Marseille ».

La scientificité de votre étude est mise en cause…

On peut critiquer la méthodologie stricto-sensu de l’Open Society, qui nous a été imposée, et je suis assez critique sur l’histoire des 100/100. Mais 80% de la substance scientifique vient de notre expérience de chercheurs, d’entretiens, de connaissance des acteurs : quand j’écris sur les élus marseillais, je m’appuie mes recherches depuis 15 ans, sur l’éducation c’est tout le travail de Françoise Lorcerie depuis 20 ans…

« Marseille, qu’on croyait multiculturelle et plutôt accueillante est en fait une ville « divisée et xénophobe », résume l’article. Est-ce vraiment votre conclusion ?

Je ne nie pas les premiers aspects, d’ailleurs je ne suis pas Aixois (comme souligné à plusieurs reprises… ndlr), je vis à Marseille depuis des années, j’adore cette ville. Mais aimer ne veut pas dire ne pas critiquer. C’est là où on passe à un autre registre et où je trouve le compte-rendu malhonnête. Sur la police, qui serait «  imprégnée de pratiques coloniales » on dit le contraire : que l’on n’est plus dans la logique des années 70. Idem pour la question des «  élus issus de l’immigration » (sur lesquels l’article lui reproche d’avoir fait l’impasse, ndlr). On y consacre tout un chapitre ! Je travaille sur cette question depuis 20 ans, avec des discussions avec Myriam Salah-Eddine, Karim Zeribi, Nassurdine Haidari, qui d’ailleurs n’ont pas la même vision. Je critique en revanche dans le rapport non pas une discrimination flagrante mais que l’on voie encore ces personnalités comme «  élus à titre » maghrébin, comorien etc.

Mais concrètement, en quoi « musulman » est-il un critère pertinent. Ne voyez-vous pas une discrimination alors qu’ils sont peut-être plus souvent dans des situations socio-économiques difficiles ?

Il y a tout de même une islamisation des questions sociales dans la façon dont les politiques regardent certains Marseillais. Et quand on parlait il y a quelques années de « Casbah » (à propos des quartiers Belsunce/Noailles, ndlr) ou d‘  »invasion musulmane sur la Canebière » quand des supporters sortaient les drapeaux algériens… C’est du foot ! Le dit-on à ceux qui supportent l’équipe d’Italie ? Ce sont des Marseillais qui aspirent à devenir comme tout le monde, en quête de reconnaissance de leur citoyenneté et que l’on renvoie à leurs communautés. Cela dit je trouve que contrairement à l’Open Society, on ne peut pas raisonner en terme de « minorité musulmane ». Ils sont moins musulmans que d’origine maghrébine ou commorienne ou perçue comme telle. Et les musulmans ségrégés sont d’abord des pauvres ségrégés. Les facteurs religieux, culturels, sociaux et économiques se combinent étroitement. Reste que la ségrégation socio-ethnique est beaucoup plus marquée à Marseille qu’ailleurs où l’on observe l’émergence d’une classe moyenne.

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