Une tribune pour les luttes

Tireurs présumés, condamnés sans aucune preuve à la suite des révoltes du 25 novembre 2007 à des peines allant de 3 à 15 ans de prison,

procès en appel des cinq habitants de Villiers-le-Bel

du 4 au 21 octobre
Comptes-rendus d’audiences.
Les plaidoiries des avocats de la défense ont dénoncé un dossier à charge monté sous la pression du chef de l’Etat.
Deux acquittés, mais les peines de deux des inculpés sans preuve sont toujours aussi lourdes...
+ Police en crise contre jeunesse sans avenir Thomas Sauvadet, sociologue à l’université Paris VIII.

Article mis en ligne le lundi 24 octobre 2011

Lakamy (photo de droite) et Mohsin (photo de gauche) tués dans la collision peut-être volontaire entre leur moto et une voiture de police le 25 novembre 2007.


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Police en crise contre jeunesse sans avenir

24/10/2011

Les révoltes émeutières d’octobre/novembre 2005 ont une dimension historique. Il faut remonter à mai 68 pour trouver de tels affrontements entre des civils et des policiers, de Strasbourg à Rouen, de Lille à Toulouse. Ces révoltés de l’automne 2005, comme ceux du printemps 1968 (mais plus vite et plus fort), se sont réveillés avec la gueule de bois.

On pensait alors que le sang-froid des policiers (aucun mort durant la répression des émeutes), les quelques annonces politiques à caractère social (montée en puissance des thématiques de la « diversité », de la « discrimination positive » et de la « rénovation urbaine »), ainsi que le renforcement des moyens répressifs avaient eu raison des émeutiers de la révolte.

Le pillage du capitalisme sauvage industriel et surtout financier restait dans l’ombre (jusqu’en 2008) ; entre le sport et les faits divers la lumière médiatique éclairait à intervalle régulier des quartiers populaires « pacifiés » afin d’expliquer que « tout n’allait pas si mal ». Il y avait simplement une minorité de nuisibles face à une majorité de braves gens. Les banlieusards colorés, pauvres et méritants étaient invités à défiler devant les micros pour témoigner de leur foi dans les valeurs de la « République », de « l’Ecole » et du « Marché ».

C’est alors qu’arrivent les drames de Villiers-le-Bel, le décès de Lakhamy, celui de Moushin, suivis de nouvelles violences. Très vite, ces révoltes émeutières suscitent une grande inquiétude pour les acteurs du conflit comme pour leurs spectateurs. Deux ans après l’automne 2005, on entend des tirs de fusils à plomb (pas d’armes à feu mais des armes à air comprimé), qui entraîneront le procès rocambolesque que nous avons suivi (témoignage sous X, témoins rémunérés, rétractation de témoin, témoin à charge qui s’avère être un indicateur de la brigade des stupéfiants, version contradictoire des témoins de l’accusation…).

Un niveau a été franchi dans la surenchère entre un système inégalitaire et répressif et une jeunesse «  sous-prolétarisée » et « américanisée » (bien qu’une partie se soit tournée vers la Mecque). Les «  émeutiers » de 2007 connaissent les sanctions judiciaires très lourdes prononcées à l’encontre des «  pyromanes » de 2005. La peur est là, la rage aussi. Les policiers, dont les nerfs avaient déjà été mis à rude épreuve en 2005, revivent leur cauchemar, avec cette fois la crainte d’être blessés par des tirs de fusils à plomb.

De leur côté, les autorités politiques craignent la « contagion » de 2005 (environ 300 communes avaient été concernées). Comme des «  docteurs », elles savent quelle médecine appliquer : la surenchère, la force, pour étouffer dans l’œuf. Devant les caméras, des moyens militaires sont employés (commandos, véhicules blindés, drone, tireurs d’élite, hélicoptères…), comme cela se répétera dans un quartier populaire et sous-prolétaire de Grenoble en 2010. L’impact est avant tout psychologique. Le message est passé.

Les enfants du quartier (et les adultes) sont traumatisés, une poignée de psychologues est chargée de régler le problème. A quand le prochain épisode ? Que va inventer cette jeunesse sans avenir et radicalisée ? Et surtout, que vont inventer les garants d’un « ordre mondial » devenu complètement fou ?

La vraie Justice dans ce procès comme dans les autres qui suivront, au-delà de l’innocence ou de la culpabilité des uns et des autres, serait de reconnaître et d’arrêter la folie de l’évolution capitaliste. Dans le cas contraire nous contemplerons encore les drames d’une jeunesse sans avenir et d’une police au bord de la crise de nerfs. Nous ne ferons pas que les contempler au 20 heures, nous en souffrirons directement dans l’espace public. En ayant peur, à juste titre parfois, de ces bandes de jeunes hommes sous-prolétaires ; en ayant peur, parfois à juste titre, des ces brigades de policiers. D’un côté comme de l’autre, on nous sommera de choisir un camp. Pendant ce temps-là, qui arrêtera et jugera les banquiers et leurs actionnaires majoritaires ?

La relaxe pure et simple des policiers impliqués dans le carambolage qui coûta la vie à Moushin et Lakhamy confirmerait l’absence de justice aux yeux d’une bonne partie de la population des quartiers populaires. La liste des policiers acquittés est longue. L’acquittement semble être la règle. Les soutiens et les familles de Moushin et Lakhamy ont lancé des appels au calme et ont fait le pari de la justice des tribunaux, comme l’avaient fait avant eux les soutiens et les familles de Zyed et Bouna, fin octobre 2005. Qu’arrivera-t-il demain lorsqu’une énième relaxe entraînera la fin de cette espérance de justice ?

Thomas Sauvadet, sociologue à l’université Paris VIII. Auteur du Capital guerrier : Solidarité et concurrence entre jeunes de cité, Paris, Armand Colin (collection “Sociétales” dirigée par François de Singly), octobre 2006


Deux acquittés au procès en appel de Villiers-le-Bel

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21/10/2011

Après trois semaines de procès, la cour d’assises d’appel des Hauts-de-Seine (à Nanterre) a rendu son verdict ce vendredi : 15 ans de prison pour Abderhamane Kamara, 12 ans pour Adama Kamara et 3 ans pour Ibrahima Sow. Samuel Lambalamba et Maka Kanté sont acquittés. Quatre accusés étaient soupçonnés d’avoir tiré sur des policiers lors des émeutes de Villiers-le-Bel, en novembre 2007, le cinquième, Samuel Lambalamba, de complicité.

Le président Jean-Pierre Getti prend la parole après dix heures de délibération. Un cri de joie jaillit du banc des familles, mais très vite, les pleurs et les cris de la famille Kamara couvrent la joie des libérations. Pour les deux frères Kamara, les peines sont identiques à celles prononcées en première instance. Ils encaissent en silence. L’aîné, Abderhamane dit « Abou », serre dans ses bras Ibrahima Sow, qui va être libéré après la réduction de sa peine de neuf à trois ans, couverts par la détention provisoire.

Accusé de complicité, Samuel Lambalamba est acquitté, tout comme Maka Kanté contre qui seul le port d’arme avait été retenu en première instance. Tous les deux avaient été condamnés à trois ans de prison. Ils pourront demander une indemnisation pour le temps passé en détention.

Environ 200 personnes, parties civiles d’une part, familles et amis des accusés de l’autre, s’étaient rassemblées dans la salle des pas perdus en attendant le verdict. Trop nombreux, tout le monde ne peut pas rentrer dans la salle d’audience minuscule. Dès que des proches des accusés en sortent pour annoncer les peines prononcées, la foule fond en larmes et en cris, partagée entre le soulagement pour les deux acquittés et la tristesse pour les frères Kamara. Un membre de leur famille laisse exploser sa colère, alors que des proches tentent de le consoler : « Vous pensez que quinze piges c’est rien ou quoi ? Pourquoi il n’y a que les Kamara qui ne sortent pas ? » « Ils ont payé pour leur nom, parce que c’était les plus connus de la cité », estime un de leurs amis.

« Arrêtez de filmer la douleur des gens », lance un jeune homme à un cameraman qui tourne à quelques centimètres des visages. Quelques coups font voler deux caméras, suivis d’une légère bousculade entre des gens agacés par l’attitude des journalistes télé et ceux qui veulent maintenir un certain calme. Une haie de CRS avance doucement pour vider les lieux sans incidents supplémentaires.

Devant le tribunal de Nanterre, des petites tensions subsistent et l’émotion domine. Effondrée, la mère d’Abderhamane et Adama Kamara est assise sur le trottoir, entourée d’attentions. Dès sa sortie du tribunal, l’avocat de ses fils, Morad Falek, s’agenouille pour la réconforter et lui dire que le combat judiciaire n’était pas encore terminé. Les avocats des familles peinent à maintenir l’espoir avec la perspective d’un pourvoi en cassation. Un peu plus loin, un proche de Maka Kanté esquisse un sourire en posant à terre un sac avec quelques affaires, au cas où il retournerait en prison : «  je l’avais préparé pour rien ».

David Doucet et Camille Polloni


La cour d’assises des Hauts-de-Seine, qui rejugeait en appel les tireurs présumés des émeutes de Villiers-le-Bel en 2007, a condamné vendredi trois des accusés à des peines de 3 à 15 ans de réclusion et prononcé deux acquittements.

Lors du premier procès en juin 2010, les quatre tireurs présumés avaient écopé de peines de 3 à 15 ans de prison pour avoir ouvert le feu sur les forces de l’ordre lors des soirées d’émeutes des 25 et 26 novembre 2007 qui avaient suivi le décès accidentel de deux adolescents.

L’un des trois jeunes condamnés à une peine de prison est désormais libre, puisqu’il a d’ores et déjà purgé ses trois années de réclusion. Seuls les deux frères Kamara, âgés de 30 ans, resteront en prison. Adama Kamara a été condamné à douze ans de prison, tandis que son demi-frère, Abderhamane, a pris quinze ans.

"Justice a été faite d’un côté mais de l’autre côté justice n’a pas été rendue. On crie, on crie et on criera toujours parce qu’il y a de l’autre côté nos frères qui ont pris des peines très lourdes", a déclaré un des acquittés, Maka Kanté, reparti libre du tribunal de Nanterre.


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La défense dénonce un procès politique

21/10/2011

«  Ce procès est d’abord un procès politique », fulmine Me Arapian, avocat d’Ibrahima Sow. Dès les premières plaidoiries de la défense jeudi, le ton est donné. A tour de rôle, les avocats des cinq tireurs présumés vont plaider l’acquittement en défendant la thèse d’une « manipulation politique ».

