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Chili : la contestation ne s’arrête pas à l’éducation

Article mis en ligne le mercredi 2 novembre 2011

http://rebellyon.info/Chili-la-contestation-ne-s-arrete.html

Publié le 30 octobre

Actuellement, au Chili, un vent de contestation sans précédent balaye les rues et bouleverse les esprits. Actuellement, en France, on ne sait rien de tout cela. Les médias parlent, tout au plus, de l’incontournable Camilla Valejo (plus pour son coté belle que rebelle) ainsi que des violences commises lors des marches étudiantes . Jamais le problème de fond n’est abordé, à croire que les sursauts de la bourse et les turpitudes de DSK soient bien plus importants. On ne feindra pas l’étonnement, car depuis longtemps maintenant les médias rendent important les choses intéressantes au lieu de rendre intéressantes les choses importantes. Pourtant, depuis la fin de la dictature de Pinochet, c’est la première fois qu’un tel processus de contestation voit le jour au Chili, tant par l’ampleur du mouvement que par l’élargissement des revendications. Petit tour d’horizon (modeste) du problème en question :

La contes­ta­tion a vu le jour il y a 5 mois et tenait pour prin­ci­pal sujet le sys­tème éducatif. Le Chili est, pour un étudiant, le deuxième pays le plus cher du monde en matière d’éducation (der­rière les Etats-Unis). Ce sys­tème date de la dic­ta­ture expé­ri­men­tale de Pinochet et n’a qua­si­ment pas bougé depuis. A titre d’exem­ple, une année a l’uni­ver­sité, qu’elle soit publi­que ou privée, coûte entre 3000 et 6000 euros. Ces chif­fres sont en cons­tante aug­men­ta­tion et sont à mettre en cor­ré­la­tion avec le salaire mini­mum, qui est de 270 euros. Les uni­ver­si­tés publi­ques n’en sont pas vrai­ment puis­que 10% seu­le­ment de leur budget pro­vient de l’État (dans les pays de l’OCDE la moyenne est de 85%). Le Chili ne manque pour­tant pas de res­sour­ces puis­que sa crois­sance s’élevait à 9,8% au pre­mier tri­mes­tre 2011, mais seuls 4,4% du PIB sont consa­cré a l’éducation, bien en deçà des 7% recom­man­dés par l’UNESCO.

A ce stade inter­vient l’endet­te­ment comme moteur du sys­tème économique. 70% de la popu­la­tion pos­sède un crédit à rem­bour­ser. Certains étudiants contrac­tent un crédit sur 20 ans avec des taux d’inté­rêts mon­tant jusqu’à 6%. La majo­rité des étudiants tra­vaillent donc en même temps que leurs études, cer­tains ont un emploi du temps de plus de 80h par semaine, on peut faci­le­ment ima­gi­ner l’impact que cela peut avoir sur l’assi­duité. En résumé les études ser­vent a acqué­rir un tra­vail qui per­met­tra de…rem­bour­ser les études ! Le modèle néo-libé­ral s’est tota­le­ment engouf­fré dans le sys­tème éducatif, a tel point qu’une uni­ver­sité est reconnue à l’aune de ce qu’elle coute et non de son effi­ca­cité. Autre point de contes­ta­tion en rela­tion direct avec les autres : les pro­fits réa­li­sés par les ins­ti­tu­tions sco­lai­res. La loi sti­pule clai­re­ment qu’aucun profit ne doit être réa­lisé par une uni­ver­sité , les excé­dents devant être réin­ves­tis en leur sein. Pourtant, les uni­ver­si­tés contour­nent la loi et sont un marché comme un autre, accueillant entre­pri­ses et fonds de pen­sion et dont les étudiants sont des mar­chan­di­ses. Ce qui n’est guère sur­pre­nant quand on sait que plu­sieurs minis­tres, dont celui de l’éducation, ont des inté­rêts pure­ment finan­ciers dans cer­tai­nes uni­ver­si­tés pri­vées.

Plus encore, ceci est a ins­crire dans un climat géné­ral ou, malgré une excel­lente crois­sance économique (le PIB a aug­menté de 4,1% en 15ans), aucune réduc­tions des iné­ga­li­tés socia­les n’a vu le jour. Si le chô­mage a chuté a moins de 10% c’est que de mul­ti­ples bou­lots pré­cai­res ont vu le jour. Ainsi, malgré les appa­ren­ces, le fossé entre les clas­ses aisées et l’ensem­ble des tra­vailleurs s’est accru. La pau­vreté de masse aug­mente de manière inflexi­ble, près de 15% des chi­liens vivent sous le seuil de pau­vreté fixé par les Nations Unies (et plu­sieurs mil­lions d’habi­tants sont juste au dessus). Il n’y a qu’a faire un tour dans les envi­rons de Santiago ou de Valparaiso pour s’en rendre compte, les zones d’habi­tats en tôle (pour ne pas dire bidon­ville) sont légions com­paré a un centre-ville très déve­loppé archi­tec­tu­ra­le­ment et, par exten­sion, économiquement. Ce qui fait qu’aujourd’hui, les iné­ga­li­tés, plus que l’éducation en elle-même, sont deve­nues le point cen­tral de la contes­ta­tion.

