http://rebellyon.info/Chili-la-contestation-ne-s-arrete.html
Publié le 30 octobre
Actuellement, au Chili, un vent de contestation sans précédent balaye les rues et bouleverse les esprits. Actuellement, en France, on ne sait rien de tout cela. Les médias parlent, tout au plus, de l’incontournable Camilla Valejo (plus pour son coté belle que rebelle) ainsi que des violences commises lors des marches étudiantes . Jamais le problème de fond n’est abordé, à croire que les sursauts de la bourse et les turpitudes de DSK soient bien plus importants. On ne feindra pas l’étonnement, car depuis longtemps maintenant les médias rendent important les choses intéressantes au lieu de rendre intéressantes les choses importantes. Pourtant, depuis la fin de la dictature de Pinochet, c’est la première fois qu’un tel processus de contestation voit le jour au Chili, tant par l’ampleur du mouvement que par l’élargissement des revendications. Petit tour d’horizon (modeste) du problème en question :
La contestation a vu le jour il y a 5 mois et tenait pour principal sujet le système éducatif. Le Chili est, pour un étudiant, le deuxième pays le plus cher du monde en matière d’éducation (derrière les Etats-Unis). Ce système date de la dictature expérimentale de Pinochet et n’a quasiment pas bougé depuis. A titre d’exemple, une année a l’université, qu’elle soit publique ou privée, coûte entre 3000 et 6000 euros. Ces chiffres sont en constante augmentation et sont à mettre en corrélation avec le salaire minimum, qui est de 270 euros. Les universités publiques n’en sont pas vraiment puisque 10% seulement de leur budget provient de l’État (dans les pays de l’OCDE la moyenne est de 85%). Le Chili ne manque pourtant pas de ressources puisque sa croissance s’élevait à 9,8% au premier trimestre 2011, mais seuls 4,4% du PIB sont consacré a l’éducation, bien en deçà des 7% recommandés par l’UNESCO.
A ce stade intervient l’endettement comme moteur du système économique. 70% de la population possède un crédit à rembourser. Certains étudiants contractent un crédit sur 20 ans avec des taux d’intérêts montant jusqu’à 6%. La majorité des étudiants travaillent donc en même temps que leurs études, certains ont un emploi du temps de plus de 80h par semaine, on peut facilement imaginer l’impact que cela peut avoir sur l’assiduité. En résumé les études servent a acquérir un travail qui permettra de…rembourser les études ! Le modèle néo-libéral s’est totalement engouffré dans le système éducatif, a tel point qu’une université est reconnue à l’aune de ce qu’elle coute et non de son efficacité. Autre point de contestation en relation direct avec les autres : les profits réalisés par les institutions scolaires. La loi stipule clairement qu’aucun profit ne doit être réalisé par une université , les excédents devant être réinvestis en leur sein. Pourtant, les universités contournent la loi et sont un marché comme un autre, accueillant entreprises et fonds de pension et dont les étudiants sont des marchandises. Ce qui n’est guère surprenant quand on sait que plusieurs ministres, dont celui de l’éducation, ont des intérêts purement financiers dans certaines universités privées.
Plus encore, ceci est a inscrire dans un climat général ou, malgré une excellente croissance économique (le PIB a augmenté de 4,1% en 15ans), aucune réductions des inégalités sociales n’a vu le jour. Si le chômage a chuté a moins de 10% c’est que de multiples boulots précaires ont vu le jour. Ainsi, malgré les apparences, le fossé entre les classes aisées et l’ensemble des travailleurs s’est accru. La pauvreté de masse augmente de manière inflexible, près de 15% des chiliens vivent sous le seuil de pauvreté fixé par les Nations Unies (et plusieurs millions d’habitants sont juste au dessus). Il n’y a qu’a faire un tour dans les environs de Santiago ou de Valparaiso pour s’en rendre compte, les zones d’habitats en tôle (pour ne pas dire bidonville) sont légions comparé a un centre-ville très développé architecturalement et, par extension, économiquement. Ce qui fait qu’aujourd’hui, les inégalités, plus que l’éducation en elle-même, sont devenues le point central de la contestation.