Au cours de sa plaidoirie, la jeune avocate Gaëlle Dumont qui défend Maka Kanté rappelle à la cour, le discours qu’avait prononcé Nicolas Sarkozy le 29 novembre 2007 sous l’arche de la Défense devant un parterre de 2000 policiers et gendarmes.
« Ce qui s’est passé à Villiers-le-Bel n’a rien à avoir avec une crise sociale, ça a tout à voir avec la voyoucratie. Tout sera mis en œuvre pour retrouver [les tireurs]. Mettez les moyens que vous voulez (…), ça ne peut pas rester impuni, c’est une priorité absolue. »

« Combien de têtes ne seraient pas tombées si on avait pas trouvé cinq coupables ? » s’interroge Me Dumont qui estime que «  ce dossier a été entouré de pressions incroyables ».

La construction d’une culpabilité

Au cours de sa plaidoirie, le conseil de Maka Kanté évoque une «  enquête bâclée » et la « construction d’une culpabilité ». Son confrère Me Arapian défendant Ibrahima Sow estime lui aussi que «  Sarkozy voulait absolument des coupables et on s’est servi de tous les moyens pour les lui donner ».

«  En première instance, on aurait pu plaider en faisant le poirier, ils auraient été de toute manière été condamnés », s’agace Morad Falek. Et pour mieux justifier cette nécessité d’un bouc-émissaire, l’avocat d’Abderhamane Kamara rappelle les propos tenus à la sortie du verdict par Brice Hortefeux alors ministre de l’Intérieur.
«  C’est un signal fort adressé aux délinquants. On ne tire pas impunément sur les forces de sécurité, […] la puissance publique finit par gagner ».

Conscient des lacunes de son dossier (absence de preuves matérielles, rétractation de certains témoins clés…), l’avocat général avait déclaré la veille : « La défense va passer à la lime les imperfections de l’enquête ». Il avait vu juste. Julien Pignon, l’élève de Maître Konitz (qui défend Abderahmane Kamara ndlr) devenu avocat mercredi, a patiemment passé en revue toutes les zones de tir. « Ce que l’on vous demande de juger ce sont des éléments très précis. Dans ce dossier les témoignages et les descriptions de tireur se contredisent, rien ne correspond ».

Le show Konitz

Une fois ces incohérences techniques exposées, Me Konitz prend le relais de son disciple afin de pilonner l’accusation. Particulièrement visé, l’avocat général et son choix de ne pas remettre en cause l’un des témoins sous X qui a également servi d’indic’ à la brigade des stups’ de Sarcelles.

« Monsieur l’avocat général, ou bien vous n’avez pas saisi la différence entre un témoignage et un renseignement et dans l’ordre de l’intelligence, vous n’êtes pas le premier ou bien vous avez compris et dans l’ordre de la probité, vous n’êtes pas le premier », s’emporte Michel Konitz.

L’index pointé vers l’avocat général, Konitz accuse le ministère public d’avoir manipulé l’enquête. « Ce dossier pue et vous le savez. Vous pouvez être le meilleur cuisinier du monde, si c’est de la viande pourrie, ça ne sera pas bon à manger », s’insurge l’avocat.

S’autoproclamant «  ennemi de l’injustice », Me Koniz fait le show et captive la salle. Même les avocats des parties civiles finissent par lui adresser un regard admiratif.

Dénonçant une « justice aux ordres », Konitz plante le décor. «  Il y a d’un coté, un chef de l’Etat pour qui tous les moyens sont bons et qui n’aurait pas supporté le moindre échec et de l’autre Marie-Thérèse de Givry (procureure de la République de Pontoise) qui a voulu a tout prix garder son poste ». En s’en remettant à des témoins sous X rémunérés, « elle a ouvert une boite de Pandore et trahi son serment de magistrat », s’insurge Michel Konitz qui a annoncé qu’il saisirait le Conseil supérieur de la magistrature.

« Le doute doit profiter à l’accusé »

Dans ce contexte de pressions politiques, la rumeur a selon lui naturellement répondu aux propositions de rémunération pour des témoignages sous X. Pour illustrer sa thèse, l’avocat lève devant les jurés un petit livre qui porte son nom et qui s’intitule La Rumeur de Konitz. Il explique qu’il s’agit de l’histoire d’un boucher juif accusé par l’ensemble de la population d’une ville de Pologne d’avoir égorgé un petit garçon malgré l’absence totale de preuves. Passant de la dramaturgie à l’humour avec le même aplomb, Konitz convoque ensuite le souvenir des rumeurs entourant la sexualité de la chanteuse Sheila : «  Tout le monde pensait que c’était un homme, il a fallu un accouchement pour prouver le contraire. Je ne peux pas demander ça, à mon client ».

Reprenant son sérieux, Konitz explique que ce tribunal ne peut « condamner quelqu’un sous la base de témoins sous X et d’indicateurs ». Enlevant ses lunettes, il va au devant des jurés et les regarde droit dans les yeux. « Si vous avez le moindre doute, il doit profiter à l’accusé. Ne condamnez pas des innocents ».

Lunettes vintage rabattues sur son nez, son collègue Morad Falek ne dit pas autre chose au moment de clôturer les plaidoiries de la défense. S’adressant aux jurés, il déclare : «  C’est la fin de trois semaines d’affaire. Être juré d’assises c’est une expérience qui va marquer votre vie (…) L’enquête a été bâclée, on a manipulé les éléments pour faire tenir ce dossier. Quelque soit votre décision, la justice n’aura pas été rendue. »

David Doucet



Jeudi 20 octobre

« Villiers-le-Bel, un procès politique »

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Les plaidoiries des avocats de la défense ont dénoncé, jeudi, un dossier à charge monté sous la pression du chef de l’Etat.

Douze hommes et femmes doivent, ce vendredi à Nanterre, sonder «  leur intime conviction ». Ce sera difficile. Dans cette affaire, il n’y a pas seulement cinq hommes accusés de tentative d’homicide d’agents dépositaires de la force publique a prévenu jeudi Me Arapian en entamant sa plaidoirie : « Au départ, il y a un accident où deux enfants ont été tués. » Un incident traité « par dessus la jambe » par l’Etat : « Ce sont les habitants qui ont dû organiser un espace de sécurité pour surveiller les lieux de l’accident et conserver des éléments nécessaires à l’enquête, car il n’y avait plus de policiers sur place. » Ce n’est qu’après trois jours d’émeutes qu’un juge d’instruction a été désigné pour enquêter sur cet accident, rappelle aussi l’avocat à la coiffure de sphinx.« Tout cela a conduit à une émeute. Qui sait si, vous comme moi, nous n’aurions participé à cette indignation générale si nous vivions à Villiers-le-Bel ? Au lieu de réquisitions lissées, policées, c’est de révolte dont on devrait parler (…), d’un peuple qui demande justice", a tonné l’avocat en fixant les jurés. «  C’est de tout cela que vous avez à juger. »

Quant au dossier qui accuse les cinq hommes du box des accusés, pour qui l’avocat général a demandé 5 à 15 ans de prison, il est, d’après Me Arapian, complètement « vide », une véritable "bouillie judiciaire". Le déroulement du procès ne lui a pas donné tort. David Ruelle et Christopher Bénard, deux témoins surprises du premier procès qui avaient déclaré avoir entendu les frères Kamara reconnaître les faits en détention, ont été complètement discrédités. Le premier, condamné pour agression sexuelle, est un menteur avéré, l’autre un mythomane diagnostiqué. Et Bénard s’est depuis rétracté, tout comme les témoins Mathieu Bozor ou Stéphane Farade. Ce dernier, le seul à avoir dénoncé en garde à vue chacun des accusés n’a pas répondu à sa convocation devant la cour d’assises d’appel. Ce«  témoin-clé » s’est transformé en « clé rouillée », selon une expression de l’avocat général.

Stéphane Farade, c’est plutôt « un miracle judiciaire », a raillé Gaëlle Dumont, l’avocate de Maka Kanté : «  Mis en cause comme tireur, Stéphane Farade s’est retrouvé témoin assisté après être passé dans le bureau du procureur. » Dans ce cadre, l’accusation repose essentiellement sur les témoignages sous X de « 13-07 »,« 21-09 », « 17-09 » et « 02-08 ». Or ce dernier est un indicateur de la brigade des stupéfiants de Sarcelles, indique l’avocate qui cite l’article 706-62 du code de procédure pénale. « Aucune condamnation ne peut être prononcée, d’après ce texte, sur le seul fondement d’un témoignage sous X. »

Un autre témoin anonyme « reconnaît qu’il a été poursuivi dans les affaires de Villiers-le-Bel », affirme Me Konitz, PV d’audition à l’appui. Retournant un par un les dossiers correspondant aux «  sous X », il rappelle qu’ils ont été obtenus contre la promesse d’argent. C’est illégal, même s’ils n’ont pas été payés au final, précise l’avocat. Ces témoins, dont le civisme n’a cessé d’être vanté par l’accusation, n’ont pas aidé à lever le voile de suspicion qui plane sur eux en refusant de venir déposer devant la cour, même anonymement.

«  On veut convaincre les jurés qu’il y a dans ce dossier trop de doutes, d’imperfections, d’approximations ou de malhonnêteté », avait anticipé l’avocat général, la veille. Mais le représentant du ministère public s’employa surtout, dans son réquisitoire, à dénoncer les incohérences des accusés. Leurs alibis sont, il est vrai, très faibles. Abderhamane Kamara a dit être dans un bar à chicha à Paris, au moment des émeutes ; son frère dit l’avoir vu sur le lieux des affrontements, et son téléphone portable active des bornes à proximité de Villiers-le-Bel. Ibrahima Sow dit avoir emprunté la voiture de son père pour se rendre aussi dans ce bar du XIe arrondissement ; celui-ci affirme ne lui avoir jamais prêté son véhicule. Adama Kamara déclare avoir passé les soirs d’émeutes à calmer les jeunes avec des médiateurs ; ceux-ci ne l’ont croisé que par instants. Quant à Maka Kanté, il dit être ne pas avoir bougé, de 21 heures quatre heures du matin, de l’endroit où il y a eu l’accident…

"C’est à l’accusation de démontrer qu’un homme est coupable, et non à la défense d’apporter la preuve qu’ils sont innocents », oppose Me Falek qui dénonce un procès où « l’on a manipulé les éléments dans ce dossier pour faire coller tout ça". "Le chef de l’Etat, a dès l’origine, mis une pression politique sur les enquêteurs en demandant que les coupables ne restent pas impunis", explique aussi Me Dumont. Quand la boîte de pandore a été ouverte, les seuls noms qui sont sortis, c’est évidemment ceux des frères Kamara que la rumeur présentait comme les chefs de la ZAC, argumente Me Konitz, qui dénonce une justice «  aux ordres ». «  Nicolas Sarkozy s’en fout des frères Kamara. Mais la procureure de Givry, elle, voulait rester en place, c’est pour cela qu’elle a monté le dossier », lâche cet avocat qui dit vouloir saisir le Conseil supérieur de la magistrature.

