Une tribune pour les luttes

Rebellyon-info

« Surdité judiciaire ».

Témoignage sur quelques audiences du vendredi 23 septembre 2011.

Article mis en ligne le dimanche 25 septembre 2011

Chroniques sur Cour

Publié le 25 septembre

http://rebellyon.info/Chroniques-sur-Cour.html

J’entre cet après-midi au tri­bu­nal. Passage du por­ti­que pour détec­ter les métaux (armes…) que je serais sus­cep­ti­ble de trans­por­ter, et qui l’autre jour n’a pas détecté l’énorme mous­que­ton qui était accro­ché à mon jean. Oublié là. L’un des flics qui envi­ronne la machine l’aper­çoit : « tiens, il est passé ? ». Je regarde et m’excuse, sin­cè­re­ment : «  ah oui, j’avais oublié ce mous­que­ton… ».
A force, les têtes revien­nent, et venir obser­ver ce qui se passe en ce lieu, où les audien­ces sont en théo­rie publi­ques, et en pra­ti­que se dérou­lent devant des salles quasi-vides sauf excep­tion, revient assez vite à deve­nir une tête connue, et reconnue.
« On reconnaît les habi­tué.e.s », me com­mente d’ailleurs l’un des flics de l’entrée, voyant passer le mous­que­ton, que je n’ai pas oublié, cette fois-ci, d’ôter de ma cein­ture pour l’accro­cher au sac que je leur tends. Puis il me tient infor­mée, comme il a repéré mon inté­rêt pour les audien­ces, de celles qui res­tent à se tenir aujourd’hui… et me com­mente au pas­sage : « c’est ins­truc­tif, hein ? ».

Si je vais deman­der le pro­gramme à l’accueil géné­ral du TGI (Tribunal de Grande Instance) à l’avance, bien que les audien­ces soient publi­ques, l’agent d’accueil va assez vite s’inter­ro­ger, et me deman­der : « vous êtes jour­na­liste ? ». Ou étudiante, peut-être.
Vas pour étudiante.
Au pro­gramme, je lis : abus de ses fonc­tions par un dépo­si­taire de l’auto­rité publi­que, escro­que­rie, fraude au RMI.
C’est dans quelle salle, cette cham­bre-là ? On me donne la salle.

M’y voici donc, après vous avoir signalé que suivre avec régu­la­rité les audien­ces fera de vous une tête connue de tou.te.s ces tra­vailleurs.euses (en uni­forme ou non) du TGI, que ce soit pour le meilleur, ou pour le pire à vous de voir.

Je vais rendre compte de la fraude au RMI, parce que le dérou­le­ment de cette audience m’a tout sim­ple­ment cho­quée. C’est fré­quent, de rece­voir de tels chocs, en venant ici regar­der. Les com­pa­ru­tions immé­dia­tes sont un choc per­ma­nent. Choc par­fois des faits vio­lents repro­chés aux pré­venu.e.s. Choc très sou­vent vio­lent des maniè­res de Cour, vis à vis de ces jeunes hommes qui pas­sent là, sou­vent pas pour la pre­mière fois, comme pour­sui­vis par leur casier judi­ciaire … à moins que ce ne soient eux qui le pour­sui­vent, ce satané casier, par maso­chisme ? Mais je ne com­prends pas grand chose, à partir de mon par­cours, au leur, alors j’ai du mal à rendre compte de ces audien­ces.
J’aurais peur de faire du mau­vais jour­na­lisme, genre scoop du pro­grès, alors je me tais.
Dans l’ordre d’impor­tance, outra­ges et rebel­lions envers flics, petits ou moins petits tra­fics d’herbe, de chi­chon et autres stu­pé­fiants (mais très sou­vent on reste dans le can­na­bis), et, enfin, vio­len­ces phy­si­ques, envers une conjointe ou des inconnu.e.s dans la rue.
Bref. Voilà l’inti­tulé des « dos­siers » de ceux qui défi­lent en salle G.