En effet la demande pour une éducation gratuite et de qualité s’est muée avec le temps en demande citoyenne pour des changements constitutionnels. Ce qui n’existait pas dans les premiers temps car cela demandait un processus d’apprentissage pour, d’abord, comprendre le mode de fonctionnement du système politique et la manière dont sont gérées ses structures. Si cela est devenu possible, ce n’est pas tant dû a une singularité historique qu’à l’aboutissement de l’évolution intestine des différentes fédérations étudiantes. Car, depuis plus de 100 ans, elles assignent une importance capitale à la prise de décision par la base, à la rénovation constante de ses dirigeants, à la capacité d’adhésion de ses programmes ainsi qu’à une bureaucratisation restreinte aux tâches les plus élémentaires. Suite à cela les fédérations disposaient donc d’une ossature suffisamment solide et d’un réseau informatif développé pour qu’une prise de conscience étudiante, couplée d’une formidable capacité de mobilisation, aient pu voir le jour.
La mobilisation intervient de plus sur un terrain fertile, où les contradictions du système politique chilien sont mises à nues, tout comme ses limitations et son incapacité à répondre au problème posé autrement que par la répression. Car la droite chilienne au pouvoir ne peut plus anesthésier le mouvement, comme l’avait fait celui de M.Bachelet lors de la “révolution pinguine” en rejetant la faute sur la droite, ce qui la rendait in-accusable. Le gouvernement actuel de Piñera concentre en effet tout le pouvoir et se révèle orgueilleux dans sa posture idéologique, ce qui est logique car il incarne la continuation directe de l’actuel modèle néo-libéral. Les citoyens ont conscience d’être exclu du système décisionnel politique et voient leur champ d’action atomisé, l’individu primant sur le collectif et l’institution sur le mouvement. C’est ce qui explique donc dans un deuxième temps le mouvement : le fait que les inégalités soient engendrées par un processus volontaire qui ne cesse de se perpétuer et qui, plus qu’avant, est visible par l’ensemble de la société.
D’autres revendications, d’apparence plus particulières et ciblées, se sont greffées au mouvement. Mais toutes ont pour trait commun une dénonciation et une remise en cause des inégalités sociales. On a ainsi pu voir des revendications concernant le barrage hydroélectrique HydroAysen, devant être construit en Patagonie et illustrant parfaitement la mainmise des capitaux étrangers sur les aspects cruciaux de la vie sociale et environnementale. Mais aussi des slogans de soutien a l’EZLN, d’autres réclamant le droit à la dignité et à l’indépendance du peuple Mapuche ou encore ceux soutenant les travailleurs de Codelco en lutte pour éviter que l’entreprise minière publique de cuivre (le “phare de l’industrie chilienne”) ne tombe entre les mains d’investisseurs privés.
Tous ces conflits sociaux coïncident avec une opposition politique quasi-inexistante (un peu comme le PS vers chez nous) couplé à un gouvernement au plus bas des sondages (un peu comme l’UMP vers chez nous…) . Le discrédit de la classe politique dans son ensemble n’est pas une surprise quand on sait que sa seule réponse aux conflits, outre la répression, est de poursuivre la privatisation du pays tout en vantant les mérites du marché. Le cas chilien fait évidemment écho à bien d’autres pays dont les problèmes structurels sont dus à la mainmise d’un système totalisant la vie des citoyens, ce qu’on appelle par un doux euphémisme la création du consensus. La seule différence étant que les Chiliens, ayant déjà fait l’amer expérience du libéralisme sous la dictature de Pinochet, se montrent plus conscients des répercussions que peuvent avoir des privatisations à grande échelle (un parallèle pourrait en ce sens être établi avec la jeunesse grecque). Cela les rends de même moins apathiques et plus combatifs. Reste a savoir si le conflit trouvera une issue favorable au changement, dans le sens social du terme…