"Si ces personnes n’avaient pas habité à Villiers-le-Bel, jamais ce procès n’aurait eu lieu", appuie Me Arapian, qui évoque «  un procès politique ». Avant de rendre leur verdict, vendredi, les douze jurés vont devoir, dans ce contexte, s’y prendre à deux fois avant d’interroger "leurs plus intimes convictions".

Procès de Villiers-le-Bel. Des témoins à charge… et à décharge
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Pierre Duquesne


19 octobre 2011

Réquisitoire du procès en appel : « C’est à n’y rien comprendre »

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A 16h15, le parquet du tribunal de Nanterre a fait part du réquisitoire au douzième jour du procès en appel de Villiers-le-Bel. Soit cinq ans de prison ferme pour Samuel Lambalamba, sept ans pour Maka Kanté, neuf ans pour Ibrahim Sow, douze ans pour Adama Kamara et quinze pour Abou Kamara.

En première instance, les peines requises avaient été bien plus importantes, environ le double pour chacun des accusés.

Me Lienard, avocat de la partie civile, s’est immédiatement dit « extrêmement déçu » par ces réquisitions.

Côté défense, c’est l’incompréhension qui règne. Me Arapian, avocat de la défense, a parlé d’un réquisitoire «  à la limite du sérieux » et a fait part de son incompréhension face à une réquisition très proche du verdict prononcé en première instance.
« On est dans une situation où le Ministère public fait appel et confirme pourtant les peines prononcées en première instance. C’est à n’y rien comprendre », a-t-il déclaré.

En première instance, Samuel Lambalamba avait été condamné à trois ans de prison, Maka Kante à trois ans, Ibrahim Sow à neuf ans, Adama Kamara avait écopé d’une peine de douze ans de réclusion criminelle et son frère Abou Kamara quinze ans.

Gino Delmas


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Les méthodes de la PJ de Versailles au centre des débats

19/10/2011

Depuis lundi, différents maillons de la chaîne policière lancée aux trousses des « tireurs de flics » de Villiers-le-Bel, ont défilé devant la cour d’assise de Nanterre. Mme Duchatel (capitaine de police de la SRPJ de Versailles), Thierry Obry et Olivier Coplo (deux enquêteurs du même service), et enfin Jean Espitalier (patron de la DRPJ de Versailles), étaient invités à s’expliquer sur les conditions de collecte des (rares) témoignages accompagnant le dossier.

La défense espérait que soient écartés du procès les témoins sous X, arguant qu’aucun d’entre eux ne s’est présenté au procès en appel pour confrontation. La Cour a rejeté cette requête dès lundi matin, décidant de « passer outre », en d’autres termes, le contenu des auditions de ces témoins sera pris en compte.

L’ambiguë promesse de rémunération des témoins

Le premier point d’achoppement est l’appel à témoins. Pour rappel, après une première tentative infructueuse (notamment à cause de rumeurs quant à leur authenticité), les enquêteurs ont distribué une nouvelle mouture de ce document dans tout Villiers-le-Bel. Au texte initial, était adjointe une promesse de rémunération à toute personne susceptible d’apporter des informations. Jean Espitalier reconnaitra au détour d’une question que cette «  ambiguité était voulue pour donner envie de témoigner ».

Elle a pourtant fini par mettre les enquêteurs dans l’embarras puisque l’un des témoins sous X, «  21-07″, déclare au début de son audition qu’il est avant tout intéressé par l’argent. Or, à aucun moment dans le procès verbal de l’audition, l’enquêteur Coplo ne précise à l’intéressé qu’il ne sera jamais payé. A la barre, le policier rencontre toutes les difficultés du monde à expliquer ce couac, affirmant l’avoir informé «  hors procès verbal ».

La défense se jette sur cette faiblesse de la procédure et met dans l’embarras les supérieurs du policier. «  En France, aucun témoignage ne peut être rémunéré », explique Mme Duchatel. «  Il y a d’un côté les témoins, de l’autre les informateurs », s’évertue à dire le patron de la DRPJ, «  c’est tellement évident pour tout le monde [policiers et témoins] qu’il n’y a même pas besoin de le préciser ».

« Aucun témoin n’a été payé », assurent en chœur les enquêteurs et leurs supérieurs. Me Konitz rebondit : « Je vous crois sur ce point, mais il n’empêche que certains ont pu l’espérer. » Et l’avocat de sous-entendre que l’absence de rémunération peut être à l’origine de la réticence des témoins à se présenter à la Cour. « 21-07 m’a confié ne plus vouloir venir parce qu’il avait peur », se défend Olivier Coplo.

Le marchandage, fantasme ou pratique courante ?

Évoqués à de nombreuses reprises depuis le début du procès, et notamment le 13 octobre par Christopher Benard, les « arrangements » entre policiers et témoins ont une nouvelle fois été au centre des débats ces deux derniers jours.

La défense a tout particulièrement dans le collimateur Stéphane Farade et Mathieu Bozor, deux témoins «  à visage découvert », qui, selon les mots de Me Konitz, « sont entrés dans le bureau de la juge d’instruction avec les chefs d’accusation de ‘tentative d’homicide sur un officier de police’ et qui en ressortent en qualité de témoins assistés ».

Pourtant, l’un des témoins sous X assure avoir vu Farade tenir une arme de poing le soir du 26 novembre, ce que n’a jamais nié l’intéressé, expliquant qu’il «  l’[a] prise à un petit et n’[a] pas su quoi en faire ».

Le conseil d’Adama Kamara s’insurge : «  C’est une honte qu’on ose qualifier de témoins Farade et Bozor alors qu’on leur reproche la même chose qu’aux accusés. »

Le président demande à Olivier Coplo s’il y a eu sélection sur les charges criminelles des individus notamment entre Bozor et Adama Kamara. « Bozor a été interpellé pour avoir tiré sur des policiers mais nous n’avons eu qu’un témoin anonyme nous disant ça », explique l’enquêteur.

Gaëlle Dumont, l’avocate de Maka Kanté, saisit la balle au bond :
«  M. Kanté lui aussi n’est mis en cause que par un seul témoin sous X en tant que tireur, est-ce que cela ne ressemble pas à la situation de M. Bozor ? » »Présenté de cette façon, oui ça y ressemble », concède le policier.

« A Villiers-le-Bel, il ne pouvait pas y avoir de témoins normaux », s’emporte son patron, « ceux qui sont le mieux placés ce sont ceux qui ont accompagné ou croisé les tireurs. »

Quelques instants plus tard, le superflic dit apprendre que le témoin anonyme « 02-08″ – le seul qui avait témoigné en visioconférence lors du procès en première instance – est un informateur des Stups. «  Espitalier nous prend pour des idiots », lâchera un des avocats de la défense, lors de l’interruption qui suit. Avant d’ajouter : «  La procédure des témoignage sous X ne doit pas servir à dissimuler les rapports d’un indic avec la police ».

«  Cette enquête était beaucoup trop importante à nos yeux pour que l’on magouille », assure le chef de la DRPJ, emboitant le pas à tous les autres enquêteurs. Tous sauf une, la capitaine Duchatel, qui n’a pas reconnu y avoir eu recours dans cette affaire, mais a affirmé sans ambages : «  Pour ma part, le marchandage est quelque chose de courant. » « Merci d’avoir l’honneteté de le dire, ça ne doit pas être facile », lui lance Me Konitz.

Le « bras d’honneur » de Stéphane Farade

Malgré un mandat d’amener du président Getti, Stéphane Farade ne s’est montré ni lundi, ni mardi à Nanterre. Il était pourtant attendu de pied ferme par toutes les parties. L’accusation et les parties civiles pour qu’il en dise un peu plus sur les menaces et pressions diverses qu’il dit avoir reçues depuis son témoignage. La défense pour qu’il explique ce qui l’a poussé à impliquer leurs clients lors de l’enquête.

« C’est un bras d’honneur qu’il fait aujourd’hui à la justice », tonne Me Konitz, joignant le geste à la parole. Le jeune homme s’est en effet montré vendredi 14 octobre aux abords du palais de justice de Nanterre. Le président regrette « sa légereté » et le condamne à une amende de 2000 euros. Après dix jours de procès, le magistrat laisse poindre un certain agacement face aux désistements successifs des témoins en accusant la police de machination, et face aux dénégations lapidaires sans cesse répétées par les accusées. «  Farade a voulu s’en sortir, il a fait son choix, il nous a chargés », a notamment déclaré Adama Kamara.

Cela n’empêche pas les avocats de la défense de poursuivre le démontage des témoins clés de l’enquête. «  Stéphane Farade ment, ses déclarations collent aux désirs de l’enquêteur », conclut Me Konitz après avoir mis en exergue des incohérences dans son témoignage. Avant de planter sa dernière banderille : « Comment est ce possible qu’un homme qui ment prenne cette importance dans la procédure ? » La valse des plaidoiries s’ouvrira ce mercredi.

Gino Delmas et Geoffrey Le Guilcher


Audience du 13 octobre


L’accusation dans les cordes après une journée à sens unique

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Ce jeudi, la cour d’assises se penche sur le rôle d’Adama Kamara lors des émeutes de 2007. Le cas de cet ancien médiateur au service de la mairie, reconverti dans la sécurité, est celui qui suscite le plus de discussions. Les témoins en sa faveur se succèdent : deux médiateurs et Ali Soumaré, cadre du PS local et figure du quartier. Ils sont formels : ils n’imaginent pas Adama tirer sur des policiers le soir, vu l’énergie qu’il a mise en œuvre la journée pour calmer les ardeurs des plus virulents.


La défense place ses pions

Me Konitz, son avocat, enfonce le clou. « Etait-il possible d’imprimer une direction à ces mouvements de foule ? » « Non, c’était un véritable feu de brousse, on était réduits au rang d’observateurs », déclare un médiateur. « Ce soir là, je n’ai pas reconnu Villiers-le-Bel », ajoute Ali Soumaré, avant d’ajouter : « dire que quelqu’un tient le quartier de la ZAC, c’est un fantasme ».

A la question de savoir quelle tranche d’âge pose le plus de problème dans le quartier aujourd’hui, les trois témoins évoquent tantôt « les plus jeunes », tantôt «  les 15-18 ans ». Adama Kamara a 32 ans, sa réputation est dite «  sur le déclin », comme ce dernier l’évoquait quelques heures plus tôt : « les jeunes ne respectent plus rien, alors qu’à mon époque on l’avait, le respect ».