A la tri­bune cet après midi, comme tous les après-midi, trois juges, au centre : le pré­si­dent, un homme, et puis les deux autres, au moins une femme ce jour-là, mais ils.elles sont tel­le­ment silen­cieux.euses, comme d’habi­tude aussi, hors le pré­si­dent, que je n’ai même pas fait gaffe. D’un côté, le gref­fier ou la gref­fière. De l’autre, le pro­cu­reur. On n’est pas en salle G, mais dans une cham­bre cor­rec­tion­nelle qui juge en dif­féré, nor­male, donc pas les « com­pa­ru­tions immé­dia­tes ».
Dans la salle, située un niveau en-des­sous de cette tri­bune, s’avance le pré­venu du moment, sommé de venir à la barre : un type qui tient debout comme il peut, sapé comme un pauvre, pas avec la rolex quoi. Ni même avec le cos­tume qui dis­tin­gue.
Les faits, rap­pe­lés par le juge : la CAF a fait une enquête, que l’avo­cate de cette ins­ti­tu­tion qua­li­fiera de « minu­tieuse ». Cela lui a permis de décou­vrir que Monsieur habi­tait à la même adresse que Madame, avec qui il est tou­jours marié.
Or, le RMI, allo­ca­tion encore exis­tante à la date des faits incri­mi­nés, était une allo­ca­tion dif­fé­ren­tielle : si t’as un bout d’jardin, ça peut t’être déduit du RMI, parce que tu y fais pous­ser des légu­mes qui vont servir à ta soupe, donc tu auras un budget nour­ri­ture moin­dre. Le RMI, c’est fait pour ta survie, pas pour ta vie.
Voilà le cadre est planté.

En l’occur­rence, si tu vis avec Madame, elle aussi dépen­dante de la CAF, vous devez per­ce­voir le «  RMI couple », et pas un RMI entier chacun.e ! Car vivre à deux mutua­lise et réduit cer­tains frais. Un RMI entier chacun.e ? _ Non mais vous rêvez, manants !!
C’est mani­fes­te­ment quel­que chose comme cela qui est mis en cause là, mais je ne com­prends pas avec cer­ti­tude si c’est exac­te­ment le RMI couple le pro­blème. En tout cas, Monsieur est soup­çonné d’avoir «  fraudé le RMI car en réa­lité, il habite en commun avec sa femme » : c’est énoncé exac­te­ment ainsi par le pré­si­dent.

Président qui com­mence à poser ses ques­tions. Mais là, sur­prise, le pré­venu répond sim­ple­ment : «  HEIN ? », bien fort, de l’air de celui qui vou­drait enten­dre, mais ne le peut.
Le pré­si­dent, per­plexe, et sou­dain ner­veux, se tourne vers la, jeune, avo­cate du pré­venu : «  il est malen­ten­dant », pré­cise celle-ci. L’aga­ce­ment du pré­si­dent monte alors d’un cran : «  ça va être dif­fi­cile, alors ». Puis, d’un ton ouver­te­ment mépri­sant : «  il va fal­loir un inter­prète en langue des signes ? ».
Le pré­venu ne parle pro­ba­ble­ment pas la langue des signes… l’avo­cate pré­cise qu’il est appa­reillé et peut enten­dre, mais qu’il faut parler fort : « moi-même, avec lui, je fais atten­tion de parler fort pour qu’il puisse m’enten­dre ».
L’avo­cate est calme et dit cela du ton neutre de la cons­ta­ta­tion, et du conseil.
Le pré­si­dent, lui, par­lera tout le long d’un ton mépri­sant, ner­veux, qui ne fera que croî­tre.

Il tente d’abord de parler fort, mais le pré­venu conti­nue de lui répon­dre : « Hein ? », « com­ment ? », et puis « excu­sez-moi »…
Le pré­si­dent : « Bon. On va aller vite sur cette affaire, je sens ». Et réi­tère : « Il faut lui parler en langue des signes ? », d’un ton que je per­çois comme très mépri­sant pour ladite langue des signes, qui est pour­tant une langue très riche et qu’il pour­rait être inté­res­sant pour un magis­trat, comme pour chacun.e de nous d’ailleurs, d’appren­dre…
Le pré­venu, lui, demande s’il peut se placer devant la barre, plus près de la tri­bune, car là il pour­rait enten­dre.
Le pré­si­dent fait remar­quer, un chouilla sar­cas­ti­que : « Il a l’air d’avoir besoin de pren­dre appui sur la barre pour tenir debout… ».
Je reste stu­pé­faite devant tant de vio­len­ces sous mes yeux. Qui me rap­pel­lent d’autres vio­len­ces, vues ailleurs. Atténuées.
Genre ce tour en kayak de mer, où mes voi­si­nes de cham­bre d’auberge de jeu­nesse, sour­des, sont ins­cri­tes en même temps que moi : « Ca ne vous dérange pas ? » me demande le moni­teur, à moi, la per­sonne « nor­male »…
heu­reu­se­ment qu’elles n’enten­dent pas. Et moi, je suis ravie de leur com­pa­gnie, on se fait plein de signes dans la cham­bre, elles sont trop mar­ran­tes et sympa avec moi.
Le pré­venu, lui, prend ce mépris avec calme.
Il faut bien une minute avant qu’un homme en robe noire avec orne­men­ta­tions blan­ches, pré­sent dans la salle pour une affaire sui­vante, mis pro­ba­ble­ment dans le même état que moi par la scène, se lève muni d’une des chai­ses du pour­tour, et pro­pose, la dépo­sant devant la barre : « on peut peut-être mettre une chaise… ».
Le pré­si­dent bou­gonne : « Oui mais il ne me verra pas, ça sera trop bas, là ». Mais au moins il vous enten­drait … pensé-je, en mon for inté­rieur. Mais je ne dis rien, parce que je n’oublie pas que le pré­si­dent peut jeter ses fou­dres judi­ciai­res sur le – maigre - public pré­sent, s’il « se com­porte mal », notion dont il est libre appré­cia­teur.