En effet la demande pour une éducation gra­tuite et de qua­lité s’est muée avec le temps en demande citoyenne pour des chan­ge­ments cons­ti­tu­tion­nels. Ce qui n’exis­tait pas dans les pre­miers temps car cela deman­dait un pro­ces­sus d’appren­tis­sage pour, d’abord, com­pren­dre le mode de fonc­tion­ne­ment du sys­tème poli­ti­que et la manière dont sont gérées ses struc­tu­res. Si cela est devenu pos­si­ble, ce n’est pas tant dû a une sin­gu­la­rité his­to­ri­que qu’à l’abou­tis­se­ment de l’évolution intes­tine des dif­fé­ren­tes fédé­ra­tions étudiantes. Car, depuis plus de 100 ans, elles assi­gnent une impor­tance capi­tale à la prise de déci­sion par la base, à la réno­va­tion cons­tante de ses diri­geants, à la capa­cité d’adhé­sion de ses pro­gram­mes ainsi qu’à une bureau­cra­ti­sa­tion res­treinte aux tâches les plus élémentaires. Suite à cela les fédé­ra­tions dis­po­saient donc d’une ossa­ture suf­fi­sam­ment solide et d’un réseau infor­ma­tif déve­loppé pour qu’une prise de cons­cience étudiante, cou­plée d’une for­mi­da­ble capa­cité de mobi­li­sa­tion, aient pu voir le jour.

La mobi­li­sa­tion inter­vient de plus sur un ter­rain fer­tile, où les contra­dic­tions du sys­tème poli­ti­que chi­lien sont mises à nues, tout comme ses limi­ta­tions et son inca­pa­cité à répon­dre au pro­blème posé autre­ment que par la répres­sion. Car la droite chi­lienne au pou­voir ne peut plus anes­thé­sier le mou­ve­ment, comme l’avait fait celui de M.Bachelet lors de la “révo­lu­tion pin­guine” en reje­tant la faute sur la droite, ce qui la ren­dait in-accu­sa­ble. Le gou­ver­ne­ment actuel de Piñera concen­tre en effet tout le pou­voir et se révèle orgueilleux dans sa pos­ture idéo­lo­gi­que, ce qui est logi­que car il incarne la conti­nua­tion directe de l’actuel modèle néo-libé­ral. Les citoyens ont cons­cience d’être exclu du sys­tème déci­sion­nel poli­ti­que et voient leur champ d’action ato­misé, l’indi­vidu pri­mant sur le col­lec­tif et l’ins­ti­tu­tion sur le mou­ve­ment. C’est ce qui expli­que donc dans un deuxième temps le mou­ve­ment : le fait que les iné­ga­li­tés soient engen­drées par un pro­ces­sus volon­taire qui ne cesse de se per­pé­tuer et qui, plus qu’avant, est visi­ble par l’ensem­ble de la société.

D’autres reven­di­ca­tions, d’appa­rence plus par­ti­cu­liè­res et ciblées, se sont gref­fées au mou­ve­ment. Mais toutes ont pour trait commun une dénon­cia­tion et une remise en cause des iné­ga­li­tés socia­les. On a ainsi pu voir des reven­di­ca­tions concer­nant le bar­rage hydro­élec­tri­que HydroAysen, devant être cons­truit en Patagonie et illus­trant par­fai­te­ment la main­mise des capi­taux étrangers sur les aspects cru­ciaux de la vie sociale et envi­ron­ne­men­tale. Mais aussi des slo­gans de sou­tien a l’EZLN, d’autres récla­mant le droit à la dignité et à l’indé­pen­dance du peuple Mapuche ou encore ceux sou­te­nant les tra­vailleurs de Codelco en lutte pour éviter que l’entre­prise minière publi­que de cuivre (le “phare de l’indus­trie chi­lienne”) ne tombe entre les mains d’inves­tis­seurs privés.

Tous ces conflits sociaux coïn­ci­dent avec une oppo­si­tion poli­ti­que quasi-inexis­tante (un peu comme le PS vers chez nous) couplé à un gou­ver­ne­ment au plus bas des son­da­ges (un peu comme l’UMP vers chez nous…) . Le dis­cré­dit de la classe poli­ti­que dans son ensem­ble n’est pas une sur­prise quand on sait que sa seule réponse aux conflits, outre la répres­sion, est de pour­sui­vre la pri­va­ti­sa­tion du pays tout en van­tant les méri­tes du marché. Le cas chi­lien fait évidemment écho à bien d’autres pays dont les pro­blè­mes struc­tu­rels sont dus à la main­mise d’un sys­tème tota­li­sant la vie des citoyens, ce qu’on appelle par un doux euphé­misme la créa­tion du consen­sus. La seule dif­fé­rence étant que les Chiliens, ayant déjà fait l’amer expé­rience du libé­ra­lisme sous la dic­ta­ture de Pinochet, se mon­trent plus cons­cients des réper­cus­sions que peu­vent avoir des pri­va­ti­sa­tions à grande échelle (un paral­lèle pour­rait en ce sens être établi avec la jeu­nesse grec­que). Cela les rends de même moins apa­thi­ques et plus com­ba­tifs. Reste a savoir si le conflit trou­vera une issue favo­ra­ble au chan­ge­ment, dans le sens social du terme…

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