L’avocat décoche sa dernière flèche : « Pensez vous que M. Kamara ait suscité des inimités, de par son engagement en politique aux côtés de Mme Noachovitch (candidate UMP à la mairie de Villiers-le-Bel), ou à la suite de disputes, de bagarres ?  » Réponse affirmative des trois témoins. «  S’est-il beaucoup battu ? », relance l’avocat. « Des centaines de fois, répond Jean-Gilles, son ami d’enfance, « même avec moi ! ». La salle pouffe. La défense apporte un début de réponse à une question en suspens depuis le début du procès : «  Pourquoi Adama Kamara et son frère reviennent toujours dans les noms cités par les témoins ? ».

Un témoin embarrassant pour l’accusation

Alors qu’un autre médiateur de la mairie est attendu à la barre, le calendrier est bouleversé : le témoin suivant, David Ruelle, »s’impatiente ». L’homme qui pénètre dans la salle en impose : 1m90, près de 140 kilos, cet ancien boxeur se campe devant les jurés la mine renfrognée. Témoin « surprise » du procureur en première instance, il assure avoir recueilli les confidences d’Adama Kamara à Fleury-Merogis (« j’ai fumé un flic »), et s’être décidé à en parler à la justice après avoir reçu des menaces de la part de l’intéressé.

« Pourquoi s’est-il confié à vous en particulier ? » interroge le président Getti. «  Je pense que j’ai été victime de mon charisme », lâche très sérieusement celui qui était en prison pour agression sexuelle sur mineur. Certains détails de son témoignage posent problème : il évoque notamment un test de poudre (positif) que la police aurait effectué sur les mains d’Adama Kamara et un traquenard tendu à une voiture de police, qui ne figurent pas dans le dossier.

Ce témoin est une aubaine pour les trois avocats des frères Kamara, qui se penchent sur ses tendances mythomanes. Ils rappellent qu’il a tour à tour raconté, au fil de ses auditions, avoir assuré la sécurité de Nicolas Sarkozy, avoir travaillé à l’ambassade des Nations Unies à Genève et avoir un temps appartenu au RAID.

Le ton monte de plusieurs crans lorsque la défense exhume une correspondance vieille de quelques mois, où le témoin propose de dédouaner Adama Kamara. Furieux, David Ruelle traite les avocats de «  guignols » et de «  mythos », avant de tourner les talons. Même l’accusation semble trouver ce témoin gênant et a hâte que l’on en finisse. Une courte suspension de séance fera retrouver son calme au témoin, mais pas sa crédibilité, envolée depuis la première instance semble-t-il.

« J’ai tout inventé de A à Z »

Christopher Bénard était le témoin-clé du premier procès, la condamnation des cinq accusés reposant en grande partie sur son témoignage. Il a affirmé avoir croisé la route de Maka Kanté et Adama Kamara lors d’une audience à la cour d’appel de Versailles. Il aurait entendu des discussions entre eux prouvant leur implication dans les « événements » de Villiers-le-Bel.

Il s’est depuis rétracté, arguant de menaces exercées par des proches des accusés. Présenté comme extrêmement fragile et instable par les experts psychologues et psychiatres les premiers jours du procès en appel, il paraît nerveux.

Les mots se bousculent dans sa bouche pour expliquer ce brusque revirement de situation : «  Ce sont les policiers de la DRPJ de Versailles qui m’ont manipulé. Avec la substitut du procureur, ils m’ont indiqué ce que je devais raconter et m’ont promis que je pourrais récupérer mon permis. J’avais 19 ans à l’époque, je n’ai pas réalisé, j’ai tout inventé de A à Z (…) Je veux m’excuser auprès des deux accusés. » Le président s’agace.

Trois ans pour rien

Maka Kanté est invité à s’exprimer sur le témoignage de Christopher. Il semble bouillir pour la première fois de ce procès : «  Je suis énervé, il raconte n’importe quoi mais nous on est au fond du trou (…) Ma version n’a pas bougé au cours de toutes mes gardes à vue, et là je balancerais un truc comme ça au premier mec venu, c’est de la connerie ! » Puis directement au témoin : « J’ai fait trois ans pour rien à cause de tes conneries (…) tout ce que je peux t’attribuer, c’est que tu es malade ! »

Toute la journée, le camp de l’accusation a brillé par sa discrétion, encaissant les coups. Les parties civiles et le parquet semblaient dans les cordes, en fin de journée, ayant hâte que l’on passe à autres chose.

Une impression étrange et ambivalente prédomine : le sentiment que la justice est en train de réparer une partie de ses erreurs et que l’on se dirige vers un allègement des peines prononcées en première instance, voir l’acquittement pour certains. Impossible à l’inverse de réprimer la désagréable sensation que les laissés-pour-comptes de ce procès en appel seront les parties civiles, victimes tour à tour de l’impréparation de l’intervention à Villiers-le-Bel, de la précipitation de l’enquête, des approximations de l’instruction et du procès de première instance.


Journée du 10 octobre


Malaise dans les rangs de la police au cinquième jour du procès

Avec les liens :
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La deuxième semaine du procès s’est ouverte sur les témoignages des policiers mobilisés lors des révoltes. 89 d’entre eux se sont constitués parties civiles : l’occasion de mesurer le malaise qui les secoue depuis «  la bataille » de Villiers-le-Bel.

Une experte psychiatre, qui a suivi bon nombre de policiers, explique que malgré la pudeur à «  verbaliser leur mal-être », beaucoup ont vécu un stress post-traumatique intense depuis 2007. Pour décrire leur ressenti, elle évoque pèle-mêle « l’extrême violence des échanges », « la mauvaise préparation » et « le sentiment d’abandon » vis-à-vis de leur hiérarchie.

En début d’après-midi, quand plusieurs policiers blessés sont appelés à la barre, la tension prends corps. Venus pour témoigner ou soutenir leurs collègues, les flics occupent les trois quarts de la salle, les familles des accusés se serrent sur cinq pauvres bancs avec les quelques journalistes venus couvrir l’audience. Le tableau des spectateurs dépasse toutes les caricatures : les blancs d’un coté, les noirs de l’autre. Comme si le manque de place ne suffisait pas, les policiers chargés de la sécurité au sein du tribunal se montrent intransigeants avec les familles des accusés. La moindre parole est immédiatement rappelée à l’ordre, rien de tel dans le reste de la salle.

Tout au long de l’après-midi, la cour entend les policiers de la compagnie de sécurisation de Paris, encerclés dans les cités de Villiers-le-Bel la nuit du 26 novembre 2007. En voulant secourir des pompiers qui tentaient d’éteindre une voiture incendiée, cette brigade de trente hommes a essuyé les plombs de plusieurs tireurs embusqués.

« Nous sommes partis la fleur au fusil »

Un CRS, vêtu d’une chemise blanche et d’un pantalon noir, explique qu’il a choisi de « venir en civil et non en uniforme pour exprimer son sentiment personnel sur les événements ». Véritable armoire à glace, le flic explique ne s’être jamais remis de cette soirée et avoue « regretter de n’avoir pas utilisé [son] arme » lorsqu’il avait un tireur en joue. Sur le banc du public, un de ses collègues s’énerve de le voir s’épancher de la sorte : «  Ca serait bien qu’il ferme sa gueule maintenant. »

Un autre membre de cette brigade d’intervention va pourtant l’ouvrir à son tour. En jean et costume, ce CRS devenu représentant syndical relate leur totale impréparation. « Lorsque nous avons été envoyés à Villiers-Le-Bel, nous ignorions complètement ce qui s’était passé la veille. » A plusieurs reprises, le flic balance une phrase qui fait tiquer la défense : «  Nous sommes partis la fleur au fusil. »

« Sur place, c’était Beyrouth »

Cette expression et plusieurs éléments de son discours rappellent les déclarations d’un membre de cette compagnie, retranscrites par un journaliste du Point dans le documentaire La police et Sarko. Sous couvert d’anonymat, le CRS n’avait pas hésité à remettre en cause les directives de son lieutenant, José Manuel Vergara :
« Nous n’avions jamais été appelés sur une émeute. On est partis la fleur au fusil avec pas assez de balles en caoutchouc ni de grenades lacrymogènes. On n’avait même pas le plan de la ville, c’est notre capitaine qui devait nous guider par radio depuis le PC. Comme ça passait pas, on a dû se débrouiller avec nos téléphones portables personnels. Quand on est arrivés sur place, c’était Beyrouth. Pour nous encourager, notre lieutenant, un ancien militaire qui avait fait le Kosovo, répétait tout haut : « On va leur montrer qui nous sommes. » Plus tard, quand on sera pris sous le feu, il refusera de donner l’ordre de repli. »

En tenue de cérémonie, bardé de médailles, sa fourragère accrochée à l’épaule, le lieutenant Vergara prend la parole en fin de journée. Avec 23 ans de police au compteur, son témoignage embarrasse la défense. En première instance, il était venu consolider de manière décisive l’accusation.

Vergara avait déclaré qu’il avait eu un « flash » en voyant Abderhamane Kamara dans le box des accusés le 21 juin 2010 et qu’il l’avait alors reconnu comme l’un des tireurs ayant pris pour cible sa compagnie. Un an plus tard, rien n’a changé, il renouvelle ses accusations contre «  Abou » considéré comme le « leader des révoltes de Villiers-le-Bel » par l’accusation :
«  Je le revois encore à genou en train de nous tirer dessus. A l’époque, il ne portait pas cette barbe mais je le reconnais parfaitement. J’ai été frappé par son visage émacié de forme triangulaire, on aurait dit un diable qui sortait de la boîte de Pandore. »

Alors que le lieutenant fixe Kamara dans le box des accusés, ce dernier ne le regarde pas et se met de profil. « Abou » place son épaule contre la vitre comme pour mieux éviter le visage du flic qui l’accuse. L’an dernier, ses terribles colères avaient ruiné sa défense, aujourd’hui il semble décidé à se montrer plus détendu. Il se contente de répondre d’une voix balbutiante : « C’est un menteur, c’est faux », avant de se rasseoir.

« Je regrette de n’avoir pas pu appliquer de tir »

Vergara rétorque froidement : « Je regrette de n’avoir pas pu appliquer de tir quand j’en ai eu l’occasion. Si je l’avais touché, il ne pourrait plus nier sa présence sur les lieux. »

Les avocats de la défense, Morad Falek et Michel Konitz, lui rappellent qu’il avait déclaré, au lendemain des événements, qu’il ne «  pouvait absolument pas reconnaître le ou les tireurs ». Ils émettent l’hypothèse que Vergara aurait pu chercher à se racheter en désignant Abou Kamara, après avoir été visée par une enquête interne pour son commandement controversé au cours des émeutes.