Au final, la chaise est posi­tion­née de manière à conci­lier les inté­rêts du malen­ten­dant, et ceux du pré­si­dent qui tient à voir.
Néanmoins, l’appa­reillage s’avère d’effi­ca­cité aléa­toire, si bien que par­fois, le pré­venu conti­nue de devoir répon­dre «  Hein ? », sus­ci­tant les mêmes répli­ques du pré­si­dent (« on va faire court », etc). Et une en plus, adres­sée à l’avo­cate : « Non mais il est appa­reillé ou pas, à la fin ? ». Et puis par­fois : « C’EST INSUPPORTABLE ! ».
Qu’est-ce qui est insup­por­ta­ble ? Le pouilleux, là, juste en face, trop près ? _ La dif­fi­culté du dia­lo­gue lorsqu’il faut s’adap­ter pour se faire enten­dre ? Je ne sais : le magis­trat ne déve­loppe pas.
Le res­pect concret des droits de la défense, quand on est malen­ten­dant et qu’on n’a, peut-être, pas les moyens finan­ciers de faire adap­ter son appa­reil aux évolutions de son ouïe, c’est dif­fi­cile ce jour-là.
Derrière moi, sur le banc, j’entends un avocat d’âge mur chu­cho­ter ses conseils à son client bien habillé : «  le juge est énervé, il va fal­loir être concis ».

Sur les faits, le pré­venu expli­que sa situa­tion, parle de son bailleur, dont il affirme qu’il a laissé un témoi­gnage dans le dos­sier … le pré­si­dent cher­che, mais il n’y a pas de témoi­gnage de cette per­sonne «  droite », fiable en somme, aux yeux du pré­venu, laissé bien seul, par consé­quent, dans cette affaire.
C’est donc la même adresse, mais il y a deux «  mai­sons » bien sépa­rées, il n’habite pas en commun avec sa femme. Il est revenu habi­ter là quand son fils est parti, parce qu’il faut quelqu’un pour s’occu­per de sa femme, lour­de­ment han­di­ca­pée (à plus de 70%). Avant, c’était le fils qui s’occu­pait d’elle. Mais ils n’habi­tent pas une maison com­mune.
Le pré­si­dent, puis l’avo­cate de la CAF, ques­tion­nent et remar­quent : étrange, cet abon­ne­ment EDF commun aux « deux mai­sons », et l’assu­rance com­mune, aussi. Ne par­lons pas de l’unique numéro de télé­phone, ni de l’adresse mail qui s’avère la même pour Monsieur et pour Madame. Au final, cela res­sem­ble fort à un couple qui fait sim­ple­ment «  cham­bre à part ». Qu’a à répon­dre mon­sieur ?
« Hein ? »
Le pré­si­dent : «  c’est insup­por­ta­ble ! ». Le pré­venu répond comme il peut, quand il entend, mais ce qu’il dit en toute hon­nê­teté ne fait que l’enfon­cer aux yeux de la Cour, c’est visi­ble. Je pense, sans rien pou­voir y faire de ma place : il va mor­fler lui.
Pour cou­ron­ner le tout, le bail est oral. Le pro­cu­reur fait remar­quer que dans l’his­toire, c’est tout de même le bailleur qui pro­fite, pas étonnant ajoute-il, que son témoi­gnage soit absent…