« On m’a reproché d’être le responsable de cette boucherie. Je ne voulais pas identifier le tireur à ce moment là, l’enquête judiciaire n’était pas ma priorité. Je n’étais pas prêt physiquement et physiologiquement à l’identification », se défend Vergara

Furieux, Me Falek met en avant le témoignage de trois autres membres de sa compagnie qui « eux n’ont jamais varié depuis le début et qui désignent le tireur comme étant un maghrébin ». Vergara le reconnaît mais explique qu’il y a « sans doute eu plusieurs tireurs ». Comme en première instance, Vergara joue même les ethnologues et explique qu’ «  il sait faire la différence entre un individu de type africain et un nord africain ».

David Doucet

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Procès Villiers-le-Bel : l’étrange vision du lieutenant Vergara

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En raison de sa qualité de partie civile au procès en appel des cinq de Villiers-le-Bel, José-Manuel Vergara n’a pas été contraint, lundi, à la barre de prêter serment et jurer « de dire toute la vérité, rien que la vérité ».

On aurait préféré tant le témoignage de ce lieutenant de la Compagnie de sécurisation de Paris avait fortement contribué à condamner Abdherammane Kamara à 15 ans de prison à l’issue du premier procès. Des peines de 3 à 12 ans ferme avaient aussi été prononcées contre Ibrahima Sow, de Maka Kanté et de Samuel Lambalamba et Adama Kamara, accusé d’être le grand organisateur de ces violentes émeutes qui ont éclaté après la mort de deux adolescents en motocross.

A la surprise générale, le lieutenant Vergara avait formellement reconnu devant la cour d’assise de Pontoise Abdherammane Kamara comme l’auteur des tirs de fusils à pompe qui avaient blessé 17 de ses collègues positionnés devant une station service à l’angle du boulevard Salvador Allende et de la rue des 9 Arpents, au soir du 26 novembre 2007.
« J’ai eu un choc en voyant entrer un des accusés dans le box », avait- il lancé à la barre, index pointé sur Abdherammane Kamara.

Le 29 juin 2010, son témoignage était tombé à pic pour l’accusation après le retentissant fiasco, la veille, des témoignages recueillis sous X et contre la promesse d’une rémunération. Sur les cinq prévus, quatre n’avaient pas voulu se présenter au procès. Seul "PT 02-08" était venu déposer anonymement devant la cour d’assise de Pontoise.

Lundi, en fin d’après-midi, José-Manuel Vergara a répété son accusation au mot près. « Je suis formel », a-t-il déclaré en regardant fixement Abdherammane Kamara. « J’avais eu un choc et j’avais reconnu son visage de forme triangulaire, très émacié. C’est encore plus marquant quand il a le visage glabre, car à l’époque, il ne portait pas la barbe. Je l’ai aussi reconnu à sa gestuelle. Il avait fait un esclandre et insulté la cour, le 21 juin 2010, avec des mouvements très vifs et dynamiques. Il m’a fait pensé à un diable sortant de sa boîte de pandore (sic) »

« C’est un menteur, et c’est faux », a rétorqué l’accusé, comme toujours très tendu, accoudé contre la vitre de sécurité du box des accusés.

«  Comment pouvez-vous identifier un individu en juin 2010 que vous n’avez pas pu reconnaître trois jours seulement après les affrontements, le 28 novembre 2007 devant les enquêteurs de la police judiciaire ? » Cette question de Me Konitz, le lieutenant Vergara, visiblement préparé, y avait répondu par anticipation. « Je ne voulais pas l’identifier à ce moment-là. L’enquête judiciaire n’était pas ma priorité », car « j’étais conscient qu’on voulait me faire porter le chapeau d’avoir amené des hommes à l’abattoir. » Une enquête de commandement a en effet été lancée pour déterminer si cet officier était réellement «  parti la fleur au fusil » à Villiers-le-Bel, comme l’ont accusé certains des ses hommes cités dans un article du Point. « J’ai été depuis blanchi et réhabilité par une médaille de bronze du courage et du dévouement » s’est défendu l’ancien militaire qui gravit tous les échelons de la police jusqu’à être envoyé au Kosovo comme formateur en matière de maintien de l’ordre.

« Mais comment un officier comme vous, avec 23 ans de bons et loyaux services peut-il se moquer d’un enquête menée par un service de police judiciaire ? », relance Me Falek. Cet avocat de la défense a réussi à mettre en doute l’incroyable certitude du policier en citant les dépositions de David Héran. Ce gardien de la paix, en charge de porter le bouclier et de protéger le lieutenant Vergara lors des émeutes, s’est dit incapable de reconnaître le tireur alors même qu’il était en première ligne et situé à une dizaine de mètre à peine du tireur "qui faisait le dindon derrière un angle de mur" . Décrivant une « ambiance de guerre » dans laquelle les blessés si nombreux qu’ils ne pouvaient être évacués et devaient se partager les derniers bandages restant dans un véritable hôpital de campagne », le policier Barbier, décrit, lui, un individu de type nord-africain, âgé de 16-17 ans, avec un pull à fermeture éclair », de même qu’un troisième collègue certain d’avoir identifié un Maghrebin. Troublant quand les cinq hommes sur le banc des accusés sont tous de couleur noire. Réponse à tout, José-Manuel Vergara qui agaça jusqu’au président de la cour d’assises, a confessé avoir informé ses avocats qu’il avait reconnu Abdherammane Kamara dès les premiers jours du procès. «  On nous cache tout depuis le début de l’affaire, s’insurgea Me Konitz, qui fut pris par surprise lors du premier procès. Dans cette affaire, on en apprend tous les jours. »

Il n’a pas tort. Vendredi, Jean-François Illy, ancien commissaire de Sarcelles roué de coups, a révélé qu’il avait déjà rencontré Adama Kamara par l’entremise d’un enquêteur de la brigade de stupéfiants de Sarcelles dont il était « un contact privilégié ». Exactement comme «  PT 02-08 », témoin anonyme décisif qui avoua lors du premier procès avoir été un indicateur des stups. De quoi jeter une fois de plus la suspicion sur les réelles intentions d’un individu qui pourrait, selon la défense, « vouloir régler des comptes ».

Autre manœuvre de l’accusation, le versement au dossier de l’expertise psychologique de Christopher Bénard. Cet autre témoin avait juré avoir entendu l’un des frères Kamara se vanter d’avoir tuer des flics dans la souricière du tribunal de Versailles, avant de se rétracter quelques semaines après la fin du premier procès. Ce rapport, qui le décrit comme un mythomane capable « de reconstruire le réel en fonction de son intérêt dans le seul but d’attirer l’attention sur lui », permet de relativiser la volte-face de ce témoin-clé qui, lors du premier procès, avait été autant décisif que le lieutenant Vergara pour condamner cinq hommes à des peines de 3 à 15 ans prison malgré un dossier particulièrement mince.

Pierre Duquesne


Une soixantaine de témoins, 89 policiers partie civile, cinq accusés pour trois semaines d’audience. Le procès en appel des cinq jeunes condamnés pour leur participation aux émeutes de Villiers-le-Bel (Val d’Oise), en novembre 2007, s’est ouvert mardi matin devant la cour d’assises de Nanterre (Hauts-de-Seine). Agés de 24 à 31 ans, ils avaient été condamnés en première instance à des peines allant de trois à quinze ans de prison ferme.

Les deux frères Kamara, Abou et Adama, avaient ainsi été condamnée à quinze et douze ans de prison ferme pour tentative d’homicide sur des policiers lors des soirées des 25 et 26 novembre 2007. Comme eux, Ibrahima Sow a été reconnu coupable d’avoir ouvert le feu sur les forces de l’ordre. Il a écopé de neuf ans. Acquitté pour les tirs, Maka Kanté a, lui, purgé sa peine de trois ans ferme pour port d’armes. De son côté, condamné à trois ans pour complicité, Samuel Lambalamba est toujours écroué. Ils avaient fait appel.

Mardi matin, après la désignation des jurés dans une salle comble, le président Jean-Pierre Getti l’a annoncé : quatre « témoins anonymes », qui avaient permis l’idenfication des accusés pendant l’enquête, doivent être entendus par la cour, le 14 octobre. « Les témoignages sous X sont des ragots rapportés (par) des gens pour ne pas être poursuivis (...) C’est de la preuve au rabais », a tonné Me Michel Konitz, l’avocat d’Adama Kamara.


5 octobre 2011

Procès Villiers-le-Bel : un sociologue à la barre

Un cours magistral en pleine Cour d’assises : deux heures durant, un sociologue spécialiste de la banlieue a décortiqué le phénomène des émeutes urbaines, mercredi au procès en appel de quatre hommes accusés d’avoir tiré sur des policiers en 2007 à Villiers-le-Bel (Val d’Oise).

Professeur des universités à Nancy, chercheur au CNRS, Michel Kokoreff a d’abord délimité le cadre de son intervention : "Mon propos n’est pas de me prononcer sur les faits ou de prononcer des jugements de valeur (...) mais d’expliquer dans quel contexte les émeutes urbaines émergent", observe à la barre le sociologue, cité par la défense.

Lui-même a supervisé une étude sur les événements qui occupent depuis mardi la Cour d’assises des Hauts-de-Seine : les deux soirées d’émeutes qui ont éclaté fin novembre 2007 dans un quartier de Villiers-le-Bel après la mort de deux adolescents dans la collision entre leur moto et une voiture de police.

"Ces deux nuits d’émeutes ont marqué un seuil dans les violences contre les forces de l’ordre", diagnostique le sociologue après avoir balayé les grandes dates des éruptions de violences dans les quartiers populaires (Watts en 1965 aux Etats-Unis, Vaulx-en-Velin en France en 1990).

Tentant de dégager des grands principes d’explication, M. Kokoreff fait valoir que les émeutes constituent "le seul moyen de pression" pour des jeunes qui "n’ont pas le poids du vote ou de la grève pour mobiliser l’opinion publique".

"Il y a un sentiment d’injustice qu’on ne peut plus traduire dans la grammaire des grands mouvements collectifs", analyse-t-il encore, dans un vocabulaire qui fleure davantage l’amphithéâtre que le prétoire.

Notant que ces jeunes tiennent les policiers pour responsables de leur situation —"ce qui est loin d’être le cas", selon lui—, M. Kokoreff s’attarde sur le sort des forces de l’ordre, victimes d’un nombre croissant d’agressions et contraints de "faire attention" dans leur vie privée pour éviter les mauvaises rencontres.


"On se trouve dans un face-à-face explosif"
entre jeunes et policiers, résume-t-il.

Le sociologue se place ensuite sur un terrain plus polémique en assurant que les émeutes sont systématiquement dépourvues de meneurs. "Il y a des grandes gueules, des agents provocateurs (...) mais les mouvements ne peuvent être coordonnés par un chef d’orchestre", tranche-t-il.

Cette affirmation a le don d’agacer les avocats des quelque 90 policiers parties civiles qui voient dans un des accusés le meneur des émeutes de Villiers-le-Bel.

"Je suis un peu gêné quand quelqu’un est aussi affirmatif. Y étiez-vous à Villiers-le-Bel ? (...) Pouvez-nous dire qu’il n’y avait pas de leaders", lui lance Me Laurent-Franck Liénard.

Piqué au vif, M. Kokoreff retourne sa longue silhouette vers l’avocat : "C’est un mauvais procès d’intention que vous me faites et ça je ne l’accepte pas", répond-il.

Le président Jean-Pierre Getti se montre plus consensuel : "Pensez-vous qu’il y a un risque de nouvelles émeutes ?", lui demande-t-il.

"Les sociologues ne sont pas très bons pour prévenir l’avenir", répond d’abord M. Kokoreff avant de laisser transparaître son pessimisme : "Tous les ingrédients sont réunis pour que, si vous permettez l’expression, ça pète à nouveau."

Et, pour répondre à une avocate des parties civiles, il cite Emmanuel Todd : _ « Pourquoi brûlent-ils leurs bibliothèques ou leurs voitures ? Parce qu’en brûlant des voitures, ils croient en la République et en la Justice. Et on est dans une logique d’auto-destruction. »

Al Mamy, qui est venu soutenir les accusés et leurs familles, croit lui en « la justice, mais au sens noble du terme. » Fahima, militante du collectif Réseaux Interventions Réflexions Quartiers Populaires, rode dans les couloirs du tribunal. «  Nous, les quartiers populaires, on intéresse personne. D’ailleurs, C’est étrange qu’il n’y ait aucune mobilisation des syndicats, d’une organisation politique ou d’autres associations hors-quartiers. »

Le verdict est attendu le 21 octobre.

D’après l’AFP


4 octobre 2011

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« Truc de ouf ils l’ont libéré », crie un gamin en sortant de la salle d’audience pour prévenir des habitants de Villiers-le-Bel restés dans le couloir. Il est 20 heures et la journée se termine par une surprise. La demande de mise en liberté de Samuel Lambalamba, l’un des cinq accusés, a été acceptée. Quelques minutes de délibéré ont suffi aux douze jurés et aux magistrats pour répondre favorablement à la requête de son avocat, fondée sur une jurisprudence voulant qu’un accusé puisse comparaître libre en appel s’il l’était en première instance.

Son client, libre lors du procès de juin 2010, et qui s’est toujours présenté aux convocations, va donc sortir du box vitré où il a passé la journée et rejoindre Maka Kanté sur le banc pour le reste du procès. Il va surtout quitter sa cellule de prison dès ce soir et rentrer chez lui.

Le procès en appel des tireurs présumés de Villiers-le-Bel s’est ouvert sous le signe de l’apaisement par rapport à l’atmosphère électrique de la première instance. Malgré quelques tensions en début de journée à cause du manque de place dans la salle d’audience, tous ceux qui le souhaitaient ont pu assister aux débats.

Après le tirage au sort des douze jurés, l’appel des témoins et des dizaines de policiers qui se sont portés parties civiles, la lecture de l’acte d’accusation a duré jusqu’en milieu d’après-midi. Ce document de plusieurs dizaines de pages synthétise le dossier d’instruction et donne les raisons pour lesquelles Maka Kanté, Abderrhamane Kamara, Adama Kamara, Samuel Lambalamba et Ibrahima Sow sont renvoyés devant la cour d’assises pour tentative d’homicide sur des policiers en bande organisée et port d’armes prohibées.

Contrairement au premier procès, à Pontoise, le président de la cour d’assises a également donné un calendrier précis des audiences à venir. Après avoir examiné la personnalité des accusés, pendant les deux prochains jours, il entendra les enquêteurs sur la description des émeutes de 2007 à Villiers-le-Bel, le détail des lieux et des circonstances. Viendront ensuite l’audition des nombreuses parties civiles, des policiers blessés par des tirs de plombs lors des affrontements, et bien sûr l’interrogatoire des accusés sur les faits, et la comparution des témoins. Il a également ménagé un moment pour évoquer l’accident qui a tout déclenché, à savoir la collision entre une voiture de police et une mini-moto, provoquant le décès de deux jeunes de Villiers.

La Cour a entendu Mme Lefort, expert-psychologue, sur la personnalité des accusés. Elle décrit Maka Kanté comme «  un jeune homme attaché à l’image qu’il donne », reproche à Ibrahima Sow de ne pas « faire de passerelles entre son respect des prescriptions religieuses et son rapport à la transgression », rappelle qu’Abou Kamara reste «  marqué par des rivalités entre des familles d’origines différentes ». Adama Kamara, son frère, médiateur pour la ville à l’époque des faits, est jugé «  bien investi en tant que père » et dans la vie publique.

L’experte, dans une autre affaire, avait rencontré Christopher B., témoin-clé qui s’était rétracté après le verdict, expliquant avoir tout inventé. Il a depuis porté plainte contre les policiers pour subornation de témoin, et va devoir témoigner à nouveau. Mme Lefort le décrit comme «  confus », « théâtral », dans un « état limite » entre la névrose et la psychose. L’homme montre des « signes de déséquilibre psychique » depuis 2006. Me Konitz, avocat de la défense, se satisfait de ce témoignage médical.
« Est-ce qu’il est crédible ? Non. C’est le seul témoin à visage découvert de l’époque, il est insensé que la juge d’instruction ne l’ait pas noté. »

L’audience a ensuite abordé le curriculum vitae des accusés : parcours scolaire, relations familiales, emploi, couple… Le père de Samuel Lambalamba décrit son fils comme «  très sérieux, très travailleur, apprécié par ses collègues ». Au point qu’il fait toujours partie des effectifs de son magasin Lidl, en congé sans solde depuis son incarcération. Pour le père d’Ibrahima Sow, «  le seul problème, c’est qu’il n’aimait pas l’école. » L’examen des personnes, précédant celui des faits, continuera ce mercredi.

Camille Polloni


Les violences à Villiers-le-Bel en quelques dates

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25 novembre 2007 : Mohsin Sehhouli, 15 ans, et Lakamy Samoura, 16 ans, sont tués dans la collision de leur mini-moto avec une voiture de police.

Du 25 au 27 novembre 2007 : La tension monte entre policiers et jeunes du quartier. Des affrontements violents éclatent dans la nuit. Une centaine de policiers sont blessés par des pierres et des tirs d’armes à feu, un commissaire roué de coups, des bâtiments publics et des commerces détruits. Le jour, des marches silencieuses sont organisées à la mémoire de Mohsin et Lakamy.

Décembre 2007 : Les forces de l’ordre estiment que certains policiers ont essuyé des tirs de fusil de chasse. Dans le cadre de l’enquête, la police offre une rémunération contre des témoignages anonymes.

18 Février 2008 : Lors d’une très médiatique descente de police, 33 personnes sont arrêtées, soupçonnées d’être des émeutiers. Le maire de Villiers-le-Bel Didier Vaillant regrette de n’avoir été prévenu qu’"après les médias" et seulement à "6h02". Ségolène Royal et François Bayrou, alors candidats à la présidentielle, dénoncent la mise en scène de cette opération policière.

23 octobre 2009 : Les policiers sont mis hors de cause dans l’affaire de la mort des deux adolescents en 2007. La juge d’instruction en charge du dossier rend une ordonnance de non-lieu.

21 juin 2010 : ouverture du procès d’assises de cinq accusés de Villiers-le-Bel.

Juin 2010 : David R., devient témoin surprise du procès. Détenu poursuivi pour agression sexuelle sur mineur, il est venu raconter que l’un des accusés lui avait confié en prison avoir tiré sur les policiers.

Juillet 2010 : Les cinq accusés sont condamnés en première instance par la cour d’assises de Pontoise. Trois d’entre eux, ayant écopé de peines les plus lourdes, font appel du jugement. Le parquet général interjette appel pour les deux autres. Abderhamane Kamara, 30 ans, Adama Kamara, âgé d’une trentaine d’années, et Ibrahima Sow, 27 ans, sont condamnés à 15, 12 et 9 ans de prison pour avoir tiré sur les forces de l’ordre. Mara Kanté, 24 ans, est condamné à trois ans de prison pour possession d’arme. Samuel Lambalamba, 25 ans, jugé pour complicité pour avoir fourni une arme, écope lui d’une peine de trois ans de prison.

Septembre 2010 : Chistopher B., témoin à charge, ayant rapporté les vantardises supposées sur leurs tirs d’Adama Kamara et de Maka Kanté (qu’il aurait entendues dans les geôles de la cour d’appel de Versailles), se rétracte. Il assure avoir menti au procès pour recevoir une récompense promise par la police.

Octobre 2010 : Deux hommes accusés de complicité dans l’incendie de la bibliothèque du quartier sont relaxés.

Septembre 2011 : Un policier est renvoyé en correctionnelle pour homicide involontaire après l’accident de 2007 entre le véhicule de police et la moto. Le procès du policier qui conduisait le véhicule se tiendra devant le tribunal correctionnel de Pontoise, à une date qui n’a pas encore été fixée.

4 octobre 2011 : Une soixantaine de témoins, 89 policiers partie civile, cinq accusés pour trois semaines d’audience. Le procès en appel des cinq jeunes condamnés pour leur participation aux émeutes de Villiers-le-Bel s’ouvre devant la cour d’assises de Nanterre.

13 octobre 2011 : Christopher B., qui avait depuis indiqué avoir fait "un faux témoignage à la demande des policiers et du parquet", sera appelé à la barre. En revanche, David R., le témoin surprise, n’a pu être joint par la cour d’assises. L’ancien détenu n’est jamais allé chercher sa convocation au tribunal.

21 octobre 2011 : Fin des audiences du procès en appel.


Voir :

Vengeance d’État
Villiers-le-Bel, des révoltes aux procès

Avec tous les liens
http://www.acontresens.com/contrepoints/societe/47.html

Trois semaines avant l’ouverture du procès en appel des tireurs présumés de Villiers-le-Bel, condamnés en juillet 2010 à des peines de 3 à 15 ans de prison ferme, et à l’occasion de la sortie de l’ouvrage Vengeance d’État. Villiers-le-Bel, des révoltes aux procès [1], nous publions une partie de l’introduction de cet ouvrage, ainsi que plusieurs documents (des appels à la délation anonyme, l’ordonnance d’accusation, des photographies du procès).