L’avo­cate du pré­venu parle enfin. Seul moment de véri­ta­ble défense du pré­venu : le comp­teur EDF, ben oui il est commun. Ils ont demandé à EDF, mais les tra­vaux pour faire des comp­teurs sépa­rés étaient pro­hi­bi­tifs, donc ils ont fait avec, et paient chacun leur partie de la fac­ture, pro­ra­ti­sée entre eux, et non en commun. L’assu­rance loge­ment, c’est pareil : ils ont demandé à sépa­rer, mais on leur a dit non, donc ils pro­ra­ti­sent. Le loyer, ben oui, c’est tantôt Madame, tantôt Monsieur, qui le paie, mais glo­ba­le­ment sur le temps, ça s’équilibre, ils paient chacun un loyer. Quant au télé­phone, Monsieur n’en a pas, même pas de por­ta­ble, et c’est cou­rant de faire domi­ci­lier son télé­phone chez quelqu’un d’autre en ce cas. Enfin, l’adresse mail, ben oui, c’est le même pro­blème : Monsieur n’a pas d’ordi­na­teur, mais la CAF fait tout par mail main­te­nant … alors Monsieur doit passer par une adresse mail pour ses rela­tions avec la CAF, c’est obli­ga­toire ! Comment peut-il faire ? Ben il a demandé à sa femme et voi­sine.
Enfin, aux obser­va­tions, tein­tées peut-être d’ironie, de la Cour, sur le thème « vous ne pouvez pas habi­ter de façon indé­pen­dante dans le lieu que vous décri­vez comme auto­nome, car il est petit, n’a pas d’équipements sani­tai­res ni de chauf­fage auto­nome, donc il n’est de toute manière pas loua­ble léga­le­ment en tant que loge­ment d’habi­ta­tion », l’avo­cate répond que Monsieur est libre de vivre dans un local où il fait 3°, chauffé par un poêle à bois et avec toi­let­tes exté­rieu­res s’il veut. Elle ajoute que la loca­tion de cham­bres de bonnes dans de telles confi­gu­ra­tions, à Paris, est cou­rante, mais ne choque per­sonne… et, clou de l’argu­men­taire, remar­que que concer­nant les APL, la CAF en paie deux, bien dif­fé­ren­ciées, au bailleur, et donc qu’elle reconnaît elle-même, concer­nant les APL, là ça l’a pas gênée, qu’il existe deux loge­ments sépa­rés à la même adresse.

Une fois tout ceci dit, la Cour passe à l’affaire sui­vante, comme c’est de cou­tume : déli­bé­ra­tions et ver­dict en fin d’après-midi pour tout le monde. L’affaire sui­vante ? L’homme, retraité, qui pré­sente bien, plein de pres­tance, blanc (tout comme le pré­cé­dent), en cos­tume choisi. Son avocat, même âge, même pres­tance, dans sa robe noire qu’il fait vire­vol­ter avec habi­tude et expé­rience.
Le pré­venu est l’ancien maire d’une com­mune. Il l’a été long­temps, plus de 10 ans. Il est inculpé ici pour prise illé­gale d’inté­rêts dans un projet immo­bi­lier. Suivent les détails tech­ni­ques, examen des plans. Je n’y com­prends pas grand chose. Eux, la Cour et les avo­cats, ont l’air de com­pren­dre, et l’un d’entre eux com­mente jus­te­ment : « c’est un dos­sier tech­ni­que ». Ton du cons­tat, pas mépri­sant. Presque inté­ressé. Le pré­si­dent est calme main­te­nant, ques­tionne sur un ton normal un pré­venu grand, bien habillé et ne lui répon­dant pas par ces lamen­ta­bles et insup­por­ta­bles « hein ? ».
Le pré­venu reconnaît qu’il a fauté, mais lui et son avocat expli­quent les cir­cons­tan­ces, le contexte : il a eu des pro­blè­mes fami­liaux, plus un cancer, à ce moment. Ca fait beau­coup vous savez. Au pas­sage, la Cour et le Procureur font obser­ver, une ou deux fois : «  ces actes sont d’autant plus graves qu’ils ont été commis par un dépo­si­taire de l’auto­rité publi­que ». Mais sans appuyer d’un ton écrasant.
On apprend au pas­sage que Monsieur, fati­gué de tout ce qu’il a vécu ici (son cancer, sa famille, et puis ses déboi­res qui l’amè­nent là aujourd’hui) est parti à Madagascar, où, dit-il : vous savez, là-bas, on est plus libre de faire ce qu’on veut, y’a pas tant d’empê­che­ments, de pape­ras­ses, etc. Le pré­si­dent relève d’une ques­tion tout de même un peu agacée : «  c’est à dire ? ». Et obtient plus de détails, qui moi me ren­dent le per­son­nage peu sym­pa­thi­que, genre « en gros, je suis allé à Madagascar parce que là-bas, je ne pour­rais pas être inculpé pour ce genre de choses ». Du moins, c’est ainsi que je per­çois ses dires.
Autant je com­prends l’atti­tude du RMIste, autant celle de cet homme bien habillé qui cher­che à nous api­toyer sur son cancer qui jus­ti­fie­rait pres­que ses prises d’inté­rêt illé­ga­les m’est … insup­por­ta­ble ?
Mais heu­reu­se­ment pour lui, ce n’est pas moi, là, à la tri­bune.