Le procès en appel s’ouvre le 4 octobre 2011. Ce livre a un but politique immédiat, il a été écrit pour appeler à la libé­ration des inculpés de Villiers-le-Bel. Nous relayons ici la pétition « Liberté pour les cinq de Villiers-le-Bel »(http://clap33.over-blog.com/article...), lancée en juillet 2010 et soutenue par le collectif Respect-Vérité-Justice, car « cette révolte populaire était une réponse au quadrillage du quartier par plus de 600 policiers après la mort de deux jeu­nes tués par une voiture de police. Nous dénonçons ce verdict inique fondé sur un témoignage sous X. [...] Nous demandons [...] la libération des cinq condamnés pour l’exemple. »

LIBERTÉ POUR TOUS !


et aussi (du 4 juillet 2010) :

Villiers-le-Bel : le procès d’une révolte,
par Alessi Dell’Umbria
Le procès de 5 jeunes accusés sans preuves à la suite de témoignages anonymes et rétribués d’avoir tiré sur les policiers a commencé lundi 21 juin
Le parquet avait requis des peines de 15 et 20 ans de prison
Les condamnations, un peu inférieures, sont cependant très lourdes.

Mille Babords 14277


Les Inrocks se mobilisent pour le procès en appel de Villiers-le-Bel
30/09/2011

(...)

D’où vient la violence initiale ? L’affaire commence-t-elle quand une voiture de police percute la mini-moto de Lakhamy et Moushin, et les tue, comme le crie tout un quartier ? Ou avec les trois nuits d’émeutes, pendant lesquelles pour la première fois, des individus tirent à balles réelles sur des policiers, comme l’avancent les parties civiles et le tribunal ?

Cette rupture polarise chaque “camp” de manière irrémédiable. Les soutiens des accusés théorisent la répression d’une révolte légitime, expression d’une justice de classe et de race. La police voit dans ses blessés les victimes d’émeutiers tantôt présentés comme des “sauvages”, quasi-barbares, tantôt comme une armée de l’ombre, organisée, mue par la haine. Les accusés sont tour à tour infantilisés et criminalisés.

Chacun veut faire de ce procès un exemple. Symbole de l’intransigeance contre des émeutiers qui osent viser la puissance publique au fusil pour les uns, symbole d’une justice expéditive, capable de condamner sans preuves à quinze ans de prison pour les autres.

Le procès de première instance s’est transformé en catastrophe : les appels à délation rémunérée, doublés de témoignages sous X, ont jeté le doute sur l’honnêteté de la procédure. Les rétractations et débinages en série, les témoins surprise ont aggravé les choses. Encore une fois, le choc des interprétations – “loi du silence” contre “rétractations” – ne trouve pas son dénouement.

L’appel permettra peut-être d’approcher la vérité des faits. Ceux dont le témoignage a changé seront interrogés à nouveau. Les accusés auront une nouvelle chance de s’expliquer. De nouveaux magistrats soupèseront les preuves. Au-dessus des audiences planera aussi une décision récente : celle de renvoyer le policier qui conduisait la voiture lors de l’accident devant un tribunal correctionnel.

Pourtant certaines choses ne changeront pas. La salle d’audience de Nanterre, encore plus petite qu’en première instance à Pontoise, ne pourra toujours pas accueillir tous ceux qui souhaitent assister au procès, le transformant en un huis-clos médiatisé. Le dispositif policier à l’intérieur et autour du tribunal devrait à nouveau lui donner des allures de forteresse.

Pour un procès d’exception, il fallait un dispositif d’ampleur. Pendant les trois semaines que devrait durer le procès en appel, plusieurs journalistes des Inrockuptibles se relaieront pour publier les comptes-rendus d’audience. Des contributeurs extérieurs (Serge Quadruppani, Ali Soumaré…) s’exprimeront dans des tribunes : intellectuels, blogueurs, professionnels de la chaîne pénale, amenés à réfléchir autour de cette affaire en raison de leur métier, de leur proximité avec les événements ou de leurs options politiques. La photographe Tessa Polak, qui a suivi l’affaire, illustrera également ce blog, qui se veut une plateforme où proposer, contredire, débattre, renverser le point de vue pour mieux cerner les enjeux. Vous y êtes les bienvenus.

Camille Polloni


Collectif "Les mots sont importants"

Les mots de Pontoise
Bréviaire non exhaustif d’une justice d’exception
par Pierre Tevanian

http://lmsi.net/Les-mots-de-Pontoise

26 septembre

Le 4 octobre 2011 s’ouvrira au tribunal de Nanterre le procès en appel des tireurs présumés de Villiers-le-Bel. Rappel des faits : le 25 novembre 2007, Lakhamy et Moushin, deux adolescents de Villiers-le-Bel, décèdent suite à la collision de leur moto avec une voiture de police. Plusieurs nuits de révoltes éclatent, laissant s’exprimer la colère de centaines d’habitants qui refusent de croire à la version policière d’un accident. Le 21 juin 2010, s’ouvre le procès des tireurs présumés, au terme duquel cinq habitants de Villiers-le-Bel – tous noirs – seront condamnés à des peines allant de 3 à 15 ans de prison, en l’absence de preuves, et essentiellement sur la base de témoignages anonymes. A l’occasion de ce procès en Appel, et en soutien aux cinq inculpés, nous republions le compte-rendu accablant que nous avions fait, il y a maintenant plus d’un an, du premier procès en cours d’assises, à Pontoise.

«  Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelques temps l’effet toxique se fait sentir. »
Viktor Klemperer [1]

Le verdict redouté est finalement tombé : les «  cinq de Villiers-le-Bel » sont déclarés coupables de «  tentative de meurtre » ou de « complicité », et condamnés à ce titre à des peines d’emprisonnement de trois à quinze ans, en l’absence de toute preuve solide et sur la base exclusive de « témoignages » anonymes et d’un unique « témoignage à découvert » des plus douteux [2]. Un texte précédent qualifiait déjà un tel jugement politiquement (de lynchage) et moralement (d’abjection) : les lignes qui suivent se contenteront donc de répertorier, sur la base d’observations directes et de compte-rendus d’audience [3], par quelle subversion du droit, de la pensée et – donc – du langage une telle abjection est rendue possible. Loin d’être exhaustif, le bréviaire qui suit ne donne qu’un rapide aperçu du langage d’exception qui soutient cette justice d’exception.


Terrorisme

Cour d’Assises du Tribunal de Grande Instance de Pontoise, lundi 28 juin 2010, 10h. On juge cinq personnes inculpées pour « tentative d’assassinat en bande organisée », sans preuves, sur la seule base de «  témoignages sous X ». La présidente de la Cour annonce que les personnes qui devaient ce matin « témoigner sous X », par « visio-conférence », viennent de se désister. En remplacement, elle appelle à la barre le coordonnateur de « l’enquête ».

L’enquêteur raconte : Au départ, nous n’avions aucun élément. L’enquête classique était impossible. Nous avons distribué un appel à témoignage dans les boites aux lettres des cités de Villiers-le-Bel. Le premier n’a rien donné : il y avait un tel terrorisme dans la cité que personne n’osait témoigner. Deux jours plus tard nous avons rédigé un deuxième appel, en rajoutant qu’une rémunération serait possible.

Imagination

Un avocat des parties civiles (la police) le relance : Parlez nous de ce terrorisme que vivent les habitants de Villiers-le-Bel.

L’enquêteur : Je n’ai pas d’exemples précis en tête, mais ce sont des pneus crevés, des menaces verbales, des agressions physiques. Il n’y a pas eu de menaces directes à ma connaissance, mais j’imagine que les gens n’étaient pas sans crainte.

Impossible

L’enquêteur, un peu plus tard : L’enquête paraissait impossible au départ, moi même je me suis dit…

Cette phrase ne sera jamais finie. L’enquêteur enchaîne sur autre chose.

Évidence

Un avocat des accusés : Vous avez insisté pour distinguer l’information,qui peut être rémunérée, car elle sert seulement à tester des pistes pour l’enquête, et le témoignage sous X, utilisable pour l’inculpation, et qui ne saurait être rémunéré. Les enquêteurs qui recueillaient les informations ou les témoignages ont-ils été aussi clairs, ont-ils annoncé clairement aux personnes qui se présentaient que le témoignage excluait toute rémunération ?

L’enquêteur : Je ne sais pas, ce n’est pas moi qui ait mené les entretiens, je n’ai fait que coordonner l’ensemble.

L’avocat : Mais vous n’avez donné aucune consigne dans ce sens ?

L’enquêteur : Non, car pour moi c’était évident.

L’avocat : Vous insistez pour qu’on distingue l’information rémunérable du témoignage non-rémunérable, vous dites que cette distinction est évidente, pourtant l’appel que vous avez distribué dans les boîtes entretenait la confusion puisqu’il parlait de rémunération et s’intitulait « Appel à témoignage ». Pourquoi ne pas avoir plutôt utilisé dans ce texte le terme « informations » ?

L’avocat, plus tard : Avez vous au terme de cette enquête des preuves scientifiques de la culpabilité des accusés ?

L’enquêteur : Non, mais on savait dès le début que les gens qui avaient fait ça n’allaient pas laisser de traces.

L’avocat : Comme toujours.

L’enquêteur : Comment ça ?

L’avocat : Je veux dire que ça n’a rien d’exceptionnel : toute personne qui commet un crime ou un délit essaye d’effacer toute trace compromettante…

L’avocat, plus tard : Vous opposez les informateurs aux témoins, mais ce n’est pas aussi clair dans le dossier : un informateur devient, quelques semaines plus tard, un témoin. Comment l’expliquez vous ?

L’enquêteur : Je ne sais pas, je suppose qu’il avait mal compris.

Un autre avocat : Vous avez dit que l’informateur vous aide en partant à la recherche d’informations. Cela consiste en quoi, précisément, quelle différence entre rapporter une information et rapporter une rumeur ?

L’enquêteur : Effectivement, c’est un risque. Mais nous faisons un travail d’enquête ensuite.

L’avocat : Pensez-vous que la motivation d’un informateur peut être d’obtenir un arrangement de son casier judiciaire ?

L’enquêteur : Cela peut être aussi le civisme.

Irrationnel

Un enquêteur vient expliquer pourquoi le témoin qu’il a interrogé ne s’est finalement pas présenté : Il est terrorisé. Il vient d’y avoir une tentative de meurtre à Villiers-le-Bel ce weekend, dont je précise qu’elle n’a aucun rapport avec cette enquête, mais les gens ont parfois des peurs irrationnelles. Le témoin à qui j’ai parlé a peur d’être reconnu, malgré l’anonymat [4], mais encore une fois, les gens ont parfois des réactions irrationnelles.

Un avocat : Un de vos témoins a fait part dans sa déposition de sa volonté d’être rémunéré, il est donc venu comme informateur, pour devenir ensuite témoin. On a rappelé ce matin que ni sur le moment, ni plus tard, il ne lui avait été dit expressément qu’il ne serait pas rémunéré. Est-ce qu’il ne s’est pas désisté tout simplement parce qu’il a compris qu’il ne serait pas rémunéré ?

L’enquêteur : Je ne le crois pas.

Potentiel de dangerosité

Une enquêtrice vient ensuite expliquer la défection de « son » témoin : Il est terrorisé. Au fil des mois, il avait déjà exprimé sa peur de témoigner, et nous avions dû insister pour qu’il accepte de venir. Les événements de ce weekend l’ont finalement dissuadé de venir. Il a peur des représailles, il dit que les accusés ne sont pas des enfants de chœur.

La présidente : Et pour votre part, que pensez-vous de cette formule ?

L’enquêtrice : Effectivement il y a un potentiel de dangerosité.

Ressenti

Une avocate de la défense : Pouvez-vous nous dire sur quels éléments vous vous fondez pour parler de potentiel de dangerosité ?

L’enquêtrice : Pas d’élément particulier. J’ai voulu dire qu’effectivement, il y a un danger. C’est un ressenti, que je peux partager.

L’avocate : Cela ne répond pas à ma question.

L’enquêtrice : Vous m’avez demandé mon ressenti, je vous le donne.

L’avocate : Non, je vous avais demandé une opinion.

Sincérité

Un avocat de la défense : Le problème, c’est que ces témoignages n’ont fait l’objet d’aucun travail d’investigation complémentaire. Il y a un précédent célèbre : l’Affaire Pierre Goldman, où l’accusé avait été reconnu formellement par un témoin, et où il avait fallu attendre la Cassation pour que soit établi que le témoin, étant donnée sa myopie, la distance, la lumière, ne pouvait pas identifier qui que ce soit. Or, dans le dossier présent, il n’y a aucune trace d’une quelconque interrogation sur ces paramètres.

L’enquêtrice : Je suis certaine de la sincérité de mon témoin.

L’avocat : Mais justement, je ne vous parle pas de sincérité. Ce qui doit nous préoccuper n’est pas la sincérité mais la matérialité des faits, c’est très différent.

Protection de l’anonymat. 1.

L’enquêtrice : Mon témoin était sincère. Il a reconnu l’accusé de sa fenêtre, à la cité du Bois Joli. Toute précision sur la distance ou sur le fait que mon témoin porte des lunettes irait contre la protection de son anonymat.

Un avocat : Mais sans nous révéler ces éléments, vous pouviez les traiter dans votre investigation, aller voir par vous même sur les lieux, pour évaluer ce qu’on pouvait effectivement voir.

L’enquêtrice : Ce n’était pas possible, le climat était trop hostile dans la cité. Mon intégrité était en péril.

Un autre avocat : Mais vous pouviez y retourner plus tard ou même aller ailleurs, mais en vous plaçant dans des conditions comparables à celles du témoignage – le même étage, la même distance, la même heure de la journée ou de la soirée – pour évaluer ce que le témoin pouvait effectivement voir et reconnaître. Or, vous ne l’avez pas fait.

L’enquêtrice confirme que non.

Protection de l’anonymat. 2.

L’après midi, un seul des « témoins sous X » se présente. Lors d’une première déposition le 6 décembre 2007, il a mis en cause d’autres personnes que les actuels accusés. Dans une seconde déposition, le 22 février 2008, il est revenu sur ses propos pour finalement mettre en cause l’un des accusés. Lorsqu’on lui demande pourquoi, il explique que c’était pour s’assurer de son anonymat. Lorsqu’on lui demande comment il a pu identifier l’accusé alors que les policiers ont déclaré qu’il était cette nuit-là impossible d’identifier qui que ce soit, il répond qu’il y avait assez de lumière.

Flash. 1.

Le lendemain, le désistement des autres témoins est compensé par le miraculeux flash – ce sont ses termes – d’un policier déclarant avoir reconnu un des accusés huit jours plus tôt, à l’ouverture du procès. Ce même policier avait pourtant déclaré au lendemain de l’émeute qu’il ne pouvait absolument pas reconnaître le ou les tireurs.

Inconscient

Cela vient peut-être de l’Inconscient, lui souffle la présidente de la Cour. Oui, on peut penser que c’est Freud, répond mystérieusement le nouveau témoin.


Ethnies

Deux autres policiers présents sur les lieux ont déclaré avoir cru voir un tireur maghrébin, et non un Noir. Le policier reste formel : Même si je ne suis pas ethnologue, je sais faire la différence entre les ethnies, et notamment entre les traits grossiers des Africains de l’Ouest et les traits plus sémitiques des Africains de l’Est.

Flash. 2.

Un autre miracle a eu lieu la semaine précédente, avec le témoignage d’un témoin de dernière minute, le seul qui soit à visage découvert – ce qui est décisif puisqu’une Cour n’a pas le droit de condamner sur la seule foi de témoins anonymes. Il s’agit de l’ancien co-détenu d’un des accusés, qui affirme s’être récemment souvenu que ledit accusé lui aurait confié avoir tiré sur des policiers dans le but de les tuer.

Les avocats de la défense produisent des plaintes et des attestations où l’ex-compagne de ce témoin dénonce son côté manipulateur et mythomane, et raconte par exemple qu’il s’est prévalu d’être policier et de travailler dans le service de sécurité du président Nicolas Sarkozy. Le témoin est par ailleurs pris en flagrant délit de mensonge pendant l’audience : il se présente comme condamné pour des violences sur sa femme, alors que les avocats des accusés révèlent qu’il a été reconnu coupable d’agressions sexuelles sur mineurs.

Chair

À l’annonce du verdict, l’avocat de policiers blessés se félicite d’une décision qu’il qualifie de juste car les policiers ont été blessés dans leur chair.

Tout est dit : lorsqu’au mépris de la présomption d’innocence et de la charge de la preuve, le droit parle à ce point la langue de l’affectivité et du « ressenti », ce n’est rien d’autre qui se déploie que la pulsion de vengeance, le fantasme, la phobie et le préjugé de classe, de territoire et de race – et la plus brutale, la plus odieuse des injustices.

P.-S.

Un ouvrage du collectif Angles morts, intitulé Vengeance d’Etat à Villiers-le-Bel. Des révoltes au procès, vient de paraître aux éditions Syllepses, également en soutien aux inculpés. Vendu en librairie depuis le 1er septembre (au prix de 8 euros), ce livre s’inscrit dans la dynamique politique des mobilisations en soutien aux inculpés.

Liens :

Site du Comité de soutien aux inculpés de Villiers-le-Bel

Forum-Débat de Beur FM avec des proches des inculpés

Article de Matthieu Bonduelle : « Prodiges et vertiges de l’anonymat payant »

Article d’Ornella Guyet : « Villiers-le-Bel : un procès stalinien contre les jeunes de banlieue »

Article de Maurice Rajsfus : « Au procès de Villiers-le-Bel, pas de preuves mais de la délation »

Article d’Omar Slaouti : « Villiers-le-Bel, un procès politique »

Article de Pierre Tevanian : « Chronique d’un lynchage annoncé »

Communiqués

- des Alternatifs

- de la CNT-FTE

- de la FASE

- du Nouveau Parti Anticapitaliste

- du Parti des Indigènes de la République

Aucune réaction du Parti socialiste, du Parti Communiste, des Verts et du Front de gauche.


Villiers-le-bel, le procès en appel
Villiers-le-Bel : rencontre avec un accusé la veille de son procès

3/10/2011

http://blogs.lesinrocks.com/villier...

A la veille de son procès, rencontre avec Maka Kanté, le seul des cinq accusés qui comparaît libre. La détention provisoire a couvert ses trois ans de prison prononcés en première instance.

Place de la Tolinette, à Villiers-le-Bel, tout le monde connaît Maka Kanté. Le jeune homme de 24 ans a grandi ici, avant de déménager à Sarcelles il y a sept ans. Les types de son âge qui passent par là lui tapent dans la main : “C’est demain ton procès ? A quelle heure ?” On sort une table et des chaises du café pour s’asseoir à l’ombre.

A 9 heures ce mardi, Maka sera devant la cour d’assises d’appel. En première instance, il a écopé de trois ans de prison pour port d’arme de 4e catégorie, la Cour n’ayant pas retenu contre lui la tentative de meurtre sur des policiers. Il a été libéré en juillet 2010, la quasi-intégralité de sa peine ayant été couverte par la détention provisoire, contrairement à ses quatre co-accusés, tous en prison. Il a l’air tranquille derrière sa casquette et ses lunettes de soleil.

(...)

Le frère de l’un des deux jeunes renversés par la voiture de police en 2007 était présent. Il voulait savoir si le renvoi du policier qui conduisait devant le tribunal correctionnel allait changer quelque chose. “En tout cas, n’hésitez pas à en parler”, conseillait-il à Patrick Arapian.

D’après Maka et Eric, la police est revenue de plus belle à Villiers-le-Bel à l’approche du procès en appel. Sous nos yeux, une voiture siglée emprunte un sens interdit, sans clignotant ni gyrophare. C’est ce genre de choses qui agace les habitants. “Ils passent leur temps à mettre des contraventions, contrôler les véhicules et les gens.” Ici, les anecdotes sur la police se racontent à longueur de journées. Certains policiers présents pendant les émeutes travailleraient toujours à Villiers.

Pour son dernier jour avant trois semaines de cour d’assises, Maka n’a rien de prévu. A quoi bon commencer quelque chose ? Toutes les formalités sont terminées, demain matin il partira avec ses parents au tribunal de Nanterre. Il espère l’acquittement pour tous et pour lui, rattraper le temps perdu pour sa carrière de footballeur. “C’est sûr que depuis 2007, tout a été plus compliqué. Ça a gâché une partie de ma vie.” A sa sortie de prison, il a passé une saison comme défenseur au club amateur de Louhans-Cuiseaux, en Saône-et-Loire. Désormais, son avenir repose sur la décision de la cour d’appel. Il peut retourner en prison ou en finir définitivement avec cette histoire : une bien étrange attente.

Camille Polloni


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