Après envi­ron trois quart d’heure de déli­bé­ra­tions, le jury rend ses ver­dicts. Très rapi­de­ment. Si rapi­de­ment, que je loupe le pre­mier : celui concer­nant l’homme bien habillé. Rentré, sitôt res­sorti avec son avocat cepen­dant que moi je rentre. Je les entends com­men­ter, l’air assez satis­faits : « tant d’euros d’amende, ça va, c’est pas mal ». J’arrive pour le ver­dict concer­nant le RMIste, qui, ça ne fait aucun doute, va res­sor­tir avec l’air d’un insecte impi­toya­ble­ment écrasé. J’entends : des mois de prison avec sursis, et puis ensuite, le pré­si­dent ajoute quel­que chose comme 6000 euros d’amende. J’ai pas noté. C’est resté comme ça dans ma mémoire. Comme une image de choc. Vu d’où je vois, des bancs du public, il y a tant d’images de choc. Celle-ci n’en est qu’une parmi d’autres.
Comme prévu, je vois, cepen­dant que je sors moi aussi, le type là, sur sa béquille. L’air imper­cep­ti­ble­ment ébréché. Comment va-t-il payer ?

Ce type-là, je com­pre­nais son monde, moi : j’ai été dans la dèche, j’ai par­ti­cipé au mou­ve­ment des chô­meurs.euses de 1998 … j’ai connu plein de gens avec des par­cours comme lui, des pro­blè­mes comme lui, des débrouilles comme lui … je sais ce que c’est. Je sais qu’il a fait comme il a pu pour pou­voir sur­vi­vre, en aidant sa femme très han­di­ca­pée, tout en étant lui avec son appa­reil cafouilleux, et sa béquille pour tenir debout.
Pour le pré­si­dent, était-ce ce monde-là, dans lequel il n’a jamais vécu, qui était si « insup­por­ta­ble » ? Peuplé de « faux chô­meurs » et « d’assis­tés » tel.le.s que dépeint.e.s par Wauquiez, un autre homme blanc, valide et bien habillé ?
Moi, c’est le monde du maire bien habillé, qui m’est étranger et peu sup­por­ta­ble.

Et, tou­jours est-il, c’est au nom du peuple, de fait absent de la salle, que cette jus­tice-là s’exerce et se rend chaque jour.

C’étaient juste des audien­ces de rou­tine. Rien d’extra­or­di­naire. Juste l’ordi­naire.

En 1998, on avait fait une per­ma­nence heb­do­ma­daire devant la CAF, nous le Collectif des chô­meurs.euses, pré­cai­res et soli­dai­res en Révolte contre l’Injustice (CRI), et on obte­nait qu’elle paie à l’heure les RMIstes et autres allo­ca­tai­res qui venaient nous voir : on lui impo­sait de régler les situa­tions « au gui­chet, devant tout le monde ». Et quel­les situa­tions ! Quand la CAF paie le RMI ou l’API en retard, c’est impré­vi­si­ble. C’est une mère qui n’a plus de quoi ache­ter du lait en poudre pour son gône en bas âge. Des gens tenant à un fil et le fil se rompt. Interdits ban­cai­res et la CAF, en plus, ne veut leur payer leur dû que sur compte ban­caire … l’urgence, nous on le dit au gui­chet, c’est qu’ils puis­sent dis­po­ser de cet argent là tout de suite. Genre pour ache­ter le lait en poudre pour bébé, et les cou­ches, ce soir. Pas bloqué sur un compte où ils sont inter­dits ban­cai­res par la faute de la CAF. Alors on obtient des paie­ments en cash, au gui­chet, excep­tion­nel.
Nous n’avions alors jamais eu à nous sou­cier de pro­cé­du­res au pénal, sinon nous aurions monté des actions également en cette direc­tion.

C’était en 1998, nous sommes en 2011. Autres temps, autres mœurs ?

Voilà, c’était la chro­ni­que de Cour de ce jour. A votre tour pour les sui­van­tes, si vous le sou­hai­tez, en atten­dant la pro­chaine de ma part …

Retour en haut de la page

Soutenir Mille Bâbords

Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !

Thèmes liés à l'article

France c'est aussi ...

0 | ... | 520 | 525 | 530 | 535 | 540 | 545 | 550 | 555 | 560 | 565